Herméneutique du digital Les limites techniques de l'interprétation
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Études digitales
2017 – 1, n° 3. Variations digitales et transformation du milieu - Auteur : Romele (Alberto)
- Pages : 55 à 74
- Revue : Études digitales
Herméneutique du digital
Les limites techniques de l’interprétation
Introduction
Une triple réflexion d’ordre sémantique s’impose à propos du titre. Premièrement, le « du » [digital] doit être compris ici à la manière subjective du génitif. Cet article représente en effet seulement le premier moment, la pars destruens, d’un travail en deux étapes. Dans ce contexte, le digital – terme que nous allons définir – sera utilisé afin de dé(cons)truire une certaine tradition herméneutique.
Deuxièmement, « herméneutique » ne se réfère pas aux techniques d’interprétation des textes. Ce terme renvoie plutôt à une tradition philosophique qui commence avec Heidegger et se poursuit avec des auteurs tels que Gadamer et Ricœur. Toutefois, notre positionnement n’est pas éloigné de celui de Peter Szondi dans son Introduction à l’herméneutique littéraire (1989). En renvoyant à Schleiermacher, le philologue d’origine hongroise s’est employé à combiner une lecture interne des œuvres avec une histoire littéraire renouvelée. Autrement dit, à rebours d’une approche structuraliste, cet auteur a essayé de redonner au texte son ancrage historique. En outre, Szondi n’a pas fait abstraction de la nature même des objets de sa recherche, du genre de textes qu’il étudiait. En somme, à la différence de la plupart des approches philosophiques, son herméneutique reste « orientée objet ». S’il y a une limite à sa perspective, elle tient au fait qu’il n’a jamais fait d’herméneutique matérielle en dehors de la pratique philologique : « Une herméneutique critique […] concerne non seulement les savoirs philologiques, mais aussi bien les autres sciences humaines et sociales. […] En cela, il ne s’agit pas d’aligner la problématique des sciences sociales sur celle des textes, comme cela a été fait de façon parfois trop 56immédiate, mais de réfléchir aux opérations conceptuelles à l’œuvre dans ces savoirs1 ».
Troisièmement, entre « numérique » et « digital » le choix a été ardu. La distinction entre « numérique » comme terme qui renvoie au calcul et « digital » comme mot qui fait penser aux doigts qui touchent un écran tactile ou aux empreintes qu’ils laissent est plutôt artificielle. Comme l’observe Cohen, « le mot digital penche du côté du latin classique digitus qui ne renvoie pas seulement à un doigt ou à un orteil, mais aussi à la longueur d’un doigt, mesure définie par abstraction à partir de l’organe lui-même. Par métonymie, cette partie du corps et son double abstrait en vinrent à référer en latin post-classique à n’importe quel nombre entier inférieur à dix2 ». Néanmoins, on opte pour « digital » parce qu’il permet de voir les deux aspects : c’est avec les doigts que nous avons appris à compter et c’est à travers les doigts que nous avons commencé à saisir les choses du monde. Comme avec toute substantialisation, le mot « digital » nous fait risquer de mettre sous la même étiquette des phénomènes fort différents. On le sait, l’affirmation d’Aristote selon laquelle « l’être se dit en plusieurs sens » a été pendant longtemps occultée au profit de l’être-présent de la substance (ousia). De même, le risque est de réduire la polyvocité du digital à un seul objet technique – l’ordinateur, Internet, le portable, etc. –, à une seule fonction – le calcul, la mémoire, l’algorithme, l’information, etc. – ou à un seul effet – le choix, la traçabilité, la gouvernementalité, etc. Le digital doit alors être traité comme un ensemble technique, dans le sens 57que Gilbert Simondon donnait à ce terme. Un ensemble technique est « un ensemble d’individus ayant une relation technique déterminée. Si elle est trop lâche, l’ensemble se dissout ; si la relation est trop serrée, les individus deviennent des simples parties d’une grosse machine, d’un individu de grande taille, l’ensemble, s’est individualisé entièrement3 ».
L’argumentation sera développée en deux étapes. La première partie fera la double hypothèse que l’herméneutique philosophique est une réflexion sur les limites de l’interprétation, et que ces limites fluctuent selon les techniques dont l’homme dispose. La deuxième étape consistera à démontrer que le digital est un ensemble technique qui tend à annuler les limites de l’interprétation. La conclusion envisagera le point d’inversion, le moment dans lequel le génitif du titre devient un génitif objectif.
Herméneutique
et (philosophie de la) technique
La première hypothèse de cet article est, comme nous venons de le dire, que l’herméneutique n’est rien d’autre qu’une méditation sur les limites de l’interprétation. La fameuse maxime gadamerienne selon laquelle « l’être qui peut être compris est langage » a fait couler beaucoup d’encre. Certains ont mis l’accent sur le langage, tandis que d’autres l’ont mis sur l’être4. Or, selon la perspective proposée ici, la phrase est volontairement ambiguë, car elle montre en même temps la grande puissance du langage, mais aussi qu’il y a toute une partie de l’être qui ne peut pas être dite, et qui ne peut donc pas être objet d’interprétation. À l’extérieur, l’herméneutique confine avec ce que le « premier » Heidegger appelait l’être du Dasein. À l’intérieur, elle confine avec ce qui pour Husserl était le « monde de la vie » (Lebenswelt) et pour le jeune Heidegger, sous l’influence de Dilthey, l’« expérience 58vécue » (Erlebnis). À partir de cette distinction, deux ordres de critiques sont possibles.
