Théorie et pratique à l’école d’artilleurs de Séville
- Auteur lauréat du Prix Turriano 2017 de l’International Committee for the History of Technology et du Prix d’histoire militaire 2017 du ministère des Armées
- Publication type: Book chapter
- Book: Les Artilleurs et la Monarchie hispanique (1560-1610). Guerre, savoirs techniques, État
- Pages: 289 to 355
- Collection: History of Technology, n° 21
Théorie et pratique à l’école d’artilleurs de Séville
Es forzoso que [los artilleros] estén habilitados porque no es como el de soldado que en dándole una pica sale pelear con ella1.
Francisco de Molina, capitaine d’artillerie, Séville, 1598.
Introduction
Cette citation du capitaine Francisco de Molina pose directement la question de la formation et des compétences des artilleurs. Faire fonctionner une pièce d’artillerie n’avait en effet rien de trivial car il s’agissait d’un objet technique complexe dans l’usage duquel intervenaient de nombreux paramètres. Un artilleur était avant tout un technicien qualifié. En ce sens, la question des compétences fut au cœur des problèmes générés par la multiplication de l’usage du canon à l’époque moderne. Comme le premier chapitre l’a mis en évidence, le nombre d’artilleurs au service de la Monarchie hispanique passa de quelques dizaines à plusieurs milliers en moins d’un siècle. Cette transformation constitua naturellement un formidable défi en termes de ressources humaines qualifiées. Comment est-on parvenu à générer et multiplier les compétences en artillerie pour faire face aux besoins croissants de cette puissance politique en pleine construction ? Comment ces milliers d’individus parvinrent-ils à apprendre le maniement de l’artillerie ?
290L’apprentissage demeure une question centrale en histoire des techniques, même s’il s’agit d’un thème encore peu étudié. L’intérêt récent pour ce champ de recherche provient principalement de chercheurs en histoire économique interrogeant la contribution de l’apprentissage à la croissance économique et à l’innovation technique, avec pour horizon intellectuel la révolution industrielle, le progrès matériel et la Grande Divergence2. L’une des idées conductrices de cette littérature consiste à expliquer que les systèmes d’apprentissage mis en place à l’époque moderne en Europe ont généré une importante masse de capital humain qualifié qui non seulement eut un impact économique positif sur l’Europe occidentale, mais qui fut aussi à l’origine de la révolution industrielle. Cette partie propose d’appliquer ce type de raisonnement non pas au champ économique mais aux champs politique et militaire afin de répondre cette question : quels systèmes d’apprentissage permirent-ils, à l’époque moderne, de générer le capital humain nécessaire au déploiement d’une puissance politique de l’envergure de la Monarchie hispanique ?
Les pratiques d’apprentissage étudiées par ces spécialistes de l’histoire économique interviennent toujours dans le cadre socio-institutionnel des corporations de métiers et autres guildes d’artisans. Leurs publications invitent notamment à réévaluer positivement le rôle de ces institutions en tant que principaux producteurs de ressources humaines qualifiées à l’époque moderne3. À la fin du Moyen Âge, dans de nombreuses villes d’Europe occidentale, l’apprentissage de maître à apprenti fut progressivement institutionnalisé par des corporations et des guildes, régulé par des contrats et des règles d’accès à la profession garantissant une certaine qualification et stipulant les modalités du transfert 291de compétences4. Ce système d’apprentissage revêtait une nature privée puisqu’il s’agissait d’un échange économique entre un maître qui transmettait ses compétences et ses savoirs et un apprenti qui le payait en argent et en heures de travail5. L’apprentissage intervenait au sein de l’espace de travail, dans l’atelier, par la pratique du métier. Il impliquait une échelle d’enseignement très limitée : un maître ne formait que quelques apprentis durant toute sa carrière6. Cette échelle réduite était peu adaptée aux besoins colossaux en artilleurs de la Monarchie hispanique.
Les deux chapitres qui suivent ont pour objet de mettre en évidence l’émergence de systèmes de formation technique bien différents de ceux institutionnalisés au sein des corporations. Dans les dernières décennies du xvie siècle, des écoles d’artilleurs furent créées afin de faire face aux nécessités grandissantes de la Monarchie hispanique. Or, ces écoles proposaient un paradigme alternatif de l’apprentissage technique. Mettant en scène un maître face à des dizaines d’apprentis, elles permettaient de transformer l’échelle de l’enseignement technique. Elles déplaçaient le transfert de compétences du lieu de travail vers un espace spécifiquement dédié à l’apprentissage. Placées sous le patronage de l’État, ces écoles revêtaient un caractère public bien distinct du cadre traditionnellement privé de l’apprentissage technique. Il convient par conséquent d’analyser en profondeur le fonctionnement de ces institutions censées générer le capital humain vital au développement d’une puissance étatique établie sur plusieurs continents. Pour ce faire, cette partie du livre propose une approche en deux temps : l’école d’artilleurs comme institution sera d’abord étudiée à travers une étude de cas qui sera ensuite mise en perspective à l’échelle de l’empire dans le chapitre suivant.
292Séville, la casa de la contratación
et la carrera de Indias
Créée en 1576, l’école d’artilleurs de Séville fut sans doute l’un des plus clairs exemples d’institutionnalisation des pratiques d’enseignement de l’artillerie à cette époque. Cependant, situer une étude de cas à Séville, dans les années 1570-1610, n’est pas un choix anodin. À cette époque, non seulement Séville était-elle la plus grande ville de la péninsule ibérique, riche cité portuaire entre Méditerranée et Atlantique, mais elle jouait également un rôle particulièrement important dans les dynamiques impériales de la Monarchie hispanique en tant que principale porte vers l’Amérique. L’existence d’une école d’artilleurs dans cette ville ne saurait être séparée de ces mouvements maritimes d’allers-retours réguliers entre Ancien et Nouveau Mondes. L’école était rattachée à la casa de la contratación, institution contrôlant la carrera de Indias et préparant les convois qui traversaient l’Atlantique. Avant toute chose, il apparaît donc nécessaire de présenter brièvement la ville et le complexe technico-institutionnel qui en faisait le principal point d’interaction avec l’Amérique.
Les années 1570-1610 correspondent précisément à l’âge d’or sévillan. Sa situation à la confluence de la Méditerranée et de l’Atlantique avait déjà fait de Séville une cité portuaire importante à la fin du Moyen Âge7. Tout un monde capitaliste de banquiers et de marchands s’y était développé pendant plusieurs siècles. Enraciné localement par l’implication de l’aristocratie andalouse, il s’étendait bien au-delà à travers des réseaux marchands internationaux faits en particulier de Génois, Flamands et Portugais, pour lesquels Séville constituait un carrefour idéal entre les commerces méditerranéen, atlantique et nord-européen8. Mais c’est surtout avec l’aventure américaine du xvie siècle que cette ville connut son essor le plus spectaculaire. En moins d’un siècle, sa population se vit multipliée par trois, hissant Séville parmi les principaux centres urbains d’Europe9. En tant que grand port commerçant, elle accueillait une importante 293communauté de professionnels de la mer bien implantés dans le quartier extra-muros de Triana et dont la plupart n’étaient souvent que de passage. À ces marchands et marins s’ajoutait également une grande population d’artisans dont l’activité contribuait substantiellement à la prospérité de la ville. Séville comptait au xvie siècle un nombre conséquent de gremios (corporations) reflétant la diversité de ses activités parmi lesquelles les principales étaient la céramique, le textile, la construction navale et le savon10.
Le tournant décisif du destin de Séville date des premières années du xvie siècle, lorsque les Rois Catholiques lui concédèrent le monopole du trafic avec le Nouveau Monde. Il s’agissait alors pour la Monarchie de concentrer l’ensemble des flux en un point stratégique afin de percevoir aisément les taxes et contrôler strictement l’émigration vers l’Amérique. Plusieurs raisons motivèrent vraisemblablement le choix de Séville pour ce rôle11. D’abord, en tant que grand centre financier et marchand, place cambiste de premier plan, cette ville possédait les ressources nécessaires au développement d’un commerce transatlantique. De plus, du point de vue de la navigation, elle constituait un point de départ idéal pour bénéficier des alizés, ces vents permettant de gagner l’Amérique. Elle avait toutefois un inconvénient de taille. Située à 80 kilomètres de la mer, sur le Guadalquivir, ses eaux étaient trop peu profondes pour permettre à une grande partie des navires transatlantiques de remonter jusqu’à son port12. En fait, le monopole fit de Séville le centre administratif et financier d’un dispositif qui impliquait toute la Basse-Andalousie et plus particulièrement les ports atlantiques de Sanlúcar de Barrameda et Cadix.
Le monopole de Séville fut matérialisé par la création, en 1503, de la casa de la contratación, l’institution chargée de contrôler les flux entre l’Espagne et l’Amérique13. Ses prérogatives allaient bien au-delà de son activité fiscale de perception des différentes taxes et droits de douanes sur les marchandises14. Cette institution constituait en réalité un organe administratif dépendant du conseil royal des Indes, autorité suprême 294chargée du gouvernement du Nouveau Monde. Elle servait de tribunal particulier de la carrera de Indias, réglant notamment les différents entre marchands15. Ses officiers portaient d’ailleurs le titre de « juges » et siégeaient au cœur du symbole de la royauté à Séville, l’Alcazar, dans la salle des amiraux et les pièces adjacentes. Entre 1508 et 1519, la création des offices de piloto mayor (pilote principal) et de cartografo mayor (cartographe principal) lui conféra une dimension scientifique : à partir de ces dates, la casa de la contratación fut impliquée dans la formation des pilotes, la réalisation de cartes nautiques et la fabrication d’instruments16. Autre aspect souvent négligé de son activité, cette institution était chargée d’organiser la défense de la carrera de Indias, de préparer les convois, d’appareiller et d’équiper les galions d’escorte17.
Le commerce entre Séville et l’Amérique se développa tout au long du xvie siècle18. La période au cœur de ce chapitre, qui va de 1570 à 1610, correspond précisément à l’âge d’or du monopole de la carrera de Indias en termes de volumes et de valeur marchande transportée, 295l’année 1608 en détenant le record absolu. Le trafic impliquait chaque année de 100 à 280 navires, entre 30 000 et 70 000 toneladas de marchandises, incluant des produits de grande valeur tels que la cochenille de Nouvelle-Espagne, les perles de Tierra Firme ou encore les tonnes d’argent extraites des mines de Potosí. Ces échanges constituaient des quantités très importantes à l’échelle de l’économie mondiale de l’époque19. Néanmoins, une telle richesse ne manqua pas d’attirer les convoitises : la course, d’abord française et barbaresque, puis anglaise et hollandaise, se développa à mesure que le commerce prit de l’ampleur. Le monopole des trésors américains nécessitait par conséquent un système de protection contre les menaces de corsaires et pirates20.
Comme le premier chapitre l’a évoqué, à partir des années 1560, la carrera de Indias s’organisa en un système de convois voyageant sous escorte de galions royaux. Chaque année, deux flottes partaient, l’une pour la Nouvelle-Espagne (correspondant à l’actuel Mexique), l’autre pour la Tierra Firme (correspondant approximativement aux côtes du Panama, de la Colombie et du Venezuela)21. À partir des années 1570, ces flottes furent généralement accompagnées d’un escadron de six à dix galions, l’armada de guarda de la carrera de Indias, financés par une taxe sur les marchandises appelée avería, et dont les équipages étaient au service du roi22. Cette armada puissamment armée jouait un double rôle, escortant les navires de commerce mais aussi transportant avec plus de sécurité l’argent américain absolument essentiel à la trésorerie de la Monarchie. Des agents de la casa de la contratación supervisaient la préparation de ces convois et s’occupaient de la gestion des navires de guerre sous administration royale. La fabrication des pièces d’artillerie était réalisée à Séville par la famille Morel, véritable dynastie de fondeurs de canons qui traversa le xvie siècle23. 296Les autres préparatifs incluaient, entre autres choses, le recrutement de l’équipage, la constitution des stocks de nourriture, d’eau, d’armes, de munitions, de cordages, de toiles et de nombreux autres éléments indispensables aux longues traversées, ainsi que l’installation et la vérification des pièces d’artillerie. Ces opérations étaient généralement réalisées au large de Sanlúcar de Barrameda, à l’embouchure du Guadalquivir ou dans la baie de Cadix. Elles impliquaient aussi parfois l’aide de l’aristocratie locale. Ainsi, le duc de Medina Sidonia, qui commanda la Grande Armada contre l’Angleterre en 1588, participait régulièrement à la préparation des flottes depuis son château de Sanlúcar, en qualité de capitaine général des côtes andalouses24.
D’ailleurs, les convois de la carrera de Indias n’étaient pas les seules flottes à être appareillées dans ces ports. Comme le premier chapitre l’a montré, de nombreuses flottes de guerre y furent préparées. On peut citer notamment les expéditions de Floride en 1565-1566, celle au détroit de Magellan de 1581-1584, les différentes opérations de la conquête du Portugal et des Açores (1580-1583) ainsi qu’une partie de la Grande Armada de 1588. Régulièrement, lorsque des raids anglais ou hollandais menaçaient les côtes andalouses, les Canaries ou les Açores, de petites flottes de secours étaient rapidement mises sur pied pour intervenir25. Enfin, dans les dernières années du xvie siècle, lorsque la Monarchie hispanique construisit son armada del mar Océano, l’un des escadrons fut assigné au port de Cadix26. En d’autres termes, dans les années 1570-1610, le complexe Séville-Sanlúcar-Cadix jouait un rôle prépondérant dans la préparation des flottes et des armadas de la Monarchie hispanique. C’est précisément cette situation qui explique l’importance de l’école d’artilleurs qui fut mise en place à Séville à partir de 1576.
L’école d’artilleurs de Séville :
sources et historiographie
L’école d’artilleurs de Séville atteignit sans doute un degré d’institutionnalisation inégalé par les autres centres de formation de 297cette époque. Il en résulte une abondance relative de sources qui constitue d’ailleurs une autre justification du choix de Séville comme étude de cas. Mes recherches ont porté principalement sur deux centres d’archives, l’archivo general de Indias et l’archivo general de Simancas, ainsi que, dans une moindre mesure, sur les archives municipales de Séville. Conservant les documents de la casa de la contratación (section contratación) et du conseil des Indes (section indiferente general), l’archivo de Indias est celui qui renferme le plus grand nombre de documents concernant le fonctionnement de l’école. L’archivo general de Simancas possède quant à lui des documents du conseil de guerre (section guerra y marina) qui mettent en évidence l’intérêt que cette école suscita parmi ses membres ainsi que les tentatives de ce conseil d’étendre son pouvoir sur cette institution rattachée originellement au conseil des Indes.
Cette documentation sur l’école d’artilleurs de Séville a particulièrement attiré l’attention des officiers de l’armée espagnole qui, à la fin du xixe siècle, ont cherché à constituer une généalogie de leur profession. Cesáreo Fernández Duro, capitaine dans la marine espagnole, a ainsi écrit une histoire en six tomes des aventures militaires espagnoles sur mer27. Ces livres abordent brièvement l’enseignement de l’artillerie à Séville et transcrivent quelques documents intéressants. De même, le capitaine d’artillerie Adolfo Carrasco y Saiz del Campo a publié dans la revue Memorial de Artillería un grand nombre d’articles concernant l’artillerie espagnole du xvie siècle. L’un de ces articles porte sur l’histoire « des systèmes d’instruction du corps d’artillerie » et aborde la question de l’enseignement des artilleurs à Séville à travers l’étude de quelques instructions données aux professeurs28.
Deux courtes études publiées plus récemment ont constitué un point de départ de mes recherches. En 1997, le colonel d’artillerie Guillermo Frontela Carreras, autre militaire en quête de généalogie, a publié un article sur l’enseignement de l’artillerie dépendant du conseil des Indes29. Il s’agit à ce jour de l’étude la plus complète réalisée sur ce sujet, son 298auteur proposant une histoire de l’école depuis sa création en 1576 jusqu’à la fin du xviie siècle. La principale critique qu’il est possible de lui faire est qu’il s’appuie surtout sur des documents normatifs, tels que des instructions et des textes législatifs30, laissant de côté la question des pratiques. Quelques années plus tard, l’historienne des sciences María Isabel Vicente Maroto, collaboratrice des projets de López Piñero31, a publié un article sur les écoles d’artillerie dans lequel elle se concentre principalement sur l’enseignement à Séville32. Appuyé sur des recherches réalisées aux archives de Simancas, ce travail est intéressant car il révèle les liens entre l’école de Séville et le conseil de guerre. Néanmoins, négligeant les fonds les plus abondants, ceux de l’archivo de Indias, il offre une vision de l’école limitée à la période de 1591-1593, lorsque le conseil de guerre en prit le contrôle direct.
Ce chapitre propose un approfondissement de ces travaux en combinant les documents de la casa de la contratación, du conseil des Indes et du conseil de guerre afin d’offrir une vision complète du processus d’institutionnalisation progressive de l’école d’artilleurs de Séville qui eut lieu à la fin du xvie siècle. L’étude minutieuse des documents utilisés par les études citées précédemment, ainsi que la mise au jour de sources jusqu’ici non étudiées, donnera à ce chapitre un niveau de détails supplémentaire permettant notamment de soulever la question des pratiques réelles. L’échelle réduite de cette micro-analyse permettra de mieux appréhender ce monde local qu’était l’enseignement de l’artillerie à Séville. Il s’agira de mettre en évidence la chronologie de cette institution, fortement liée aux enseignants qui prirent part à son développement. En outre, l’analyse des pratiques d’enseignement révèlera la double nature de la formation des artilleurs, à la fois théorique et pratique, sanctionnée par un examen oral devant un jury. Enfin, cette étude sera également l’occasion de s’interroger sur la fréquentation de l’école sévillane, sur les effectifs et profils de ses étudiants.
299L’institution : une école liée à un office
Attachée à l’office de l’artillero mayor (artilleur principal) de la casa de la contratación, la mise en place de l’école d’artilleurs de Séville reposa en grande partie sur l’activité de trois hommes qui dirigèrent successivement l’école et y enseignèrent la profession d’artilleur. Il s’agit d’Andrés de Espinosa, premier artillero mayor, qui établit, avec l’aide du conseil des Indes et de la casa de la contratación, un enseignement public de l’artillerie à Séville entre 1576 et 1591. Il fut remplacé dans cette tâche par le docteur Julián Ferrofino, juriste et mathématicien italien originaire de Lombardie, qui mit en place, entre 1591 et 1593, un enseignement dépendant du conseil de guerre. Enfin, Andrés Muñoz el Bueno, qui fut l’assistant et l’élève de ces deux premiers enseignants, prit leur succession au départ de Ferrofino, et devint artillero mayor pendant plusieurs décennies, assurant ainsi la pérennité de l’école. Un retour sur la chronologie détaillée d’institutionnalisation de l’école sous l’action de ces trois individus permettra de mieux saisir ce que fut l’enseignement de l’artillerie à Séville.
Les premiers pas : l’artillero mayor
Andrés de Espinosa (1576-ca.1591)
La création de l’école d’artilleurs de Séville peut être datée du mois de février 1576, lorsque le conseil des Indes dépêcha une série d’ordres relatifs à la mise en place d’un enseignement de l’artillerie à destination de la carrera de Indias33. En réalité, parler d’une école à cette date serait un abus de langage. Contrairement à ce que pourrait laisser entendre l’acception actuelle du mot « école », cette série d’instructions ne créait ni une institution, ni un lieu d’apprentissage. D’ailleurs, le mot escuela n’apparaît dans les documents que quelques mois plus tard34. En fait, les ordres de février 1576 créaient, ou plutôt modifiaient les prérogatives d’un office, celui d’artillero mayor (artilleur principal), en lui octroyant un rôle d’enseignant. Ils furent envoyés à l’individu en charge de cet office, l’artilleur Andrés de Espinosa, ainsi qu’aux officiers de la casa de 300la contratación qui le supervisaient à Séville. Il est essentiel de remarquer que ce qui, dans les sources, apparaît sous le terme d’escuela n’avait en soi aucune existence institutionnelle propre en dehors de l’activité de l’artillero mayor. Par conséquent, l’histoire de « l’école » de Séville repose d’abord sur l’étude de ses enseignants, à commencer par Andrés de Espinosa.
