Introduction
- Publication type: Article from a collective work
- Collective work: Les Présidents de l’Assemblée nationale de 1789 à nos jours
- Author: Garrigues (Jean)
- Pages: 7 to 10
- Collection: Encounters, n° 157
- Series: History, n° 1
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Introduction
Le président de l’Assemblée nationale (ou de la Chambre des députés) est l’une des figures majeures de notre histoire politique depuis la Révolution française. Des personnages illustres de notre panthéon républicain ont été associés à cette prestigieuse fonction, tels Condorcet, Danton, Robespierre, Jules Grévy, Léon Gambetta, Édouard Herriot, Vincent Auriol, Edgar Faure, Jacques Chaban-Delmas ou Philippe Séguin.
Ce dernier leur a d’ailleurs consacré un ouvrage très complet et fouillé, une galerie de portraits, depuis les présidents des Assemblées révolutionnaires, élus pour quinze jours, jusqu’à Laurent Fabius, son prédécesseur. Si leur importance historique se révèle inégale, comme la durée même de leur mandat (seize ans pour Jacques Chaban-Delmas, un record ; une journée pour François-Henri de Virieu, élu le 27 avril 1789 et démissionnaire le lendemain), cette diversité elle-même est intéressante, car elle reflète l’extraordinaire vitalité de cette institution majeure de notre histoire. Et pourtant, aussi étonnant que cela puisse paraître, aucune étude universitaire d’ampleur n’a été consacrée à ce sujet central de notre vie parlementaire. Les biographies des hommes illustres qui ont incarné la fonction ne lui accordent souvent qu’une place marginale. Si l’on connaît assez bien les péripéties des élections au « perchoir », parce qu’elles relèvent d’une histoire politique plus large, on sait finalement assez peu de choses sur la fonction elle-même, au jour le jour, et sur son évolution à travers les régimes et les décennies. Dans son rôle d’organisateur, à la tête d’une administration de plus en plus étoffée et complexe, dans son rôle d’arbitre, garant de l’efficacité et de la bonne tenue des débats en séance publique, dans son rôle institutionnel, intermédiaire entre l’exécutif et le législatif qu’il incarne dans son rôle de représentation, participant aux grandes cérémonies nationales ou à la diplomatie internationale, le président de l’Assemblée nationale reste par bien des aspects un inconnu.
Il est vrai que les archives sont bien souvent lacunaires sur tous ces points, quand elles ne sont pas inexistantes. La plupart des présidents d’Assemblée n’ont pas jugé bon de conserver les traces de leur passage au perchoir, soit qu’ils les jugeaient sans intérêt soit au contraire politiquement trop sensibles. Il est donc nécessaire de multiplier les sources et les champs d’investigation, en utilisant aussi bien les discours prononcés par les présidents ou les archives de l’Assemblée nationale que des archives privées, des correspondances, des mémoires, voire, pour les périodes les plus récentes, des témoignages oraux émanant soit des présidents eux-mêmes, soit de leur entourage.
Le champ est vaste, et l’enjeu historiographique est passionnant. Quelles sont les fonctions du président ? Comment ont-elles évolué depuis deux siècles ? Le président est-il avant tout un organisateur, placé à la tête d’une administration de plus en plus complexe, et responsable au jour le jour de plusieurs centaines de parlementaires et de fonctionnaires ? Est-il surtout un arbitre, chargé de réguler non seulement la délibération parlementaire, mais aussi les relations entre le législatif et les autres pouvoirs, et notamment l’exécutif ? Les crises politiques et les incidents de toutes sortes qui ont émaillé à toutes les époques les débats au Palais-Bourbon illustrent la difficulté extrême de cette fonction d’arbitrage indispensable au fonctionnement de la démocratie parlementaire. Quelle est la place de sa fonction de représentation, à l’échelle nationale ou internationale ? Le cérémonial présidentiel, le rôle de l’hôtel de Lassay, sa présence dans les cérémonies officielles, ses voyages à l’étranger, ses réceptions, ses liens avec les parlements étrangers sont autant d’attributions indispensables qui contribuent au rayonnement de la vie parlementaire.
