La reconnaissance éthique de l’altérité Une étude de la pensée ricœurienne d’avant l’herméneutique
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Éthique, politique, religions
2021 – 2, n° 19. varia - Auteur : Pavan (Chiara)
- Pages : 155 à 172
- Revue : Éthique, politique, religions
La reconnaissance éthique
de l’altérité
Une étude de la pensée ricœurienne
d’avant l’herméneutique
Au cours du vingtième siècle, une des questions les plus épineuses sur lesquelles s’est interrogée la phénoménologie est la question de l’intersubjectivité, qui concerne notre rapport à l’altérité d’autrui. Formulée de la façon la plus générale, cette question peut être exprimée de la façon suivante : comment rencontre-t-on autrui ? Cette interrogation représente un enjeu essentiel pour la tradition phénoménologique, dans la mesure où elle semble mettre en évidence une difficulté interne de l’analyse phénoménologique : si c’est dans l’immanence de la conscience que toute constitution de sens trouve son origine, comment serait-il possible de rendre compte de l’autre, sans pour autant réduire son altérité au sujet qui en constitue le sens ? Mais cette question peut dès lors prendre une valeur et une signification plus large pour toute réflexion philosophique analysant l’intersubjectivité dans l’horizon d’une éthique : elle permet ainsi de demander dans quelle mesure il est possible de penser un rapport à autrui qui ne revienne pas à une forme de domination de la part du sujet ? Ces interrogations ont motivé le projet mené par plus d’un phénoménologue français de dépasser à la fois la perspective husserlienne de réduction du sens aux actes de constitution de la conscience transcendantale, et la perspective heideggérienne de mise en lumière des conditions ontologiques de toute signification. L’insuffisance de ces deux versions de la phénoménologie tient en effet à ce qu’elles ne semblent pas autoriser la transgression de l’immanence, ou la rupture de la totalisation du sens, indispensable pour une véritable pensée de l’altérité. Mais quel type d’acte permet alors de rendre compte de l’altérité de l’autre ? Quelle voie d’accès à l’autre est envisageable pour que l’autre ne soit pas relégué au simple titre de chose que je peux 156saisir, et pour qu’en même temps il ne reste pas séparé de moi au point de rendre toute relation entre nous impossible ?
La réponse qui sera sans doute restée la plus célèbre est celle de Levinas : si l’on peut instaurer une relation avec l’autre, ce n’est pas à travers un acte représentatif, qui consisterait à comprendre l’autre en tant que quelque chose, ni à travers un rapport pratique, qui insérerait son altérité dans un monde défini comme un système totalisé de renvois, finissant encore une fois par en nier l’altérité, mais par la demande de responsabilité que l’autre, en me parlant, m’adresse1. Ainsi Levinas reprenait une intuition sartrienne, celle selon laquelle je ne peux m’apercevoir de l’autre que si la flèche qui décrit la relation ne va pas de moi à l’autre, mais de l’autre à moi : c’est à partir de ce que l’autre me fait, de ce que produit en moi la présence de l’autre, que je peux percevoir son altérité. Mais il la reprenait en la renversant. Selon Sartre, en effet, la présence de l’autre est manifestée par la honte que le regard de l’autre suscite en moi, et cette honte est également ce qui indique l’impossibilité d’une relation où la reconnaissance de la liberté de l’un n’aille pas de pair avec l’objectivation de l’autre2. Levinas, au contraire, remplace ce mode de manifestation par la parole, et plus précisément par une parole éthique, Tu ne me tueras pas, que l’autre m’adresse et qui loin de m’objectiver, me requiert en tant que sujet singulier3.
Beaucoup moins connue est en revanche la position que Ricœur essaie de définir dans les années 1950. Moins connue, d’abord, parce qu’elle est présentée dans une série d’articles qui en obscurcissent la systématicité et qui en plus datent de la première période de la production ricœurienne, à savoir de la période pré-herméneutique que Ricœur ensuite dépasse4. Moins connue aussi parce qu’elle remanie des théories philosophiques déjà existantes au lieu d’en proposer une radicalement nouvelle. Pourtant, elle est intéressante au moins à deux égards. Tout d’abord parce qu’il s’agit d’une exploration des différentes possibilités d’accès à l’altérité, 157dont Ricœur montre la fécondité ainsi que les limites : Ricœur mène des analyses de détail sur la place que la phénoménologie husserlienne permet d’accorder à l’altérité ; il s’interroge, avec Husserl et Scheler, sur les actes représentatifs ainsi que sur les actes de nature affective qui s’adressent à l’autre ; et il approfondit notamment la notion de limite à l’aide de la philosophie kantienne, dont il est très proche dans les années 1950. Ensuite, parce que Ricœur, à une époque où Levinas est encore en train d’élaborer sa description du rapport éthique à l’autre comme seul rapport qui ne détruit pas son altérité, formule l’idée selon laquelle la reconnaissance d’autrui, loin de pouvoir être atteinte par un acte théorique ou affectif, requiert le passage au domaine éthique. Selon Ricœur, c’est par le respect vis-à-vis de l’autre que je peux reconnaître son altérité et instaurer une relation avec lui : « la position absolue d’autrui dans le respect est le fondement toujours préalable à un discernement de l’apparaître d’autrui5 ». Il s’agit certes d’une manière très différente d’envisager l’éthique par rapport à Levinas ; et pourtant cette proximité montre la convergence entre certains soucis et convictions qui fondent leur remaniement de la phénoménologie.