Le premier concerne ce qu’à partir d’Heidegger on appelle l’« être des étants ». De ce point de vue, Être et Temps représente à la fois le sommet et l’échec de l’herméneutique heideggerienne. Le sommet, car la compréhension des catégories de l’existence est érigée au rang de nécessité ontologique. L’échec, parce que si la question centrale devient celle de l’être et de son oubli, comme il est dit au début de l’ouvrage, alors le problème du monde de la vie est déjà dépassé. Et ce n’est pas un hasard si, après cette œuvre majeure, le terme « herméneutique » ne revient presque jamais dans les écrits du philosophe allemand. Quand il l’utilise, comme dans l’« entretien sur la Parole » ou « dialogue avec un Japonais » publié dans Acheminement vers la parole, l’herméneutique n’est comprise ni comme une technique pour approcher les textes, ni comme une tentative de comprendre l’essence interprétative du Dasein, mais plutôt comme l’attente passive du sens de l’être. Après le « tournant » (Kehre), Heidegger attribue à l’être des fonctions de sens qu’il attribuait auparavant à l’homme. Comme on l’a démontré ailleurs, interprétation et ontologie de l’être sont inconciliables5. La première est l’initiative humaine pour comprendre certaines choses du monde, tandis que la deuxième implique l’écoute passive d’une instance supérieure. Dans son attitude ontologique, l’herméneutique est le court-circuit entre ces deux perspectives. Or c’est précisément sur les limites externes de l’herméneutique que se positionne la méditation d’Heidegger sur la technique. Comme le dit Carl Mitcham, « la question prépondérante pour Heidegger est celle de l’Être. Il est remarquable que des trois travaux qu’Heidegger intitule “La Question de…”, […] une est “La Question de l’Être” (1955), une autre “La Question de la Chose” (1967), et une troisième “La Question de la Technique”. Ceci nous suggère le besoin d’examiner la “question de la technique” particulièrement en relation avec la “question de l’Être” et peut-être aussi avec la “question de la chose”6 ». La technique moderne recouvre ou obscurcit non seulement la « chosité » dans les choses, mais aussi et surtout l’Être même. Il ne 59suffit donc pas de « déromantiser7 » Heidegger pour en faire un penseur de la technique d’aujourd’hui, car sa pensée de la technique se situe sur la mauvaise frontière de l’herméneutique.
En effet, et c’est notre deuxième hypothèse, la technique concerne les limites internes de l’interprétation. L’herméneutique a généralement traité ces limites comme si elles étaient grosso modo stables. Nous soutenons, au contraire, qu’il s’agit de frontières en mouvement et que la technique est précisément parmi les éléments qui font le plus basculer les frontières entre le monde de la vie et les idéalités de la connaissance.
Selon le philosophe américain Don Ihde8, le but d’une phénoménologie de la technique est de montrer les différentes relations technologiquement médiatisées entre le sujet et son environnement. En particulier, il distingue parmi trois relations entre soi, la technologie et le monde :
1. (Soi-Technologie) → Monde
2. Soi → (Technologie-Monde)
3. Soi → Technologie(-Monde)
La première relation, qu’il appelle « incarnée (embodied) », est exemplifiée par l’utilisation d’instruments de (micro)perception tels que lunettes, audioprothèses, etc. La première fois que nous mettons une paire de lunettes, par exemple, nous avons besoin d’apporter des petits ajustements, en raison du reflet ou des changements de motilité spatiale qu’elles entraînent par exemple, mais, une fois « apprise », la technologie devient quasiment transparente. La troisième relation, qu’il dit d’« altérité », trouve son paradigme dans les jeux vidéo qui nous font interagir avec quelque chose d’autre part rapport à nous, à savoir un compétiteur. La deuxième relation est celle qu’Ihde qualifie d’« herméneutique ». Comme c’est déjà le cas des relations incarnées, elle poursuit aussi un intérêt pour le monde. Pourtant, dans les relations herméneutiques, l’attention interprétative est d’abord orientée vers la technologie elle-même, comme c’est le cas avec une carte géographique ou un thermomètre.
60Il faut dire que la triple distinction proposée par Ihde est intenable. Une paire de lunettes, une audioprothèse et plus généralement toute technologie visant à rendre une intentionnalité « naturelle », n’arrive jamais à donner une parfaite impression de transparence. Comme le savent bien tous ceux qui portent des lunettes, il y a toujours au moins une petite tâche sur les verres qui marque la présence de quelque chose entre le regard et le monde. Et d’ailleurs, le binoclard le plus appliqué à tenir ces verres propres ne peut éviter lui-même d’apercevoir les contours de la monture. Dans le cas des jeux vidéo, la physique des interfaces – des manettes, même les plus ergonomiques, des écrans, des claviers, etc. – renvoie toujours à la présence d’un monde qui voudrait être aboli. Ceci est vrai aussi pour les meilleures technologies immersives existantes. Si on voulait faire l’expérience de pensée d’une réalité virtuelle parfaite, on ne pourrait pas échapper à la conscience du temps. Un homme parfaitement immergé sur l’instant conservera la conscience de son passé et de son futur au-delà de la réalité virtuelle dans laquelle il se trouve. On pourrait enfin pousser l’expérience de pensée jusqu’à imaginer un univers comme celui de la trilogie Matrix, dans laquelle les hommes sont dès leur naissance immergés dans un monde virtuel et la plupart d’entre eux destinés à y rester toute leur vie. Et pourtant, la présence d’une « anomalie » dans le système, Néo l’« Élu » et les autres révolutionnaires, montre combien il est difficile de faire perdre aux hommes la conscience et le désir du réel. En somme, loin d’être un mode de relation parmi d’autres, les relations herméneutiques sont le paradigme de toute présence humaine au monde9.
Comme l’écrit encore Ihde, les relations herméneutiques ont des effets de « magnification-réduction » sur la chose visée. Par exemple, un télescope permet de mieux voir les étoiles mais il le fait en isolant en même temps une partie du ciel. Bien évidemment, les effets de magnification-réduction changent selon la technologie utilisée. Les 61cartes géographiques diffèrent selon qu’elles représentent ou négligent certains aspects d’un même territoire. Dans la même ville se trouvent des systèmes de vidéo-surveillance, des instruments pour relever la température, révéler la pollution atmosphérique et sonore, détecter les mouvements du terrain et des bâtiments, etc. Chacun entre eux augmente la capacité « normale » de perception de l’homme, mais se limite en général à une seule fonction, « voir », « écouter », « sentir », « goûter », « toucher » ou autre. Même dans les intégrations les plus avancées de données relatives à une réalité urbaine – que le modèle soit la Smart City centralisée ou la Wikicity collaborative – les effets des magnification-réduction sont incontournables.
