Introduction
- Publication type: Journal article
- Journal: Études digitales
2019 – 1, n° 7. Youtoubeurs, youtubeuses : inventions subjectives - Authors: Cormerais (Franck), Gilbert (Jacques Athanase), Vignon (Daphné), Khatchatourov (Armen)
- Pages: 11 to 13
- Journal: Digital Studies
INTRODUCTION
Nous avons confié la direction du dossier thématique de ce numéro 7 d’Études digitales à David Douyère et à ses collègues Angèle Stalder, Jeremie Nicey, Gustavo Gomez-Mejia et Samuel Tietse : « Youtubeurs, youtubeuses : inventions subjectives ». L’idée de consacrer un numéro à Youtube constitue de notre point de vue une prise de position au regard du débat plus général sur les digital humanities, les « humanités numériques », telles qu’on les désigne le plus souvent en France. La définition donnée par Wikipédia1, le 10 septembre 2019, paraît plutôt contorsionnée, comme si des pressions contraires et complémentaires avaient exercé simultanément leurs forces et fini par produire une sorte d’intermédiaire entre le millefeuille et le pudding ! La question est plus généralement celle de la relation entre le format et les contenus, les outils et l’impact. Il faut penser le digital comme un écosystème au sein duquel il est difficile d’appréhender les « savoir-faire » technologiques sans considérer l’effet produit. Nous avions, dès les premiers numéros d’Études digitales, posé la question du choix entre « numérique » et « digital », et défendu notre choix du second terme plutôt que du premier pour nommer notre revue. La question n’est, bien entendu, pas seulement un problème de nomenclature, elle engage une certaine manière d’envisager les humanités comme des savoirs des sciences humaines au sens large, c’est-à-dire incluant aussi la littérature et les productions culturelles et artistiques. Selon notre point de vue, il ne s’agit pas en effet seulement d’appliquer des outils informatiques à des corpus de données ; cela réduirait les humanités digitales à un champ applicatif sans que celles-ci soient complètement en mesure d’en apprécier le résultat. Notre choix du terme « digital » porte en français ce caractère spécifique du toucher qu’on peut ici envisager comme la métaphore du rapport interfaciel que 12les sciences humaines et sociales entretiennent avec le « numérique ». Renoncer à cette spécificité des humanités qui consiste fondamentalement à interroger la place de l’homme au sein des sociétés, à travers ses productions culturelles et sociales mais aussi techniciennes, reviendrait à perdre le sens initial du terme « humanités » qui ne trouve son sens qu’à travers la compréhension que l’homme peut avoir de lui-même. Ce serait surtout accepter de « filialiser » les humanités et risquer de les déposséder de leur épistémologie propre. Il faut envisager une culture mixte capable d’appréhender les outils et les productions sur un mode enrichi de réciprocité. En effet, l’outil n’est pas qu’un moyen, il établit un mode relationnel propre dans toutes ses dimensions : qu’elles soient culturelles, sociales et anthropologiques et quand elles concernent la création, qui ne se trouvent pas dissoutes dans le concept un peu creux de « créativité ». Car l’innovation, on le voit aujourd’hui avec les crises écologiques et politiques, n’a de sens que pour des sociétés humaines. Elle ne peut être considérée comme relevant d’un ordre « technique » qu’à la mesure de son caractère performatif pour les sociétés qui l’adoptent.
Ainsi, la boucle de rétroaction est-elle systémique : on croit avoir trouvé un nouvel outil en vue d’un usage déterminé et ce qui « arrive » est tout autre que ce qu’on attendait. Les responsables du dossier l’indiquent très bien : Youtube est tout d’abord un phénomène absolument massif bien qu’il n’entre pas vraiment dans une des catégories qui l’ont précédé. Ainsi, il se fait à la fois familier et étrange comme une sorte de miroir déformant de la réalité technologique et triviale dans laquelle nous visons et plus spécifiquement les générations les plus jeunes.
On pourrait par conséquent être tenté de ne pas le considérer comme un objet académique, ni même culturel mais comme un « terrain ». Ce serait certainement une erreur dans la mesure où précisément l’intérêt de Youtube se situe dans l’interaction d’une technologie avec le contenu qu’il suscite et fait apparaître, c’est-à-dire une « culture ». Bien évidemment, la rhétorique d’une approche scientifique axiologiquement neutre de l’objet « Youtube » reste sans doute à construire. Les membres de l’équipe Prim (EA7503), « Pratiques et ressources de l’information et des médiations », créée en 2016 à l’université de Tours ont tout d’abord organisé un colloque « Youtubeurs, youtubeuses : figure – formats – savoirs – pouvoir » qui a précédé l’appel à communication pour ce dossier thématique. Les enseignants-chercheurs de Prim travaillent à 13la fois sur l’information journalistique en régime numérique, sur le fact checking et les fake news (J. Nicey), sur l’information numérique (S. Tietse, A. Stalder), et sur les réseaux sociaux numériques (G. Gomez-Mejia), ou sur la communication religieuse, notamment numérique (D. Douyère). L’idée du dossier est née de la curiosité, rapportée par David Douyère, suscitée au sein de son équipe de recherche, par cet objet émergent comme les « youtubeurs », en dialogue avec les sensibilités propres de ses collègues (médiatiques, sémiologiques, documentaires, socio-économiques). David Douyère s’en explique : « ce désir de dossier est né de l’observation de pratiques adolescentes et de la relation singulière que peuvent entretenir les jeunes (et des étudiants) avec “la vidéo” et avec Youtube en particulier, où des relations singulières et informatives semblent se construire. Cet objet étant “non noble”, passé un peu sous le radar, il nous a semblé intéressant et original de l’étudier, dans la perspective de nos analyses des dispositifs communicationnels et de la façon dont ils “alpaguent” les subjectivités2 ». Tel est l’expression du « désir » que nous avons souhaité présenter dans ce numéro.
Le Grand entretien est consacré à Dominique Boullier, Professeur de sociologie, qui retrace à l’occasion de la publication de la seconde édition, nettement remaniée de son ouvrage, « Sociologie du numérique » son long parcours de recherche et d’enseignement autour des interactions entre les technologies digitales et les sociétés contemporaines.
Nous ajoutons dans notre rubrique « Institutions », une présentation du site roland-barthes.org par Mathieu Messager.
Jacques Athanase Gilbert
Franck Cormerais
Daphné Vignon
Armen Khatchatourov
- CLIL theme: 3157 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Sciences de l'information et de la communication
- ISBN: 978-2-406-10419-3
- EAN: 9782406104193
- ISSN: 2497-1650
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-10419-3.p.0011
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 04-01-2020
- Periodicity: Biannual
- Language: French
- Keyword: Internet, YouTube, content, digital culture, new media