Ce travail se propose de reconstruire et d’éclairer la position sur l’intersubjectivité que Ricœur définit dans les années 1950, à travers l’étude des différents articles dédiés à cette question, allant des analyses des Ideen II de Husserl, travail publié en 1952, jusqu’à l’étude intitulée « Le sentiment », de 19596. Nous approfondirons dans un premier temps la lecture ricœurienne de la phénoménologie de Husserl, en montrant notamment les hésitations exprimées par Ricœur dans l’évaluation de la pertinence de la méthode phénoménologique pour la question de l’altérité. Nous aborderons ensuite la référence à la notion de limite 158que Ricœur reprend de la pensée critique kantienne et l’usage de la notion de respect, nécessaire selon Ricœur pour limiter et donner en même temps un fondement à la description phénoménologique. Enfin, nous préciserons le sens de la référence à Scheler, que Ricœur introduit pour contrebalancer le formalisme kantien, mais sans que cela puisse atténuer la nécessité d’envisager le rapport à l’autre à travers les notions kantiennes de limite et de respect.
La description phénoménologique
de l’altérité de l’autre
« Tous les aspects de la phénoménologie convergent donc vers le problème de la constitution d’autrui », écrit Ricœur en 1954-19557. La question de l’altérité est une question centrale dans la lecture ricœurienne de Husserl, parce que c’est elle qui permet à Ricœur, en dernière instance, de décider du statut de la phénoménologie : elle permet de savoir si la phénoménologie, que ce soit par rapport à l’être ou par rapport à l’autre, est en mesure de rendre compte d’une certaine dimension d’extériorité ou d’altérité qui puisse équilibrer la prétention de la conscience à s’ériger en fondement ultime du sens.
Dans les écrits que Ricœur dédie à la phénoménologie, cette question n’apparaît pas immédiatement. Dans le premier tome de la Philosophie de la volonté, qui est dédié à un approfondissement existentiel et ontologique de la phénoménologie, effectué par la mise en lumière de la dimension affective et pratique qui caractérise la situation de l’homme dans le monde et la vie de la volonté, Ricœur lui-même déclare qu’il ne sera pas question de l’autre. L’autre est donc mis en suspens en 1950. Mais la façon dont Ricœur justifie ce choix, en soulignant que « l’autre devient vraiment “toi”, quand il n’est pas un motif ou un obstacle à mes décisions, mais lorsqu’il m’enfante par le foyer même de ma décision, m’inspire par le cœur de ma liberté8 », révèle déjà sa sensibilité à l’égard 159de ce thème. Et c’est ainsi qu’au cours des années 1950, en poursuivant le travail sur la philosophie husserlienne, il revient sur cette exclusion, pour interroger les possibilités de penser l’altérité offertes par la phénoménologie et pour préciser les limites de cette approche.
Cette question s’insère en effet dans ce que Ricœur, en 1953, identifie comme un débat interne à la phénoménologie, qui serait intimement travaillé par deux exigences opposées9. D’une part, l’exigence intuitionniste : la phénoménologie donne à son projet la forme d’une description fidèle de l’apparaître, motivée par l’exigence de respecter la spécificité du domaine auquel appartient l’objet visé. D’autre part, l’exigence constitutive : la description de l’objet implique la description des actes de la conscience qui en constitue le sens. Or, du point de vue de Ricœur, ces deux exigences diffèrent en ceci, que la première implique une suspension simplement méthodologique de la question de l’existence de l’objet visé, afin de le décrire tel qu’il se donne dans l’immanence de la conscience, alors que la deuxième exigence amène le phénoménologue à prendre une « décision métaphysique10 » concernant le sens de la réduction. Par cette décision, la réduction à l’immanence de la conscience assume une valeur ontologique, de telle sorte que la question de l’être de ce qui apparaît n’est pas posée en dehors de la sphère de la conscience. C’est là que l’on voit, selon Ricœur, la primauté que l’exigence de constitution finit par avoir sur l’exigence intuitionniste : cette décision métaphysique n’est pas justifiée d’un point de vue phénoménologique, et elle dépend plutôt de la volonté d’assigner à la conscience transcendantale le rôle de fondement absolu du sens. Mais la conséquence en est que toute altérité et extériorité, toute transcendance, sont réduites à une simple transcendance dans l’immanence de la conscience. Qu’en est-il donc d’autrui ? Dans le cadre de ce regard général que Ricœur adresse à la phénoménologie husserlienne, la question de l’altérité de l’autre devient importante à double titre :
1. Tout d’abord, il est indispensable d’interroger la façon dont la phénoménologie prend en compte autrui pour se demander si cette description peut rendre compte d’une forme d’extériorité que l’on ne retrouve pas dans notre rapport au monde et aux objets, mais que l’on retrouverait en s’adressant à autrui. Est-ce que la tendance à donner un 160sens idéaliste à la constitution apparaît aussi dans le rapport à autrui ? Ou alors, est-ce que la description d’autrui est précisément ce qui ruine l’interprétation idéaliste de la réduction ? Si la réduction de l’en soi au pour moi peut être considérée comme « libérante lorsqu’il s’agit des choses », car elle fait surgir l’implication du sujet dans la constitution du sens, elle devient « mortifiante lorsqu’il s’agit des personnes11 », et sa version idéaliste, qui pense cette réduction comme définitive, est encore moins acceptable. C’est pourquoi Ricœur écrit, en 1954-1955, que la constitution d’autrui est « la pierre de touche de l’échec ou du succès, non pas de la phénoménologie, mais de la philosophie implicite de la phénoménologie12 ». De son succès dépend la possibilité de rééquilibrer la tension entre l’exigence intuitionniste, que Ricœur interprète en sens réaliste, et l’exigence constitutive, interprétée en sens idéaliste, en faveur de la première.