Or, l’herméneutique philosophique n’a jamais accordé beaucoup d’attention aux médiations techniques et, par conséquent, a considéré les limites entre monde de la vie et idéalités comme étant quasi stables10. La seule technique à laquelle les herméneutes se sont vraiment intéressés est le langage, et c’est au modèle du langage qu’ils ont réduit toute considération sur les technologies. Le fameux exemple du marteau exposé par Heidegger dans Être et Temps est une double dévaluation de cet instrument. Premièrement, parce qu’il est utilisé pour montrer ce que Heidegger appelle le contexte de significativité (Bedeutsamkeit). Deuxièmement, car si on se rend compte que « le marteau est trop lourd », c’est-à-dire si l’on se détache de son utilisation habituelle (Zuhandeinheit), ce n’est pas vers l’objet-marteau que nous devrions orienter notre attention – celle-ci serait pour Heidegger une attitude théorique (Vorhandenheit) – mais sur nous-mêmes. Finalement, l’analyse de cet objet technique, de son fonctionnement et de son dysfonctionnement, vise tout simplement à une compréhension plus authentique du Dasein.
Parmi les herméneutes classiques, Ricœur est sans doute celui qui a le plus externalisé et technicisé le langage. Si l’herméneutique du « premier » Heidegger s’intéresse surtout au monologue que le Dasein entretient avec soi-même dans le sens du « monde du soi (Selbstwelt) », si la pensée de Gadamer est une pensée du dialogue avec autrui, les méditations de Ricœur, surtout à partir des années 1970 – après la Symbolique du mal et L’Essai sur Freud –, portent, elles, sur le langage écrit. En particulier, le philosophe français, en dialoguant avec le structuralisme français et la 62philosophie analytique anglo-américaine, s’intéresse aux questions de la métaphore et du récit. On pourrait dire que l’attitude ricœurienne est ici paradoxale : d’un côté, il s’intéresse à des aspects concrets et techniques du langage mais, de l’autre côté, il finit par idéaliser et universaliser de manière injustifiée ces mêmes aspects. Considérons ici deux exemples.
Le premier est la notion d’« identité narrative » développée par Ricœur entre la moitié des années 1980 et le début des années 1990, dans le troisième volume de Temps et Récit et dans Soi-même comme un autre. Avec ce terme, le philosophe indique la capacité de la personne à mettre en récit de manière concordante les événements de son existence. La construction d’une telle identité n’est possible que par la fréquentation de récits d’histoire ou de fiction, en vertu d’un « double transfert » : le transfert de la dialectique gouvernant le récit aux personnages eux-mêmes, et le transfert de cette dialectique à l’identité personnelle11. En somme, la configuration et « reconfiguration » de l’identité personnelle, d’une partie d’elle au moins, dépend de la dialectique intrinsèque au récit historique ou fictionnel. Cette dialectique est pensée par Ricœur à partir d’un modèle précis, décrit dans la Poétique d’Aristote et dans la Bible. Nous avons montré ailleurs, à travers la lecture des passages de Temps et Récit II où le philosophe discute les thèses de Frank Kermode dans The sense of an ending, que la coïncidence entre le modèle aristotélicien et biblique repose pour Ricœur sur les principes de la linéarité de l’intrigue et la complétude de l’histoire racontée12. En effet, la Bible est une histoire cohérente et linéaire comprise entre un début – la Genèse – et une fin – l’Apocalypse –. Dans la perspective ricœurienne, qui est d’ailleurs celle de Kermode, le roman moderne et contemporain n’aurait pas aboli ce modèle, mais l’aurait tout simplement transformé : ce qui pour le christianisme des origines (Paul et Jean) était encore une fin imminente devient une crise immanente. À rebours de cette hypothèse, nous avons fondé notre argumentation sur le fait que certaines expérimentations de la seconde moitié du xxe siècle, notamment le « nouveau roman » de Robbe-Grillet, ont réellement mis en crise le modèle narratologique aristotélico-biblique sur lequel se base encore le 63roman moderne13. Contrairement à ce dernier, dans lequel l’intrigue, la fin et plus généralement le sens de l’œuvre sont offerts déjà prêts au lecteur par l’auteur, le nouveau roman incite le lecteur à les élaborer lui-même. Ricœur a sans doute eu le mérite de n’avoir pas réfléchi de manière abstraite sur le langage ou sur l’écriture, mais d’en avoir plutôt considéré un aspect très concret, voire technique, le récit historique et de fiction. Néanmoins, le philosophe français a exagérément généralisé cet aspect, en en faisant le paradigme de toute narratologie et, par conséquent, de la manière qu’a chacun de construire son identité narrative. Face à la mono-linéarité, mono-médialité et fermeture de l’identité narrative ricœurienne, de Mul a proposé de penser la mise en intrigue de soi-même à partir de la multi-linéarité et multi-médialité des sites de réseautage social et de l’ouverture ludique des jeux pour ordinateur14. Ce qui à l’époque du nouveau roman et de « la nouvelle vague » du cinéma français était encore une expérimentation réservée aux élites culturelles, s’est aujourd’hui banalisé grâce aux supports digitaux15.
Le deuxième exemple ressortit à la notion d’archive développée par le philosophe français dans l’œuvre tardive La mémoire, l’histoire, l’oubli. Là encore, Ricœur prend un objet technique – l’archive historique que constituent des documents écrits – et l’universalise, en se privant ainsi de la possibilité de comprendre les potentialités offertes par les techniques audio-visuelles et digitales pour une nouvelle compréhension de la réalité historique. Dans sa partie centrale, le livre représente la 64tentative d’appliquer le modèlel herméneutique présenté au début de cet article – dialectique entre monde de la vie et idéalités – au cas spécifique de la connaissance historique. Le philosophe insiste beaucoup sur l’irréductibilité l’une à l’autre de la véracité de la mémoire et de la vérité de l’histoire : « l’autonomie de la connaissance historique par rapport au phénomène mnémonique demeure la présupposition majeure d’une épistémologie cohérente de l’histoire en tant que discipline scientifique et littéraire16 ». Et pourtant il souligne aussi à plusieurs reprises leur circularité vertueuse :
À la sorte de réhabilitation prudente de l’écriture et d’esquisse de regroupement familial entre le frère bâtard et le frère légitime à la fin du Phèdre correspondrait, de notre côté, un stade où viendraient à se recouvrir parfaitement, d’une part, une mémoire instruite, éclairée par l’historiographie, d’autre part, une histoire savante devenue capable de réanimer la mémoire déclinante […]. Mais ce vœu n’est-il pas condamné à rester insatisfait17 ?
