Résumés
- Publication type: Article from a collective work
- Collective work: Les Amours entre frère et sœur. L'inceste adelphique du Moyen Âge au début du xixe siècle
- Pages: 429 to 435
- Collection: Masculine/ Feminine in Modern Europe, n° 25
- Series: xviiie siècle, n° 10
Résumés
Marianne Closson, « Avant-propos »
L’inceste adelphique a été l’objet, dans la culture occidentale, d’un processus d’idéalisation qui en a fait un des modèles de l’amour parfait. Comment un acte aussi transgressif a-t-il pu devenir désirable ? Si les textes théologiques ou philosophiques distinguent clairement l’inceste entre frère et sœur – à l’origine de l’humanité dans de nombreuses cosmogonies – de l’inceste parental, c’est néanmoins à la littérature que l’on doit le topos, toujours renouvelé, des amours adelphiques.
Didier Lett, « L’inceste adelphique à la fin du Moyen Âge. Un “crime énorme, impie, détestable et abominable” »
Il y a chez les médiévistes peu de recherches sur l’inceste pris dans son sens contemporain de relations sexuelles au sein de la famille étroite. Or les fondements scripturaires, patristiques et théologiques, comme l’analyse de trois affaires découvertes dans les archives judiciaires de Bologne au xve siècle, montrent que l’inceste entre frère et sœur est d’autant plus « abominable » qu’il bafoue la relation adelphique considérée dans les sociétés chrétiennes comme un lien modèle et idéal.
Mireille Demaules, « Lettres et tablettes. Sens d’un motif dans trois cas d’inceste adelphique de la littérature médiévale »
Dans les trois célèbres légendes du Moyen Âge – celles du pape Grégoire, de Charlemagne et d’Arthur – l’inceste est révélé par un écrit (lettre ou tablettes d’ivoire) transmis ou lu par un clerc, et apparaît comme une transgression fondatrice de la souveraineté d’un roi, devenu une figure légendaire. Quant au mode savant de révélation de l’inceste, il reflète la volonté de l’Église d’imposer à la classe aristocratique l’interdiction des mariages consanguins.
430Christiane Page, « “Un cœur dans lequel le mien est enseveli”. John Ford, Dommage qu’elle soit une p… »
Ce premier texte théâtral à mettre en scène un inceste non pas subi, mais désiré, anticipe le discours de la psychanalyse. Si le premier choix d’objet des humains est régulièrement incestueux, il est dirigé chez l’homme vers la mère ou la sœur, le garçon pouvant prendre sa sœur en remplacement de la mère infidèle ou manquante. John Ford montre que les impératifs de la jouissance balaient les préceptes religieux, l’athéisme survenant en même temps que la revendication de l’inceste.
Catherine Dumas, « Le masque et le désir. L’adaptation théâtrale du viol de Tamar par Nicolas Chrétien des Croix et Tirso de Molina »
Dans ces deux adaptations théâtrales de l’épisode biblique de Tamar violée par son frère Amnon et vengée par son frère Absalon, La Tragédie d’Amnon et Tamar de Nicolas Chrétien des Croix (1608) et La venganza de Tamar de Tirso de Molina (1634), les dramaturges, tout en dévoilant les ressorts de la transgression, renvoient dos à dos Amnon, le frère violeur, et Absalon, le frère vengeur, meurtrier d’Amnon, qui sert sa propre ambition en lavant l’honneur de Tamar.
Frédéric Briot, « L’Inceste innocent de Nicolas Mary. Oxymore ou pléonasme ? »
Cet ouvrage paru en 1638 reprend l’histoire du double inceste du pape Grégoire apparue au cours du Moyen Âge : une mère commet un premier inceste avec son fils ; une fille naît de cette union, qui finit par épouser celui qui est à la fois son père et son frère. Or, si les versions antérieures insistent sur la question du péché de la mère, le titre de ce roman sur l’innocence ne manque pas d’intriguer, puisqu’il y a deux incestes (avérés), et une quasi absence de condamnation morale.
Sandrine Blondet, « L’inceste adelphique sur les théâtres parisiens. 1630-1650 »
La production théâtrale de cette période donne désormais régulièrement droit de cité à l’inceste adelphique, l’exploitation du thème suivant deux voies distinctes, selon que la pièce relève ou non du genre tragique. Le registre tragi-comique n’en propose qu’une utilisation pour rire : d’envergure restreinte, l’inceste se voit ravalé au rang de motif, d’ornement destiné à pimenter une intrigue connue d’avance. Le genre tragique en revanche approfondit l’horreur que cette union contre-nature éveille.