2. En deuxième lieu, il faut interroger la façon dont Husserl décrit la constitution d’autrui parce qu’il est possible que cette constitution finisse par faire apparaître aussi l’extériorité de l’être en général, celle qui demeurait réduite lorsqu’on envisageait l’être du point de vue de la conscience seule. C’est pour cette raison que Ricœur, en commentant les Méditations cartésiennes de Husserl, met en évidence que si la phénoménologie échoue dans la constitution de l’altérité de l’autre, alors elle échoue partout13. Or, d’un point de vue husserlien, ce que Ricœur attend de la constitution de l’intersubjectivité n’est pas vraiment légitime. Husserl précise lui-même, à la fin de la quatrième Méditation combien il serait inapproprié de vouloir sortir de l’île de ma conscience, car cela équivaudrait à croire que l’être et la conscience se rapportent l’un à l’autre d’une manière purement extérieure14. Ce serait refaire l’erreur de Descartes qui, en faisant de la subjectivité une substance pensante séparée de la réalité externe, fut obligé de recourir à la véracité divine pour pouvoir en sortir. Mais c’est précisément cette différence radicale entre Descartes et Husserl que Ricœur semble mettre en question lorsqu’il souligne l’impossibilité pour une conscience seule d’accéder à la réalité. Ainsi Ricœur, en délaissant la différence entre le cogito cartésien et husserlien, 161fait jouer à la question de l’intersubjectivité dans les Méditations de Husserl le même rôle que la véracité divine jouait dans les Méditations de Descartes, à savoir la conquête de la réalité externe : « Alors que Descartes transcende le cogito par Dieu, Husserl transcende l’ego par l’alter ego ; ainsi cherche-t-il dans une philosophie de l’intersubjectivité le fondement supérieur de l’objectivité que Descartes cherchait dans la véracité divine15. »
Ce double espoir – que la phénoménologie puisse rendre compte de l’altérité d’autrui et qu’elle permette en même temps de rendre compte de l’extériorité de l’être – est clairement déçu dans les années 1950 : « La lutte contre le faux prestige de l’en-soi, contre le faux absolu de la chose, réussit trop bien à délester la “chose” de présence. Car la présence, en dernier ressort, est le propre des personnes et ce sont elles qui confèrent de la présence aux choses mêmes16. » Mais Ricœur ne parvient pas à cette conclusion sans passer par une analyse détaillée des Ideen II et de la cinquième Méditations cartésiennes17.