Qui était Andrés de Espinosa et sur quels critères fut-il choisi pour enseigner l’artillerie à Séville ? Avant de devenir artillero mayor, Andrés de Espinosa était l’un des 60 artilleurs de Burgos35. Pour rappel, Burgos était à cette époque un des hauts lieux de la péninsule ibérique en matière d’artillerie. Cette ville accueillait l’un des lieutenants du capitaine général de l’artillerie ainsi que le comptable général de l’artillerie. Ses artilleurs jouissaient d’une certaine renommée de sorte qu’ils étaient régulièrement cités en exemple dans les documents du conseil de guerre. Andrés de Espinosa joignait à ce statut reconnu une certaine expérience de la guerre. En 1568, il participa aux affrontements qui suivirent la révolte des Morisques dans les Alpujarras36. Plus important encore, il avait effectué des voyages à bord de navires de la carrera de Indias. En 1573, il avait acquis un statut suffisamment élevé pour être invité à transmettre son avis au conseil des Indes concernant l’artillerie des flottes37. Lorsque les ordres de février 1576 furent expédiés au nom du roi par le conseil des Indes, ils étaient adressés à « notre artilleur principal de l’armada qui patrouille la route et les côtes de mes Indes38 ». En d’autres termes, Espinosa était à ce moment-là une sorte de capitaine des artilleurs de l’armada de guarda de la carrera de Indias, cet escadron d’escorte des flottes marchandes qui était chargé d’acheminer vers l’Andalousie les précieuses cargaisons d’argent américain. Ces ordres transformèrent donc son rôle d’officier de la carrera de Indias en enseignant stationné de manière permanente à Séville.
Les instructions de 1576 fournissent également la raison du changement introduit dans le rôle de l’artillero mayor :
Puisque il nous a été relaté par vous, Andrés de Espinosa, […] que dans la dite carrera s’engagent peu d’artilleurs qui soient natifs de Nos Royaumes 301et qu’il y a grand besoin d’eux tant pour l’armada que pour les flottes qui naviguent aux Indes39.
Cette phrase de justification rend explicite les deux problèmes à l’origine de la mise en place d’un enseignement à Séville : d’une part, le besoin grandissant des flottes en artilleurs et, d’autre part, le risque de recourir aux mercenaires étrangers. Le conseil des Indes était parfaitement conscient de la proportion relativement élevée d’artilleurs étrangers au sein de la carrera de Indias. Comme le chapitre précédent l’a mis en évidence, il s’agissait même d’une réalité qui commençait à soulever des inquiétudes parmi le commandement castillan. L’idée derrière ce projet était par conséquent de former à l’usage des pièces d’artillerie des individus originaires des royaumes de Castille et d’Aragon afin de remplacer les mercenaires que l’on jugeait suspects et coûteux.
Cette citation met par ailleurs l’accent sur la grande nécessité de ces artilleurs au sein de l’armada et des flottes commerciales de la carrera de Indias. La croissance des échanges entre Séville et l’Amérique avait sans doute atteint une taille critique pour laquelle il devenait chaque année plus difficile de pourvoir en artilleurs une flotte marchande de plus en plus importante. S’appuyant sur les chiffres de l’enquête des Chaunu, la figure 30 situe le moment de la création de l’école dans cette évolution générale du trafic de la carrera de Indias40. De plus, il faut prendre en considération que les années 1570 coïncidèrent avec la mise en place régulière de l’armada de guarda de la carrera de Indias41, dont les galions lourdement armés étaient fort demandeurs en artilleurs. C’est d’ailleurs dans cet escadron qu’Andrés de Espinosa servait à l’époque. Les instructions de février 1576 ne laissent aucun doute quant au fait qu’il fut l’individu à l’origine de cette initiative : témoin de premier plan du manque d’artilleurs pour la carrera de Indias, il supplia le roi et le conseil des Indes de lui donner une licence d’enseignement42.
302Fig. 30 – Évolution du tonnage annuel de la carrera de Indias et création de l’école d’artilleurs de Séville.
Graphique réalisé à partir des chiffres fournis par Chaunu, Séville et l’Atlantique, op. cit. Les valeurs sont
celles des moyennes mobiles sur 7 ans permettant de niveler les fluctuations annuelles.
Ce changement de fonction d’Andrés de Espinosa s’accompagna d’une importante promotion financière. En tant qu’artilleur de Burgos, il touchait le salaire habituel de 60 ducats par an. Devenu formateur des artilleurs à Séville, ce chiffre fut plus que quadruplé, s’élevant à 250 ducats annuels43. Un tel salaire le rapprochait du statut des lieutenants du capitaine général de l’artillerie, payés à l’époque 300 ducats par an et figurant parmi les plus hauts salaires du personnel en charge de l’artillerie44. Cette haute rémunération de l’artillero mayor témoigne de l’importance que les membres du conseil des Indes accordèrent à sa mission d’enseignement. Ce salaire lui fut même augmenté à 350 ducats en 159045. Toutefois, Andrés de Espinosa eut sans cesse des difficultés pour toucher cette somme. Ainsi, en 1578, le conseil des Indes dut envoyer l’ordre de payer sans délai tout l’argent qui était dû à l’artillero mayor car ce dernier se trouvait couvert de dettes46. En 1581, Andrés de Espinosa se plaignit à nouveau au conseil qu’on lui devait plus de 1 000 ducats47. En 1590, on lui devait encore 500 ducats de son salaire48. Ces difficultés récurrentes pour obtenir le fruit de son travail provenaient de la manière dont était financé l’enseignement de l’artillerie à Séville.
L’office d’artillero mayor était payé non pas par la Monarchie mais par les armateurs et capitaines impliqués dans la carrera de Indias. À ce sujet, les instructions de 1576 précisaient que
le fait d’avoir cette personne dans cette ville pour le dit effet est au bénéfice général et à l’utilité des propriétaires et capitaines de navires qui naviguent la carrera de Indias et qui sont obligés d’embarquer des artilleurs aptes. Par conséquent, il est juste que ceux-ci contribuent au paiement du salaire du dit artillero [mayor]49 .
Autrement dit, comme la formation des artilleurs à Séville visait à pourvoir en équipages les navires marchands, chaque bateau de la carrera 304de Indias était censé fournir une petite somme d’argent qui devait être reversée à Andrés de Espinosa par l’universidad de mareantes, la corporation rassemblant les maîtres, pilotes et propriétaires de navires de la carrera de Indias. Cependant, ces derniers se montrèrent réticents face à ce nouveau prélèvement et, après quelques protestations, ils parvinrent à modifier les modalités de paiement. Comme un certain nombre d’artilleurs formés par Espinosa étaient aussi supposés servir dans les galions de la Monarchie, ils obtinrent du roi qu’environ un quart de la somme fût payée avec l’argent des peines et amendes résultant des verdicts du tribunal de la casa de la contratación50.
Néanmoins, certains propriétaires et capitaines de navires, insatisfaits par cet arrangement, optèrent pour une autre tactique de protestation et retardèrent pendant plusieurs années le paiement de l’artillero mayor, espérant certainement le voir renoncer à son office suite au non-paiement d’une grande partie de ses gages. En 1586, Andrés de Espinosa, à qui l’universidad de mareantes devait désormais la somme exorbitante de 1 700 ducats, se plaignit une nouvelle fois auprès des juges de la casa de la contratacion qui se décidèrent enfin à agir51. Ils constituèrent une liste de tous les navires et capitaines qui avaient participé à la carrera de Indias depuis la création de l’école et donnèrent l’ordre à leurs huissiers de procéder au recouvrement de la somme, ces derniers étant autorisés à recourir à l’emprisonnement si nécessaire52. Cette mesure provoqua une forte réaction de la part des maîtres et propriétaires de navires qui firent appel de cette décision auprès du conseil des Indes, à Madrid.
Ils constituèrent alors tout un plaidoyer en leur défense. Cependant, il est intéressant de noter qu’à aucun moment, il ne s’agit de remettre en cause l’utilité de l’artillero mayor. Le problème était plutôt de savoir à qui il revenait de le payer. Les maîtres et propriétaires de navire considéraient que leur contribution à la défense des convois devait se borner à engager et payer des artilleurs, non pas à financer leur formation53. Le bénéfice d’avoir de bons artilleurs à bord des navires retombait sur eux, certes, mais aussi sur les marchands qui affrétaient leurs marchandises, sur 305le roi qui faisait transiter ses propres richesses et sur les passagers qui se rendaient aux Indes54. Ils proposaient comme solution de financer l’enseignement de l’artillerie à partir de l’argent de l’avería, cette taxe sur la valeur des marchandises qui servait à financer les galions d’escorte et l’armada de guarda. Finalement, le conseil des Indes opta pour un compromis tenant compte des différents intérêts en jeu : le salaire de l’artillero mayor serait payé à hauteur d’un tiers par les peines et amendes de la casa de la contratación, à un autre tiers par l’avería, et enfin à un dernier tiers par l’universidad de mareantes55. Toutefois, en 1590, la participation des maîtres et armateurs fut à nouveau augmentée à hauteur de la moitié du paiement du salaire de l’artillero mayor, l’autre moitié étant financée par l’avería56. Afin d’éviter tout retard de paiement, Andrés de Espinosa devait réclamer son salaire à chaque maître de navire avant le départ des flottes, lors de son inspection de l’artillerie.
Il est important de noter à cette occasion que l’enseignement ne fut pas l’unique activité de l’artillero mayor. Andrés de Espinosa devait entre autres choses tester les pièces d’artillerie et armes à feu en partance pour l’Amérique afin de vérifier leur bonne facture57. Il devait également être présent à Sanlúcar et Cadix, au départ et à l’arrivée des flottes de la carrera de Indias, afin d’inspecter l’artillerie embarquée58. Ces activités parallèles, qui nécessitaient parfois des déplacements de plusieurs jours, devaient sans aucun doute interrompre régulièrement l’enseignement à Séville. L’absence la plus significative fut néanmoins un voyage qu’entreprit Andrés de Espinosa pendant plus de trois ans. En effet, en juin 1581, le général Diego Flores de Valdés demanda à l’artillero mayor de l’accompagner dans son expédition de colonisation du détroit de Magellan59. Cette longue période de voyage montre à quel point l’existence de l’école d’artilleurs de Séville était, dans ces premières années, intégralement liée à l’office de l’artillero mayor. Lorsqu’Andrés de Espinosa accompagna le général Flores, sa qualité d’enseignant le suivit. On apprend ainsi qu’il tint une « école » d’artilleurs sur le chemin, en particulier à Rio de Janeiro, là où la flotte hiverna, ainsi que 306sur la galéasse capitana de la flotte60. Pendant ce temps, à Séville, aucune structure ne prévoyait de suppléer l’absence de l’artillero mayor même s’il y eut quelques tentatives improvisées en ce sens. Ainsi, en août 1581, le conseil des Indes proposa à deux artilleurs, qui étaient de passage à Séville en direction de Saint-Domingue, de remplacer temporairement Andrés de Espinosa en attendant le départ de la flotte de Nouvelle-Espagne61. Néanmoins, il apparaît clairement que l’enseignement de l’artillerie cessa de fonctionner à Séville pendant l’absence d’Espinosa, ce dernier se justifiant, après coup, de ne pas avoir eu le temps de se trouver un remplaçant62.
Malgré cette longue coupure de trois ans et en tenant compte des multiples brèves interruptions dues aux diverses activités de l’artillero mayor, il est tout de même possible d’affirmer que l’enseignement d’Andrés de Espinosa à Séville s’inscrivit dans la longue durée, perdurant une quinzaine d’années, depuis 1576 jusqu’à sa mort au début des années 1590. Il est par ailleurs difficile de dater précisément cet évènement. La dernière trace écrite de cet individu est une signature du début de l’année 159163. Or, un document d’avril 1593 évoque la disparition d’Andrés de Espinosa comme un évènement relativement lointain64. L’artillero mayor décéda donc vraisemblablement entre 1591 et 1592, clôturant ainsi la première phase de fonctionnement de l’école d’artilleurs de Séville. Cette période fut caractérisée par l’inexistence d’une institution persistante et indépendante de la figure d’Andrés de Espinosa. Sa mort aurait pu en ce sens signifier la fin de l’expérience, mais il n’en fut rien. Ayant connu un certain succès, l’enseignement de l’artillerie à Séville se poursuivit, avec toutefois une certaine altération de son fonctionnement due à l’entrée en scène d’un nouvel acteur : le conseil de guerre.
Le pouvoir au conseil de guerre :
le docteur Julián Ferrofino (1591-1593)
Le conseil de guerre et plus particulièrement l’un de ses membres, le capitaine général de de l’artillerie Francés de Álava, manifesta rapidement 307de l’intérêt pour la création de l’école d’artilleurs de Séville. Cela ne surprend guère si l’on se souvient des importantes prérogatives que possédait ce personnage en matière d’artillerie. Le capitaine général de l’artillerie avait autorité sur l’ensemble des artilleurs de la péninsule ibérique. Il avait également le privilège de leur nomination et de leur renvoi. Néanmoins, comme Andrés de Espinosa et ses élèves étaient rattachés à la casa de la contratación et au conseil des Indes, lui aussi organe suprême de gouvernement, ils échappaient en grande partie au contrôle direct du capitaine général de l’artillerie. L’unique rôle qui était dévolu à ce dernier consistait à signer les titres d’artilleurs obtenus par les élèves, afin de leur octroyer les privilèges de leur profession. Dans un premier temps, cette situation ne souleva aucun problème du côté du capitaine général. Un an et demi après les débuts de l’école, Francés de Álava en fit la visite et, comme il l’écrivit dans une longue lettre au roi, il fut particulièrement enthousiaste à son égard65.
Les relations entre l’artillero mayor et le capitaine général de l’artillerie s’envenimèrent toutefois à partir des années 1580. En juin 1581, Andrés de Espinosa écrivit au roi à propos de l’état alarmant dans lequel se trouvait son école66. Ses étudiants l’avaient désertée car le capitaine général Francés de Álava refusait de signer leurs cédules privilèges, c’est-à-dire le principal signe de reconnaissance de leur statut d’artilleur. Selon Espinosa, Álava était en colère contre lui pour avoir court-circuité la hiérarchie : il avait présenté au roi un modèle de construction de pont sans consulter le capitaine général de l’artillerie. Le successeur de Francés de Álava, Juan de Acuña Vela, se montra encore plus critique envers l’artillero mayor. En 1589, il dénonça les mauvaises pratiques d’Andrés de Espinosa et souhaita mettre en place une nouvelle école avec un autre enseignant à sa tête67. Il demanda également au roi d’interdire à Espinosa de nommer des artilleurs sans son autorisation. Ces petites querelles manifestaient la volonté croissante du capitaine général de l’artillerie et du conseil de guerre de prendre le contrôle de l’enseignement de l’artillerie à Séville.
Pour y parvenir, le conseil de guerre joua l’un de ses principaux atouts : le docteur Julián Ferrofino. Figure beaucoup moins obscure 308qu’Andrés de Espinosa, Ferrofino apparaît de manière récurrente dans l’historiographie des sciences espagnole68. Originaire d’Alexandrie, dans le duché de Milan, Julián Ferrofino suivit un parcours universitaire en droit jusqu’à obtenir un titre de docteur. Il se mit ensuite au service du roi d’Espagne en devenant son avocat à la cour de Rome69. En parallèle de ses compétences juridiques, il développa des connaissances en mathématiques et en ingénierie militaire. À la fin des années 1580, il prétendait avoir ainsi enseigné l’art de la fortification et de l’artillerie à Milan pendant une douzaine d’années. Les documents du conseil de guerre lui attribuent d’ailleurs parfois, en sus du titre de « docteur », celui d’« ingénieur70 ».
En 1589, Julián Ferrofino chercha à entrer directement au service du conseil de guerre de Philippe II. Pour ce faire, il voulut démontrer ses talents en proposant de former plus de 200 artilleurs « si bien instruits et dextres qu’ils pourraient rivaliser avec les individus les plus vieux et expérimentés de cette profession71 ». Avant toute prise de décision, le conseil de guerre souhaita obtenir confirmation de ses compétences. Aussi fut-il examiné à Madrid par Hernando de Acosta, lieutenant du capitaine général de l’artillerie, qui le trouva « très docte en mathématiques », « très bon pour former à la théorie72 ». Ferrofino devint dès lors une ressource de grande valeur pour le conseil de guerre qui chercha à en tirer les meilleurs bénéfices. Il fut d’abord envoyé à Burgos pour y enseigner l’artillerie à partir de l’été 158973. Le capitaine général Juan de Acuña Vela avait néanmoins d’autres plans pour lui. En novembre de la même année, il demanda au docteur Ferrofino de le rejoindre à 309Malaga quelque temps avant d’aller enseigner à Cadix et à Séville74. Signe que Ferrofino était une ressource disputée pour sa valeur, le lieutenant Hernando de Acosta réclamait au même moment au roi sa présence à Lisbonne75 mais ce fut finalement le capitaine général qui eut le dernier mot76. Au début de l’année 1590, Julián Ferrofino était à ses côtés à Malaga, profitant de ce grand centre de fonderie des pièces d’artillerie pour confronter ses connaissances théoriques à la réalité matérielle77. Durant ce séjour de quelques mois, il enseigna les mathématiques aux artilleurs de la ville78, tandis que Juan de Acuña Vela préparait son transfert à Séville. En juillet 1590, ce dernier demanda notamment aux autorités de Séville de préparer un espace et une pièce d’artillerie pour que Ferrofino pût y installer son école79.
La mission d’enseignement du docteur Ferrofino à Séville commença véritablement en 1591. En février, le capitaine général de l’artillerie lui donna une instruction précisant quelques modalités de fonctionnement de cette nouvelle école dépendante du conseil de guerre80. En juillet, de la poudre fut livrée à Ferrofino pour les exercices de tir, ce qui témoigne du début de son fonctionnement81. Les instructions stipulaient – tout comme celles envoyées à Espinosa 15 ans plus tôt – qu’il s’agissait de former des artilleurs originaires des royaumes de Castille et d’Aragon. Le lien explicite avec la carrera de Indias avait toutefois disparu dans le cas présent car il était peu favorable aux intérêts du conseil de guerre. Par ailleurs, le statut de l’enseignant fut augmenté d’un cran par rapport à celui de l’artillero mayor de la casa de la contratación. La position bénéficiait du prestige de Ferrofino qui collectionnait les titres : « docteur », « avocat du roi à la cour de Rome », « ingénieur ». Ce statut hors norme se traduisait par le salaire très élevé que touchait Ferrofino, qui montait à 40 écus par mois, soit plus de 500 ducats annuels à comparer aux 350 ducats que touchait Andrés de Espinosa82. Avec un enseignant 310d’une telle qualité, le capitaine général Juan de Acuña Vela remplissait toutes les conditions pour que les leçons dispensées par son agent supplantassent celles de la casa de la contratación.
L’opposition et la discontinuité entre les enseignements d’Andrés de Espinosa et de Julián Ferrofino apparaît néanmoins beaucoup moins claire dans les faits. D’abord, rien ne permet d’affirmer que ces deux enseignements coexistèrent à Séville. En effet, comme cela a été mentionné plus haut, la dernière trace de vie d’Andrés de Espinosa date du mois de janvier 1591 tandis que Ferrofino reçut ses instructions pour aller à Séville le mois suivant. Il est par conséquent tout à fait possible que les deux écoles se soient succédé dans le temps. En outre, la liste des 74 apprentis de l’école de Ferrofino datant du début de l’année 1592 met en évidence un élément de continuité avec l’enseignement d’Andrés de Espinosa83. Le premier individu de cette liste, Andrés Muñoz el Bueno, prétendait avoir été pendant plusieurs années l’assistant d’Andrés de Espinosa :
Je dis que j’ai servi Votre Majesté […] beaucoup de temps dans la ville de Séville en compagnie du capitaine Andrés de Espinosa, qui servait l’office d’artillero mayor de la casa de la contratación, demeurant à sa place en son office chaque fois qu’il s’absentait pour aller au départ des flottes et armadas84.
