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Classiques Garnier

Résumés

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Résumés

Marianne Closson, « Avant-propos »

Linceste adelphique a été lobjet, dans la culture occidentale, dun processus didéalisation qui en a fait un des modèles de lamour parfait. Comment un acte aussi transgressif a-t-il pu devenir désirable ? Si les textes théologiques ou philosophiques distinguent clairement linceste entre frère et sœur – à lorigine de lhumanité dans de nombreuses cosmogonies – de linceste parental, cest néanmoins à la littérature que lon doit le topos, toujours renouvelé, des amours adelphiques.

Didier Lett, « Linceste adelphique à la fin du Moyen Âge. Un “crime énorme, impie, détestable et abominable” »

Il y a chez les médiévistes peu de recherches sur linceste pris dans son sens contemporain de relations sexuelles au sein de la famille étroite. Or les fondements scripturaires, patristiques et théologiques, comme lanalyse de trois affaires découvertes dans les archives judiciaires de Bologne au xve siècle, montrent que linceste entre frère et sœur est dautant plus « abominable » quil bafoue la relation adelphique considérée dans les sociétés chrétiennes comme un lien modèle et idéal.

Mireille Demaules, « Lettres et tablettes. Sens dun motif dans trois cas dinceste adelphique de la littérature médiévale »

Dans les trois célèbres légendes du Moyen Âge – celles du pape Grégoire, de Charlemagne et dArthur – linceste est révélé par un écrit (lettre ou tablettes divoire) transmis ou lu par un clerc, et apparaît comme une transgression fondatrice de la souveraineté dun roi, devenu une figure légendaire. Quant au mode savant de révélation de linceste, il reflète la volonté de lÉglise dimposer à la classe aristocratique linterdiction des mariages consanguins.

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Christiane Page, « “Un cœur dans lequel le mien est enseveli”. John Ford, Dommage quelle soit une p… »

Ce premier texte théâtral à mettre en scène un inceste non pas subi, mais désiré, anticipe le discours de la psychanalyse. Si le premier choix dobjet des humains est régulièrement incestueux, il est dirigé chez lhomme vers la mère ou la sœur, le garçon pouvant prendre sa sœur en remplacement de la mère infidèle ou manquante. John Ford montre que les impératifs de la jouissance balaient les préceptes religieux, lathéisme survenant en même temps que la revendication de linceste.

Catherine Dumas, « Le masque et le désir. Ladaptation théâtrale du viol de Tamar par Nicolas Chrétien des Croix et Tirso de Molina »

Dans ces deux adaptations théâtrales de lépisode biblique de Tamar violée par son frère Amnon et vengée par son frère Absalon, La Tragédie dAmnon et Tamar de Nicolas Chrétien des Croix (1608) et La venganza de Tamar de Tirso de Molina (1634), les dramaturges, tout en dévoilant les ressorts de la transgression, renvoient dos à dos Amnon, le frère violeur, et Absalon, le frère vengeur, meurtrier dAmnon, qui sert sa propre ambition en lavant lhonneur de Tamar.

Frédéric Briot, « LInceste innocent de Nicolas Mary. Oxymore ou pléonasme ? »

Cet ouvrage paru en 1638 reprend lhistoire du double inceste du pape Grégoire apparue au cours du Moyen Âge : une mère commet un premier inceste avec son fils ; une fille naît de cette union, qui finit par épouser celui qui est à la fois son père et son frère. Or, si les versions antérieures insistent sur la question du péché de la mère, le titre de ce roman sur linnocence ne manque pas dintriguer, puisquil y a deux incestes (avérés), et une quasi absence de condamnation morale.

Sandrine Blondet, « Linceste adelphique sur les théâtres parisiens. 1630-1650 »

La production théâtrale de cette période donne désormais régulièrement droit de cité à linceste adelphique, lexploitation du thème suivant deux voies distinctes, selon que la pièce relève ou non du genre tragique. Le registre tragi-comique nen propose quune utilisation pour rire : denvergure restreinte, linceste se voit ravalé au rang de motif, dornement destiné à pimenter une intrigue connue davance. Le genre tragique en revanche approfondit lhorreur que cette union contre-nature éveille.

