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Classiques Garnier

[Introduction à la première partie]

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : La Fabrique du roman classique. Lire, éditer, enseigner les romans du xviie siècle de 1700 à 1900
  • Pages : 23 à 24
  • Collection : Lire le xviie siècle, n° 81
  • Série : Romans, contes et nouvelles, n° 12
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406150411
  • ISBN : 978-2-406-15041-1
  • ISSN : 2257-915X
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-15041-1.p.0023
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 23/08/2023
  • Langue : Français
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Tout au long du xviiie siècle, la réflexion sur le roman convoque fréquemment les nombreux ouvrages publiés durant le siècle précédent. Ce discours prend des formes variées et généralement bien distinctes – dictionnaires, tableaux de la littérature, essais, traités, préfaces et collections. Il hérite de la tradition du discours poétique qui sest instituée au xviie siècle, dabord par les écrits de romanciers (préfaces et avertissements des Scudéry, commentaires insérés dans les récits des Scudéry ou de Segrais, mais surtout traités de Huet et de Du Plaisir). Les principes établis par ces derniers ont établi une conception unifiée et assez restrictive du genre romanesque, qui ne correspond quen partie à la pratique. Dans les décennies qui suivent, ils sont dautant plus déterminants quils participent de la sélection du corpus romanesque jugé régulier et donc conforme au bon goût et aux exigences du lectorat.

À la réflexion sur le genre il faut adjoindre les entreprises de « rajeunissement » du corpus romanesque, abrégés et adaptations, qui visent à transformer les œuvres pour les mettre au goût du jour. Engagées à la fin du xviie siècle, elles se multiplient ultérieurement. Les bibliothèques de romans constituent en particulier une véritable mine, offrant par les choix quelles opèrent et les quelques commentaires qui accompagnent les résumés de romans un regard sur la manière dont le corpus est désormais appréhendé et apprécié par les lecteurs1. À travers ce double prisme se dessine un corpus romanesque que les xviiie et xixe siècles établissent en canon romanesque du siècle de Louis XIV : il laisse peu de place aux nombreux récits de cette période qui sortent du cadre élaboré par Huet et figé par Du Plaisir.

Lhistoire littéraire se borne lors de ses débuts avec Goujet et La Harpe aux genres consacrés, laissant au roman une place secondaire. La réflexion, quelle soit historique ou poétique, se caractérise le plus souvent par le mépris pour la forme romanesque, a fortiori pour la production du siècle précédent2. Larticle « roman » de lEncyclopédie constitue ainsi un 24jalon vers la réflexion du xixe siècle : il propose une histoire nationale du roman, dont les grandes œuvres forment un ensemble cohérent et qui est marqué par une progression graduelle, de LAstrée à La Nouvelle Héloïse3. Le xixe siècle prolonge par certains aspects cette démarche historique profondément sélective : certains corpus se trouvent survalorisés au détriment dautres pans de la production littéraire. Mais, surtout, sont alors élaborées des catégories historiographiques vouées à un immense succès dont lobjectivité apparente cache les présupposés et les implications.

Dun siècle à lautre, lévolution est double. Durant le xviiie siècle, il sagit dans le discours tenu sur la littérature de divertir, de transmettre le bon goût et de former une culture, tandis quau siècle suivant, la finalité est avant tout de lordre de lenseignement. Ce changement de paradigme saccompagne dun changement de forme. Avant la Révolution, la bibliothèque est la principale forme dans laquelle sélabore un discours littéraire, avec pour double finalité de divertir et de cultiver4. Après cette rupture, ce sont des textes à visée plus historique, ou parfois à visée didactique, qui sont proposés aux lecteurs – lesquels sont souvent des élèves auxquels il convient de donner des clés de compréhension tout en leur fournissant un savoir. Lhistoire littéraire prend en effet une inflexion particulière et un essor spectaculaire au tournant de ces deux siècles ; cest le fait de facteurs multiples, mais lenseignement y est central.

1 Sur ces entreprises, voir p. 117-121.

2 Voir J.-P. Sermain, « La Bibliothèque de labbé Prévost (1728-1742) : le genre romanesque entre la poétique et lhistoire », La réception du roman français du xviie siècle en France de 1660 à 1789, dans Œuvres et critiques, vol. XII, no 1, 1987, p. 151-158.

3 Voir V. Kapp, « Larticle “roman” de lEncyclopédie et les problèmes de la réception des romans du xviiie siècle dans les Dictionnaires de Bayle et de Sabatier de Castres », ibid., p. 179-191.

4 La pratique des « bibliothèques », très importante au xviiie siècle du fait notamment de la Bibliothèque universelle des romans, mais également dautres recueils comme la « Bibliothèque de campagne », ne disparaît pas mais se transforme et donne lieu à des « collections », comme celle réalisée par Louise de Kéralio. Voir p. 125-126.