Ce fut ce personnage fortement impliqué dans l’enseignement dispensé par Espinosa qui aida le docteur Ferrofino à recruter des apprentis artilleurs85. En d’autres termes, la communauté constituée autour de Julián Ferrofino se construisit à partir d’éléments de l’école d’Andrés de Espinosa peu avant ou peu après sa mort. L’idée d’une continuité entre ces deux enseignements est confortée par le fait qu’Andrés Muñoz el Bueno, qui fut successivement assistant d’Espinosa et de 311Ferrofino, prit plus tard la direction de l’école, comme cela va être expliqué plus loin.
La mission de Julián Ferrofino à Séville fut d’une durée relativement courte car elle visait à former un nombre limité d’artilleurs. En avril 1593, il déclara avoir mené à bien la mission de formation des 200 artilleurs pour laquelle le conseil de guerre l’avait engagé86. Il resta dans l’attente d’une promotion durant quelque temps puis, en septembre 1595, il obtint du roi le poste de professeur de mathématiques à la cour, atteignant ce faisant le point culminant de sa carrière87. Enseigner aux artilleurs de Séville lui servit finalement de tremplin vers les plus hautes sphères de la société, signe de l’importance attribuée à cette position. En outre, le séjour de ce mathématicien apporta indubitablement un capital en termes de prestige à l’enseignement de l’artillerie à Séville et favorisa en ce sens la pérennité de l’école. Lorsqu’en 1593 Ferrofino déclara avoir terminé sa mission, le conseil de guerre tomba d’accord sur le fait qu’il fallait lui trouver un successeur à Séville, comme en témoigne une annotation derrière la lettre du docteur :
Pour que ces gens aient quelqu’un qui leur enseigne, et ceux qui souhaiteraient servir dans le futur, quelqu’un qui les instruise, il conviendrait de nommer un chef artilleur avec un salaire adéquat, en lui attribuant la place d’Espinosa88.
Par conséquent, après s’être emparé du contrôle de l’école d’artilleurs de Séville pendant quelque temps, le conseil de guerre était prêt à poursuivre l’expérience en rétablissant l’office initial d’artillero mayor de la casa de la contratación laissé vacant par la mort d’Andrés de Espinosa.
La consolidation : l’artillero mayor Andrés Muñoz
el Bueno (1593-1616+)
La tâche de rechercher un nouvel artillero mayor fut confiée aux juges de la casa de la contratación qui constituèrent tout un dossier sur leur candidat favori afin d’obtenir l’approbation du roi89. Constitué entre 312juin et septembre 1593, ce dossier renfermait différentes preuves du parcours professionnel de cet individu, présentant son titre d’artilleur, une lettre de recommandation d’un capitaine de galère qui avait été son commandant ou encore une lettre attestant de ses bons et loyaux services rédigée par Mateo de Zurita, un des officiers de la casa de la contratación. Enfin, l’élément le plus volumineux de ce dossier était constitué d’un interrogatoire contenant les réponses de sept individus à un questionnaire sur l’expérience professionnelle du potentiel artillero mayor. Ces dépositions avaient été enregistrées par les scribes de la casa de la contratación, sous le regard des juges de cette institution, favorisant de la sorte l’honnêteté des réponses et les légitimant auprès du roi et de l’administration centrale. En plus de ce dossier sur le parcours du candidat, les officiers de la casa de la contratación assuraient au roi que ce même individu s’était montré le plus habile au concours de tir qu’ils avaient organisé pour pourvoir le poste.
Ce candidat n’était autre qu’Andrés Muñoz el Bueno, l’homme qui avait aidé le docteur Ferrofino à recruter ses élèves. L’abondante documentation réunie par la casa de la contratación permet de reconstituer brièvement son parcours. Né à Castro del Rio, près de Cordoue vers 1554, il avait d’abord exercé le métier de charpentier90. À la fin des années 1570, il apprit l’usage de l’artillerie à Séville avec l’artillero mayor Andrés de Espinosa et fut donc impliqué dans l’école d’artilleurs dès ses premières années de fonctionnement. Il participa ensuite à quelques grandes opérations militaires. En 1580, il s’engagea comme artilleur sous les ordres du capitaine général de l’artillerie Francés de Álava afin de prendre part à l’armée d’invasion du Portugal commandée par le duc d’Albe. En 1582, il accompagna la flotte du Marquis de Santa Cruz lors de l’expédition de récupération des Açores et participa à la grande bataille navale de l’île de Terceira lors de laquelle la flotte française du général Strozzi fut mise en déroute. Après cette victoire, Andrés Muñoz el Bueno resta pendant un an sur l’île São Miguel et collabora au chantier de rénovation de la forteresse de Ponta Delgada. Enfin, il prit part à la dernière opération militaire d’envergure dans les Açores : la conquête de l’île de Terceira durant l’été 1583, touchant alors la solde d’un artilleur con ventaja, à 10 ducats par mois. Autrement dit, à son retour à Cadix quelque temps plus tard, il était reconnu comme un artilleur vétéran.
313Andrés Muñoz el Bueno fut alors fortement impliqué dans le fonctionnement de l’école d’artilleurs sévillane. Comme cela a été mentionné précédemment, il servit d’assistant à l’artillero mayor et le remplaça chaque fois que ce dernier s’absentait pour inspecter les flottes à Cadix et Sanlúcar. Lorsque le docteur Ferrofino vint à Séville, non seulement Muñoz el Bueno l’aida-t-il à constituer un groupe d’élèves mais il l’assista également dans son enseignement durant trois ans. Après le décès d’Andrés de Espinosa, il réalisa toutes les tâches habituelles de l’artillero mayor concernant la fabrication et les tests de pièces. Autrement dit, Andrés Muñoz el Bueno était à la fois le successeur d’Espinosa et de Ferrofino et il fut donc tout naturellement perçu comme le candidat idéal pour reprendre l’office d’artillero mayor. Le 8 octobre 1593, le roi donna son accord à la casa de la contratación pour que Muñoz el Bueno enseignât à Séville, avec toutefois seulement la moitié du salaire que touchait Andrés de Espinosa, c’est-à-dire 175 ducats par mois. Il s’agissait malgré tout d’une première victoire pour Andrés Muñoz el Bueno qui se voyait ainsi officiellement reconnu dans son rôle d’enseignant et de premier artilleur de la casa de la contratación.
Il est légitime de se demander à ce point de la narration pourquoi, après avoir fourni des efforts pour prendre le contrôle de l’enseignement à Séville, le conseil de guerre accepta finalement le rétablissement d’un office hors de son administration directe. En réalité, cette situation fut le fruit de négociations et de discussions entre le conseil des Indes et le conseil de guerre à la fin de l’année 1593. Au début du mois de novembre, ces deux conseils s’étaient mis d’accord sur une liste de candidats potentiels pouvant être envoyés à Séville comme capitaine d’artillerie91. Parmi ces hommes, le roi choisit Francisco de Molina, qui exerçait alors l’office de lieutenant du capitaine général de l’artillerie à Burgos92. Le lieutenant Molina avait derrière lui toute une carrière au service de l’artillerie de la Monarchie hispanique, ayant exercé sa charge de lieutenant pendant plusieurs dizaines d’années93. Il était un correspondant régulier du conseil de guerre et l’un des officiers 314directement sous les ordres du capitaine général de l’artillerie Juan de Acuña Vela.
En d’autres termes, le choix d’envoyer cet officier vétéran dut certainement satisfaire le conseil de guerre, du moins dans un premier temps. Toutefois, le conseil des Indes parvint à obtenir pour le lieutenant Molina les pleins pouvoirs sur l’artillerie et la nomination des artilleurs de Séville94. Comme le fit alors remarquer le capitaine général de l’artillerie Acuña Vela, cette mesure coupait dans les faits le lieutenant Molina de l’autorité du conseil de guerre95. En conséquence, jusqu’à la mort de Francisco de Molina et Juan de Acuña Vela dans les premières années du xviie siècle, le conseil des Indes et la casa de la contratación eurent la main mise sur l’école de Séville. Plus tard, le successeur d’Acuña Vela, le marquis de San Germán, réussit lui aussi à s’immiscer dans le fonctionnement de l’école et fit envoyer l’un de ses hommes, Juan Pérez de Argarate96. Cependant, à cette époque, en 1608, l’homme au cœur du fonctionnement de l’école demeurait encore l’artillero mayor de la casa de la contratación Muñoz el Bueno97.
Andrés Muñoz el Bueno mit néanmoins plusieurs années à consolider sa position d’artillero mayor. Bien qu’il eût obtenu, en 1593, le consentement du roi pour enseigner aux artilleurs, il tarda longtemps à recevoir la confirmation royale de son titre et ne toucha, entre temps, que la moitié du salaire de son prédécesseur. En 1595, il envoya une requête au conseil des Indes, sans toutefois obtenir gain de cause98. Il réitéra sa démarche l’année suivante avec le soutien des officiers de la casa de la contratación : ces derniers firent parvenir au conseil des Indes le dossier qu’ils avaient constitué en 1593 accompagné de nouvelles lettres de recommandation, justifiant l’utilité d’Andrés Muñoz el Bueno malgré le travail du capitaine d’artillerie Francisco de Molina99. Ce dernier fut d’ailleurs consulté sur la compétence du 315prétendant, qu’il approuva100. À force d’insistance, le roi et le conseil des Indes finirent par reconnaître officiellement Andrés Muñoz el Bueno, lui conférant son titre d’artillero mayor en novembre 1597, accompagné du salaire de 350 ducats par mois que touchait son prédécesseur Andrés de Espinosa101.
Andrés Muñoz el Bueno fut particulièrement actif à la tête de l’école et il contribua indubitablement à sa consolidation institutionnelle. En 1595, il fit imprimer un programme d’enseignement précis dont un exemplaire fut envoyé au conseil des Indes102. Il défendit également la communauté des artilleurs face aux autorités municipales de Séville en constituant, avec l’aide des juges de la casa de la contratación, un volumineux dossier sur le respect des privilèges d’artilleurs103. Il développa par ailleurs un enseignement de l’artillerie à destination des marins des ports de Basse-Andalousie trop pauvres pour séjourner à Séville, créant ainsi des sortes d’antennes locales de l’école sévillane104. Il tâcha également de systématiser les tests de pièces d’artillerie embarquées dans les navires de la carrera de Indias avant leur départ pour l’Amérique. Pour donner une idée de l’ampleur de cette tâche, en 1602, il donnait ainsi au conseil des Indes les résultats des tests de 542 pièces d’artillerie pour lesquelles 32 s’étaient rompues et 20 avaient été jugées peu fiables105. Au début du xviie siècle, il était véritablement parvenu à asseoir son autorité sur l’artillerie de la Basse-Andalousie. La meilleure preuve en est la lettre que le capitaine Francisco de Molina écrivit au roi en 1603 afin de se plaindre du pouvoir accumulé par l’artillero mayor106. Le vieux lieutenant se sentait alors dépouillé des prérogatives qu’il avait jadis exercées et, signe de son impuissance, il cherchait à le discréditer en mettant en contraste son propre statut supérieur de noble et de vétéran face à l’origine humble de charpentier d’Andrés Muñoz. Cette aigreur du vieux Francisco de Molina ne 316semble toutefois pas avoir eu de conséquences sérieuses sur la carrière de Muñoz el Bueno.
Dans les premières années du xviie siècle, Andrés Muñoz el Bueno fit de l’artillerie une affaire familiale. En 1604, il expliqua au roi que trois de ses fils étaient devenus artilleurs et il sollicita à cette occasion la création d’un office d’assistant de l’artillero mayor pour son aîné, Diego López Muñoz el Bueno afin qu’il l’aidât dans ses tâches d’enseignant et qu’il pût le remplacer pendant ses absences lors de l’inspections des flottes107. L’objectif annoncé était que le père formât le fils au métier d’enseignant et lui transmît l’office à sa mort. Un an après, le roi et le conseil des Indes acceptèrent cette proposition : il fut offert à Diego López Muñoz el Bueno le salaire de 96 ducats par an, financé par la taxe de l’avería pour la protection des convois. Le succès de l’artillero mayor fut alors à son comble puisque, non content de fournir à son fils une position mieux payée que la plupart des artilleurs, il parvint aussi à obtenir une augmentation pour lui-même de 50 ducats par an, faisant monter son salaire annuel à 400 ducats, c’est-à-dire presqu’à la hauteur de ce que touchait le prestigieux docteur Julián Ferrofino une dizaine d’années auparavant108.
La pérennité de l’école d’artilleurs de Séville fut alors assurée pour plusieurs décennies. Andrés Muñoz el Bueno resta en charge de son office au-delà de la chronologie de cette étude. En 1616, il tenta d’obtenir une position de capitaine d’artillerie pour l’un de ses fils qui portait le même nom109. Malheureusement, cette parfaite homonymie introduit une certaine confusion qu’il n’est pas aisé de mettre au clair. En effet, compte tenu de l’implication des fils dans l’école, il est difficile, à partir de cette date, d’être certain que le nom d’Andrés Muñoz el Bueno renvoyait au père. Toutefois, que l’office d’artillero mayor eût ou non changé de mains, ce même nom s’inscrivit dans le temps. En 1627, un manuel d’artillerie fut publié par un certain Andrés Muñoz el Bueno110 qui, s’il était le même homme que l’artillero mayor de 1593, avait alors 73 ans. Cette hypothèse signifierait qu’Andrés Muñoz 317el Bueno eut une longévité hors norme pour l’époque, décédant en 1635 aux alentours de 80 ans. L’office d’artillero mayor passa alors à un certain Diego Ruiz de Avendaño, témoignant de la poursuite de l’enseignement de l’artillerie à Séville111. D’ailleurs, l’étude du colonel Frontela Carreras montre que ce même office exista au moins jusqu’en 1710112. Or, lorsqu’en 1576, Andrés de Espinosa reçut ses instructions pour enseigner l’office d’artilleurs à Séville, rien ne garantissait le futur de son activité. En ce sens, l’école d’artilleurs de Séville devint une institution dans la mesure où la continuité de l’office d’artillero mayor s’imposa progressivement comme nécessaire et inscrite dans la longue durée. Il reste cependant encore à savoir en quoi consistait cette activité d’enseignement de l’artillerie des dernières années du xvie siècle et des premières années du xviie siècle.
Pratiques d’enseignement et d’examen :
le cursus de l’école
L’école d’artilleurs de Séville se construisit autour de l’activité des enseignants Andrés de Espinosa, Julián Ferrofino et Andrés Muñoz el Bueno, dont la mission principale fut d’enseigner le métier d’artilleur à tous ceux qui souhaitaient en faire l’apprentissage. En quoi consistait donc cet enseignement ? En confrontant les ordres et discours normatifs aux indices concernant les pratiques, il s’agit maintenant de mettre en évidence les trois dimensions essentielles de la formation des artilleurs à Séville : les exercices pratiques de tir sur un terrain d’entraînement, l’enseignement théorique quotidien et le contrôle des connaissances acquises à travers l’examen des aspirants artilleurs. De la sorte, il sera possible de montrer comment ces trois éléments interagirent afin de constituer une communauté, une sorte de corporation d’artilleurs de la carrera de Indias.
318Enseignement pratique sur le terrain
d’entraînement
L’un des principaux éléments constitutifs de l’école apparaît dans les instructions données en 1576 à Andrés de Espinosa :
Par la présente, nous donnons licence et pouvoir à vous, Andrés de Espinosa, pour que vous puissiez constituer un terrero (i.e. terrain d’entraînenement) à proximité de Séville, où notre asistente vous l’indiquera, afin de manier et faire tirer des pièces d’artillerie et enseigner l’office d’artilleur113.
Il était donc attendu d’Andrés de Espinosa qu’il mît en place un terrero, un terrain d’entraînement où il serait possible de tirer avec des pièces d’artillerie. Le roi et le conseil des Indes comptaient sur l’asistente de Séville, c’est-à-dire le représentant royal auprès de la municipalité114, pour désigner un endroit en bordure de la ville où l’artillero mayor pourrait exercer les artilleurs. Cet espace était alors envisagé comme le futur lieu principal de l’école, comme en témoigne la première occurrence du mot escuela. Il s’agissait d’un rappel fait par le roi aux autorités de la ville afin d’octroyer à Espinosa un endroit où « faire son terrain d’entraînement » pour qu’il pût « installer son école115 ». Néanmoins, la mise en place de ce terrain d’entraînement n’aboutit qu’à l’issue d’un long processus.
Aucun terrain d’entraînement des artilleurs ne vit le jour avant plusieurs années de négociation entre l’artillero mayor, le pouvoir royal et les autorités locales. En effet, la municipalité se montra très réticente à l’idée d’avoir un champ de tir d’artillerie près de ses murailles. Les plaintes régulières de l’artillero mayor au roi et au conseil des Indes dénonçaient clairement la responsabilité des principaux décisionnaires de la ville dans le retard de cette mise en place. En février 1578, le conseil des Indes réitéra sa demande de cession d’un terrain pour l’école d’artilleurs auprès des autorités de la ville116. En 1581, juste avant 319de partir pour l’expédition vers le détroit de Magellan, Espinosa se plaignit au roi que le lieu d’installation de son terrain d’entraînement n’avait toujours pas été signalé par la ville117. Quelques mois après son retour en 1584, la situation demeurait inchangée118. D’après Espinosa, le comte de Barajas, asistente de la ville, avait désigné un lieu mais des personnages locaux importants s’étaient opposés à la mise à exécution du projet. Malheureusement, les archives municipales ne semblent pas avoir gardé de traces de ces discussions. Selon toutes probabilités, ces difficultés persistèrent jusqu’à la mort d’Andrés de Espinosa puisque, lorsque le docteur Ferrofino fut envoyé à Séville, le capitaine général de l’artillerie Juan de Acuña Vela demanda à ce qu’il lui fût indiqué un lieu propice à l’installation d’un terrain d’entraînement pour son école d’artilleurs119.
L’exercice de tir était cependant un élément trop essentiel de la formation des artilleurs pour que les enseignants puissent s’en passer. La correspondance entre Andrés de Espinosa et le conseil des Indes révèle qu’en réalité, des exercices de tir avaient bien lieu malgré l’absence d’un terrain d’entrainement officiel près de Séville. Espinosa donnait tout simplement ses leçons pratiques « très loin » de la ville, probablement dans un lieu en pleine campagne où les artilleurs ne gênaient personne120. Une telle situation nuisait toutefois à l’affluence des apprentis dont bon nombre perdaient leur motivation à cause des longs déplacements pour se rendre au champ de tir. La question de l’emplacement du terrain d’entraînement semble néanmoins s’être clarifiée avec l’arrivée du docteur Julián Ferrofino. Les lettres du capitaine général Juan de Acuña Vela évoquent l’existence d’un champ de tir où furent utilisées une, puis deux pièces d’artillerie, mais dont la localisation reste inconnue121.
Ce n’est que sous la direction d’Andrés Muñoz el Bueno que le terrain d’entraînement s’implanta véritablement dans le paysage périurbain de Séville. En effet, en 1604, l’artillero mayor soumit au conseil des Indes le projet d’aplanissement et de réalisation d’une plateforme sur le petit 320monticule appelé La Voleta, à côté de la Puerta de la Carne, la porte de Séville la plus proche de l’Alcazar122. Cet emplacement, situé dans le quartier extramuros de San Bernardo, avait déjà un lien étroit avec l’artillerie puisqu’il s’agissait du lieu où la famille Morel fabriquait des canons pour la carrera de Indias123. À l’époque d’Andrés Muñoz el Bueno, la fonderie de Juan Morel possédait trois fours servant à produire l’armement des galions et des navires marchands avant leur départ pour l’Amérique124. La proximité entre le terrain d’entraînement et la principale fonderie de Séville n’était sans doute pas le fruit du hasard. Pour rappel, l’une des missions de l’artillero mayor consistait à tester les pièces d’artillerie en partance pour le Nouveau Monde, c’est-à-dire (en grande partie) celles produites par les Morel. Or, au début des années 1590, ces tests étaient supposés avoir lieu sur le fameux terrero, le terrain d’entraînement125. Il était par conséquent assez judicieux d’installer ce terrain à côté de la fonderie. C’est aussi ce qui transparaît dans une lettre de Muñoz el Bueno conservée aux archives municipales de Séville, dans laquelle l’artillero mayor demandait à ce que lui fût signalé un terrain « pour tester les pièces d’artillerie et exercer au tir ses disciples126 ». Ce document n’est malheureusement pas daté mais son résultat fut selon toute probabilité la cession de cet espace près de la fonderie des Morel. Finalement, la Monarchie accepta de financer le projet à hauteur de 100 ducats, incluant la construction d’une maisonnette en bois pour ranger les pièces d’artillerie et les munitions utilisées durant les exercices de tir127.