431Marie-Gabrielle Lallemand, « Le motif de l’inceste adelphique dans le long roman. De l’art de désamorcer les bombes »
Dans ces œuvres monumentales à visée encyclopédique, on ne relève que trois cas d’inceste adelphique. Dans deux de ces cas, le frère et la sœur ne se connaissent pas comme tels, et l’amour du frère pour la sœur ne survit pas à la reconnaissance qui intervient au dénouement de l’histoire. Et si le dernier cas met en conflit deux conceptions, naturelle ou contre-nature, de l’inceste adelphique, jamais le lecteur n’est confronté à la relation d’une transgression consciente et assumée.
Damien Lagarde, « L’affection entre frères et sœurs à travers les correspondances du xviiie siècle et du début du xixe siècle »
Dans ces lettres se dévoile, à travers leur façon de se dire leur affection, la représentation idéalisée que les frères et les sœurs ont de leur rôle. Des comparaisons entre différentes correspondances font émerger la spécificité du lien adelphique mixte, tandis qu’une réflexion plus générale permet de l’articuler avec les évolutions qui ont affecté la société et la famille à la charnière des périodes moderne et contemporaine.
Norbert Col, « L’inceste adelphique dans Moll Flanders de Daniel Defoe »
Au cours de son troisième mariage, Moll Flanders comprend qu’elle est mariée à son demi-frère. Or, ce qui distingue radicalement l’inceste de Moll du modèle tragique antique, c’est qu’il n’existe pas d’instance pour juger de tels actes, et les questions que pose Defoe se comprennent en fonction des vides juridiques de l’époque. L’inceste doit être envisagé dans un contexte plus vaste en le reliant à ces deux autres « fautes » dont Moll prétend ne pas être coupable : l’adultère et la bigamie.
Ilhem Belkahla, « Du romanesque au philosophique. La représentation de l’inceste adelphique dans Le Paysan perverti et La Paysanne pervertie de Rétif de La Bretonne »
Ces deux romans épistolaires semblent trahir les obsessions de Rétif pour l’inceste adelphique. En effet, Edmond et sa sœur Ursule trouvent dans la consommation charnelle l’aboutissement de leur corruption morale et physique. Mais alors que l’inceste devient l’instrument idéal de la représentation 432de la perversion des personnages, Rétif prend la défense, déclarée dans son journal et implicite dans son œuvre romanesque, des relations incestueuses.
Sonia Dosoruth, « Paul et Virginie. De la filiation gémellaire à la relation incestueuse »
La filiation « gémellaire » des deux protagonistes principaux, Paul et Virginie, est à mettre en relation avec l’espace clos donné comme paradisiaque de l’île, monde d’où sont exclues les figures paternelles. Les mères nourricières – Madame de la Tour et Marguerite – élèvent les enfants à la fois comme des frère et sœur mais aussi comme un couple futur. Les héros semblent dès lors « condamnés à l’inceste » dans cette île, refuge utérin aussi luxuriant qu’érotisé.
Catherine Ramond, « Trouble de l’identité, motif incestueux et hybridité générique dans quelques pièces de théâtre du xviiie siècle »
Le motif de l’inceste au xviiie siècle est lié, sous sa forme œdipienne, au genre de la tragédie. Pourtant, il trouve sa place, et notamment sous sa forme en mineur représentée par l’inceste adelphique, dans les formes hybrides et intermédiaires que sont la comédie sérieuse et le drame. Ces genres développent une dramaturgie liée aux questions d’identité, mais révèlent des ambiguïtés qui s’expriment plus librement dans les œuvres narratives clandestines, notamment chez Sade.
Béatrice Ferrier, « L’inceste (au) “prix du parricide” dans Le Fanatisme ou Mahomet le prophète de Voltaire »
Voltaire revisite l’inceste, topos repris par Crébillon, en le traitant comme la machination machiavélique d’un homme. L’amour adelphique, moteur de l’action, devient le symbole de la vertu persécutée par le fanatisme religieux. On ne peut que constater le traitement théâtral singulier de l’inceste adelphique, transformé par déplacements et détournements en outil dramaturgique dans la lutte contre les superstitions.
Anne-Gaëlle Weber, « L’inceste dans le discours des naturalistes des xviiie et xixe siècles »
La question du caractère naturel ou culturel de l’inceste pourrait en partie être réglée par l’observation des plantes ou des animaux. Le discours 433des premiers naturalistes classificateurs au xviiie siècle, puis des éleveurs au xixe siècle, ne permet pourtant pas de trancher définitivement le problème. Mais l’usage des mots désignant l’inceste ainsi que les récits supposés les illustrer sont la pierre de touche de la définition même, par les savants, de leurs discours et de leur discipline.