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Marie-Gabrielle Lallemand, « Le motif de linceste adelphique dans le long roman. De lart de désamorcer les bombes »

Dans ces œuvres monumentales à visée encyclopédique, on ne relève que trois cas dinceste adelphique. Dans deux de ces cas, le frère et la sœur ne se connaissent pas comme tels, et lamour du frère pour la sœur ne survit pas à la reconnaissance qui intervient au dénouement de lhistoire. Et si le dernier cas met en conflit deux conceptions, naturelle ou contre-nature, de linceste adelphique, jamais le lecteur nest confronté à la relation dune transgression consciente et assumée.

Damien Lagarde, « Laffection entre frères et sœurs à travers les correspondances du xviiie siècle et du début du xixe siècle »

Dans ces lettres se dévoile, à travers leur façon de se dire leur affection, la représentation idéalisée que les frères et les sœurs ont de leur rôle. Des comparaisons entre différentes correspondances font émerger la spécificité du lien adelphique mixte, tandis quune réflexion plus générale permet de larticuler avec les évolutions qui ont affecté la société et la famille à la charnière des périodes moderne et contemporaine.

Norbert Col, « Linceste adelphique dans Moll Flanders de Daniel Defoe »

Au cours de son troisième mariage, Moll Flanders comprend quelle est mariée à son demi-frère. Or, ce qui distingue radicalement linceste de Moll du modèle tragique antique, cest quil nexiste pas dinstance pour juger de tels actes, et les questions que pose Defoe se comprennent en fonction des vides juridiques de lépoque. Linceste doit être envisagé dans un contexte plus vaste en le reliant à ces deux autres « fautes » dont Moll prétend ne pas être coupable : ladultère et la bigamie.

Ilhem Belkahla, « Du romanesque au philosophique. La représentation de linceste adelphique dans Le Paysan perverti et La Paysanne pervertie de Rétif de La Bretonne »

Ces deux romans épistolaires semblent trahir les obsessions de Rétif pour linceste adelphique. En effet, Edmond et sa sœur Ursule trouvent dans la consommation charnelle laboutissement de leur corruption morale et physique. Mais alors que linceste devient linstrument idéal de la représentation 432de la perversion des personnages, Rétif prend la défense, déclarée dans son journal et implicite dans son œuvre romanesque, des relations incestueuses.

Sonia Dosoruth, « Paul et Virginie. De la filiation gémellaire à la relation incestueuse »

La filiation « gémellaire » des deux protagonistes principaux, Paul et Virginie, est à mettre en relation avec lespace clos donné comme paradisiaque de lîle, monde doù sont exclues les figures paternelles. Les mères nourricières – Madame de la Tour et Marguerite – élèvent les enfants à la fois comme des frère et sœur mais aussi comme un couple futur. Les héros semblent dès lors « condamnés à linceste » dans cette île, refuge utérin aussi luxuriant quérotisé.

Catherine Ramond, « Trouble de lidentité, motif incestueux et hybridité générique dans quelques pièces de théâtre du xviiie siècle »

Le motif de linceste au xviiie siècle est lié, sous sa forme œdipienne, au genre de la tragédie. Pourtant, il trouve sa place, et notamment sous sa forme en mineur représentée par linceste adelphique, dans les formes hybrides et intermédiaires que sont la comédie sérieuse et le drame. Ces genres développent une dramaturgie liée aux questions didentité, mais révèlent des ambiguïtés qui sexpriment plus librement dans les œuvres narratives clandestines, notamment chez Sade.

Béatrice Ferrier, « Linceste (au) “prix du parricide” dans Le Fanatisme ou Mahomet le prophète de Voltaire »

Voltaire revisite linceste, topos repris par Crébillon, en le traitant comme la machination machiavélique dun homme. Lamour adelphique, moteur de laction, devient le symbole de la vertu persécutée par le fanatisme religieux. On ne peut que constater le traitement théâtral singulier de linceste adelphique, transformé par déplacements et détournements en outil dramaturgique dans la lutte contre les superstitions.

Anne-Gaëlle Weber, « Linceste dans le discours des naturalistes des xviiie et xixe siècles »

La question du caractère naturel ou culturel de linceste pourrait en partie être réglée par lobservation des plantes ou des animaux. Le discours 433des premiers naturalistes classificateurs au xviiie siècle, puis des éleveurs au xixe siècle, ne permet pourtant pas de trancher définitivement le problème. Mais lusage des mots désignant linceste ainsi que les récits supposés les illustrer sont la pierre de touche de la définition même, par les savants, de leurs discours et de leur discipline.