Le principal objectif de ce terrain était de permettre aux artilleurs de s’entraîner à la pratique du tir d’artillerie. Pour cela, dès l’époque d’Andrés de Espinosa, les enseignants disposaient d’une ou deux pièces 321d’artillerie d’une livre de calibre, c’est-à-dire parmi les plus légères de l’époque128. Les exercices de tir prenaient quant à eux une dimension agonistique mise en scène à travers des concours de tir sur cible avec des prix à gagner, généralement des paires de gants129. Si ces concours possédaient incontestablement un caractère ludique, ils revêtaient également un enjeu de taille dans la formation des apprentis artilleurs puisque ces derniers devaient gagner plusieurs prix avant d’être en mesure de demander leur titre d’artilleur.
Ce terrain était tout autant un lieu d’entraînement qu’un lieu de rencontre autour duquel se réunissait la communauté des artilleurs. À l’époque du premier artillero mayor Andrés de Espinosa, l’absence d’un terrain proche de la ville empêchait sans doute des réunions trop fréquentes. À l’époque du docteur Julián Ferrofino, les sessions de tir avaient lieu les jours de fête130. Cette fréquence était toujours en place quelques années plus tard, sous la direction d’Andrés Muñoz el Bueno, qui réunissait les artilleurs sur le terrain d’entraînement tous les dimanches et jours de fête131. Il semble par conséquent raisonnable d’affirmer que les exercices de tir se déroulaient une fois par semaine, toujours un jour férié, de sorte que tous pussent participer, même ceux qui exerçaient une profession en parallèle de leur formation. Par ailleurs, il est important de remarquer que ces sessions de tir réunissaient non seulement les apprentis artilleurs mais aussi des artilleurs confirmés séjournant à Séville. Par exemple, l’apprenti artilleur Juan Gutiérrez gagna durant l’année 1581 un total de six prix, dont quatre furent remportés sur des artilleurs professionnels parmi lesquels figurait un vétéran de la carrera de Indias, le chef artilleur vénitien Maestro Gerónimo132. Le terrain de tir était donc fréquenté par un certain nombre d’artilleurs confirmés qui venaient s’entraîner et tester les futures recrues. Le terrero était en ce sens un lieu et un moment essentiels de l’école en tant que communauté d’artilleurs et d’apprentis.
322Fig. 31 – Gravure de Séville, Braun et Hogenberg, Civitatis orbis terrarum vol. IV, 1588. En rouge, quartier extra-muros
de San Bernardo, emplacement probable du terrero après 1604. Document provenant des collections
de l’Institut Géographique National d’Espagne (Fondos del IGN, CC-BY 4.0. ign.es).
Enseignement théorique
Le second élément essentiel de la formation des artilleurs, l’enseignement théorique, n’apparaît pas clairement à l’époque d’Andrés de Espinosa. Selon les instructions de 1576, l’artillero mayor était censé enseigner et discuter de l’art de l’artillerie chaque jour, deux heures le matin et deux heures l’après-midi133. Or, l’inexistence d’un terrain d’entraînement proche de Séville forçait alors Espinosa et ses apprentis à se déplacer loin de la ville pour leurs exercices de tir. Une telle contrainte paraît peu compatible avec le caractère quotidien de l’enseignement tel qu’il était prescrit dans les instructions. Même si les preuves manquent, il faut par conséquent émettre l’hypothèse d’une séparation concrète, dès cette époque, entre les exercices de tir qui avaient lieu une fois par semaine loin de la ville, et l’enseignement prodigué tous les jours par Espinosa. Selon toutes probabilités, ces leçons quotidiennes se déroulaient quelque part dans l’enceinte de Séville ou dans ses environs immédiats. Il faut par ailleurs noter que, même si Andrés de Espinosa était un vétéran et un homme de terrain, il possédait certaines connaissances théoriques et mathématiques qui lui permirent de proposer quelques projets d’architecture : le fameux modèle de construction d’un pont qui lui valut l’inimitié du capitaine général Francés de Álava134 ainsi que le tracé d’un fort lorsqu’il accompagna le général Diego Flores sur les côtes sud de l’Amérique135.
Il faut toutefois attendre l’époque de Julián Ferrofino pour que la distinction entre leçons théoriques et exercices de tir apparaisse explicitement dans les documents. Cela a bien entendu à voir avec le profil de cet individu grâce auquel la composante théorique de l’enseignement est clairement mise en avant dans les sources. Julián Ferrofino était issu du monde universitaire ; les documents du conseil de guerre lui adjoignent les titres de « docteur », « mathématicien ». Une certaine anecdote racontée par le capitaine général de l’artillerie Juan de Acuña Vela lors du séjour de Ferrofino à la fonderie de Malaga met bien en évidence le contraste entre son fort bagage théorique et son inexpérience de la guerre et de l’armement :
324Il a été fort nécessaire qu’il vienne ici et qu’il voie et touche de ses propres mains certaines choses de l’artillerie parce qu’il a réalisé qu’il y avait des différences avec ce qu’il croyait tenir pour certain et vérifié par les mathématiques136.
En d’autres termes, Ferrofino eut son premier vrai contact avec des pièces d’artillerie peu de temps avant d’arriver à Séville. Il n’y fut donc pas envoyé pour enseigner le fruit de sa longue expérience du maniement du canon mais bien pour parler de théorie et de mathématiques.
Cette dualité entre théorie et pratique rejaillit en juillet 1592 dans un échange entre le roi et Ferrofino à propos de l’acquisition de deux nouvelles pièces d’artillerie pour le terrain d’entraînement. Le fauconneau alors utilisé lors des exercices de tir était inutilisable, vraisemblablement suite à un incident de tir :
Le docteur Julián Ferrofino est venu me rendre compte de l’état dans lequel se trouve l’école d’artilleurs de Séville. En substance, il dit avoir une liste de 74 artilleurs dont 50 sont si bien formés qu’ils peuvent déjà très bien servir dans cet art, tandis que 130 autres ont été instruits dans la théorie mais que, souhaitant poursuivre l’école, il lui a manqué la pièce d’artillerie et les munitions nécessaires137.
Ainsi, l’absence d’une pièce d’artillerie en état de fonctionner n’avait pas empêché le docteur Ferrofino de former 130 artilleurs « à la théorie » même s’il leur manquait encore la composante pratique de leur formation.
À cette époque, la distinction entre leçons théoriques et exercices de tir était alors marquée physiquement par une répartition de l’enseignement entre deux professeurs. Les différentes tentatives d’Andrés Muñoz el Bueno pour obtenir le titre d’artillero mayor entre 1593 et 1597 informent sur le rôle qu’il joua à l’époque de Ferrofino :
325Je me suis occupé d’aider le dit docteur Ferrofino à rassembler et former les dits artilleurs avec une pièce d’artillerie dans la campagne, mettant en application les règles que le dit docteur donnait et enseignait par la théorie138.
Autrement dit, entre 1591 et 1593, le docteur Julián Ferrofino enseignait les « règles » de l’artillerie aux apprentis tandis qu’Andrés Muñoz el Bueno, homme d’expérience en artillerie, dirigeait les exercices de tir sur le terrain d’entraînement. La dualité était également marquée spatialement. Les sessions de tir avaient lieu hors les murs alors que les leçons de Ferrofino se déroulaient à l’intérieur de la ville.
Cette distinction claire entre leçons théoriques et exercices de tir se poursuivit sous la direction d’Andrés Muñoz el Bueno. Ce dernier argumentait régulièrement en faveur de l’importance de combiner le couple théorie-pratique afin de former adéquatement les artilleurs139. En outre, la division spatiale se précisa. Comme cela a été précisé plus haut, le terrain d’entraînement s’établit près de l’enceinte de Séville, dans le quartier de San Bernardo. Les cours furent quant à eux donnés dans différents bâtiments à l’intérieur de la ville. Dans un premier temps, l’artillero mayor enseigna les règles de l’artillerie durant quatre mois dans « l’université » de la ville140. Cette expression assez vague peut se référer à l’un des collèges de l’université de Séville, créée au début du xvie siècle141. Cette hypothèse serait intéressante car elle révèlerait des liens jusqu’ici invisibles entre deux univers de savoirs relativement séparés. Toutefois, le plus probable est que le document faisait référence à l’universidad de mareantes, l’association des armateurs, capitaines et pilotes de la carrera de Indias, qui faisait concurrence à la casa de la contratación concernant l’éducation des pilotes142. Toutefois, quelle que fût cette « université », 326Andrés Muñoz el Bueno opta rapidement pour une solution indépendante : il proposa de donner ses cours dans sa propre maison, dans le quartier riche et commerçant de San Vicente, près du Guadalquivir143. Enfin, au début du xviie siècle, l’artillero mayor consacrait une partie de son salaire à la location d’une maison spécifiquement dédiée à ses leçons144. Ce loyer représentait sans doute un poids financier non négligeable pour Muñoz el Bueno ; aussi la Monarchie accepta-t-elle à partir de 1614 de lui verser 120 ducats par an pour louer ce local, finalisant de la sorte l’institutionnalisation de l’espace de l’école d’artilleurs145.
L’examen d’artilleur
La formation théorique et pratique des artilleurs était sanctionnée par le passage d’un examen dont la procédure était déjà décrite dans les instructions données en 1576 à Espinosa146. D’abord, selon ce texte, les aspirants artilleurs devaient remplir un certain nombre de conditions avant de passer cette épreuve. Concernant leur formation théorique, il leur était demandé d’avoir suivi quotidiennement, pendant au moins deux mois consécutifs, les leçons de l’artillero mayor. Afin de valider leurs acquis pratiques, il leur fallait gagner trois prix lors des compétitions de tir sur le terrain d’entraînement, dont au moins deux d’entre eux devaient être remportés sur des artilleurs reconnus. Lorsqu’un apprenti réunissait ces conditions, il pouvait demander à passer l’examen d’artilleur. Cette épreuve prenait place dans l’une des salles de la casa de la contratación, autrement dit dans l’Alcazar de Séville, symbole du pouvoir royal. Elle se déroulait sous le regard de l’un des juges de cette institution et réunissait l’artillero mayor ainsi qu’un petit groupe d’artilleurs « examinés », c’est-à-dire ayant déjà passé l’examen avec succès. Ces instructions de 1576 précisent également la nature de l’épreuve, sans toutefois spécifier son contenu. Il s’agissait de « preguntas y repreguntas », c’est-à-dire d’une série de questions que les artilleurs présents posaient au candidat. Si ses réponses se montraient insuffisantes, l’apprenti devait reprendre le processus d’apprentissage à zéro et retourner pendant deux mois aux leçons de l’artillero mayor. Si au contraire il répondait avec satisfaction, il 327devenait alors un artilleur « examiné », acquérant le titre et les privilèges allant de pair. Son examen faisait également l’objet d’un compte rendu permettant au pouvoir royal d’enregistrer l’évènement, le statut acquis et l’identité de la personne concernée.
Certains de ces comptes rendus conservés à Séville permettent de confronter le discours normatif de 1576 aux pratiques réelles147. Ces documents, dont la forme était pour ainsi dire standardisée, montrent que la procédure décrite précédemment était presque systématiquement respectée. Lorsqu’un apprenti souhaitait passer l’examen, il se présentait devant les officiers de la casa de la contratación avec une lettre signée par l’artillero mayor attestant qu’il remplissait bien les conditions requises. Cette lettre, généralement recopiée ou attachée à chaque compte rendu, fournissait quelques caractéristiques d’identification de l’individu – âge, lieu de naissance, nom des parents, brève description physique – confirmait qu’il avait bien assisté pendant au moins deux mois à l’enseignement de l’artillero mayor et précisait quelquefois le nom des artilleurs contre lesquels il avait remporté ses prix sur le terrain d’entraînement. Certaines circonstances particulières autorisaient parfois un apprenti à passer l’examen sans ce dernier pré-requis. Ainsi, en 1600, Lazaro Gutiérrez Guerra fut admis à l’examen sans avoir pu faire ses preuves sur le terrain d’entraînement par manque de poudre disponible, mais l’artillero mayor se porta garant de ses compétences, les ayant vues à l’œuvre à plusieurs reprises lors de tests de pièces d’artillerie148.
Ayant la preuve que les conditions d’admission étaient remplies, les officiers de la casa de la contratación convoquaient alors quelques jours plus tard, à l’Alcazar, l’artillero mayor et, quelquefois, une poignée d’artilleurs examinés. Une pièce d’artillerie était amenée, accompagnée de quelques instruments en bois et en métal, afin que le candidat pût montrer comment s’en servir – sans faire feu bien entendu. Un scribe de la casa de la contratación enregistrait les circonstances de l’épreuve, précisant quels juges, officiers et artilleurs étaient présents. Le déroulement de l’examen n’était malheureusement pas retranscrit en détail, le compte rendu se bornant généralement à dire que le candidat avait 328satisfait l’audience en répondant aux preguntas y repruntas, c’est-à-dire aux questions successives qui lui avaient été adressées. Enfin, le nom et l’identité de l’heureux candidat étaient enregistrés dans un livre à part et la casa de la contratación lui délivrait une lettre d’attestation de passage de l’examen (carta de examén) lui permettant d’embarquer comme artilleur dans n’importe quel navire de la carrera de Indias. En d’autres termes, la pratique de l’examen d’artilleur suivait scrupuleusement les prescriptions données par le conseil des Indes en 1576.
Doit-on pour autant en conclure que tous les artilleurs de la carrera de Indias étaient passés par cette épreuve ? Telle eût été la volonté des enseignants mais ils étaient néanmoins incapables d’exercer un contrôle absolu sur l’embauche des artilleurs par les capitaines de navire. Les limites du pouvoir de l’artillero mayor transparaissent dans une lettre du conseil des Indes à la casa de la contratación datant de 1584 :
Aux postes d’artilleurs vont beaucoup de personnes qui ne le sont pas et qui ne savent pas user de l’artillerie, ce qui est un inconvénient aussi important qu’on peut l’imaginer. Aussi conviendrait-il que […] l’ordre soit donné que personne ne puisse voyager vers ces régions (i.e. l’Amérique) au poste d’artilleur d’un navire marchand ou d’armada sans être vu et approuvé par Andrés de Espinosa ou la personne qui exercerait son office dans cette ville149.
Une vingtaine d’années plus tard, la situation n’avait guère changé : Andrés Muñoz el Bueno expliquait au roi en 1602 que le nombre d’artilleurs examinés était insuffisant et que, par conséquent, les capitaines de la carrera de Indias étaient forcés de recourir à des individus non examinés150. Pour pallier ce problème, et comme il était de son devoir d’être présent au départ des flottes pour inspecter les pièces d’artillerie, Muñoz el Bueno proposait de donner sur place (à Sanlúcar ou Cadix) une formation minimale accélérée à ces prétendus artilleurs151. Autrement 329dit, même si l’examen à la casa de la contratación avait vocation à être la seule et unique clé d’entrée aux postes d’artilleur des navires en partance pour l’Amérique, cette règle ne fut dans les faits jamais appliquée de manière stricte et systématique.
En outre, plusieurs documents évoquent certaines pratiques de corruption lors des examens qui mettent en doute l’intégrité de la procédure. Ainsi, en 1589, le capitaine général de l’artillerie Juan de Acuña Vela accusa l’artillero mayor Andrés de Espinosa de vendre ses examens pour quatre reales, permettant de cette manière à des individus de passer illégalement en Amérique152. Il faut toutefois se garder de prendre ces accusations pour argent comptant. Il est nécessaire de rappeler qu’à ce moment-là, Juan de Acuña Vela voyait d’un mauvais œil que l’artillero mayor échappât à son contrôle. Ces accusations servaient en ce sens au capitaine général à réclamer au roi l’autorité directe sur une personne qui, sans aucun contrôle, causait du tort à la Monarchie. Il existait pourtant bel et bien un contrôle de l’artillero mayor. Les comptes rendus d’examens conservés montrent une présence quasi-systématique des juges de la casa de la contratación. C’étaient eux que l’on chargeait de veiller à l’intégrité de la procédure. En leur présence, la corruption devenait certainement plus compliquée. Toutefois, à ce niveau-là encore, il exista quelques exceptions. Dans les dernières années du xvie siècle, les officiers de la casa de la contratación laissèrent le capitaine Francisco de Molina passer les examens sans leur surveillance. L’expérience fut catastrophique et les individus reçus comme artilleurs s’avérèrent être des gens de mauvaise vie ignorant totalement l’usage du canon153. Ces quelques exceptions n’empêchent pas moins de confirmer la règle générale : la plupart des examens durent se dérouler comme les quelques centaines de comptes rendus conservés à Séville les dépeignent.
Ces pratiques d’examens sont particulièrement intéressantes car elles révèlent la double nature de l’épreuve conduisant au titre d’artilleur. En effet, comme l’enseignement, l’examen comportait des dimensions à la fois pratiques et théoriques. Toutefois, dans le cas de l’examen, l’épreuve pratique, à savoir le pré-requis de gagner des concours de tir, était en 330quelque sorte subordonnée à l’épreuve théorique (la série de questions) qui, elle seule, portait le nom d’« examen ». Autrement dit, l’examen d’artilleur de la casa de la contratación accordait une place et un statut particulier aux connaissances vis-à-vis des compétences. Pour devenir un artilleur « examiné », il ne suffisait pas de réaliser une performance de tir mais il fallait surtout montrer ce que l’on savait à travers un échange verbal. Ce chapitre maintient close, à dessein, la porte de cette vaste question des savoirs qui ne sera ouverte que dans la dernière partie du livre. Par ailleurs, il est pertinent de se demander si ces examens furent une spécificité de la casa de la contratación. Pour rappel, cette institution était responsable de la formation des pilotes et des maîtres de navire ; des examens y étaient pratiqués pour ces professions à des périodes antérieures à celle des artilleurs154. Sur ce point, le prochain chapitre tâchera d’élargir le cas sévillan en mettant en perspective ces pratiques d’examen des artilleurs à travers les différents territoires de la Monarchie hispanique. Une dernière question mérite pour l’heure d’être au moins en partie abordée.
Quel sens donner à l’apparition de cette pratique de l’examen à Séville ? L’intérêt du point de vue de la Monarchie hispanique a déjà été souligné. La mise en place d’un enseignement répondait au déficit chronique d’artilleurs, en particulier suite au développement des flottes atlantiques de protection des convois. L’examen constituait en ce sens une sorte de garantie de compétence et de qualification allant tout à fait dans l’intérêt de l’État. Dans cette perspective, on pourrait croire que la mise en place de ces examens fut le résultat d’un pouvoir coercitif fort. Néanmoins, il est difficile d’affirmer que le processus d’institutionnalisation de l’école décrit précédemment fut imposé du haut vers le bas, du pouvoir central vers les individus. Ce fut bien Andrés de Espinosa qui, tandis qu’il était capitaine des artilleurs de l’armada de guarda de la carrera de Indias, suggéra la création d’un enseignement de l’artillerie à Séville. De plus, l’école n’aurait jamais perduré sans un certain engouement local. Par conséquent, l’institutionnalisation des pratiques d’examen fut au moins autant un mouvement de bas en haut que de haut en bas. Mais alors, comment expliquer ce phénomène ?
331La réponse à cette question réclame de faire un léger détour par l’anthropologie et la notion de rites de passage, qui, appliquée à la pratique de l’examen, lui donne un éclairage intéressant. Cette notion fut développée au début du xxe siècle par l’ethnologue Arnold Van Gennep qui publia une étude sur les rites accompagnant les grands changements d’état, d’âge ou de position sociale dans diverses sociétés traditionnelles155. Les rites de passage y sont présentés comme un enchaînement d’actions symboliques, codifiées, ayant une forte dimension sacrée, et que Van Gennep divise schématiquement en trois grandes phases : la séparation d’avec le monde antérieur, le moment du seuil où l’individu balance entre deux univers et enfin l’agrégation dans le nouveau groupe.