De cette phrase on peut inférer que Ricœur voit une analogie forte entre écriture et histoire, et donc entre les périls de l’une – dont Platon a notoirement traité dans le Phèdre – et de l’autre : « Que le mythe de l’origine de l’écriture puisse […] sonner comme un mythe de l’origine de l’histoire, cette extension est, si je puis dire, autorisée par le mythe lui-même, dans la mesure où son enjeu est le destin de la mémoire18 ». Dans ce contexte la notion d’archive occupe une place tout à fait importante, car il représente le moment où « les choses dites basculent du champ de l’oralité dans celui de l’écriture, que l’histoire ne quittera désormais plus19 ». L’archive est alors l’instant dans lequel, à travers une « mise en écriture », l’expérience vécue du monde se cristallise et devient connaissance du monde. L’archive, dit le philosophe, « c’est le moment de l’entrée en écriture de l’opération historiographique. Le témoignage est originairement oral ; il est écouté, entendu. L’archive est écriture ; elle est lue, consultée. Aux archives, l’historien de métier est un lecteur20 ». Peut-être Ricœur veut-il, en utilisant les termes « oralité » et « écriture », indiquer quelque chose de plus vaste par rapport à ce qu’on 65comprend habituellement sous ces mots. Pourtant, c’est précisément cette approximation, cet aplatissement de l’archive sur l’écriture, qui l’empêche de s’apercevoir du fait que la vérité historique tend à changer de forme avec le changement des techniques et des technologies disponibles. Si la technique détermine la manière dont la vérité historique a prise sur la véracité de la mémoire, alors aucune herméneutique de la connaissance historique ne peut se passer d’une réflexion sur les objets techniques et leur évolution.
La nature de certains phénomènes historiques impose un autre type d’archivage que la mise en écrit. C’est ce que savent très bien ceux qui s’occupent de déterminer, archiver et transmettre aujourd’hui le patrimoine culturel immatériel, soit selon l’Unesco, « les traditions ou les expressions vivantes héritées de nos ancêtres et transmises à nos descendants, comme les traditions orales, les arts du spectacle, les pratiques sociales, rituels et événements festifs, les connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers ou les connaissances et le savoir-faire nécessaires à l’artisanat traditionnel21 ». Aucune de ces pratiques ne pourrait trouver place dans l’archive décrite par Ricœur : comment pourrait-on mettre par écrit par exemple le cante alentejano, un genre musical traditionnel portugais classé patrimoine culturel immatériel de l’humanité en novembre 2014 ? C’est précisément pour cette raison que les experts développent actuellement de nouveaux modes d’archivage, en se basant sur les technologies audiovisuelles mais aussi sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Parmi les traits les plus typiques de cette nouvelle manière de faire archive il y a sans doute le renouvellement de ce que Bachimont dit être une « tradition perdue, celle de la mémoire exercée et entretenue, mais aussi celle de la trace fautive et incomplète, qu’il faut donc interroger et critiquer22 ». Loin d’ouvrir à la copie parfaite, les médias technologiques (l’audiovisuel et le digital) dynamisent l’archivage et « nous mettent en présence de contenus qui, s’ils doivent être consultés, doivent être reconstruits et réaffichés à partir de ressources matérielles23 ».
66Herméneutique
et (philosophie du) digital
L’hypothèse de la deuxième partie de l’article est que le digital est l’ensemble technique qui tend à nier les limites internes de l’interprétation. Selon Bachimont, l’essence du digital ou du numérique, comme il l’appelle, « c’est en fait celle de tout calcul : ne consister qu’en une pure manipulation24 ». Deux propriétés sont ici essentielles. Premièrement, les signes sont doublement indépendants vis-à-vis du sens : ils sont définis indépendamment les uns des autres et ils ne possèdent en eux-mêmes aucune signification particulière. Comme dit cet auteur à l’occasion d’un échange avec Rastier, « si l’on parle de l’informatique comme d’une physique des signes, il s’agit bien sûr des signes au sens de Hilbert et non de Saussure. […] Autrement dit, de manière paradoxale, le signe informatique est un signifiant sans signifié […]25 ». Deuxièmement, les règles de manipulation sont formelles et mécaniques, dans ce sens qu’« il n’est pas nécessaire de les interpréter ou de les comprendre pour les appliquer26 ». Sous cet aspect, le digital n’a rien à voir avec l’herméneutique, si nous comprenons par ce terme la discipline qui restitue le discours ou tout système ordonné de signes à son contexte de provenance.
Néanmoins, cette description du digital est encore partielle. Comme le dit encore une fois Bachimont face à Rastier, « un réalisme méthodologique est indispensable, selon lequel nos pensées comme connaissances sont des thèses sur le monde et le réel et commandent de ce fait nos actions27 ». Pour la même raison, l’épistémologue et informaticien français introduit la notion de « raison computationnelle ». Le digital n’est pas seulement le tout calcul, mais c’est aussi l’ensemble technique qui tend 67à rendre le monde de part en part calculable. Le Web 2.0, l’accès mobile à Internet, les nanotechnologies, le GPS, l’Internet des objets, le Web sémantique, le cloud computing, la réalité augmentée, la diffusion d’objets de plus en plus vestimentaires – les Google glasses, l’Apple Watch, les bracelets connectés – et peut-être un jour implantables – l’Eye-Phone de Futurama –, les imprimantes 3D, etc., sont ce qui rend le digital efficace dans le monde, et ce qui en fait un objet de recherche intéressant pour la phénoménologie et l’herméneutique. C’est précisément à ce niveau qu’il faut mettre à l’épreuve l’hypothèse selon laquelle le digital tend à nier les limites de l’interprétation.