Marianne Closson, « L’inceste à la puissance 40. L’Icosameron de Casanova »
Édouard Alfrède et sa sœur Élisabeth, emportés par un maelstrom au centre de la terre, y rencontrent les représentants de la première humanité hermaphrodite. Pour coloniser ce paradis originel, le couple incestueux donne naissance de façon mécanique pendant quarante ans à des couples de jumeaux, qui, le jour de leurs dix ans, donnent à leur tour naissance à de nouveaux couples. Cette marée démographique permettra à l’humanité sexuée – ou plutôt au sexe mâle – d’imposer sa domination.
Georges Kliebenstein, « Stendhal et l’inceste total »
Stendhal, on le sait, est le chantre de l’inceste œdipien ; l’inceste latéral, en revanche, joue un rôle d’autant plus essentiel qu’il est masqué. L’Éros sororal, largement sous-estimé, travaille en sous-main dans le monde beyliste. Il traverse le corpus, depuis ses recoins les plus méconnus jusqu’aux œuvres les plus notoires, comme Le Rouge et le Noir. L’inceste adelphique irradie toute la Stendhalie, qui cumule les transgressions verticales et latérales, et postule un scandale « total ».
Évelyne Jacquelin, « Doubles et incestes adelphiques dans Les Élixirs du diable, d’Ernst Theodor Amadeus Hoffmann. 1815-1816 »
L’œuvre d’Hoffmann amplifie la noirceur « gothique » héritée du Moine de M. G. Lewis : les péchés mortels prolifèrent durant cinq générations, notamment sous la forme d’incestes répétés, et l’Éros adelphique est toujours lié à une violence criminelle incarnée dans la figure du double maléfique. Toutefois, à la tentatrice incestueuse répond l’âme sœur rédemptrice, comme une autre potentialité du moi. Or, le désir qu’inspire et partage celle-ci trouve son origine dans des figurations picturales.
434François Raviez, « Entre frère et cousin. Le même et l’autre dans Mansfield Park »
L’héroïne de Mansfield Park est amoureuse de son cousin Edmund, qui aime une autre femme dont le frère demande Fanny en mariage. Cependant, après bien des péripéties, elle parvient à épouser celui qui la considère comme une sœur et avec qui elle entretient depuis son enfance une relation fraternelle. Une endogamie salvatrice éloigne les étrangers : peut-on y voir, en lisant Jane Austen à la lumière de Lévi-Strauss et des Structures élémentaires de la parenté, une forme d’inceste ?
Alain Roger, « “T’infuser mon venin, ma sœur…” »
La psychanalyse, obsédée par le triangle œdipien, a manqué cette figure de la Sœur, ordinairement évincée au profit de l’imago maternelle, dont elle ne serait, au mieux, qu’un ersatz. Or, ce n’est pas comme substitut de la mère, mais comme « âme sœur », que l’amante est incestuée, pour le meilleur, la pureté, ou pour le pire, la perversion, à moins que ce ne soit l’inverse. L’issue est souvent triste, sinon sinistre : la rechute dans la trivialité, la friction frelatée dans un trou étriqué.
Françoise Zamour, « Marguerite et Julien de Valérie Donzelli. Un amour qui n’a pas de commencement »
Écrit pour François Truffaut par Jean Gruault à la fin des années soixante, le scénario, inspiré du destin de Marguerite et Julien de Ravalet exécutés en 1603, a donné lieu en 2015 à un film surprenant. Loin de la psychologie, de l’interrogation morale ou du scandale social, la réalisatrice situe le récit dans une temporalité indéterminée, faite d’anachronismes assumés et d’incongruités audacieuses : l’inceste n’est pas une transgression mais l’accomplissement, naturel et sauvage, de l’amour.
Cécile Dufour, « La rencontre avec l’inceste adelphique dans l’expérience d’une pédopsychiatre »
Que ce soit en consultation ou en expertise, les enfants victimes ou auteurs de passages à l’acte sexuel ne sont pas rares. Dans une perspective psychopathologique, l’hypothèse est que la sexualité entre frères et sœurs enfants 435est avant tout agressive et qu’elle est motivée par une attaque à la mère. Les familles souffrent en général d’un défaut d’interdits structurants. « On se met entre frères et sœurs par défaut, par carence, par violence, par perversion. Pas par romantisme. »
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-09583-5
- EAN: 9782406095835
- ISSN: 2261-5741
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-09583-5.p.0429
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 03-08-2020
- Language: French