Sujet de l’ouvrage
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Les Morlaques
- Pages : 59 à 61
- Collection : Masculin/féminin dans l’Europe moderne, n° 31
- Série : xviiie siècle, n° 13
Sujet de l’ouvrage
Le Comté de Zara1, les territoires de Scardona2 et et Knin3forment la partie septentrionale de la Morlaquie. Vers le nord, elle confine avec la Croatie autrichienne4 au-dessus du canal d’Obrovaz5et et de la rivière de Zermagna6. Au couchant, elle a la mer Adriatique parsemée d’un grand nombre d’îles et sur la côte les villes de Zara et Nona7. La Morlaquie méridionale est composée des territoires de Sebenico8, Traù9, Macarska10, Imoski11et arrosée par les rivières Kerka12, Cettina13 et Narenta14. Du côté opposé à la mer ces deux provinces sont séparées des états Ottomans par une suite de pays déserts et montagneux15.
Les îles, le littoral et les villes se ressentent des avantages de la civilisation, que la société nombreuse et le commerce attirent à leur suite. Partout ailleurs ce vaste pays, quoique si près de l’Italie et en grande partie sujet à la république de Venise16, offre l’image de la nature en 60société primitive17, telle qu’elle a dû être dans les temps les plus reculés, et telle qu’on l’a trouvée au milieu des habitants les plus inconnus de quelques îles de la mer pacifique.
Quelle force, quel art peut tenir contre l’action continue irrésistible du temps, contre la révolution des siècles ? Cette même Morlaquie au temps de Romains18était une portion de la florissante Dalmatie, du redoutable Illyrium19. Une quantité de ruines informes répandues dans ces provinces rappellent encore, quoique faiblement, ce souvenir. Elle fait à présent partie du pays qu’on nomme génériquement Esclavonie ou pays de Slaves20, dont la vaste étendue depuis l’Albanie remontant jusqu’à la Hongrie peut difficilement être marquée par des limites fixes et constantes21. Les nations qui l’habitent, sont un mélange confus de peuples indigènes, de colonies Latines, de Scythes, de Goths, de Vandales et de tout ce qui bouleversa l’Europe à la chute de l’Empire Romain22. Mais les peuples de la Morlaquie intérieure peuvent être regardés, comme les véritables indigènes ou du moins comme les plus anciens habitants.
Avant qu’une nouvelle révolution change la nature et l’aspect de ce pays, qu’on le voie dans son état actuel beaucoup plus intéressant que celui de la civilisation la plus achevée, dont les biens et les maux sont également connus depuis longtemps parmi nous.
61La suite naturelle des événements ordinaires dans une famille Morlaque va nous mettre au fait des mœurs et usages de la nation d’une manière plus sensible que la relation froide et méthodique d’un voyageur. On n’a pas cru avoir besoin de recourir au romanesque ou au merveilleux. Les faits sont vrais et les détails nationaux fidèlement exposés. Mœurs, habitudes, préjugés, caractères, circonstances locales, tout résultera des événements et des personnages mêmes mis en actions.
C’est peut-être la plus agréable façon de donner l’idée juste d’un peuple qui pense, parle et agit d’une manière très différente de la nôtre.
Les circonstances singulières d’un fait tragique arrivé parmi des Morlaques à Venise,il y a quelques années23, excitèrent de l’intérêt et de la curiosité sur cette nation si peu connue. Les informations de plusieurs parmi ceux que les emplois publics ou les affaires particulières ont fait demeurer dans cette contrée, quelques conversations avec les Esclavons des contrées voisines,la lecture du peu d’anciens écrivains sur ce sujet et celle d’un excellent moderne, Monsieur l’Abbé Fortis dans son Voyage en Dalmatie24, ont été les sources où l’on a puisé.