La formation des artilleurs à Séville et l’épreuve de l’examen peuvent, dans une certaine mesure, être assimilées à un rite de passage. D’ailleurs, Van Gennep lui-même évoquait dans son livre les similitudes entre ces rites des sociétés traditionnelles et les cérémonies d’entrée dans certaines professions de son temps156. L’inscription aux leçons de l’artillero mayor serait en ce sens la phase préliminaire de séparation d’avec le monde antérieur. Il s’en suivrait une longue phase de seuil de plusieurs mois d’apprentissage durant laquelle l’individu flotterait entre deux mondes, celui des artilleurs et celui du reste de la société, des profanes. Cette phase trouverait son apex lors de l’épreuve de l’examen, lorsque l’individu était véritablement sur le point d’entrer dans le groupe. Enfin, l’agrégation au nouveau groupe passerait par l’émission du titre d’artilleur, de la carta de examén et l’enregistrement dans des livres archivés. La sacralité du rite ne proviendrait pas, dans ce cas, d’une quelconque autorité religieuse mais résulterait de la présence de hauts officiers du roi, les juges de la casa de la contratación, et du lieu même de l’épreuve, l’Alcazar royal de Séville. Le rôle des sacra, les objets sacrés du rituel, serait ici endossé par les instruments d’artilleur en bois et en métal, combiné à la présence d’une pièce d’artillerie.
Cette comparaison ne prend tout son sens que si elle est mise en perspective avec les travaux de Victor Turner, anthropologue britannique qui, dans les années 60 et 70, approfondit la notion de rites de passage 332de Van Gennep157. Selon Turner, ces rites de passage interviennent dans la constitution de ce qu’il nomme des communitas, des groupes sociaux fondés sur des liens horizontaux entre individus prétendant à une certaine uniformité, en contraste avec les structures qui définissent les liens sociaux verticaux et hiérarchiques de la société. Turner fait remarquer qu’à force d’interaction avec les structures verticales, les communitas tendent à se normaliser, à s’institutionnaliser et à devenir elles-mêmes une partie de la structure.
La mise en place des examens d’artilleurs à la casa de la contratación serait en ce sens la clé de voûte d’un processus de construction et de normalisation d’une communitas d’artilleurs de la carrera de Indias. En même temps qu’il limitait l’accès au statut d’artilleur, l’examen délimitait un groupe social, une communauté unie par des liens sociaux horizontaux. La frontière qui fut érigée entre ce groupe d’individus et le reste de la société se construisit sur l’élément productif essentiel de l’école d’artilleurs : les savoirs. De ce point de vue, l’école de Séville fut autant un dispositif de formation des artilleurs qu’un appareil de construction communautaire. La construction de cette communitas ne put se faire que via une hybridation avec les structures de pouvoir déjà en place et susceptibles d’être intéressées par les savoirs possédés par ce groupe. En l’occurrence, ces structures furent celles de l’administration royale, le roi, son conseil des Indes et la casa de la contratación. Cette puissante structure fournissait aux artilleurs de Séville les moyens de leur démarcation : une certaine légitimité de leurs pratiques, une protection contre les structures sociales en compétition telles que les autorités locales, ainsi que de l’argent et des moyens matériels. Autrement dit, l’école d’artilleurs de Séville fut une sorte de corporation qui, contrairement à la plupart de celles-ci, ne se construisit pas en relation avec les autorités de la ville mais choisit plutôt de lier son destin au pouvoir central de la Monarchie.
333Une communauté d’artilleurs
L’école d’artilleurs de Séville fut donc un groupe d’individus qui se réunit, grâce aux structures de la Monarchie hispanique, autour de l’objectif commun de la transmission des savoirs sur l’artillerie. Il convient maintenant de s’intéresser plus en détail à cette communauté d’apprentis artilleurs, afin d’identifier leurs profils et de cerner leurs effectifs. Il s’agit de comprendre dans quelle mesure l’école permit de transformer l’échelle de l’apprentissage technique afin de faire face aux besoins exponentiels de la carrera de Indias mais aussi de saisir les similitudes et différences entre les profils des étudiants fréquentant l’école et ceux des artilleurs dont les carrières ont été analysées dans le précédent chapitre. Cette brève étude sociologique sur les apprentis artilleurs de Séville se conclura par un questionnement concernant le coût de la formation, qui contribua dans une certaine mesure à sélectionner les profils des participants.
Un changement d’échelle
de l’apprentissage technique
L’un des aspects les plus innovants de cet apprentissage technique à l’école était sans aucun doute le changement d’échelle qu’il produisait par rapport au système traditionnel des corporations et des guildes d’artisans. À Anvers, dans la plupart des métiers, un maître formait généralement quelques apprentis au cours de sa carrière, parfois jusqu’à une vingtaine158. En comparaison, les performances de l’école d’artilleurs de Séville en termes de production de compétences étaient incommensurables. Entre 1576 et son départ pour le détroit de Magellan en 1581, Andrés de Espinosa avait formé 120 individus qui avaient passé l’examen avec succès159. Autrement dit, dans les premières années de fonctionnement, l’enseignement de l’artillerie à Séville concernait deux douzaines d’apprentis chaque année. Cette moyenne devrait cependant être revue à la hausse car Espinosa expliqua juste avant d’embarquer dans l’expédition de 1581 que 50 apprentis étaient prêts à passer l’examen mais qu’ils ne l’avaient pas encore fait car le capitaine général de l’artillerie Francés de 334Álava refusait de signer leurs titres d’artilleur, suite à une dispute qu’il avait eue avec l’artillero mayor160. En incluant ces individus, il faut admettre que l’école d’Espinosa formait plus d’une trentaine d’artilleurs par an.
Les chiffres concernant l’activité du docteur Ferrofino sont quant à eux plus précis. Entre son arrivée en 1591 et le début de l’année 1592, il avait réuni autour de lui 74 apprentis artilleurs dont les archives ont conservé une liste détaillée161. Toutefois ces inscrits ne représentaient que le noyau dur d’un groupe plus large puisque quelques mois plus tard, Ferrofino évoquait, à côté de ces 74 inscrits, 130 apprentis formés à la théorie mais à qui il restait encore à travailler sur la pratique et les exercices de tir162. Enfin, au début de l’année 1593, il considérait sa mission à Séville terminée puisqu’il avait formé 200 artilleurs parfaitement capables163. En considérant que son activité s’étala sur environ deux ans, du début de l’année 1591 au mois d’avril 1593, la moyenne d’artilleurs formés sous sa direction s’éleva à une centaine par an. Il s’agissait par conséquent d’un saut quantitatif important par rapport aux premières années d’existence de l’école.
L’ordre de grandeur d’une centaine d’artilleurs formés par an se poursuivit sous la direction d’Andrés Muñoz el Bueno. En 1595, ce dernier affirmait avoir formé 300 artilleurs depuis le départ du docteur Ferrofino deux ans plus tôt164. En 1602, quatre capitaines de navires et deux officiers de la casa de la contratación s’accordaient sur le chiffre de 1500 artilleurs formés par Muñoz el Bueno depuis qu’il tenait l’office, dont 800 étaient alors en service au sein des navires de la carrera de Indias et dans les forteresses des Indes165. Ces chiffres signifiaient qu’environ 150 artilleurs sortaient chaque année de l’école sévillane à la fin du xvie siècle. Pour une communauté professionnelle de l’époque, il s’agissait de chiffres considérables, même dans une grande ville comme Séville. En 1561, les cens et documents juridiques indiquent qu’il y avait à Séville un peu plus de 100 charpentiers et 200 cordonniers166. Autrement dit, 335à la fin du xvie siècle, l’artillero mayor formait chaque année l’équivalent d’un corps entier d’une profession courante de cette grande ville.
L’analyse sérielle des comptes rendus d’examens permet d’obtenir avec plus de précisions les variations annuelles et mensuelles des effectifs de l’école. L’archivo general de Indias conserve en effet une série de 593 procès verbaux d’examens d’artilleurs enregistrés à la casa de la contratación entre mai 1599 et juillet 1607167. Le volume d’examens d’artilleurs pour les années 1604, 1605 et 1606 confirme les chiffres annoncés précédemment : entre 110 et 160 personnes étaient formées chaque année par l’artillero mayor168. En revanche, le faible nombre d’examens enregistrés pour les années 1600 à 1603 est assez déconcertant. Il pourrait résulter d’un problème de conservation de sources car rien ne garantit que la série soit complète. Plus probablement, ce creux d’activité révèle certainement une crise temporaire de l’école de Séville. En effet, en octobre 1601, le conseil des Indes avait été informé que :
l’artillero mayor Andrés Muñoz el Bueno a écrit que peu de gens se présentent aux entraînements à l’office de l’artillerie et que, là où il y avait par le passé toujours plus de soixante apprentis, il n’y en a même pas une vingtaine aujourd’hui. La cause en est que, comme ils bénéficient de tant de privilèges en s’engageant comme soldats auprès de la milice de cette ville, tout le monde veut en profiter puisqu’il y a moins d’obligations, et ils ne souhaitent plus être artilleurs169.
À cette époque, l’école de l’artillero mayor souffrait de la concurrence résultant de la récente mise en place d’une milice d’infanterie sévillane offrant des privilèges équivalents à ceux des artilleurs, mais avec moins de contraintes. En outre, le respect des privilèges d’artilleurs rencontrait à Séville, comme ailleurs, une certaine résistance des pouvoirs locaux. Face à cette situation de crise, Andrés Muñoz el Bueno et les officiers de la casa de la contratación résolurent de renforcer l’application des privilèges et constituèrent un dossier contenant des témoignages de capitaines de la carrera de Indias afin de défendre l’intérêt de l’école auprès 336du roi170. La démarche fut couronnée de succès puisque le 21 novembre 1603, le roi promulgua une ordonnance protégeant spécifiquement les artilleurs examinés à la casa de la contratación171. La stratégie ne tarda pas à produire l’effet escompté et l’activité de l’école revint au niveau des dernières années du xvie siècle, c’est-à-dire à plus de cent individus formés par an.
La série de comptes rendus des années 1600 à 1607 montre également que les examens tendaient à être regroupés dans le temps sous forme de sessions lors desquelles plusieurs candidats étaient successivement examinés. Ces sessions avaient généralement lieu une fois par mois, parfois deux voire même trois fois lorsqu’il y avait beaucoup de candidats. Cette fréquence élevée résultait sans doute du cursus relativement court de l’apprentissage : il faut ici rappeler que les règles de l’école prévoyaient seulement deux mois de formation au minimum, ce qui signifiait qu’il y avait très régulièrement des apprentis prêts à passer le test final. Par ailleurs, grouper les examens lors de sessions permettait certainement de limiter les efforts, car l’épreuve requérait la présence d’un juge officier de la casa de la contratación et d’une pièce d’artillerie qu’on amenait à l’Alcazar de Séville spécialement pour l’occasion. Pour la période 1600-1607, la vaste majorité des examens eurent lieu d’octobre à mai, ce qui laisse penser que l’activité de l’école était interrompue durant les mois d’été, lorsque les flottes étaient en mer. Parfois, à la fin du printemps, les derniers examens de la saison avaient d’ailleurs lieu à Sanlúcar de Barrameda, juste avant le départ d’une flotte172. À l’automne, dès le retour des premiers équipages, l’enseignement et les examens reprenaient. Ce rythme d’activité de l’école, calqué sur celui de la carrera de Indias, résultait certainement du profil des apprentis, dont la plupart servaient à bord des navires transatlantiques.
337Fig. 32 – Rythme annuel des examens à l’école d’artilleurs de Séville.
Données concernant 593 examens de la période 1600-1607. Source : AGI CT leg. 4871.
Fig. 33 – Schéma représentant l’évolution approximative des effectifs d’apprentis à l’école d’artilleurs de Séville.
339Profils des apprentis
Sur les navires de la carrera de Indias, les postes d’artilleurs décédés en cours de voyage revenaient souvent à des marins et des soldats formés au maniement du canon après avoir servi en tant qu’assistant-artilleur173. Ces postes d’assistants représentaient d’ailleurs la principale forme d’apprentissage de l’artillerie avant la création de l’école174. Lorsque, en 1576, l’enseignement de l’artillerie fut mis en place à Séville, il fut naturellement pensé comme étant principalement destiné à ces mêmes marins et soldats de la carrera de Indias. Ainsi, l’une des règles d’admission à l’école était que l’individu
ait réalisé au moins un voyage aux Indes en tant que marin ou artilleur d’un navire ou bien soldat d’un galion d’escorte, et qu’il puisse le prouver175.
Incontestablement, de nombreux hommes de la carrera de Indias assistèrent aux leçons de l’artillero mayor. Les deux seuls comptes rendus d’examen de l’année 1581 ayant été préservés concernent des candidats qui avaient déjà voyagé en Amérique, l’un en tant que marin, l’autre sans précisions176. Pour la période 1600-1607, les marins représentaient un tiers des individus passant l’examen tandis que la proportion de soldats était significativement inférieure (14 %)177. L’écrasante majorité des apprentis avait cependant une expérience des voyages transatlantiques puisque, aux effectifs de marins et de soldats, il faut ajouter 22 % d’individus pour lesquels les sources mentionnent leur participation à la carrera de Indias sans spécifier leurs antécédents professionnels.
340Fig. 34 – Antécédents professionnels de 355 apprentis de l’école
d’artilleurs de Séville (période 1600 à 1607). Source : AGI CT leg. 4871.
Dès ses premières années de fonctionnement, l’école fut également fréquentée par un important contingent d’individus issus des milieux artisans. Ainsi, lors de sa visite en 1577, le capitaine général de l’artillerie Francés de Álava remarqua que la majorité des personnes qui assistaient aux leçons d’Andrés de Espinosa étaient des maîtres charpentiers, maçons et forgerons178. L’année suivante, la législation de l’école s’adapta à cette réalité : désormais, l’artillero mayor pouvait recevoir à l’examen des individus qui n’avaient jamais effectué de voyage au Nouveau Monde, du moment qu’ils étaient artisans179. Ces profils d’apprentis présentaient certainement un intérêt dans la mesure où ils combinaient des compétences souvent très utiles à bord d’un navire (charpentier, forgeron) ou dans une forteresse (maçon, serrurier). À l’école de Séville, ces artisans représentèrent cependant une minorité. Les statistiques des individus reçus à l’examen d’artilleur pour la période 1600-1607 révèlent une proportion de 13 % d’artisans, pour la plupart charpentiers, maçons et forgerons180.
Il faut néanmoins noter que la liste des 74 premiers inscrits aux leçons du docteur Ferrofino révèle une écrasante majorité d’artisans, pour la 341plupart charpentiers ou maçons181. Néanmoins, cette mainmise apparente des artisans sur l’école à l’époque du docteur Julián Ferrofino s’explique en partie par les mécanismes d’inscription des apprentis. Chaque inscrit devait fournir deux garants, c’est-à-dire des personnes reconnues dans le milieu local des artilleurs et témoignant de connaître l’individu en question. En tant qu’assistant du défunt artillero mayor, le premier de la liste, Andrés Muñoz el Bueno, fut apparemment dispensé de cette formalité. En revanche, il se porta garant de chacun des 73 autres inscrits, ce qui signifie qu’il les connaissait tous. Certains de ces hommes étaient des connaissances de longue date. C’était le cas de Juan Ruiz de Baltodano, quatrième de la liste, qui était un ami de Muñoz el Bueno depuis plus de dix ans et qui l’avait suivit en 1582 et 1583 lors de la bataille des Açores et de la construction d’un fort sur l’île de São Miguel182. La plupart des seconds garants étaient d’autres individus de l’école, l’un des plus récurrents étant Pedro de Arganda, second de la liste, lui-même introduit par Muñoz el Bueno et Juan Morel, le principal fondeur de canons de Séville. En d’autres termes, la communauté d’apprentis artilleurs qui se constitua autour du docteur Ferrofino en 1591-1593 était un groupe d’amis et de connaissances réunis autour d’individus possédant un important réseau social à Séville, tels que Muñoz el Bueno et Arganda. En sachant que ces deux individus étaient respectivement charpentier et maçon, il n’y a donc rien d’étonnant à trouver tant d’individus issus des métiers du bois et de la pierre. Pour se constituer, l’école d’artilleurs s’appuyait donc en grande partie sur des réseaux socioprofessionnels préexistants.
Il faut par ailleurs noter que la formation proposée à l’école s’adressait uniquement à des adultes. L’instruction de 1576 adressée à Andrés de Espinosa stipulait qu’il fallait être âgé de vingt ans minimum pour pouvoir passer l’examen d’artilleur183. La seule exception à cette règle semble avoir été le fils d’Andrés Muñoz el Bueno qui obtint sans doute une dérogation grâce à la position de son père et passa l’examen d’artilleur à l’âge de dix-huit ans184. La moyenne d’âge des candidats reçus à l’examen 342était bien plus élevée, se situant autour de 29 ans. Certains semblaient même plutôt à la fin de leur carrière, comme ce soldat vétéran, Gonzalo Pérez Galván, qui passa l’examen d’artilleur à l’âge de 55 ans185. Sur ce point également, l’école d’artilleurs différait du système d’apprentissage technique traditionnel au sein duquel les apprentis étaient formés dans leur prime jeunesse186. En réalité l’âge des apprentis de l’école n’était que légèrement inférieur à celui des artilleurs engagés sur les galions de la Monarchie187. Si l’on compare la distribution proportionnelle par classes d’âge, le pic d’affluence se situait, pour les apprentis comme pour les artilleurs, dans la catégorie des 30-34 ans. Néanmoins, à l’école, la proportion d’individus âgés de 20 à 29 était bien supérieure. À l’échelle de la carrière d’un individu, la mise en place de l’enseignement à Séville accéléra donc quelque peu l’accès à la profession d’artilleur.
Fig. 35 – Comparaison de l’âge des apprentis de l’école de Séville et des artilleurs en activité. Pour les artilleurs en activité, les données concernent 570 individus et ont été reprises de la figure 20. Pour les apprentis, les données concernent 654 individus et proviennent de AGI CT leg. 4871 et AGS GYM leg. 351/283.
343Un autre chiffre ne manque pas de surprendre à propos du profil des candidats. Environ 16 % d’entre eux affirmaient avoir déjà servi en tant qu’artilleurs de la carrera de Indias avant de suivre l’enseignement de l’artillero mayor. Ainsi, Gaspar de los Reyes, homme de 27 ans originaire de Triana, avait effectué, selon Andrés Muñoz el Bueno, sept voyages aux Indes comme marin et deux en tant qu’artilleur188. Ce type de profils montre la coexistence des deux systèmes d’apprentissage, celui informel à bord des navires et celui institutionnalisé de la casa de la contratación. Gaspar de los Reyes, comme plusieurs dizaines d’apprentis de mon échantillon, avait sans doute appris à manier l’artillerie à bord des galions de la carrera de Indias, en tant qu’assistant-artilleur (ayudante) et était parvenu à obtenir à deux reprises une place d’artilleur malgré l’absence de reconnaissance officielle de son statut par la casa de la contratación. Cependant, suivre l’enseignement de l’artillero mayor et passer l’examen officiel était vraisemblablement attractif pour tous ces artilleurs non-reconnus. Le titre d’artilleur décerné par les officiers de la Monarchie hispanique contribuait sans doute à renforcer leur position en tant que spécialistes de l’artillerie à bord des navires. Mais surtout, ce statut officiel d’artilleur « examiné » permettait de jouir des privilèges que le roi accordait à tous les artilleurs de la péninsule ibérique.