À propos des Ideen II, Ricœur souligne la présence du thème de l’intersubjectivité dans les trois sections de l’œuvre. D’abord, en décrivant la constitution de la nature matérielle, Husserl montre la stricte implication entre l’objectivité et l’intersubjectivité. Cette dernière apparaît à partir de l’objectivité, mais celle-ci implique à son tour l’explicitation d’une couche intersubjective de sens : la chose est la chose visée par tous et située dans un espace objectif qui dépend de la possibilité pour le sujet de s’appréhender comme un membre de la nature18. Dans la deuxième section, Husserl se concentre sur l’unité psycho-physique qui constitue la nature animée, distincte à la fois de la chose matérielle et de 162l’ego pur. Cette unité n’est appréhendée que par le biais de la présence de l’autre, c’est-à-dire à partir de la ressemblance entre mon corps et les autres corps, de la localisation du psychique dans mon corps et du transfert analogique du psychique aux autres corps. C’est par là que je peux appliquer à moi-même ces corrélations entre le psychique et le physique, me mettre dehors et me comprendre comme appartenant à la nature19. Enfin, dans la section dédiée à la constitution du monde spirituel, Husserl réintroduit la dimension de la personne et de la communauté, que Ricœur comprend en le rapprochant du Geist, l’esprit objectif hegelien, ou de la conscience collective de Durkheim : nous ne sommes pas seulement des parties de la nature, mais nous sommes pris dans un réseau d’échange, dans une communauté et dans un ordre social de significations20. Ainsi, aux yeux de Ricœur, cette œuvre montre la place fondamentale de l’intersubjectivité pour la constitution du sens, et elle le fait d’une façon qui semblerait demeurer en deçà de l’interprétation idéaliste de la constitution21. Et pourtant ces descriptions ne suffisent pas selon Ricœur pour trancher l’ambiguïté dans l’interprétation de la réduction : si la pluralité d’ego ne pose aucune difficulté pour la constitution de la chose, c’est parce que l’intersubjectivité demeure trop subordonnée au sens de l’objectivité conquis à partir de l’ego seul ; l’accès à autrui par analogie, qui souffre du manque d’une expérience plus directe de l’autre, dépend de l’exigence d’enraciner en moi le sens d’autrui ; et enfin, si le monde spirituel ne rentre pas en tension avec l’idéalisme, c’est parce qu’il demeure une réalité dérivée, un constitué dont l’ego transcendantal doit pouvoir rendre compte22.
Les analyses de la cinquième Méditation cartésienne que Ricœur mène dans les années 1950 laissent de côté la constitution du monde spirituel, pour se concentrer sur la constitution d’autrui et le sens du monde matériel. C’est à propos de cette méditation que la critique de Ricœur, encore modérée à propos des Ideen II, devient plus tranchée : à son avis, Husserl se donne la tâche impossible non seulement de décrire la façon 163dont autrui m’apparaît (ce qui relèverait de l’exigence intuitionniste de la phénoménologie) mais aussi de constituer autrui en tant qu’autre en moi (ce qui relève de l’interprétation idéaliste de la phénoménologie). Alors que du point de vue descriptif, il apparaît qu’autrui transgresse ma propre sphère d’appartenance, en faisant surgir « un surcroît de présence incompatible avec l’inclusion de tout sens en mon vécu », « l’exigence idéaliste veut qu’autrui, comme la chose, soit une unité de modes d’apparitions, un sens idéal présumé23 ».
La solution que Husserl trouve pour accomplir cette tâche consiste en une nouvelle epoché, qui permet de faire abstraction de tout ce qui est étranger au moi et de mettre ainsi en lumière la sphère du propre, à laquelle appartiennent mon propre corps (Leib), mes vécus actuels et potentiels, ainsi que les objectivités constituées par moi seul. Dans le cadre de cette epoché, en effet, m’apparaît autrui : il m’apparaît comme un corps, qui se donne comme un organisme en vertu de son comportement changeant mais toujours concordant ; et dans la mesure où il ressemble à mon corps, j’opère une transposition aperceptive qui me permet de saisir en autrui le côté psychique qui ne saurait être donné de manière originelle dans ma propre sphère d’appartenance, justement parce qu’il s’agit d’un autre. La constitution d’autrui, dès lors, est une constitution spécifique, qui implique un acte doublement constitué, de présentation et d’apprésentation, qui permet à la fois de rendre compte d’autrui à partir du moi, mais comme quelqu’un qui transgresse ma sphère d’appartenance24. Or, Ricœur sait bien que cette saisie analogisante ne consiste pas en un raisonnement explicite mené à partir de ce qui apparaît, comme si l’expérience d’autrui n’était pas immédiate. Comme le dit Husserl, « ce que je vois effectivement, ce n’est pas un signe ni un simple analogon, une copie en un quelconque sens naturel, mais bel et bien l’autre25 ». L’analogie s’effectue en un seul acte, dans lequel on peut ensuite distinguer, du point de vue noématique, ce qui est réellement perçu et le surplus qui ne l’est pas mais qui co-existe pour et dans la perception. Néanmoins, selon Ricœur, cela n’est pas suffisant pour rendre compte de l’altérité de l’autre. En effet, si la constitution était interprétée en un sens réaliste, l’analogie servirait simplement à renvoyer à la présence absolue de l’autre, 164à repérer les modes subjectifs de la reconnaissance de cette présence ; mais l’interprétation idéaliste ramène cette présence à sa constitution dans la sphère de l’ego, de telle sorte que l’ego transcendantal n’est jamais mis en question dans son statut de fondement26.