Du point de vue ontologique, elle est indirectement argumentée par le philosophe de l’information Luciano Floridi à travers le concept de « quatrième révolution ». La révolution copernicienne a appris à l’homme qu’il n’est pas au centre de l’univers ; Darwin l’a placé dans le règne animal, auquel il pensait ne pas appartenir ; la révolution freudienne lui a fait comprendre qu’il n’est pas transparent à lui-même, ni maître en sa propre demeure, comme le pensait Descartes. Or à partir des années 1950, l’informatique et les TIC ont changé profondément notre compréhension du monde et de nous-mêmes : « Sous plusieurs aspects, nous ne sommes pas des entités autonomes, mais plutôt des organismes informationnels interconnectés ou inforgs qui partagent avec des agents biologiques et des artéfacts techniques (engineered) un environnement global fait, en dernière analyse, d’information, l’infosphère28 ». En d’autres termes, en augmentant nos possibilités d’agir dans le monde et de le comprendre, les nouvelles technologies nous ont mis devant la nature informationnelle du monde, des hommes, de la nature et des objets techniques. Le terme « infosphère » peut en effet être compris de deux manières. Premièrement, il peut indiquer le domaine de la production technique de sens : « Au sens le plus faible, le terme “infosphère” indique l’environnement informationnel constitué par toutes les entités informationnelles […]. Il s’agit d’un environnement comparable au cyberespace, dont il diffère cependant, ce dernier n’en étant qu’une de ses sous-régions29 ». Deuxièmement, 68l’infosphère coincide avec tout ce qui est de nature informationnelle « Au sens le plus fort, “infosphère” est un concept qui peut être utilisé aussi comme un synonyme de réalité, une fois que celle-ci a été interprétée de manière informationnelle ». Dans la perspective de cet auteur, le digital est ce qui réduit la différence entre ces deux définitions et annonce sa disparition prochaine : « Nous sommes probablement la dernière génération à expérimenter une claire différence entre les environnements en ligne et hors ligne. Certains passent déjà la plus grande partie de leur temps onlife30 ». Comme les autres « révolutions » – un terme qui en philosophie de la technique devrait être utilisé avec parcimonie –, la révolution dont parle Floridi révèle un état de choses qui était déjà là, à savoir la nature informationnelle de l’univers. Mais comme dans les autres cas, cette prise de conscience rend aussi l’homme potentiellement capable d’agir sur et à travers cet état de choses. L’informatique et les TIC ont déjà montré une homologie de fond entre le monde et la manière de le comprendre, et le digital, en tant qu’ensemble technique informationnel par excellence, s’annonce comme ce qui pourra rendre une telle homologie pleinement opérationnelle.
Du point de vue épistémologique, l’hypothèse selon laquelle le digital tend à nier les limites de l’interprétation est implicitement défendue par Bruno Latour et ses collaborateurs31. Ils furent en particulier de ceux qui s’enthousiasmèrent pour les possibilités offertes par l’utilisation 69des traces digitales pour la recherche en sciences sociales32. Comme il écrivait déjà dans sa summa sociologica, Changer de société, refaire de la sociologie, « [p]lus la science et la technologie s’étendent, plus elles permettent de tracer physiquement, avec une facilité et une précision toujours plus grande, les liens sociaux. […] [N]ous sommes au milieu d’une infrastructure matérielle qui nous facilite énormément le travail, à nous autres sociologues des sciences, et qu’on pourrait appeler le World Wide Lab33 ». À l’ère du digital, cette traçabilité semble être à son comble.
Ce qui caractérise notre époque n’est pas tant l’information en soi, que son enregistrement34. Il y a ici une grande affinité avec l’herméneutique ressortant à Dilthey, l’historien allemand qui, dans la tentative de trouver une base solide aux sciences de l’esprit (Geisteswissenschaften), récupère dans la dernière phase de sa production intellectuelle le concept hégélien d’esprit objectif : pour comprendre (Verstehen) autrui et son expérience vécue (Erlebnis), on ne peut que passer à son avis par les manifestations extérieures – les « expressions » (Ausdrucken) – de son esprit, telles que les œuvres écrites et les monuments. Dans un certain sens, la diffusion du digital est la réalisation du rêve épistémologique de Dilthey. Ce qui à la fin du xixe siècle était réservé à une élite productrice de traces, et qui à la fin du xxe ne concernait toujours qu’un nombre limité d’actions sociales35, est aujourd’hui associé à la plupart de nos gestes.
Or, selon Latour, dans le passé les sciences sociales étaient obligées, en raison de la pauvreté de leurs moyens d’investigation, de se donner une image simplifiée de la réalité. Par conséquent, la réalité sociale se voyait mise sur deux niveaux, le niveau « synchronique » du « collectif », ou de toutes les généralisations théoriques réifiées, et le niveau « diachronique » des individus. Les nouvelles technologies et les méthodes digitales offrent 70au contraire à la recherche en sciences sociales la possibilité d’avoir une approche non simplifiée :
Grâce à la traçabilité digitale, les chercheurs n’ont plus besoin de choisir entre la précision et le cadre dans leurs observations : il est possible aujourd’hui de suivre une multitude d’interactions et, en même temps, de distinguer la contribution spécifique de chacun à la constitution du phénomène social. Nées dans une ère de pénurie (scarcity), les sciences sociales entrent dorénavant dans une ère d’abondance. Face à la richesse de ces nouvelles données, rien ne justifie le maintien de certaines distinctions. Enrichies par une quantité de données comparable à celle des sciences de la nature, les sciences sociales peuvent enfin corriger leur myopie […]36
Le digital permettrait alors de comprendre la réalité sociale telle qu’elle est : plate. Ce qui paraît une thèse exclusivement épistémologique se montre ainsi dans sa nature ontologique – étant donné que dans la perspective latourienne « social » et « réel » sont pratiquement synonymes : « [T]out se passe comme si nous devions reproduire dans la théorie sociale le merveilleux livre Flatland, qui s’efforce de nous faire vivre, nous qui sommes des animaux en trois dimensions, dans un monde bidimensionnel uniquement constitué de lignes : aussi étrange que cela puisse sembler, nous devons, en théorie sociale, croire à la théorie de la Terre Plate37 ». Curieusement, l’auteur omet de dire que dans son livre Abbot imagine la vie d’un carré qui découvre la troisième dimension et que, de surcroît, Flatland suggère qu’il existe un nombre de dimensions spatiales supérieur aux trois.