1 Aujourd’hui Zadar, capitale de la Dalmatie, située dans le Sud de la Croatie.
2 Scardona (Skradin en croate), petite ville de Croatie.
3 Petite ville dans l’arrière-pays du Nord de la Dalmatie.
4 La Croatie et l’Autriche ont fait partie de la même union pendant près de 400 ans sous la Monarchie des Habsbourg (1527-1804).
5 Obrvac se trouve, aujourd’hui, en Serbie, dans la province de Vojvodina.
6 Fleuve de Croatie qui traverse la Dalmatie septentrionale.
7 Aujourd’hui Nin, petite ville de Croatie à 15 km au Nord de Zadar.
8 Sebenik, ville croate située sur la côte adriatique.
9 Trogir en croate, ville croate sur la côte adriatique.
10 Ville portuaire sur la côte dalmate de la Croatie.
11 Petite ville de Croatie.
12 Krka en slovène ; fleuve de 60 km de longueur, aujourd’hui en Hongrie.
13 Fleuve de la Croatie méridionale.
14 Fleuve important de la Bosnie-Herzégovine.
15 Comme l’a souligné Inoslav Bešker, G. Wynne se trompe dans ses descriptions géographiques qui comportent de nombreuses erreurs, (Inoslav Bešker, I Morlacchi nella letteratura europea, Roma, Il Calamo, 2007, p. 187).
16 La Morlaquie était sous la domination de la Sérénissime quand Alberto Fortis (v. Introduction, p. 24-25) et Giustiniana Wynne composent leurs ouvrages. L’intérêt de Venise pour cette région était avant tout d’ordre stratégique. La domination du golfe de Venise assurait à la République le contrôle de la navigation dans cette partie de l’Adriatique. (Voir I. Bešker, op. cit., p. 92).
17 Le peuple des Morlaques est ici associé à l’idéal du « bon sauvage ». (v. Inoslav Bešker, op. cit., p. 95 : « Mentre Diderot cercava il filtro della giovinezza della razza umana tra i figli della natura di lontani paesi oltremare, Alberto Fortis e dopo di lui Belsazar Hacquet introducono nello spazio aperto dal Rousseau il mito dei Morlacchi quali figli della natura, veri e vicini. Morlacchi in questione infatti soni gli Slavi, ô una parte di loro, che dal punto di vista preromantico occidentale non partecipavano alla civiltà europea. » (Alors que Diderot cherchait le philtre de la jeunesse de la race humaine parmi les fils de la nature de pays lontains d’outre mer, Alberto Fortis, et Belsazar Hacquet après lui, ont introduit, dans l’espace ouvert par Rousseau, le mythe des Morlaques, comme véritables fils de la nature, véritables et voisins. Par Morlaques nous entendons ici les Slaves, ou du moins une partie d’eux, qui du point de vue du préromantisme occidental ne participent pas à la civilisation européenne.)
18 Pour l’histoire de la Dalmatie pendant l’Antiquité, voir Inoslav Bešker, op. cit.
19 Nom de la Dalmatie à l’époque des Romains.
20 Pour Alberto Fortis comme pour Giustiniana Wynne et leurs contemporains, les Morlaques font partie des peuples slaves qui ne sont pas considérés comme européens (v. Inoslav Bešker, op. cit., p. 95).
21 Au cours de l’histoire différents mouvements de migration font continuellement changer la population morlaque, v. Inoslav Bešker, op. cit., p. 22.
22 L’empire prend fin le 4 septembre 476 avec l’abdication du dernier empereur, Romulus Augustule.
23 L’auteure se serait inspirée d’un fait-divers, survenu à Venise, sur la Riva dei Schiavoni où vers 1781 : un Dalmate aurait été tué dans un règlement de comptes avec un compatriote. Voir sa note plus loin p. 262.
24 Alberto Fortis, Viaggio in Dalmazia, Venezia, Alvise Milocco, 1774, v. Introduction, p. 25-29. – Nous avons développé l’abréviation Mons.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-10590-9
- EAN : 9782406105909
- ISSN : 2261-5741
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10590-9.p.0059
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 05/04/2021
- Langue : Français