Pour le dire autrement, Ricœur croit que la distinction entre chose et personne est imposée par la description phénoménologique, et qu’elle est minimisée par l’interprétation idéaliste de la constitution27. La difficulté de la phénoménologie ne consiste donc pas dans le fait d’avoir envisagé l’accès à autrui à partir d’une saisie analogisante, mais dans la valeur que l’on attribue à cet acte. Est-ce à dire alors que la description suffirait pour rendre compte d’autrui ? La thèse de Ricœur est plutôt que la distinction entre chose et personne apparaît dans la description, mais sans trouver en elle son origine. Pourquoi, en effet, la concordance du comportement serait-elle indice d’un autre et non pas d’une chose ? Pourquoi d’un étranger et non pas d’un objet de mon monde28 ? Puisque le psychique ne se donne pas en original, le mode d’apparaître ne permet pas vraiment d’opérer le partage entre chose et personne. Ce qui signifie que l’origine de cette distinction n’est pas d’ordre phénoménal. D’où cette distinction provient-elle alors ?
La reconnaissance de l’altérité
par la position d’une limite pratique et éthique
C’est en pointant ces problèmes dans l’approche husserlienne de l’intersubjectivité que Ricœur s’adresse à Kant, avec l’intention de donner un fondement à la description phénoménologique. Selon Ricœur, en effet, il n’est possible de préserver l’altérité de l’autre et l’extériorité de l’être par rapport à l’œuvre de constitution de la conscience que si la raison pose des limites à la connaissance et reconnaît l’irréductibilité de la présence à la dimension des phénomènes. Or, si dans le cas de la constitution des objets, Ricœur s’adresse à la Critique de la raison pure, afin 165de récupérer l’idée d’une objectivité fondatrice posée par le Denken en tant que fondement de l’apparaître29, dans le cas de la constitution d’autrui c’est de la philosophie pratique kantienne que Ricœur s’inspire. Certes, la Dialectique transcendantale permettait déjà de restreindre le domaine de validité de la connaissance et de laisser ainsi de la place à l’idée de liberté. Mais le passage à la philosophie pratique s’avère essentiel : alors que dans le domaine spéculatif la raison ne peut opérer à l’égard des idées que dans sa fonction régulatrice, dans le domaine pratique elle assume un rôle constitutif. Mais pourquoi est-ce important pour la pensée de l’altérité ?
Dans les deux articles de 1954, Ricœur précise que Kant n’a pas développé de véritable phénoménologie de l’altérité, au sens où Husserl a essayé de le faire. La pensée kantienne ne nous permet donc pas de savoir de quelle façon autrui m’apparaît. Pourtant, elle nous permet de « comprendre le sens de l’existence qui s’annonce dans cet apparaître30 ». Pourquoi ? Parce qu’elle permet de rendre justice à l’altérité de l’autre non pas à partir d’une détermination objective, mais à partir d’un rapport pratique et éthique à l’altérité. L’autre on ne le connaît pas, mais on le reconnaît en le respectant. C’est pourquoi Ricœur s’arrête notamment sur la deuxième formulation de l’impératif catégorique – « Agis de façon telle que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen31 ». C’est en effet dans ce précepte qu’autrui apparaît. La raison le formule en se soustrayant à l’influence de tout mobile sensible et en refusant ainsi de faire dépendre l’action morale de la valeur de la finalité de l’action, comme c’est le cas dans ce que Kant appelle l’éthique matérielle. L’éthique doit être au contraire formelle : l’action morale ne peut être fondé que sur ce qui possède, en elle-même, une valeur absolue. Et ce que nous dit cet impératif catégorique, c’est que l’être humain existe comme fin en soi, non pas simplement comme moyen. Autrement dit, la distinction entre chose et personne tient à ceci que la chose peut être considérée comme un moyen, alors que ce n’est pas le cas de la personne, qui est toujours une finalité en elle-même. Voici alors pourquoi Ricœur voit dans cet acte la véritable reconnaissance de l’altérité : c’est parce que 166dans cet impératif moral l’existence d’autrui est posée non pas comme une existence qui serait appréhendée d’abord par un acte théorique et à laquelle on ajouterait une valeur ensuite, mais comme une existence qui est identique à sa valeur, et qui est reconnue dans sa présence et son altérité au même moment où l’on reconnaît sa valeur32.