Entre le monde digital et le monde (social) il y a dans la perspective de Latour et ses collaborateurs une homologie forte : « En surfant sur des plates-formes telles que Flickr, Academia.edu™ou MySpace™, nous avons tous fait l’expérience de naviguer d’une page html à l’autre, passant des individus aux groupes, sans jamais rencontrer rien qui ne ressemble à un saut de niveau. C’est cette expérience, si typique du Web 2.0 que nous voulons utiliser comme base pour repenser la théorie sociale38 ». 71Le modèle commun est celui de la monadologie de Tarde, selon lequel les monades – un terme qui renvoie à l’unité, monas en grec – ne sont ni des substances individuelles et « sans fenêtres » comme chez Leibniz, ni des modes et attributs de la seule substance divine comme chez Spinoza : « Une monade est […] un point de vue sur toutes les autres entités prises conjointement et non pas saisies à la façon d’une totalité. Bien que les historiens de la philosophie débattent encore de ce qu’est une monade […], nous prétendons que cette notion quelque peu exotique pourrait être rendue pleinement opérationnelle par la navigation à travers les profils numériques que nous venons d’esquisser39 ». Si le digital permet une meilleure connaissance de la réalité sociale, c’est premièrement parce qu’il entretient avec celle-ci une homologie de fond, en dépit de certaines limites relatives à la qualité et à la quantité de traces disponibles : « D’après nous, les techniques numériques rognent les deux extrémités de ce que les théories sociales considèrent comme leur ancrage indispensable, en donnant ainsi l’occasion d’illustrer d’autres visions de l’ordre social40 ».
La disparition de tout regard extérieur, interprétatif et compréhensif par rapport à la réalité sociale étudiée est le risque implicitement lié à cette perspective. Et c’est pour cette raison que les auteurs sont contraints d’admettre l’existence d’un niveau intermédiaire, un peu comme l’étrange « septième étage et demi » du film Dans la peau de John Malkovich, qu’ils appellent niveau A-1,5 :
Pour saisir ce qui n’en reste pas moins une véritable différence entre les sociétés d’humains et les autres […], disons que les monades sont mieux définies par une approche que nous appellerons A-1,5. Par cette expression nous voulons dire que a) […] il existe une série d’instruments intellectuels et techniques pour favoriser le chevauchement de différentes définitions distinctes de cet ensemble […] b) que cela explique l’impression qu’il y a “plus” dans les actions collectives que ce qui existe dans les atomes individuels41.
72Mais avec ce qui peut être vu comme un demi-pas en arrière, justement argumenté en disant que les ensembles ainsi compris restent partiels et n’aspirent aucunement à devenir un « tout », on est déjà entrés dans la conclusion de cet article.
Conclusion
Face à la prétention du digital de tout comprendre, l’herméneutique peut jouer son rôle critique – au sens de Szondi – de deux manières. Elle peut avancer une critique extérieure, en portant l’attention sur tous les phénomènes qui pour une raison ou pour une autre ne sont pas « digitalisables ». Il s’agit sans doute de l’approche la plus commune parmi les « humanistes » qui s’intéressent aux nouvelles technologies. Dans la conclusion de L’Être et l’écran, Stéphane Vial a porté l’attention sur ce qu’il appelle, à l’instar de Benjamin, l’« aura radicale des choses » : « [Benjamin] vise des choses dont l’aura phénoménologique est plus élevée que celle des photographies. De la même manière, perdurent aujourd’hui des expériences dont l’aura phénoménologique est plus élevée que celle des interfaces42 ». On a emprunté ce même regard dans un article portant sur la ville numérique, et conclu que « la ville a ses raisons que la raison numérique ne connaît pas43 ». Bien que très efficace, intéressante et utile, cette perspective risque de conduire in fine à une fracture insurmontable entre les domaines de compétence des sciences humaines et des études digitales.
Pour cette raison, la critique extérieure doit être intégrée avec une critique interne au digital. Marres et Gerlitz ont récemment théorisé ce qu’elles appellent « méthodes interface », qui servent à renégocier les frontières entre recherche digitale, STS (Études des sciences et technologies) et sociologie. Plusieurs interprètes de spécialités différentes en STS, informatique et sociologie politique ont attiré l’attention sur 73la convergence entre méthodes sociologiques et méthodes digitales. Comme on vient de le voir, Latour et ses collaborateurs affirment qu’il existe une forte ressemblance entre les médias digitaux et la théorie de l’acteur-réseau. À l’opposé de ce point de vue, les deux auteures proposent d’étudier « analogie » et « différences » entre digitalisation et théorie sociale :
Notre proposition s’articule autour de l’idée centrale que les procédés numériques font appel à une indécidibilité méthodologique du point de vue de la recherche sociologique : les outils que nous avons cités comportent de fortes similitudes avec les techniques et méthodes déployées en sciences sociales, mais nous ne pouvons certainement pas les considérer comme étant « nôtres44 ».
Soit dit en passant, ceci est proche de ce que propose Simondon avec sa notion de « transduction », qu’on ne peut confondre avec « traduction », car si toute transduction est une traduction, l’inverse n’est pas vrai. Du point de vue ontologique, la transduction est « une opération, physique, biologique, mentale, sociale, par laquelle une activité se propage de proche en proche à l’intérieur d’un domaine […] ». Du point de vue épistémologique, « elle peut être utilisée comme fondement d’une nouvelle espèce de paradigmatisme analogique […]45 ».
Par exemple, des outils en ligne comme Twitter Streamgraph ou Infomous entretiennent plusieurs analogies avec la méthode de l’analyse de co-occurrence de termes développée par Michel Callon et ses collègues dans les années 1980 afin de détecter les sujets émergents et innovants dans la littérature scientifique. Toutefois, à regarder de plus près les mesures mises en œuvre dans les outils en ligne, ces similitudes supposées commencent à paraître plus discutables. Premièrement, parce que les instruments comme Infomous valorisent « ce qui se passe là, maintenant », c’est-à-dire le « temps réel » (liveness) d’un événement, tandis que l’analyse de co-occurrence de termes montre plutôt la « vivacité » (liveliness) d’un nouveau sujet. Deuxièmement, car il est évident que les outils mis en ligne (gratuitement) le sont en vue d’un intérêt qui n’est pas celui de la recherche en sciences sociales. Sous cet aspect, il 74faut l’admettre, l’intention de Marres et Gerlitz est authentiquement latourienne.