Après avoir inventorié les différentes fonctions du président à travers notre histoire contemporaine, il convient évidemment de s’interroger sur l’évolution de sa place et de son rôle dans l’édifice constitutionnel et politique depuis l’apparition de la démocratie parlementaire en France. Il s’agit de mesurer l’impact des changements institutionnels, l’adaptation de la fonction aux régimes de monarchie censitaire ou d’autocratie plébiscitaire, le rôle du président de l’Assemblée (ou de la Chambre des députés) dans des circonstances exceptionnelles comme les guerres, mais aussi les crises politiques intérieures ou les moments de transition. Les relations du président de l’Assemblée avec le pouvoir
exécutif, avec les partis, avec la majorité, avec l’opposition, avec les contre-pouvoirs, évoluent en fonction de ces déterminants historiques. Se pose par ailleurs la question de la place de la fonction dans une carrière politique, comme étape plus ou moins décisive, comme un marchepied vers le pouvoir exécutif ou au contraire comme une mise à l’écart. On se rapproche ici de la biographie politique ou de la prosopographie, qui ne doivent pas être négligées si l’on veut comprendre la signification du « perchoir » dans l’espace du politique.
Ce qui nous amène naturellement à réfléchir à la manière dont la fonction de président de l’Assemblée nationale a pu être perçue et représentée à travers notre histoire politique contemporaine. Dans la construction d’une culture et d’un imaginaire de la vie parlementaire, quelle est la place de la fonction et des hommes qui l’ont incarnée. Les sources abondent, que ce soit la presse écrite, les dessins des caricaturistes depuis Daumier jusqu’à Plantu, mais aussi les écrivains comme Émile Zola ou Maurice Barrès, puis la représentation télévisée des débats parlementaires. Comment cette image a-t-elle évolué, comment est-elle perçue, voire mesurée, dans le champ de l’opinion publique ? Quelle est sa place dans le phénomène récurrent de l’antiparlementarisme qui est quasiment indissociable de la vie parlementaire depuis ses origines. Le président de l’Assemblée est-il un bouc-émissaire, une victime expiatoire ou au contraire protégé par le prestige de sa fonction ?
Telles sont les questions majeures qui se posent, dans une perspective chrono-thématique qui nous permet d’éviter la collection fastidieuse de biographies présidentielles sans grand intérêt problématique. Si la présentation chronologique s’est imposée, afin de faire apparaître une période d’« apprentissage » de la fonction entre la Révolution française et les débuts de la Troisième République, une place a été faite aux « moments d’exception », soulignant aussi bien les périodes de crise ou d’alternance que les présidences les plus marquantes, telles que celles de Jacques Chaban-Delmas ou de Philippe Séguin. En outre, la perspective comparatiste, qui fera l’objet de la dernière session de ce colloque, nous paraît essentielle, à l’heure où l’histoire parlementaire entre de plain-pied dans le « transnational turn. » La comparaison avec des cultures parlementaires plus intermittentes, comme celle de l’Allemagne, de l’Espagne et de l’Italie, sera du plus
grand intérêt pour évaluer l’originalité du modèle français aussi bien que les points de convergences d’une culture européenne de la présidence parlementaire. Cette perspective ouvre de vastes champs aux chercheurs.
Jean Garrigues
Professeur à l’université d’Orléans, (laboratoire Polen-Cepoc)
Président du Comité d’histoire parlementaire et politique
- CLIL theme: 3383 -- HISTOIRE -- Histoire générale et thématique -- France
- ISBN: 978-2-8124-5021-1
- EAN: 9782812450211
- ISSN: 2261-1851
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-8124-5021-1.p.0007
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 02-25-2016
- Language: French