[Introduction à la première partie]
- Publication type: Book chapter
- Book: La Fabrique du roman classique. Lire, éditer, enseigner les romans du xviie siècle de 1700 à 1900
- Pages: 23 to 24
- Collection: Reading the Seventeenth Century, n° 81
- Series: Romans, contes et nouvelles, n° 12
Tout au long du xviiie siècle, la réflexion sur le roman convoque fréquemment les nombreux ouvrages publiés durant le siècle précédent. Ce discours prend des formes variées et généralement bien distinctes – dictionnaires, tableaux de la littérature, essais, traités, préfaces et collections. Il hérite de la tradition du discours poétique qui s’est instituée au xviie siècle, d’abord par les écrits de romanciers (préfaces et avertissements des Scudéry, commentaires insérés dans les récits des Scudéry ou de Segrais, mais surtout traités de Huet et de Du Plaisir). Les principes établis par ces derniers ont établi une conception unifiée et assez restrictive du genre romanesque, qui ne correspond qu’en partie à la pratique. Dans les décennies qui suivent, ils sont d’autant plus déterminants qu’ils participent de la sélection du corpus romanesque jugé régulier et donc conforme au bon goût et aux exigences du lectorat.
À la réflexion sur le genre il faut adjoindre les entreprises de « rajeunissement » du corpus romanesque, abrégés et adaptations, qui visent à transformer les œuvres pour les mettre au goût du jour. Engagées à la fin du xviie siècle, elles se multiplient ultérieurement. Les bibliothèques de romans constituent en particulier une véritable mine, offrant par les choix qu’elles opèrent et les quelques commentaires qui accompagnent les résumés de romans un regard sur la manière dont le corpus est désormais appréhendé et apprécié par les lecteurs1. À travers ce double prisme se dessine un corpus romanesque que les xviiie et xixe siècles établissent en canon romanesque du siècle de Louis XIV : il laisse peu de place aux nombreux récits de cette période qui sortent du cadre élaboré par Huet et figé par Du Plaisir.
L’histoire littéraire se borne lors de ses débuts avec Goujet et La Harpe aux genres consacrés, laissant au roman une place secondaire. La réflexion, qu’elle soit historique ou poétique, se caractérise le plus souvent par le mépris pour la forme romanesque, a fortiori pour la production du siècle précédent2. L’article « roman » de l’Encyclopédie constitue ainsi un 24jalon vers la réflexion du xixe siècle : il propose une histoire nationale du roman, dont les grandes œuvres forment un ensemble cohérent et qui est marqué par une progression graduelle, de L’Astrée à La Nouvelle Héloïse3. Le xixe siècle prolonge par certains aspects cette démarche historique profondément sélective : certains corpus se trouvent survalorisés au détriment d’autres pans de la production littéraire. Mais, surtout, sont alors élaborées des catégories historiographiques vouées à un immense succès dont l’objectivité apparente cache les présupposés et les implications.
D’un siècle à l’autre, l’évolution est double. Durant le xviiie siècle, il s’agit dans le discours tenu sur la littérature de divertir, de transmettre le bon goût et de former une culture, tandis qu’au siècle suivant, la finalité est avant tout de l’ordre de l’enseignement. Ce changement de paradigme s’accompagne d’un changement de forme. Avant la Révolution, la bibliothèque est la principale forme dans laquelle s’élabore un discours littéraire, avec pour double finalité de divertir et de cultiver4. Après cette rupture, ce sont des textes à visée plus historique, ou parfois à visée didactique, qui sont proposés aux lecteurs – lesquels sont souvent des élèves auxquels il convient de donner des clés de compréhension tout en leur fournissant un savoir. L’histoire littéraire prend en effet une inflexion particulière et un essor spectaculaire au tournant de ces deux siècles ; c’est le fait de facteurs multiples, mais l’enseignement y est central.
1 Sur ces entreprises, voir p. 117-121.
2 Voir J.-P. Sermain, « La Bibliothèque de l’abbé Prévost (1728-1742) : le genre romanesque entre la poétique et l’histoire », La réception du roman français du xviie siècle en France de 1660 à 1789, dans Œuvres et critiques, vol. XII, no 1, 1987, p. 151-158.
3 Voir V. Kapp, « L’article “roman” de l’Encyclopédie et les problèmes de la réception des romans du xviiie siècle dans les Dictionnaires de Bayle et de Sabatier de Castres », ibid., p. 179-191.
4 La pratique des « bibliothèques », très importante au xviiie siècle du fait notamment de la Bibliothèque universelle des romans, mais également d’autres recueils comme la « Bibliothèque de campagne », ne disparaît pas mais se transforme et donne lieu à des « collections », comme celle réalisée par Louise de Kéralio. Voir p. 125-126.
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-15041-1
- EAN: 9782406150411
- ISSN: 2257-915X
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-15041-1.p.0023
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 08-23-2023
- Language: French