Le travail de deux auteures représente un excellent exemple de critique herméneutique interne au digital. Au lieu de distinguer entre deux objets d’investigation, l’humain et le digital, ils argumentent la possibilité de regarder la même chose selon des perspectives hétérogènes. Il s’agit de ce que Marres appelle ailleurs la « redistribution des méthodes46 ». De manière similaire, une critique herméneutique interne au digital consiste premièrement à travailler sur les « analogies » et les « différences » – les « transductions » – entre les épistémologies et les ontologies du digital.
Alberto Romele
ETHICS (EA 7446)
Université catholique de Lille
Instituto dr Filosofia
Universidade do Porto
1 D. Thouard, Herméneutique critique. Bollack, Szondi, Celan, Presses universitaires du Septentrion, Lille, 2012, p. 141-142.
2 E. Cohen, “Vers un nouveau savoir vivre”, dans Digital Studies. Organologie des savoirs et technologies de la connaissance, éd. sous la dir. de B. Stiegler, FYP Éditions, Limoges, 2014, p. 43-59, p. 54-55. Nous soulignons. Grosso modo, on peut distinguer quatre attitudes par rapport aux termes « digital » et « numérique ». On peut les juger synonymes, comme c’est le cas du Larousse en ligne. On peut attribuer, comme le TLFi (Trésor de la langue française informatisé), au mot « digital » deux significations, la première désigne quelque chose « qui a la forme d’un doigt », qui est « relatif au doigt ; qui fait partie du doigt », la seconde quelque chose « qui est exprimé par un nombre, qui utilise un système d’informations, de mesures à caractère numérique ». On peut aussi dire, comment l’a fait l’Académie française, qu’il faut préférer « numérique », car « digital » se réfère exclusivement à quelque chose « qui appartient aux doigts, se rapporte aux doigts » Beaucoup plus rares sont ceux qui privilégient le mot « digital », comme c’est le cas du livre récemment dirigé par O. Le Duff, Le temps des humanités digitales, FYP Éditions, Limoges, 2014.
3 J.-Y. Chateau, Le vocabulaire de Simondon, Ellipses, Paris, 2008, p. 86.
4 Voir respectivement G. Vattimo, “Histoire d’une virgule. Gadamer et le sens de l’être”, Revue internationale de Philosophie 54/213, 2000, p. 499-513 et J. Grondin, “Vattimo’s Latinization of Hermeneutics. Why did Gadamer resist Postmodernism”, dans Weakening Philosophy. Festschrift in Honor of Gianni Vattimo, éd. sous la dir. de S. Zabala, McGill-Queens University Press, Montréal 2005, p. 203-2015.
5 A. Romele, “The ineffectiveness of hermeneutics. Another Augustine’s legacy in Gadamer”, International Journal of Philosophy and Theology 75/5, 2014, p. 422-439.
6 C. Mitcham, Thinking through Technology. The Path between Engineering and Philosophy, The University of Chicago Press, Chicago and London, 1994, p. 49-50. Notre traduction.
7 D. Ihde, Heidegger’s Technologies. Postphenomenological perspectives, Fordham University Press, New York, 2010, p. 74-85.
8 D. Ihde, Technology and the Lifeworld. From Garden to Eearth, Indiana State University Press, Bloomington, 1990, p. 72-111. Les relations « d’arrière-plan » (background relations) ne seront pas considérées ici.
9 D’ailleurs, Ihde affirme que toutes micro-perceptions sont herméneutiques, dans le sens qu’elles sont toujours déjà informées par le contexte culturel (les macro-perceptions) dans lequel elles ont lieu. Voir D. Ihde, Technology and the Lifeworld, p. 29. On peut distinguer alors entre une thèse forte – tout perception est herméneutique –, une thèse moyenne – toute perception techniquement médiatisée est herméneutique – et une thèse faible – les relations herméneutiques sont un cas spécifique de relations techniquement médiatisées. Le cas des technologies digitales est intéressant dans la mesure où il s’agit de technologies herméneutiques spécifiques ayant pourtant une aspiration universelle.
10 D. Ihde, Expanding Hermeneutics. Visualism in Science, Northwestern University Press, Evanston IL, 1998, p. 41-42.
11 J. Michel, “Narrativité, narration, narratologie : du concept ricœurien d’identité narrative aux sciences sociales”, Revue européenne des sciences sociales XLI/125, 2003, p. 125-142, p. 127.
12 A. Romele, “L’identità narrativa ricœuriana alla prova del nouveau roman di Robbe-Grillet”, Enthymema. Rivista di teoria, critica e filosofia della letteratura IX, 2013, p. 76-89, 77-79.
13 A. Romele, “L’identità narrativa ricœuriana alla prova del nouveau roman di Robbe-Grillet”, p. 81-83.
14 Voir J. de Mul, “Sillywood, or the miscarriage of the interactive cinema : Marienbad explained to the Nintendo generation”, dans Cyberspace odyssey : towards a virtual ontology and anthropology, Cambridge Scholars Publishing, Newcastle upon Thyne, 2010, p. 67-83 ; “Von der narrativen zur hypermedialen Identität. Dilthey und Ricœur gelesen im hypermedialen Zeitalter”, dans Dilthey und die hermeneutische Wende in der Philosophie. Wirkungsgeschichtliche Aspekte seines Werkes, éd. sous la dir. de F. Rodi et G. Kühne-Bertram, Vandenhoeck und Ruprecht, Göttingen, 2008, p. 313-331 ; “The game of life : narrative and ludic identity formation in computer games”, dans Handbook of computer games studies, éd. sous la dir. de J. Goldstein et J. Raessens, Harvard University Press, Cambridge MA, 2005, p. 251-266.
15 Dans le contexte de la littérature numérique, Bouchardon a souligné certains aspects tels que la non-clôture matérielle, le caractère fragmentaire, la déconstruction de la temporalité, le caractère ludique et interactif, etc., qui déterminent sa valeur heuristique par rapport aux théories littéraires classiques. Notons cependant que la place de la littérature numérique dans le monde des pratiques digitales reste marginale. Voir S. Bouchardon, La valeur heuristique de la littérature numérique, Hermann, Paris, 2014, p. 121-147.