Mais comment cette reconnaissance d’autrui peut-elle s’articuler avec la description phénoménologique ? Lorsque Ricœur écrit qu’« il est remarquable que ce soit le philosophe le plus désarmé sur le terrain de la description phénoménologique qui soit allé droit à ce sens de l’existence33 », ne sous-entend-il pas que le phénomène n’a plus le même statut que Husserl voulait lui accorder, et que par conséquence il faut non seulement approfondir la phénoménologie, mais l’abandonner tout court ? Du point de vue de Ricœur, il n’est pas question d’abandonner la phénoménologie, mais d’y joindre un acte qui la limite et la fonde en même temps34. L’acte pratique et éthique qui reconnaît autrui par le respect est, en ce sens, un acte qui limite l’apparaître, puisque l’on accorde que l’apparaître d’autrui ne pourrait pas suffire pour l’annoncer comme un être en soi ; et avec l’apparaître c’est le pouvoir constitutif de la conscience qui est limité : la présence de l’autre dans le respect limite la prétention de ma conscience à réduire la personne à l’unité de sens que je peux constituer. En même temps, cet acte fournit un fondement à l’apparaître, puisque la distinction entre la chose et la personne ne se manifeste dans la description que dans la mesure où l’on a déjà reconnu l’altérité de l’autre par le respect35. Le problème de concilier le sens husserlien et le sens kantien de phénomène demeure, et c’est peut-être à cause de cela que cette référence à l’apport ontologique de la pensée kantienne sera abandonnée à partir du tournant herméneutique des années 1960 : alors que dans le rapport aux choses Ricœur pouvait faire valoir que le rôle de la limite de l’apparaître était régulatif et non pas constitutif, dans le cas d’autrui l’acte qui dépasse l’apparaître finit par modifier le sens même des phénomènes qui apparaissent, et cela 167s’avère totalement incompatible avec le statut de la description phénoménologique. Néanmoins, cette idée de limite est intéressante parce que Ricœur recherche un sens de limite qui ne soit pas simplement négatif, comme s’il s’agissait d’une simple négation de la connaissance, ou d’un quelque chose qui m’affecte sans que je puisse le saisir36. Il est conscient au contraire que l’altérité n’est telle que s’il s’agit d’une altérité positive, non pas d’un non-moi mais d’un autre que moi, et c’est cette positivité qu’il essaie de conférer à la notion de limite : « la réalité d’autrui s’atteste dans une réflexion sur la limite, non point la limite subie comme une “situation” qui m’affecte, mais voulue comme le moyen de donner de la valeur au moi empirique » ; c’est un « acte d’auto-limitation justifiante – [une] position volontaire de finitude – [qui] peut s’appeler indifféremment devoir ou reconnaissance d’autrui37 ». Autrui ne se manifeste pas dans son simple phénomène, ni parce qu’il m’affecte, mais parce que je reconnais volontairement sa présence en le respectant.
On pourrait se demander si cet acte ne revient pas, une fois de plus, à soumettre l’altérité au pouvoir du moi, puisque c’est moi qui pose activement l’altérité. Pourtant, le fait que cette position ait lieu non pas théoriquement, mais par le respect, semblerait résoudre cette difficulté, et faire de cette position une reconnaissance au lieu d’une constitution. L’attention de Ricœur se concentre plutôt sur l’aspect formel qui est intrinsèque à la pensée kantienne et que Ricœur dénoncera plus explicitement par la suite. Les textes des années 1950 ne montrent pas vraiment de critique à l’égard de ce formalisme. Au contraire, l’éthique doit demeurer formelle sous peine de perdre la coïncidence entre l’existence et la valeur de la personne38. Néanmoins, et c’est cela que nous devons approfondir à présent, Ricœur introduit une précision en concluant son article de 1954, « Sympathie et respect » :
Le propre d’un formalisme est de fournir à l’éthique l’armature a priori impliquée dans le moment de « prise de position » à l’égard d’autrui et appelée à 168s’achever dans le sentiment et dans l’action. Il n’y a pas de morale concrète qui ne soit que formelle ; mais il n’y a pas de morale sans un moment formel39.
La réintroduction d’une éthique matérielle
pour donner de la concrétude à l’altérité
Le geste par lequel Ricœur limite et fonde la description phénoménologique par la pensée kantienne ne saurait se comprendre pleinement sans la référence à Scheler et à son projet d’éthique matérielle, que l’on retrouve en 1954, dans l’article « Sympathie et respect40 ». Ce geste semble d’abord surprenant, puisque Scheler avait précisément construit son projet autour d’une critique forte du formalisme de l’éthique kantienne, qui fait l’objet de l’Observation préliminaire du livre de 1916, Le formalisme en éthique et l’éthique matérielle des valeurs41. Comment Ricœur peut-il alors reprendre les analyses de Scheler après avoir déclaré la nécessité de recourir à la pensée critique kantienne ?