Comme dans le reste de la péninsule ibérique, l’une des principales motivations de ces hommes à devenir artilleur fut la possibilité de jouir des privilèges de la profession. Conscients de cette réalité, les enseignants de l’école luttèrent auprès du gouvernement madrilène pour que leurs élèves puissent bénéficier des privilèges d’artilleur. Andrés de Espinosa mais aussi Julián Ferrofino sollicitèrent du roi l’obtention des fameuses cédules des privilèges signées par le capitaine général de l’artillerie189. Au début du xviie siècle, comme il en a été fait mention précédemment, le non-respect récurrent de ces privilèges par les autorités de Séville avait produit un creux de fréquentation de l’école, conduisant Andrés Muñoz el Bueno à constituer un épais dossier en défense des preeminencias190. Ces différents documents révèlent également qu’un certain nombre d’élèves ne servaient pas comme artilleurs 344après leur examen ; ils se contentaient de jouir des privilèges tout en continuant leur activité d’artisan. Ils étaient néanmoins censés servir la Monarchie à chaque fois que le besoin se manifestait, constituant en quelque sorte une milice sévillane d’artilleurs. En cas d’urgence, cette réserve était rapidement prête à l’action. Lorsque, en 1596, une flotte anglaise fondit sur Cadix pour la mettre à sac, le capitaine Francisco de Molina put rapidement disposer de 105 artilleurs de Séville afin de mener une contre-offensive191.
Enfin, pour compléter l’exposé il faut mentionner les capitaines et pilotes de la carrera de Indias qui participèrent aux leçons d’artillerie. Le phénomène apparaît clairement dans le dossier constitué par Muñoz el Bueno pour défendre les privilèges des artilleurs de Séville192. Ainsi, le premier témoin interrogé, Miguel de Valdés, capitaine d’un galion de la carrera de Indias pendant plus de 26 ans, affirma que :
il sait et a vu que le dit Andrés Muñoz el Bueno, artillero mayor, a enseigné et enseigne d’ordinaire publiquement dans cette ville de Séville le dit art, leçon à laquelle ce témoin s’est trouvé à de multiples reprises193.
De même, le second témoin, le capitaine Juan de Morales, affirmait savoir de quoi il parlait car « il fréquentait la maison de l’artillero mayor et son école194 ». Par ailleurs, les comptes rendus des années 1600 à 1607 enregistrent une douzaine de pilotes, deux maîtres et deux capitaines de navire ayant passé l’examen d’artilleur195. D’après la municipalité du port d’Ayamonte, ces « pilotes, capitaines et propriétaires de navires » passaient l’examen pour pouvoir bénéficier des privilèges d’artilleurs196. La petite ville se plaignait du nombre grandissant de cette population privilégiée, armée et surtout chez qui il était impossible, en vertu de ces privilèges, de loger les nombreux soldats en transit entre l’Andalousie et le Portugal. Le capitaine Francisco de Molina, alors coresponsable 345des examens avec l’artillero mayor, ne démentit pas la situation. Au contraire, il la justifia en expliquant que, comme ces hommes étaient en charge du recrutement de l’équipage, ils devaient avoir de solides connaissances en artillerie afin d’être capables de distinguer les bons artilleurs des mauvais. L’école d’artilleurs de Séville fonctionna par conséquent comme un espace de socialisation pour les hommes de la carrera de Indias, où les commandants pouvaient non seulement recevoir une formation en artillerie mais aussi rencontrer leurs futurs membres d’équipage.
Une communauté d’Espagnols ?
Pour rappel, l’une des principales motivations à la mise en place d’un enseignement de l’artillerie à Séville fut la volonté d’augmenter la proportion d’artilleurs espagnols au sein des équipages de la carrera de Indias. Les instructions envoyées à Andrés de Espinosa en 1576 insistaient particulièrement sur ce point : l’artillero mayor ne devait enseigner son art qu’à des individus originaires des royaumes de Castille et d’Aragon197. Il faut toutefois noter que cette clause ne semble pas avoir été respectée à la lettre lors des premières années de fonctionnement de l’école. L’un des deux comptes rendus d’examen de cette période concerne un certain Juan Gutiérrez, qui venait de la ville d’Anvers198. Il avait par ailleurs remporté une compétition de tir contre un certain Maestro Gerónimo, qui selon ce document était un « artilleur examiné » que d’autres sources identifient comme originaire de Venise199. Par conséquent, il était parfaitement possible, à cette époque, de passer l’examen d’artilleur de la casa de la contratación sans être né ni en Castille ni en Aragon.
Par ailleurs, les informations contenues dans les comptes rendus d’examens des années 1600-1607 ainsi que dans la liste des inscrits à l’enseignement du docteur Ferrofino permettent de dresser une cartographie de l’origine de plus de 600 apprentis200. L’un des résultats les plus frappants est l’implantation fortement locale du recrutement 346des apprentis. Près d’un tiers d’entre eux étaient en effet originaires de la ville même de Séville ou bien de sa voisine Triana. Un autre tiers des effectifs était fourni par la région environnante, depuis les ports atlantiques de Sanlúcar de Barrameda et Ayamonte jusqu’aux villes de Cordoue, Malaga et Grenade. Cette attraction locale de l’école avait été désirée dès l’origine du projet puisque les ordres royaux de 1576 demandaient aux juges de la casa de la contratación de propager la nouvelle de la création de l’école aux villes de Malaga, Cadix et aux territoires alentours afin que les individus intéressés pussent accourir à Séville201. Cette proportion très élevée d’Andalous s’explique autant par la proximité de l’école que par l’implication massive de ces hommes dans la carrera de Indias.
Le dernier tiers des apprentis était constitué d’individus ayant émigré à Séville depuis diverses régions de la péninsule ibérique. Les multiples ports du Pays Basque (Bilbao, Saint-Sébastien, Portugalete) et des Cuatro Villas (Santander, Laredo, San Vicente de la Barquera, Castro Urdiales) constituaient l’une des principales régions d’origine des apprentis artilleurs. Le phénomène était cependant moins marqué que dans l’étude prosopographique du chapitre précédent puisque, en tout, seulement 8 % des individus provenaient de cette côte septentrionale de l’Espagne. En revanche, le centre de la péninsule ibérique était bien mieux représenté puisque plus d’une centaine d’apprentis (18 % de l’échantillon) venaient de villes et de villages de Vieille et de Nouvelle Castille ainsi que d’Estrémadure. Au sein de cette tendance générale, aucun centre de recrutement ne se distingue significativement des autres, les grandes villes telles que Tolède ou Valladolid ayant contribué seulement légèrement plus que les petits bourgs et villages. À cette participation castillane il fallait également ajouter la contribution d’autres régions habituées de longue date à fournir des artilleurs à la carrera de Indias, notamment Barcelone, Palma de Majorque et les îles Canaries.
Au total, les données révèlent que 96 % des artilleurs de l’école respectaient la règle initiale requérant d’être natif des royaumes de Castille ou d’Aragon202. Cela signifiait que l’école de Séville acceptait, 347dans une moindre mesure, quelques étrangers. Le spectre de recrutement était toutefois incomparablement moins large que parmi les équipages des armadas royales dont les artilleurs venaient véritablement des quatre coins de l’Europe, comme le chapitre précédent l’a mis en évidence. Dans le cas de l’école sévillane, la plupart des apprentis qui n’étaient originaires ni de Castille ni d’Aragon demeuraient tout de même des sujets du roi d’Espagne. Ainsi, on trouvait parmi les effectifs de l’école huit Portugais, quatre Napolitains, quatre Siciliens, deux Sardes et deux Anversois. Les véritables étrangers sans aucun lien de vassalité ne furent que quatre : un Vénitien, un Génois, un Ragusain et un Écossais. Avant d’être admis, tous ces individus avaient fait l’objet d’enquêtes et de procédures de contrôle menées par la casa de la contratación. Par exemple, en 1606, l’artillero mayor refusa d’enseigner à Johan Alvárez de Gúzman, né à Anvers mais habitant à Séville depuis l’âge de cinq ans et marié à une sévillane. Ce dernier se plaignit aux juges de la casa de la contratación, produisit des témoins afin de démontrer qu’il était parfaitement intégré à la vie sévillane, qu’il était un vecino, c’est-à-dire un citoyen résident de Séville et il finit par obtenir gain de cause203. À l’époque, prouver sa vecindad, son appartenance à la communauté locale, permettait à un étranger de revendiquer les mêmes droits que les natifs de Castille204. En ce sens, l’école d’artilleurs de Séville n’était pas strictement réservée aux Castillans et aux Aragonais, mais elle effectuait une forme de contrôle, excluant ceux des étrangers qui n’étaient pas capables de démontrer leur intégration locale. Il faut aussi noter que l’école devint un instrument d’exclusion au sein de la carrera de Indias. En 1603, l’artillero mayor dénonça ainsi au roi la présence dans l’armada de guarda d’un chef artilleur italien qui n’avait pas été examiné et le conseil des Indes exigea son remplacement immédiat205.
348Fig. 36 – Origines géographiques de 601 apprentis de l’école d’artilleurs de Séville.
Carte réalisée par l’auteur. Sources : AGI CT leg. 4871 et AGS GYM leg. 351/283.
Le coût de la formation d’artilleur
Dès les instructions envoyées à Andrés de Espinosa en 1576, la Monarchie hispanique afficha sa volonté de proposer une formation ouverte à tous ceux qui souhaitaient apprendre l’art de l’artilleur206. Les leçons n’étaient pas véritablement publiques puisque, comme cela vient d’être exposé, certains critères de sélection relatifs à l’origine géographique et professionnelle des apprentis étaient appliqués avec plus ou moins de rigueur. Cependant, une fois reçu l’assentiment de l’artillero mayor pour suivre les cours, les étudiants n’avaient pas à payer leur formation qui était, en ce sens, gratuite. Comme cela a été précisé plus haut, le salaire de l’enseignant était couvert, dans des proportions qui varièrent selon les époques, par la Monarchie ainsi que par l’universidad de mareantes, la corporation rassemblant les maîtres, pilotes et propriétaires de navires de la carrera de Indias. Par conséquent, l’organisation du financement de l’école était en total adéquation avec les profils plutôt humbles des apprentis. Toutefois, suivre la formation à Séville engendrait des coûts indirects qui filtrèrent, dans une certaine mesure, les individus pouvant accéder à l’école d’artilleurs.
Le premier de ces coûts indirects concernait la poudre et les munitions utilisées lors des exercices pratiques de tir. En cohérence avec son projet de vouloir former tous les individus qui souhaitaient apprendre l’artillerie, la Monarchie fournissait une certaine quantité de poudre noire pour ces exercices, afin de promouvoir la participation des apprentis les plus pauvres. Sous Ferrofino, ce montant semble avoir atteint 400 livres par an, permettant de tirer environ 400 tirs annuels207. Ce geste de générosité du monarque était toutefois loin de suffire à la consommation de poudre, en particulier à l’époque d’Andrés Muñoz el Bueno, lorsque plus d’une centaine d’apprentis étaient formés chaque année. Ce dernier s’en plaignit au conseil des Indes car certains de ses élèves n’avaient d’autre choix que d’abandonner le terrain d’entraînement faute de moyens pour payer la poudre et les boulets208. Cet élément constitua donc une limite importante au caractère gratuit de la formation d’artilleur proposée à Séville.
350L’autre coût indirect, non-négligeable, d’une formation à l’école d’artilleurs de la casa de la contratación résultait des dépenses relatives au séjour en ville. La durée minimale de formation pour pouvoir passer l’examen s’élevait à deux mois, ce qui signifie que, pour bon nombre d’individus, le passage à l’école d’artilleurs s’étalait sur plusieurs mois. La problématique de séjourner à Séville durant une si longue période était très différente selon les trajectoires des individus. D’abord, il vient d’être montré qu’un tiers des apprentis étaient originaires de Séville même ou bien de Triana, sa voisine de l’autre côté du Guadalquivir. De plus, même s’il est vrai que l’école rassemblait des individus natifs des quatre coins de la péninsule ibérique, comme la carte de la figure 36 le met en évidence, un certain nombre d’entre eux résidaient déjà à Séville lorsqu’ils s’inscrivaient à l’école. Le fait apparaît clairement sur la liste des 74 apprentis de Ferrofino en 1592 : bien que certains d’entre eux fussent nés dans d’autres villes, quasiment tous ces hommes étaient des artisans installés à Séville, avec le statut de officiel de résident (vecino)209. Pour ces individus natifs ou résidents locaux, l’enjeu essentiel pour suivre la formation était sa compatibilité avec leur activité professionnelle. C’est sans doute la raison pour laquelle Andrés Muñoz el Bueno proposait deux sessions quotidiennes pour ses cours, l’une la journée, l’autre le soir210. Il en allait de même pour les exercices de tir qui avaient uniquement lieu, il faut le rappeler, les dimanches et jours de fête.
De même, parmi les nombreux marins et soldats qui suivirent les leçons de l’artillero mayor, il est important de se souvenir qu’une vaste majorité travaillait déjà à bord de navires de la carrera de Indias et devait justifier d’avoir traversé l’Atlantique au moins une fois. Même s’ils étaient natifs de provinces lointaines, bon nombre de ces hommes s’étaient installés à Séville ou Triana, comme résidents. Durant l’hivernage des flottes, ils disposaient de quelques mois pour suivre la formation proposée par l’école d’artilleurs. Durant ce temps mort, une partie de ces individus vivaient grâce aux gains accumulés lors de la traversée tandis que d’autres devaient avoir une activité professionnelle annexe compatible avec les horaires des leçons. Cette situation explique parfaitement le rythme 351annuel des examens qui, comme la figure 32 l’a précédemment mis en évidence, connaissait un creux d’activité durant la période estivale, après le départ annuel des flottes pour l’Amérique.
Cependant, un certain nombre des marins de la carrera de Indias résidaient dans les ports atlantiques d’Andalousie tels que Huelva, Sanlúcar de Barrameda, Ayamonte ou Puerto de Santa María. Aussi, venir à Séville pour quelques mois de formation représentait-il un coût trop important pour une partie d’entre eux. C’est la raison pour laquelle des enseignements furent mis en place localement dans ces ports. À la fin du xvie siècle, le lieutenant d’artillerie Francisco de Molina avait ainsi placé à Ayamonte un sergent artilleur chargé d’entraîner les artilleurs locaux211. Quelques années plus tard, il fut décidé que l’artillero mayor irait temporairement enseigner en personne l’artillerie aux marins d’Ayamonte et de Sanlúcar de Barrameda :
De nombreux marins originaires du comté de Niebla, du marquisat d’Ayamonte et de Sanlúcar renoncent à prendre part à l’école et à l’examen d’artilleur parce qu’ils sont pauvres et ne peuvent séjourner à Séville, loin de leurs maisons. […] J’ai donc décidé qu’il était bien que Vous, Andrés Muñoz el Bueno, au moment où votre absence de Séville aura le moins de conséquences, vous rendiez aux dits lieux pour y enseigner l’artillerie et instruire les dits marins, en emmenant à cet effet une pièce d’artillerie qui est en votre pouvoir pour exercer les artilleurs, ainsi que de la poudre212.
Par conséquent, au début du xviie siècle, l’enseignement de l’artillero mayor se déplaçait, avec tout le matériel (pièce d’artillerie, poudre et munitions comprises), quelques semaines par an vers les ports de la côte atlantique, afin de former à la profession d’artilleur des hommes ayant une expérience de la mer.
Enfin, il faut également admettre qu’une proportion inconnue d’apprentis venaient à l’école d’artilleurs sans être résidents ni avoir d’emploi à Séville ou dans la carrera de Indias. Ainsi, Bartolomé de Paz, 352soldat au château de Lisbonne, avait obtenu du roi un congé pour aller à Séville afin de soigner une certaine maladie213. Durant sa convalescence, il décida de s’inscrire à l’école du docteur Ferrofino et obtint son titre d’artilleur. La source ne dit pas avec quels moyens il vivait au quotidien durant sa convalescence : avait-il de l’argent de côté ? était-il allé se soigner à Séville parce qu’il avait de la famille sur place ? Ou bien avait-il même inventé cette histoire de cure afin d’obtenir la licence du roi pour rejoindre Séville et son école, renommée parmi les cercles militaires de Lisbonne ? Il est impossible de saisir de manière exhaustive la multitude de trajectoires et de situations qui conduisirent plus d’une centaine d’individus chaque année à suivre l’enseignement dispensé dans cette école. Ce qui apparaît de manière certaine, ce sont les efforts fournis par les enseignants, souvent soutenus par la Monarchie, afin de rendre la formation d’artilleur accessible à la fois aux artisans de Séville et aux hommes de la carrera de Indias, qui étaient les deux principaux groupes auxquels cet enseignement était destiné.
Conclusion
Pour conclure sur cette école de Séville, il est important de revenir sur les débouchés des apprentis et leur adéquation avec les objectifs initiaux de pourvoir en artilleurs espagnols les convois américains. Il faut tout d’abord savoir qu’il est difficile de connaître précisément les débouchés de l’école. Bien que l’enseignement fût principalement envisagé pour la carrera de Indias, les artilleurs formés à Séville pouvaient suivre d’autres voies. Un certain nombre d’entre eux poursuivaient leur activité d’artisan, faisant partie, à Séville, d’une milice d’artilleurs de réserve employée uniquement en cas d’extrême nécessité. Les documents évoquent également d’autres débouchés. Le capitaine général de l’artillerie Francés de Álava suggérait ainsi en 1577 qu’une partie de ces artilleurs fussent envoyés en garnison dans les différentes forteresses des côtes d’Andalousie, d’Afrique du nord et d’Amérique214. En 1602, les 353capitaines de la carrera de Indias appelés à témoigner affirmaient avoir vu un certain nombre d’artilleurs formés à Séville servir dans les ports fortifiés du Nouveau Monde tels que la Havane et Carthagène des Indes, ainsi que dans des forteresses d’Espagne215.
Néanmoins, le débouché principal évoqué par la plupart des documents était sans aucun doute constitué par les flottes de la carrera de Indias et de l’armada de guarda chargée du transport de l’argent américain. En 1586, les juges de la casa de la contratación faisaient l’éloge du travail d’Andrés de Espinosa en faveur de la carrera de Indias en ces termes :
Ont été examinées de nombreuses personnes natives de ces royaumes qui servent Votre Majesté dans cette navigation des Indes, tant dans les navires d’armada que dans ceux de commerce216.
Cependant, il est possible d’affirmer qu’à cette époque l’école ne formait pas assez d’artilleurs pour satisfaire pleinement la forte demande des convois transatlantiques. En effet, dans la même lettre, les officiers ajoutaient que, en raison du nombre important de navires, il était encore nécessaire de recourir aux artilleurs étrangers, en particulier dans les galions du roi. De plus, il s’avère que les plaintes des officiers andalous quant au manque d’artilleurs se poursuivirent jusqu’au début du xviie siècle malgré l’intense activité de l’école217. Pour saisir la raison de ce manque persistant, il est absolument impératif de tenir compte du fait que, même si les effectifs de l’école augmentèrent, les besoins en artilleurs eux aussi s’accrurent. Le volume de la carrera de Indias fut en effet plus que doublé entre la création de l’école en 1576 et les premières 354années du xviie siècle218. En outre, la mise en place à partir de 1590 d’un escadron de l’armada del mar Océano attaché au port de Cadix ajouta un peu plus de pression sur ces ressources humaines disputées. Aussi, bien que l’école fut incapable de satisfaire entièrement la demande en capital humain de cette flotte de guerre grandissante, elle contribua sans doute néanmoins à rendre son déploiement possible.
Au xvie siècle, parmi les différentes initiatives d’institutionnalisation d’un enseignement de l’artillerie, l’école d’artilleurs de Séville connut sans aucun doute l’un des plus francs succès. Cette réussite se manifesta d’abord par la pérennité de son enseignement qui, établi progressivement de manière continue dans les dernières décennies du xvie siècle, perdura au moins jusqu’au début du xviiie siècle. Dès ses premières années de fonctionnement, l’école avait suscité un certain enthousiasme de la part du capitaine général de l’artillerie Francés de Álava219, mais c’est surtout l’engouement des partis prenants de la carrera de Indias qui fournit l’indice le plus clair de son succès. En 1586, lorsque les maîtres et armateurs de navires rédigèrent un plaidoyer pour éviter d’avoir à payer 1 700 ducats de salaire qu’ils devaient à Andrés de Espinosa, ils ne souhaitèrent à aucun moment remettre en cause la légitimité de l’activité de l’artillero mayor. Au contraire même, ils affirmaient que l’enseignement de l’artillerie était un « bien universel » dont les bénéfices retombaient sur tous220. Cette conception du bénéfice public de l’enseignement de l’artillerie était déjà présente dans les mots d’Espinosa lui-même en 1584 et fut reprise dans une réponse du roi à l’artillero mayor221.