16 P. Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Seuil, 2000, p. 168-169.
17 P. Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, p. 179.
18 P. Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, p. 175.
19 P. Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, p. 182.
20 P. Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, p. 209.
21 http://www.unesco.org/culture/ich/index.php?lg=fr&pg=00002.
22 B. Bachimont, “La présence de l’archive : réinventer et justifier”, Intellectica 1, 2010, p. 1-29, p. 4.
23 B. Bachimont, “La présence de l’archive : réinventer et justifier”, p. 3.
24 B. Bachimont, Le sens de la technique : le numérique et le calcul, Les Belles Lettres, Paris, 2010, p. 156.
25 F. Rastier et B. Bachimont, “Herméneutique matérielle et artéfacture : des machines qui pensent aux machines qui donnent à penser. Échange entre François Rastier et Bruno Bachimont”, Disponible sur : http://www.revue-texto.net/Dialogues/Dialogues.html.
26 B. Bachimont, Le sens de la technique : le numérique et le calcul, p. 156.
27 F. Rastier et B. Bachimont, “Herméneutique matérielle et artéfacture : des machines qui pensent aux machines qui donnent à penser. Échange entre François Rastier et Bruno Bachimont”. URL : http://www.revue-texto.net/Lettre/Bachimont_Hermen.html
28 L. Floridi, Information. A Very Short Introduction, Oxford University Press, Oxford, 2010, p. 8.
29 L. Floridi, The Fourth Revolution. How the Infosphere is Reshaping Human Reality, Oxford University Press, Oxford, 2014, p. 41. Notre traduction.
30 L. Floridi, The Fourth Revolution. How the Infosphere is Reshaping Human Reality, p. 94. Notre traduction.
31 Précisons que nos réflexions à propos de Latour et de ses collaborateurs se rapportent à une époque apparement révolue. En ce qui concerne la théorie sociale, dans Enquête sur les modes d’existence (2012), Latour est revenu sur certaines exagérations de l’Actor-Network Theory, en affirmant que « [c]ette théorie avait une fonction critique en dissolvant les notions trop étroites d’institution, en permettant de suivre les liaisons entre humains et non-humains et, surtout, en transformant la notion de social et de société en un principe général de libre association […]. Et pourtant, nous le comprenons maintenant, cette méthode a conservé certaines limites de la pensée critique : le vocabulaire qu’elle offre est libérateur mais trop pauvre pour distinguer les valeurs auxquelles les informateurs tiennent mordicus » (B. Latour, Enquête sur les modes d’existence. Une anthropologie des modernes, La Découverte, Paris, 2012, p. 76). En ce qui concerne les possibilités offertes par les méthodes digitales pour les sciences sociales, Venturini et al. ont récemment adopté une position plus précautionneuse (T. Venturini, N. B. Laffite, J.-P. Cointet, I. Gray, V. Zabban, K. De Pryck, “Three maps and three misunderstanding : A digital mapping of climate diplomacy”, Big Data & Society 1/1, 2014, p. 1-19).
32 Sur la notion de trace numérique – ou digitale – voir notamment les travaux dirigés par Béatrice Galinon-Mélénec en 2011 et 2013. Pour une position partiellement critique, voir C. Collomb, “Et s’il n’y avait pas de traces numériques ?”, Exposé présenté le 21 mars 2013 dans le cadre du colloque « E-réputation et traces numériques : dimensions instrumentales et enjeux de société » (Toulouse). Disponible sur https://www.academia.edu/3510979/Et_sil_ny_avait_pas_de_traces_num%C3%A9riques_.
33 B. Latour, Changer de société, refaire de la sociologie, La Découverte, Paris, 2007, p. 172.
34 M. Ferraris, Documentality. Why it is Necessary to Leave Traces, Fordham University Press, New York, 2012, p. 183.
35 Voir J. Searle, The Construction of Social Reality, The Frees Press, New York, 1995.
36 T. Venturini et B. Latour, “The Social Fabric : Digital Traces and Quali-Quantitative Methods”, 2012, p. 6. Notre traduction. Disponible sur http://www.medialab.sciences-po.fr/publications/Venturini_Latour-The_Social_Fabric.pdf.
37 B. Latour, Changer de société, refaire de la sociologie, p. 250.
38 B. Latour, P. Jensen, T. Venturini, S. Grauwin, D. Boullier, “Le tout est toujours plus petit que les parties. Une expérimentation numérique des monades de Gabriel Tarde”, Réseaux 31/177, 2013, p. 199-233, p. 203.
39 B. Latour, P. Jensen, T. Venturini, S. Grauwin, D. Boullier, “Le tout est toujours plus petit que les parties. Une expérimentation numérique des monades de Gabriel Tarde”, p. 210.
40 B. Latour, P. Jensen, T. Venturini, S. Grauwin, D. Boullier, “Le tout est toujours plus petit que les parties. Une expérimentation numérique des monades de Gabriel Tarde”, p. 217.
41 B. Latour, P. Jensen, T. Venturini, S. Grauwin, D. Boullier, “Le tout est toujours plus petit que les parties. Une expérimentation numérique des monades de Gabriel Tarde”, p. 217-218.
42 S. Vial, L’Être et l’écran. Comment le numérique change la perception, Puf, Paris, 2013, p. 288.
43 A. Romele, M. Severo, “Une approche philosophique de la ville numérique : méthodes numériques et géolocalisation”, dans Devenir urbains, éd. sous la dir. de M. Carmes et J.-M. Noyer, Presses des Mines, Paris, 2014, p. 205-226, p. 214.
44 N. Marres, Noortje et C. Gerlitz, “Les méthodes interface : une renégociation des liens entre la recherche numérique, en STS et sociologie”, in Traces numériques et territoires, éd. sous la dir. de M. Severo et A. Romele, Presses des Mines, Paris, 2015, p. 33-60, p. 36.
45 G. Simondon, L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information, Millon, Grenoble, 2006, p. 32-33.
46 N. Marres, “The redistribution of methods : on intervention in digital social research, broadly conceived”, The Sociological Review 60, 2012, p. 139-165.
- Thème CLIL : 3157 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Sciences de l'information et de la communication
- ISBN : 978-2-406-08531-7
- EAN : 9782406085317
- ISSN : 2497-1650
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08531-7.p.0055
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 05/11/2018
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français