Marianne Closson, « Linceste à la puissance 40. LIcosameron de Casanova »

Édouard Alfrède et sa sœur Élisabeth, emportés par un maelstrom au centre de la terre, y rencontrent les représentants de la première humanité hermaphrodite. Pour coloniser ce paradis originel, le couple incestueux donne naissance de façon mécanique pendant quarante ans à des couples de jumeaux, qui, le jour de leurs dix ans, donnent à leur tour naissance à de nouveaux couples. Cette marée démographique permettra à lhumanité sexuée – ou plutôt au sexe mâle – dimposer sa domination.

Georges Kliebenstein, « Stendhal et linceste total »

Stendhal, on le sait, est le chantre de linceste œdipien ; linceste latéral, en revanche, joue un rôle dautant plus essentiel quil est masqué. LÉros sororal, largement sous-estimé, travaille en sous-main dans le monde beyliste. Il traverse le corpus, depuis ses recoins les plus méconnus jusquaux œuvres les plus notoires, comme Le Rouge et le Noir. Linceste adelphique irradie toute la Stendhalie, qui cumule les transgressions verticales et latérales, et postule un scandale « total ».

Évelyne Jacquelin, « Doubles et incestes adelphiques dans Les Élixirs du diable, dErnst Theodor Amadeus Hoffmann. 1815-1816 »

Lœuvre dHoffmann amplifie la noirceur « gothique » héritée du Moine de M. G. Lewis : les péchés mortels prolifèrent durant cinq générations, notamment sous la forme dincestes répétés, et lÉros adelphique est toujours lié à une violence criminelle incarnée dans la figure du double maléfique. Toutefois, à la tentatrice incestueuse répond lâme sœur rédemptrice, comme une autre potentialité du moi. Or, le désir quinspire et partage celle-ci trouve son origine dans des figurations picturales.

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François Raviez, « Entre frère et cousin. Le même et lautre dans Mansfield Park »

Lhéroïne de Mansfield Park est amoureuse de son cousin Edmund, qui aime une autre femme dont le frère demande Fanny en mariage. Cependant, après bien des péripéties, elle parvient à épouser celui qui la considère comme une sœur et avec qui elle entretient depuis son enfance une relation fraternelle. Une endogamie salvatrice éloigne les étrangers : peut-on y voir, en lisant Jane Austen à la lumière de Lévi-Strauss et des Structures élémentaires de la parenté, une forme dinceste ?

Alain Roger, « “Tinfuser mon venin, ma sœur…” »

La psychanalyse, obsédée par le triangle œdipien, a manqué cette figure de la Sœur, ordinairement évincée au profit de limago maternelle, dont elle ne serait, au mieux, quun ersatz. Or, ce nest pas comme substitut de la mère, mais comme « âme sœur », que lamante est incestuée, pour le meilleur, la pureté, ou pour le pire, la perversion, à moins que ce ne soit linverse. Lissue est souvent triste, sinon sinistre : la rechute dans la trivialité, la friction frelatée dans un trou étriqué.

Françoise Zamour, « Marguerite et Julien de Valérie Donzelli. Un amour qui na pas de commencement »

Écrit pour François Truffaut par Jean Gruault à la fin des années soixante, le scénario, inspiré du destin de Marguerite et Julien de Ravalet exécutés en 1603, a donné lieu en 2015 à un film surprenant. Loin de la psychologie, de linterrogation morale ou du scandale social, la réalisatrice situe le récit dans une temporalité indéterminée, faite danachronismes assumés et dincongruités audacieuses : linceste nest pas une transgression mais laccomplissement, naturel et sauvage, de lamour.

Cécile Dufour, « La rencontre avec linceste adelphique dans lexpérience dune pédopsychiatre »

Que ce soit en consultation ou en expertise, les enfants victimes ou auteurs de passages à lacte sexuel ne sont pas rares. Dans une perspective psychopathologique, lhypothèse est que la sexualité entre frères et sœurs enfants 435est avant tout agressive et quelle est motivée par une attaque à la mère. Les familles souffrent en général dun défaut dinterdits structurants. « On se met entre frères et sœurs par défaut, par carence, par violence, par perversion. Pas par romantisme. »