Dans les pages de l’Observation préliminaire, Scheler donne raison à Kant sur au moins un point : le mérite essentiel de la philosophie kantienne est d’avoir compris que l’éthique ne pouvait pas reposer sur l’identification du souverain bien, à savoir sur une valeur-fondamentale d’ordre matériel42. Or, l’éthique matérielle, selon Scheler, n’est pas forcément une éthique des biens et des buts, que l’on formulerait par des inductions en nous situant sur un plan empirique43. Scheler s’efforce au contraire de montrer que les valeurs peuvent être concrètes, douées de contenu, tout en étant a priori : nous ne connaissons pas les valeurs à partir de notre expérience sensible, ce qui signifie qu’elles ne sont pas a posteriori ; nous ne les tirons pas non plus de principes rationnels, ce qui implique que l’éthique n’est pas purement 169formelle ; mais les valeurs nous sont données en tant que contenu d’une intuition eidétique, de telle sorte qu’il est possible de distinguer la valeur, toujours universelle, par rapport au bien auquel elle s’applique, qui lui est particulier. Il est donc possible de formuler une théorie éthique concrète, qui établisse une hiérarchie des valeurs et une série de normes, et qui soit susceptible d’être appliquée à la vie humaine. Et Scheler précise lui-même dans son Observation préliminaire – en dessinant déjà la voie souhaitée par Ricœur – que Kant n’interdit nullement la formulation d’une telle théorie concrète44. Mais plus précisément, Ricœur s’intéresse à la façon dont Scheler décrit la sympathie (Mitfühlen) en tant que modalité de reconnaissance d’autrui. La sympathie est en effet l’acte par lequel je comprends le sentiment d’autrui, tout en sachant que ce sentiment n’est pas le mien. Ricœur s’y intéresse donc parce que la sympathie permet de concevoir un accès à autrui qui, loin d’être fondé sur un acte de représentation ou de constitution de l’altérité, est un acte ayant à la fois une nature affective qui m’unit immédiatement à autrui, et une valeur éthique car il me permet de rencontrer l’autre tout en reconnaissance sa singularité. On y retrouve donc l’expérience directe qui manquait dans la phénoménologie husserlienne et la concrétude de l’affectivité que Kant voulait exclure. Or, la question que pose Ricœur est la suivante : l’affectivité peut-elle ouvrir le monde des personnes45 ? Pourrait-on tout simplement abandonner la référence à Kant pour retrouver dans un acte affectif, qui relèverait entièrement de la description phénoménologique, la reconnaissance de l’altérité de l’autre ? La réponse de Ricœur est négative, et elle l’est à cause de deux points faibles que Ricœur repère dans les descriptions de Scheler.
1. La première faiblesse, aux yeux de Ricœur, se retrouve dans la façon dont Scheler distingue la sympathie de deux extrêmes qui excluent la compréhension véritable de l’autre, à savoir la reproduction cognitive de l’affect d’un côté (où manque le partage de ce que l’autre ressent), et la contagion ou la fusion affective de l’autre (où l’union du ressentir finit par empêcher la distinction des êtres, et par là même l’accès à l’autre en tant qu’autre)46. Ces distinctions sont claires et bien soignées. Pourtant, Ricœur se demande si elles constituent effectivement des données phénoménologiques. 170La facilité avec laquelle – de l’avis de Scheler lui-même – sympathie et contagion ont souvent été confondues, n’est-elle pas l’indice du fait que la distance entre moi et autrui ne relève pas d’un acte de nature affective ? Et le fait que Scheler lui-même voit dans la fusion affective la matrice de la sympathie, ne témoigne-t-il pas de la difficulté de distinguer ces deux formes de rapport affectif à autrui ? Ces perplexités exprimées par Ricœur montrent aussi la fonction que celui-ci assigne à la sensibilité. Comme il le précise dans un article de 1959, qui continue d’employer un vocabulaire kantien dans le but de souligner la genèse réciproque entre sensibilité et entendement, le sentiment doit être entendu comme la contre-partie de la distinction entre sujet et objet qu’opère la pensée représentative47. Le sentiment manifeste ma communion avec le monde, il a une fonction d’intériorisation. Mais c’est précisément à cause de cela que l’affection entraîne la confusion, du moins pour autant que l’entendement ou la raison ne fournissent pas des principes de distinction et de hiérarchie : dans le cas spécifique d’autrui, l’affectivité peut montrer la communion avec l’autre, mais non pas son altérité48.
2. La deuxième difficulté réside dans la primauté que Scheler réserve à la sympathie par rapport à d’autres sentiments, tels que l’antipathie, la jalousie ou la haine. Ce privilège peut-il se justifier d’un point de vue phénoménologique ? La description de nos rapports à autrui ne doit-elle au contraire avouer que tout affect est intéressant dans sa dynamique particulière de reconnaissance d’autrui, même lorsqu’il s’agit de la reconnaissance de l’autre via sa négation49 ? Cela ne signifie pas, d’après Ricœur, qu’on n’ait aucune raison d’accorder à la sympathie un statut privilégié par rapport à d’autres sentiments. Mais justement, il faut parler de « raison » : le privilège de la sympathie en tant que mode de relation à l’altérité ne peut dériver que d’un choix, ou d’une exigence, qui ne sont pas d’ordre phénoménologique, mais d’un ordre moral qui est introduit par la raison. Ainsi, la sympathie est privilégiée pour son affinité avec le respect et le bonheur, alors que la lutte y est subordonnée à cause de sa dissonance avec le respect50.