Le seul qui, dans cette affaire, s’exprima contre Andrés de Espinosa fut le contrôleur de l’avería. Il se retrouvait soudainement à devoir payer l’artillero mayor à un moment où les dépenses de défense des convois augmentaient de manière exponentielle – l’avería connut d’ailleurs une faillite quatre ans plus tard222. Pour lui, l’activité d’Andrés de Espinosa n’était pas absolument vitale à la protection des convois car
355Pour qu’il y ait des artilleurs, il n’est pas nécessaire qu’il y ait des maîtres de l’artillerie car sans eux il y a bien eu de très bons artilleurs, et puisque l’on a bien navigué depuis tant d’années sans avoir de maître d’artillerie, on pourrait continuer ainsi223.
Néanmoins, ces remarques laissèrent les membres du conseil des Indes totalement indifférents. Ils confirmèrent leur verdict, forçant l’administration de l’avería à financer la formation des artilleurs.
L’opinion des partis prenants de la carrera de Indias était encore favorable à l’école une quinzaine d’années plus tard. En 1602, lorsque l’artillero mayor Muñoz el Bueno sentit son école menacée suite au non-respect récurrent des privilèges d’artilleurs par les autorités sévillanes, il put compter sur plusieurs capitaines de la carrera de Indias et deux juges de la casa de la contratación pour témoigner de l’importance cruciale de son rôle pour la sécurité des convois vers l’Amérique224. Ainsi, un quart de siècle après sa mise en place, l’enseignement de l’artillerie à Séville paraissait être devenu indispensable aux yeux du commandement de la carrera de Indias. Entre temps l’institionnalisation des pratiques de formation des artilleurs s’était généralisée au sein de l’empire espagnol.
1 AGI CT leg. 746/4. « Il est indispensable que [les artilleurs] soient formés parce qu’il n’en est pas de même que du soldat qui, du moment qu’on lui donne une pique, part combattre avec. »
2 Epstein, Stephan R., « Craft Guilds, Apprenticeship and Technological Change in Preindustrial Europe », The Journal of Economic History, vol. 58, no 3, 1998, p. 684-713. Epstein Stephan R., Prak, Marteen (éd.), Guilds, Innovation and the European Economy, 1400-1800, New York, Cambridge University Press, 2008. Prak, Marteen, Van Zanden, Jan L.(éd.), Technology, Skills and the Pre-Modern Economy in the East and the West, Leiden ; Boston, Brill, 2013. Mokyr, Joel, The Gifts of Athena : Historical Origins of the Knowledge Economy, Princeton, N.J. ; Oxford, Princeton University Press, 2002.
3 Epstein, Stephan R., « Craft Guilds, Apprenticeship and Technological Change in Preindustrial Europe », op. cit. De Munck, Bert, Technologies of Learning. Apprenticeship in Antwerp Guilds from the 15th Century to the End of the Ancien Régime, Turnhout, Brepols, 2007. Epstein, Stephan R., Prak, Marteen (éd.), Guilds, Innovation and the European Economy, 1400-1800, op. cit.
4 De Munck, Bert, Technologies of Learning, op. cit. Deceulaer, Harald, Jacobs, Marc, « Qualities and Conventions. Guilds in 18th Century Brabant and Flanders : an Extended Economic Perspective », dans Guilds, Economy and Society, Séville, Fundación Fomento de la Historia Económica, 1998, p. 91-107. Brooks, Christopher, « Apprenticeship, Social Mobility and the Middling Sort, 1550-1800 » dans The Middling Sort of People. Culture, Society and Politics in England, 1550-1800, Barry, Jonathan, Brooks, Christopher (éd.), Londres, The MacMillan Press, 1994, p. 52-83. Farr, James R., Artisans in Europe, 1300-1914, op. cit. Mackenney, Richard ; Tradesmen and Traders, op. cit.
5 De Munck, Bert, Technologies of Learning, op. cit. p. 50.
6 De Munck affirme par exemple qu’à Anvers, un maître formait en moyenne au cours de sa carrière 5 à 7 apprentis, chiffre qui s’élevait au maximum à une vingtaine d’individus, ibid. p. 46 et 211.
7 Collantes de Teran Sanchez, Antonio, Sevilla en la Baja Edad Media : la ciudad y sus hombres, Séville, Sección de Publicación del Excmo. ayuntamiento, 1977.
8 Bernal, Antonio Miguel, La financiación de la Carrera de Indias (1492-1824), op. cit. Bernal Rodríguez, A.M., Collantes de Terán Sánchez, A., « El puerto de Sevilla, de puerto fluvial medieval a centro portuario mundial (siglos xiv-xvii) », op. cit. Pike, Ruth, Enterprise and Adventure, op. cit.
9 Sentaurens, Jean, « Séville dans la seconde moitié du xvie siècle : population et structures sociales. Le recensement de 1561 », Bulletin Hispanique, Tome 77, no 3-4, 1975, p. 321-390.
10 Morales Padrón, Francisco, Historia de Sevilla Tomo III : La ciudad del Quinientos, Séville, Secretariado de Publicaciones, Universidad de Sevilla, 1977, p. 145.
11 Chaunu, Huguette, Chaunu, Pierre, Séville et l’Atlantique, 1504-1650, op. cit., tome 8-1, p. 161-192.
12 Perez-Mallaína, Pablo, Spain’s Men of the Sea, op. cit., p. 3.
13 Chaunu, Huguette, Chaunu, Pierre, Séville et l’Atlantique, 1504-1650, op. cit., Tome 8-1, p. 167 et suivantes.
14 Acosta Rodríguez, Antonio, González Rodríguez, Adolfo, Vila Vilar, Enriqueta (éd.), La Casa de la Contratación y la navegación entre España y las Indias, Séville, Universidad de Sevilla, CSIC, Fundación El Monte, 2003. Díaz Blanco, José Manuel, Así trocaste tu gloria. Guerra y comercio colonial en la España del siglo xvii, Madrid, Marcial Pons, 2012.
15 Fernández Castro, Ana Belem, « Juzgar las Indias. La práctica de la jurisdición de la Casa de la Contratación de Sevilla (1583-1598) », thèse soutenue à l’Institut Universitaire Européen, Florence, 2015.
16 Collins, Edward, « Francisco Faleiro and the Scientific Methodology at the Casa de la Contratación in the Sixteenth Century », Imago Mundi, the International Journal for the History of Cartography, vol. 65, no 1, 2013, p. 25-36. Sandman, Alison Deborah, « Cosmographers vs Pilots : Navigation, Cosmography and the State in Early Modern Spain », thèse soutenue à l’université Wisconsin-Madison, 2001. Vicente Maroto, Isabel, Esteban Piñeiro, Mariano, « La Casa de Contratación y la Academia Real matemática » dans Historia de la ciencia y de la técnica en la Corona de Castilla. Vol. III, Siglo xvi y xvii, José María López Piñero (éd.), Valladolid, Junta de Castilla y León, 2002, p. 35-50. Plus généralement sur l’activité scentifique de la casa de la contratación, voir Barrera-Osorio, Antonio, Experiencing Nature, op. cit. Cañizares Esguerra, Jorge, Nature, Empire and Nation, op. cit.
17 Cette dimension militaire de la casa de la contratacion est souvent négligée par l’historiographie, comme le rappelle Alvárez Nogal, Carlos, « Instituciones y desarrollo económico : la Casa de la Contratación y la Carrera de Indias (1503-1790) » dans La Casa de la Contratación y la navegación entre España y las Indias, Acosta Rodríguez, Antonio, González Rodríguez, Adolfo, Vila Vilar, Enriqueta (éd.), Séville, Universidad de Sevilla, CSIC, Fundación El Monte, 2003, p. 21-51. L’activité militaire de la casa de la contratación est pourtant omniprésente dans les tomes des Chaunu : Chaunu, Huguette, Chaunu, Pierre, Séville et l’Atlantique, 1504-1650, op. cit.
18 Ce trafic est analysé en détail dans les milliers de pages de l’œuvre des Chaunu. Chaunu, Huguette, Chaunu, Pierre, Séville et l’Atlantique, 1504-1650, op. cit. Voir aussi García-Baquero González, Antonio, La Carrera de Indias : suma de la contratación y océano de negocios, Séville, Algaida, 1992.
19 Flynn, David O., Giraldez, Arturo, « Born again : Globalization’s sixteenth century origins », Pacific Economic Review, vol. 13, 2008, p. 359-387. Aram, Bethany,Yun Casalilla, Bartolomé (éd.), Global Goods and the Spanish Empire, 1492-1824. Circulation, Resistance, Diversity, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2015.
20 Martínez Ruiz, Enrique, La defensa del Imperio, 1500-1700, op. cit.
21 Perez-Mallaína, Pablo, Spain’s Men of the Sea, op. cit. p. 9-10. Les rythmes des voyages sont analysés en détail dans les volumes de Chaunu, Huguette, Chaunu, Pierre, Séville et l’Atlantique, 1504-1650, op. cit. Pour une étude détaillée des navires constituant ces convois, voir aussi Serrano Mangas, Fernando, Función y evolución del galeón en la carrera de Indias, op. cit.
22 Phillips, Carla R., Six Galleons for the King of Spain, op. cit. Cespedes del Castillo, Guillermo, La avería en el comercio de Indias, op. cit.
23 Goodman, David C., Power and Penury, op. cit., p. 113. Morales Padron, Francisco, Historia de Sevilla Tomo III : La ciudad del Quinientos, op. cit., p. 157.
24 Salas Almena, Luis, Colaboración y conflicto, op. cit.
25 À titre d’exemple, voir la flotte de huit navires de guerre légers assemblée par le duc de Medina Sidonia en 1590 pour faire face aux menaces de raid dans les Açores. AGS GYM leg. 280/232 et 237.
26 Goodman, David C., Spanish Naval Power, 1589-1665, op. cit., p. 9.
27 Fernández Duro, Cesáreo, Disquisiciones náuticas, Madrid, Impr. de Aribau y c.a (sucesores de Rivadeneyra), 1876-1880.
28 Carrasco y Saiz, Adolfo, « Apuntes sobre los sistemas y medios de instrucción del cuerpo de artillería », Memorial de Artillería, serie 3a, Tomo XVI, p. 392-408, p. 609-616, et Tomo XVII, p. 423-433, p. 544-556, p. 622-643, p. 733-741, Madrid, 1887.
29 Frontela Carreras, Guillermo, « La enseñanza de la artillería dependiendo del Consejo de Indias », Militaria, Revista de cultura militar, no 10, 1997, p. 277-290.
30 Le travail repose en partie sur la Recopilación de leyes de los reinos de las Indias : mandadas imprimir y publicar por la Majestad Católica del rey Don Carlos II, nuestro señor., Madrid, Impr. por Julián de Paredes, 1681.
31 López Piñero, José María (éd.), Historia de la ciencia y de la técnica en la Corona de Castilla. Vol. III, Siglo XVI y XVII, Valladolid, Junta de Castilla y León, 2002.
32 Vicente Maroto, María Isabel, « Las escuelas de artillería en los siglos xvi y xvii », Quaderns d’història de l’enginyera, V, 2003-2002, p. 1-9.
33 AGI IG leg. 1968, lib. 21, fol. 3 (20/02/1576), fol. 5v-6v (25/02/1576), fol. 7r-8r (28/02/1576).
34 AGI IG leg. 1968, lib. 21, fol. 108r (18/11/1576).
35 AGI IG leg. 1968, lib. 21, fol. 160r (22/03/1577).
36 AGS GYM leg. 114/202 (24/06/1581).
37 AGI IG leg. 1956, lib. 1, fol. 141 (11/08/1573).
38 « Nuestro artillero mayor de la armada que anda en guarda de la carrera y costas de las mías Indias » AGI IG leg. 1968, lib. 21, fol. 3 (20/02/1576).
39 « Por cuanto por parte de vos Andrés de Espinosa […] nos ha hecho relación que en la dicha carrera andan pocos artilleros que sean naturales de estos Nuestros Reinos y que se padece mucha necesidad de estos así en la armada como en las flotas que navegan a las dichas Indias », AGI IG leg. 1968, lib. 21, fol. 3 (20/02/1576).
40 Chaunu, Huguette, Chaunu, Pierre, Séville et l’Atlantique, 1504-1650, op. cit., tome 6, p. 335 et suiv.
41 Goodman, David C., Spanish Naval Power, 1589-1665, op. cit., p. 3.
42 AGI IG leg. 1968, lib. 21, fol. 3 (20/02/1576).
43 AGI CT leg. 5784 lib. 1, fol. 182v-183r (22/03/1577).
44 AGS GYM leg. 88/250 (17/08/1578).
45 AGI CT leg. 5784 lib. 3 (05/11/1590).
46 AGI IG leg. 1969 fol. 194v-195r (23/09/1578).
47 AGS GYM leg. 114/202 (24/06/1581).
48 AGI CT leg. 5784 lib.3 (05/11/1590).
49 « El haber esta persona en esa ciudad para el dicho efecto es general beneficio y utilidad de los dueños y maestres de naos que navegan en la Carrera de Indias, que son obligados a llevar en sus naos artilleros personas diestras y es justo que contribuyan para la paga del salario del dicho artillero », AGI IG leg. 1968 lib. 21, fol. 6v (25/01/1576).
50 AGI IG leg. 1968 lib. 21, fol. 160v (22/03/1577).
51 AGI ESCRIBANIA leg. 1070A/1, « Pleito entre Espinosa, artillero mayor y los mareantes » (année 1586).
52 Ibid.
53 AGI ESCRIBANIA, leg. 1070A/1, fol. 64r.
54 Ibid., fol. 65r.
55 Ibid. fol. 95r (02/10/1586).
56 AGI CT leg. 5784 lib. 3 (05/11/1590).
57 AGI IG leg. 1969 fol. 85 (24/02/1578).
58 AGI IG leg. 2006 (21/11/1584).
59 AGS GYM leg. 114/202 (24/06/1581).
60 « En el camino, tuvé escuela y platica en la galeaça y en el Rio de Guenero donde hinverno la armada », AGI IG leg. 2006 (année 1584), sans num. de folio.
61 AGI IG leg. 739/354 (12/08/1581).
62 AGI IG leg. 1952 lib. 3 (22/02/1586).
63 AGI CT leg. 5784 lib. 3, fol. 61v (11/01/1591).
64 AGS GYM leg. 395/103 (30/04/1593).
65 AGS GYM leg. 82/174 (27/10/1577).
66 AGS GYM leg. 114/202 (24/06/1581).
67 AGS GYM leg. 246/191 (20/02/1589).
68 López Piñero, José María, Historia de la ciencia y de la técnica en la Corona de Castilla. Vol. III, Siglo XVI y XVII, op. cit. p. 137-143. Martínez Ruiz, Enrique, Felipe II, la ciencia y la técnica, Madrid, Actas, 1999, p. 125-126. Un ouvrage récent propose une biographie de Julián Ferrofino : Silva Suárez, Manuel, Técnica e ingeniería en España – Tomo 1 : El Renacimiento, Saragosse, Real Academia de Ingeniería, Institución « Fernando el Católico », Prensas universitarias de Zaragosa, 2008. Toutefois, cette biographie ne semble pas fiable dans la mesure où il y est affirmé que le docteur Ferrofino enseignait à Burgos depuis 1574, ce que démentent plusieurs des sources consultées ici.
69 AGS GYM leg. 263/224 (sans date, année 1589).
70 AGS GYM leg. 262/284 (27/06/1589).
71 « Instruiría 200 y más artilleros tan cumplidamente enterados y platicos en la profesión que puedan concurrir con los mas viejos en este ministerio », AGS GYM leg. 263/224 (sans date, année 1589).
72 Ibid.
73 AGS GYM leg. 263/115 (01/08/1589).
74 AGS GYM leg. 277/8 (22/11/1589).
75 AGS GYM leg. 254/179 (03/12/1589).
76 AGS GYM leg. 280/255 (18/01/1590).
77 AGS GYM leg. 281/230 (12/02/1590).
78 AGS GYM leg. 284/265 (09/05/1590).
79 AGS GYM lib. 57, fol. 36v/37r (29/07/1590).
80 AGS GYM leg. 351/284 (08/02/1591).
81 AGS GYM lib. 63, fol. 54v (02/07/1591).
82 Le salaire de Ferrofino est précisé dans AGS GYM leg. 351/284 (08/02/1591). Pour obtenir la conversion entre écus et ducats, il faut considérer qu’un écu valait 400 maravédis et un ducat valait 375 maravédis.
83 AGS GYM leg. 351/283 (06/03/1592).
84 « Digo que yo he servido a Vuestra Majestad […] mucho tiempo en la ciudad de Sevilla en compañía del capitán Andrés de Espinosa que servía el oficio de artillero mayor en la dicha Casa de Contratación, quedando, siempre que él iba a los despachos de las armadas y flotas, en su lugar en el dicho oficio », AGI IG leg. 2007 (03/11/1595).
85 Andrés Muñoz el Bueno se porta garant de chacun des 73 apprentis de la liste de 1592, prouvant ainsi qu’il les connaissait tous AGS GYM leg. 351/283 (06/03/1592). Par ailleurs, plusieurs témoins confirment que Muñoz el Bueno fut l’homme qui recruta les apprentis pour Ferrofino dans le dossier « Andrés Muñoz el Bueno, artillero, sobre que se le haga merced del oficio que está vaco por Andrés de Espinosa », AGI IG leg. 2007.
86 AGS GYM leg. 395/103 (30/04/1593).
87 AGI IG leg. 426 lib. 28, fol. 222v-223v (30/09/1595).
88 « Para que esta gente tenga quien les enseñe, y los demás que quisiesen servir delante, quien les instruyese, convendría nombrar para cavo con salario competente proveyéndole en la plaza de Espinosa », AGS GYM leg. 395/03 (30/04/1593).
89 « Andrés Muñoz el Bueno, artillero, sobre que se le haga merced del oficio que está vaco por Andrés de Espinosa », AGI IG leg. 2007.
90 Voir les informations dans la liste AGS GYM leg. 351/283 (06/03/1592).
91 AGS GYM leg. 387/665 (07/11/1593).
92 Voir la réponse du roi à la consulta précédente, ibid.
93 En 1589, il prétendait être au service du roi depuis 56 ans. AGS GYM leg. 263/16 (20/02/1589).
94 AGS GYM leg. 365/83 (04/03/1594).
95 Ibid.
96 Coll. Navarette, vol. 23, doc. no 50 (05/02/1608), p. 302.
97 « Porque Andrés Muñoz el Bueno, Artillero Mayor de la dicha Casa de la Contratación es el que ha enseñado y habilitado a todos los dichos artilleros, lo haréis vos juntamente con él », ibid.
98 AGI IG leg. 2007, lettre accompagnée de tout un programme d’enseignement (03/11/1595).
99 C’est d’ailleurs sous sa forme retravaillée de 1596 que ce dossier a été préservé dans les archives sous le titre : « Andrés Muñoz el Bueno, artillero, sobre que se le haga merced del oficio que está vaco por Andrés de Espinosa », AGI IG leg. 2007.
100 La demande du roi se trouve dans AGI IG leg. 1952 lib. 4, fol. 117 (03/01/1597). La réponse de Molina dans AGI IG leg. 2007 (23/01/1597).
101 « Titulo de Artillero Mayor de la Casa de Contratación de Sevilla para Andrés Muñoz el Bueno », AGI IG leg. 1952 lib. 4 fol. 178v (01/11/1597).
102 AGI IG, leg. 2007.
103 « Expediente sobre las exenciones de los artilleros de la Casa de la Contratación », AGI IG leg. 2007, (année 1602).
104 AGI IG leg. 1957, lib. 5, fol. 242v (31/01/1602) et fol. 244 (02/02/1602).
105 Ibid. fol. 243 (31/01/1602).
106 AGI IG leg. 2007 (19/09/1603).
107 AGI IG leg. 1953, lib. 5, fol. 283 (25/09/1604).
108 AGI CT leg. 5784, lib. 3, fol. 135-136 (16/11/1605).
109 AGI FILIPINAS leg. 5/133 (20/02/1616).
110 Andrés Muñoz el Bueno, Instrucción y Regimiento para que los marineros sepan usar de la artillería, Malaga, Juan Rene, 1627.
111 AGI IG leg. 434 lib. 7, fol. 93-94 (21/06/1635).
112 Frontela Carreras, Guillermo, « La enseñanza de la artillería dependiendo del Consejo de Indias », op. cit., p. 290.
113 « Por la presente damos licencia y facilidad a vos el dicho Andrés de Espinosa para que podáis hacer terrero junto de Sevilla, donde por el nuestro asistente de ella os fuere señalado, para poder jugar y disparar piezas de artillería y enseñar el dicho ministerio de artillero », AGI IG leg. 1968 lib. 21, fol. 3r (20/02/1576).
114 Morales Padrón, Francisco, Historia de Sevilla Tomo III : La ciudad del Quinientos, op. cit., p. 210-214.
115 « Que se le señalase y diese sitio junto a esa ciudad donde pudiese hacer terrero […] para que pueda poner su escuela », AGI IG leg. 1968, lib. 21, fol. 108r (18/11/1576).
116 AGI IG leg. 1969, fol. 87 (24/02/1578).
117 AGS GYM leg. 114/202 (24/06/1581).
118 AGI IG leg. 2006 (21/11/1584).
119 AGS GYM lib. 57, fol. 36v-37r (20/07/1590).
120 « A donde ahora se va a disparar es muy lejos », AGI IG leg. 2006 (21/11/1584), « va a enseñar el jugar de la dicha artillería muy lejos de esa ciudad », AGI IG leg. 1952 lib. 2, fol. 190r (11/12/1584).
121 AGS GYM leg. 351/284 (08/02/1591), AGS GYM lib. 63 fol. 87v (10/07/1592).
122 AGI IG leg. 1953, lib. 5, fol. 243v-244r (14/01/1604).
123 Il s’agissait approximativement de l’emplacement de l’actuelle Fabrica Reál de Artillería construite au xviiie siècle, Morales Padrón, Francisco, Historia de Sevilla Tomo III : La ciudad del Quinientos, op. cit., p. 157. Ocerin, Enrique de, Apuntes para la historia de la Fabrica de artillería, Séville, Imprenta de la Fábrica de Artillería, 1966, p. 14-16.
124 AGI IG leg. 1952, lib. 4, fol. 101v-102r (03/11/1596).
125 « La prueba y exsamén de la artillería que se ha probado en el terrero », AGI IG leg. 2007, (10/09/1593).
126 « Cada día se ofrecen ocasiones de pruebarla [artillería] y no hay terrero diputado para poderlo hazer. Pido y suplico a Vuestra Señoría se sirva de mandar señalar sitio que sirva de terrero para lo susodicho y para que los artilleros se puedan exercitar en tirar », AMS Sección IV Tomo 5, doc. 41 (sans date).
127 AGI IG leg. 2007, sans num. (09/06/1604).
128 Voir p. 48.
129 Voir les descriptions de ces concours dans les procès verbaux des examens d’artilleurs, AGI CT leg. 4871.
130 AGS GYM leg. 351/284 (08/02/1591).
131 AGI IG leg. 1952, lib. 4, fol. 89 (11/07/1596) et leg. 2007 (02/03/1600).
132 Voir le procès verbal de l’examen de Juan Gutierrez, AGI CT leg. 4871. Maestro Geronimo apparaît comme condestable dans la liste de recrutement du galion amiral de la flotte de Nouvelle-Espagne en 1574, AGI CT leg. 2937.
133 AGI IG leg. 1968 lib. 21, fol. 8r (28/02/1576).
134 AGS GYM leg. 114/202 (24/06/1581).
135 « Hizo el deber en su oficio y trazo el fuerte y le puso en defensa », AGI IG leg. 2006 (pas de date, probablement 1584).
136 « Ha sido muy necesario que el haya venido aquí y haya visto y tocado con las manos algunas cosas de la artillería porque ha visto haber diferencia de lo que él tenía por muy cierto y averiguado por la matemática », AGS GYM leg. 281/235 (25/02/1590).
137 « El doctor Julián Ferrofino ha venido a darme cuenta del estado en que tiene la escuela de los artilleros en Sevilla que en sustancia dice que tiene alistados hasta 74 artilleros y que los 50 de ellos tiene tan platicos que pueden muy bien servir en este arte y otros 130 habilitados en la teórica y que queriendo continuar la escuela le ha faltado la pieza de artillería y munición que para ello ha menester », AGS GYM lib. 63 fol. 87v (10/07/1592).
138 « Me ocupé en ayudar al dicho doctor Ferrofino a juntar y hacer diestros los dichos artilleros con une pieza de artillería en el campo, poniendo en execución las Reglas que el dicho doctor por theórica daba y enseñaba », AGI IG leg. 2007 sans num. de folio (03/11/1595). Voir aussi, dans le même legajo, les témoignages confirmant cette affirmation dans le dossier « Andrés Muñoz el Bueno, artillero, sobre que se le haga merced del oficio que está vaco por Andrés de Espinosa ».
139 « Las liçiones y estudio no serán provechosos si con la práctica y exercicio no se experimenta », AGI IG leg. 2007 sans num. de folio (02/03/1600).
140 « Después que el dicho Doctor hizo ausencia de la dicha ciudad de Sevilla, yo les torné a leer y referir todo lo que él les había leído lo cual hice 4 meses dentro de la universidad de la dicha ciudad », AGI IG leg. 2007 sans num. de folio (03/11/1595).
141 Morales Padrón, Francisco, Historia de Sevilla Tomo III : La ciudad del Quinientos, op. cit., p. 286-290.
142 Ibid., p. 88.
143 AGS GYM leg. 351/283 (06/03/1592).
144 AGI IG leg. 1953 lib. 5, fol. 108 (20/03/1601).
145 AGI CT leg. 5784 lib. 3, fol. 200 (11/12/1614).
146 AGI IG leg. 1968 lib. 21, fol. 7r-8r (28/02/1576).
147 AGI CT leg. 4871. La plupart de ces comptes rendus datent de 1600-1606 bien que les deux plus anciens remontent à 1581 et confirment ainsi la forme de ces pratiques dès l’époque d’Andrés de Espinosa. Pour des exemples d’examens, voir l’annexe I.
148 Ibid. (04/05/1600). Cette anecdote montre d’ailleurs que les tests de pièces s’intégraient bien à l’enseignement pratique.
149 « En plazas de artilleros van muchas personas que no lo son ni saben usar del artillería y es de tan grande inconveniente como se podrá considerar y que así convendría que […] se diese orden como ninguno pasase a aquellas partes en la dicha plaza de artillero en las naos de armada y merchante sin que sea visto y aprobado por él [Andrés de Espinosa] o la persona que ejerciere su oficio en esa dicha ciudad », AGI IG leg. 1952 lib. 2, fol. 287v (05/12/1584).
150 AGI IG leg. 2007 sans num. de folio (16/01/1602).
151 « Pues yo asisto en los puertos de Sanlúcar y Cádiz a los despachos de las armadas y flotas […]convendría que Vuestra Majestad mande a los dichos visitadores que no consientan ni den lugar a que ninguna persona se aliste en plaça de artillero sin que primero haya asistido conmigo algunos días », ibid.
152 AGS GYM leg. 246/191 (20/02/1589).
153 « Algunos días que se hizo fuera de esta casa y sin asistencia del juez de ella por solo el dicho capitán Francisco de Molina se examinaron muchas personas faltos de crédito y llenos de defectos », AGI IG leg. 2007 sans num. de folio (31/10/1600).
154 Sandman, Alison Deborah, « Cosmographers vs Pilots : Navigation, Cosmography and the State in Early Modern Spain » op. cit. Vicente Maroto, María Isabel, Estebán Piñeiro, Mariano, « La Casa de Contratación y la Academia Reál matemática », op. cit.
155 Van Gennep, Arnold, Les rites de passage, Paris, Mouton et Maison des Sciences de l’Homme, 1969.
156 Ibid., p. 146-147.
157 Turner, Victor, The Ritual Process : Structure and Anti-Structure, New York, Aldine de Gruyter, 1995. Turner, Victor, Dramas, Fields, and Metaphors : Symbolic Action in Human Society, New York, Cornell University Press, 1974.
158 De Munck, Bert, Technologies of Learning, op. cit. p. 46 et 277.
159 AGS GYM leg. 114/202 (24/06/1581).
160 Ibid.
161 AGS GYM leg. 351/283 (06/03/1592).
162 AGS GYM lib. 63, fol. 87v.
163 AGS GYM leg. 395/103 (30/04/1593).
164 En accompagnement d’une lettre du 09/11/1595 : « he habilitado después que sirvo el dicho oficio 300 hombres », AGI IG leg. 2007, sans num. de folio.
165 « Expediente sobre las exenciones de los artilleros de la Casa de la Contratación », AGI IG leg. 2007, sans num de folio (année 1602).
166 Sentaurens, Jean « Séville dans la seconde moitié du xvie siècle : population et structures sociales. Le recensement de 1561 », op. cit., p. 337.
167 AGI CT leg. 4871. Les informations concernant ces 593 apprentis ont été retranscrites dans la base de données consultable sur https://cadmus.eui.eu//handle/1814/68555.
168 Voir le schéma de l’évolution des effectifs d’apprentis (fig. 33).
169 « El artillero mayor Andres Muñoz el Bueno ha escripto que acude muy poca gente al exercitarse en aquel ministerio del artillería y que donde solía aver de sesenta pláticantes arriba, agora no ay veinte a causa de que como gozan de tantas preeminencias alistandose por soldados de la milicia dessa ciudad acuden todos a aquello por ser con menos obligaciones y dexan de ser artilleros », AGI IG leg. 1957 lib. 5 fol. 236v (09/10/1601).
170 « Expediente sobre las exenciones de los artilleros de la Casa de la Contratación », AGI IG leg. 2007, sans num. de folio (année 1602).
171 Une copie manuscrite de cette ordonnance se trouve au cœur du legajo d’examens d’artilleurs : AGI CT leg. 4871.
172 « En la ciudad de Sanlúcar de Barrameda a 22 del mes de Junio de 1605, ante el señor Don Antonio López de Calatayud contador mayor juez official por su Magestad de la Casa de la Contratación de las Indias de la ciudad de Sevilla, con asistencia de Andrés Muñoz el Bueno, artillero mayor por su Magestad de las flotas e armadas que se despachan a las Indias, por ante mí, Pedro de Chaves, escribano propietario de la dicha Casa de la Contratación que estoy en esta dicha ciudad de Sanlúcar con el dicho contador en el despacho de la flota que este presente año se despacha a Nueva España general Alonso de Chaves Galindo, se hizo traer ante el dicho contador una piezuela de bronce y otros instrumentos tocantes al arte para examinar artillero. Pareció Tomas Rodríguez, natural de Badajoz en Estremadura, hijo de Gerónimo… », AGI CT leg. 4871.
173 Voir p. 218. Pour des cas de marins et soldats devenus artilleurs en pleine traversée de l’Atlantique, voir les nombreux exemples dans AGI CT leg. 3937 et AGI CT leg. 3915.
174 Pour la formation sur le terrain de ces individus, voir ce qu’écrivait le général Pedro de Zubiaur : AGS GYM leg. 378/98 (08/11/1593). Voir aussi « Orden e instrucción del modo y manera que se ha de tener para pelear en el Mar », Coll. Navarrete, vol. 22, doc. no 47 (année 1575).
175 « Haya hecho a lo menos un viaje a las Indias por marinero o artillero de alguna nao o soldado de la nao capitana o almiranta y constando de ello », AGI IG leg. 1968 lib. 21, fol. 7r (28/02/1576).
176 Examén de Juan de Toro (19/04/1581), de Juan Gutierrez (19/05/1581), AGI CT leg. 4871.
177 Voir figure 34. Données provenant de AGI CT leg. 4871, consultables sur https://cadmus.eui.eu//handle/1814/68555.
178 AGS GYM leg. 82/174 (27/10/1577).
179 Ley XXII, 11/03/1578, Recopilación de leyes de los reinos de las Indias, op. cit., Tomo III, p. 297.
180 Voir la base de données consultable sur https://cadmus.eui.eu//handle/1814/68555.
181 AGS GYM leg. 351/283 (06/03/1592).
182 Juan Ruiz de Baltodano témoigna en effet en 1593 devant les juges de la casa de la contratación afin que Muñoz el Bueno pût obtenir le poste d’artillero mayor. Voir « Andrés Muñoz el Bueno, artillero, sobre que se le haga merced del oficio que está vaco por Andrés de Espinosa », AGI IG leg. 2007.
183 AGI IG leg. 1968 lib. 21, fol. 7r.
184 Andrés Muñoz el Bueno, examen du 12/03/1604, AGI CT leg. 4871.
185 Examen du 19/04/1605, AGI CT leg. 4871.
186 Selon James Farr, la plupart des apprentissages commençaient entre les âges de 12 et 20 ans : Farr, James Richard, Artisans in Europe, 1300-1914, op. cit. p. 35.
187 Voir figure 35. Données consultables sur https://cadmus.eui.eu//handle/1814/68555.
188 Examen du 05/10/1605, AGI CT leg. 4871.
189 Pour Espinosa, voir AGS GYM leg. 114/202 (24/06/1581). Pour Ferrofino, voir AGS GYM leg. 370/313 (12/1592).
190 Voir le dossier « expediente sobre las exenciones de los artilleros de la Casa de la Contratación », AGI IG leg. 2007.
191 AGI CT leg. 746/4 (année 1598).
192 « Expediente sobre las exenciones de los artilleros de la Casa de la Contratación », AGI IG leg. 2007 (31/07/1602).
193 « Sabe y ha visto que el dicho Andrés Muñoz el Bueno artillero mayor ha leído y lee de ordinario en esta ciudad de Sevilla el dicho arte de su oficio públicamente a la cual lición este testigo se ha hallado muchas veces », ibid.
194 « Lo sabe este testigo por ser capitán y persona que trata con ellos [los artilleros] y los conoce y acude a casa del dicho artillero mayor y a su escuela », ibid.
195 AGI CT leg. 4871.
196 AGI CT leg. 746/4 (année 1598).
197 AGI IG leg. 1968 lib. 21, fol. 7r (28/02/1576).
198 AGI CT leg. 4871, examén de Juan Gutierrez (19/05/1581).
199 AGI CT leg. 2937 (année 1574).
200 AGI CT leg. 4871 et AGS GYM leg. 351/283 (06/03/1592). Voir les données consultables sur https://cadmus.eui.eu//handle/1814/68555.
201 AGI IG leg. 1968 lib. 21, fol. 3 (20/02/1576).
202 C’est-à-dire sur un échantillon de 601 apprentis dont les informations sont disponibles dans les documents : AGI CT leg. 4871 et AGS GYM leg. 351/283 (06/03/1592).
203 Le cas est détaillé au milieu des comptes rendus d’examens, AGI CT leg. 4871 (07/11/1606).
204 Sur ce thème, voir Herzog, Tamar, Defining Nations : Immigrants and citizens in Early Modern Spain and Spanish America, New Haven, Yale University Press, 2003.
205 AGI IG leg. 1953 lib. 5 fol. 228v-229 (30/08/1603).
206 AGI IG leg. 1968, lib. 21, fol. 3 (20/02/1576), fol. 5v-6v (25/02/1576), fol. 7r-8r (28/02/1576).
207 Deux quintaux de poudre livrés au docteur Julián Ferrofino au milieu de 1591, AGS GYM lib. 63, fol. 54v (02/07/1591). D’après le capitaine Francisco de Molina, Ferrofino recevait chaque année 4 quintaux de poudre pour les exercices de tir, AGI IG leg. 74/82 (22/06/1598).
208 « Las personas que acuden aprender esta arte son gente muy pobre […] los cuales sienten mucho haber de comprar la pólvora, balas con que han de tirar y a esta causa dejan de acudir al terrero que tanto importa », AGI IG leg. 2007, sans num. (09/04/1604).
209 AGS GYM leg. 351/283 (06/03/1592).
210 « Que el dicho artillero mayor sea obligado a tener escuela publica en que lea y enseñe el arte del artillería todos los días dos horas, una de 3 o 4 de la tarde, otra después de anochecido por que los oficiales y gente ocupada que no puede acudir entre dia se aproveche de la liçion de la noche », AGI IG leg. 2007 sans num. de folio (03/11/1595).
211 AGI CT leg. 746/4 (année 1598).
212 « Muchos marineros naturales del condado de Niebla, marquesado de Ayamonte y Sanlúcar dejan de acudir a la escuela y examen de artilleros por ser pobres y no poder asistir fuera de sus casas en Sevilla […] He tenido por bien que Vos el dicho Andrés Muñoz el Bueno en el tiempo que menos falta pueda hacer vuestra ausencia de la dicha ciudad de Sevilla, salgáis por los dichos lugares a platicar el artillería y habilitar los dichos marineros llevando para ello la pieza de artillería que tenéis en vuestro poder para exercitar los artilleros y alguna pólvora », AGI IG leg. 1957 lib. 5, fol. 242v (31/01/1602).
213 AGS GYM lib. 63, fol. 200v (17/07/1593).
214 AGS GYM leg. 82/174 (27/10/1577).
215 « Les ha visto este testigo ir sirviendo en las flotas y armadas de su Mag. de la Carrera de Indias y en los puertos y presidios della y mucho número de gente la que anda en el servicio y en los presidios » (capitaine Juan de Morales), « los ha visto y conocido residir en los presidios de la Havana y Cartagena » (capitaine Miguel de Valdés), « ha visto este testigo grande número y copia de artilleros en las armadas y flotas que van a las Indias y en los presidios dellas y en los de España » (capitaine Sancho de Beurco), AGI IG leg. 2007 (31/07/1602).
216 « Se han examinado muchas personas naturales de estos reinos que sirven a Vuestra Magestad en esta navegación de las Indias así en las naos de armada como en las de marchantía », AGI IG leg. 2006 (23/03/1586).
217 Le conseil des Indes à la casa de la contratación : « la falta que hay de artilleros para las armadas y flotas de las Indias », AGI IG leg. 1957 lib. 5 fol. 242v (31/01/1602). Le duc de Medina Sidonia au roi : « la falta de marineros y artilleros y artillería es la que Vuestra Majestad sabe, que tantas vezes se ha dicho para estas armadas », AGS GYM leg. 655/282 (06/11/1606).
218 Voir p. 294-295 et 302.
219 AGS GYM leg. 82/174 (27/10/1577).
220 « El exercicio de artilleria que enseña el dicho capitan resulta en bien universal destos Reynos y de todos los tratantes y navegantes en las Indias e yslas », AGI ESCRIBANIA leg. 1070A, fol. 88v.
221 « Dizen que no les toca a ellos solos y mirado bien tienen razón pues este exercicio es bien universal », AGI IG leg. 2006 (21/11/1584). Réponse du conseil des Indes : AGI IG leg. 1952 lib. 2, fol. 286v (05/12/1584).
222 Le taux d’avería passa de 1,7 % de la valeur des marchandises en 1585, à 4 % en 1587, puis à 8 % en 1591, année où sa gestion fut cédée en contrat privé, Chaunu, Huguette, Chaunu, Pierre, Séville et l’Atlantique, 1504-1650, op. cit., Tome 1, p. 208.
223 « Para que haya artilleros no es forçoso que haya maestros de artillería que sin él ha habido y hay muy buenos artilleros y como se ha navegado de tantos años a las Indias sin que hubiese maestro de artillería, se podrá navegar de aquí adelante », AGI ESCRIBANIA leg. 1070A, fol. 98v (21/10/1586).
224 « Expediente sobre las exenciones de los artilleros de la Casa de la Contratación », AGI IG leg. 2007 (31/07/1602).
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- ISBN: 978-2-406-11556-4
- EAN: 9782406115564
- ISSN: 2264-458X
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-11556-4.p.0289
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 08-11-2021
- Language: French