171La conclusion est alors que la sympathie, et l’affectivité en général, sont nécessaires et néanmoins insuffisantes pour garantir un accès à l’altérité de l’autre. Certes, les analyses de Scheler montrent la possibilité d’une relation à l’autre qui soit affective et morale avant d’être théorique ; et ces analyses sont nécessaires pour que le respect entendu dans le cadre d’une éthique formelle ne demeure pas une notion entièrement étrangère à l’affectivité. À cet égard, Ricœur souligne même que l’acte de reconnaissance d’autrui par le respect doit se lier à l’affectivité pour exister : respect et sympathie sont en réalité un même vécu, que l’on peut considérer respectivement dans son moment pratico-éthique et dans sa matière affective. Mais cette union de sympathie et respect dans un seul vécu ne signifie pas qu’ils sont identiques : si la sympathie peut être considérée comme une voie d’accès à autrui, et non pas comme une fusion affective qui annule, avec la distance de l’autre, son altérité, c’est parce qu’elle repose sur le respect, qui demeure au fondement de la reconnaissance de l’altérité de l’autre. C’est en effet cet acte, que Ricœur définit comme « trans-affectif », au sens où il « peut justifier critiquement la sympathie », et « trans-historique », car il permet d’envisager la « fin de la lutte au double sens de visée morale et de terme historique, et ainsi [de] donner une mesure à la violence51 », qui peut fonder non seulement la description de l’apparaître d’autrui, mais aussi la description de mon rapport affectif à l’autre52. Et il peut les fonder parce qu’il n’est pas, à son tour, réductible à un acte théorique, ou à un sentiment. Comme nous l’avons vu plus haut, il s’agit au contraire d’une prise de position active effectuée par la raison, d’une position de l’altérité que l’on veut, et que l’on ne se limite pas à subir. Autrement dit, l’altérité d’autrui n’est reconnue que dans la mesure où l’on prend la mesure de la nécessité éthique de cette reconnaissance.
Conclusion
En dépit des difficultés qui surgissent de la tentative de concilier des positions théoriques différentes, les analyses que Ricœur déploie dans 172les années 1950 nous offrent une exploration des différentes possibilités d’accès à l’altérité de l’autre : l’acte d’apprésentation décrit par la phénoménologie husserlienne, qui permettrait de distinguer la personne de la chose en s’en tenant à la simple sphère phénoménale ; la voie affective de la sympathie, qui permet d’envisager une communion du sentiment, et donc un accès non théorique à autrui ; et enfin la voie de la raison critique, qui pose l’altérité par l’acte pratico-éthique du respect. Ricœur n’exclut aucune de ces voies, mais il parvient à définir un ordre précis de fondation : le respect est l’acte qui seul permet la reconnaissance de l’altérité, et c’est lui qui permet de faire apparaître au niveau phénoménal la différence entre chose et personne, ainsi que de distinguer au niveau affectif la sympathie de la contagion. Ricœur affirme ainsi la nécessité d’envisager un accès à l’altérité qui soit d’emblée éthique. Ce choix le rapproche-t-il de la thèse que Levinas est en train d’élaborer pendant ces mêmes années, et qui trouvera en 1961 sa première formulation systématique ? Pas complètement, puisque l’éthique levinassienne n’est nullement une éthique de la raison, ni d’un moi qui poserait volontairement l’altérité de l’autre. Et pourtant, nous pouvons identifier trois éléments de convergence, qui sous-tendent aussi leur renouvellement de la phénoménologie : 1. l’idée que le sens éthique, et la transgression de l’immanence qu’il implique, sont nécessaires pour rendre compte de l’altérité d’autrui ; 2. la conviction que la phénoménologie manque l’altérité de l’autre parce qu’elle se tient dans cet ordre immanent du sens ; 3. l’idée que le sens éthique ne peut se distinguer d’un acte théorique et d’un acte affectif, et qu’il ne peut transgresser ainsi l’immanence, que si l’on met en évidence qu’il s’agit non seulement d’une limite négative de la connaissance, mais bien au contraire d’une limite positive du sens. Cette positivité du sens éthique est celle que Levinas trouvera dans la responsabilité et que Ricœur trouve ici dans le respect.
Chiara Pavan
Archives Husserl (CNRS, Paris)
1 Voir E. Levinas, Totalité et Infini, Paris, Le livre de poche, coll. « Biblio essais », 1990, p. 15.
2 Voir J.P. Sartre, L’être et le néant, Paris, Gallimard, 1943, p. 259-261.
3 E. Levinas, Totalité et Infini, op. cit., p. 217.
4 Les toutes premières traces de ce que Don Ihde appelle le « tournant herméneutique » de la pensée de Ricœur (cf. D. Ihde, Hermeneutic phenomenology, Evanston, Northwestern University Press, 1971, p. 82) se trouvent dans l’article « Le symbole donne à penser », de 1959 (Esprit, vol. 27, no 7-8, 1959, p. 60-76).
5 P. Ricœur, « Sympathie et respect » (1954), Id., À l’école de la phénoménologie, Paris, Vrin, 1986, p. 334.
6 Voici la liste complète des articles considérés dans ce travail : « Analyse et problèmes dans Ideen II de Husserl » (1952), P. Ricœur, À l’école de la phénoménologie, op. cit., p. 93-157 ; « Étude sur les Méditations cartésiennes de Husserl » (1954), ibid., p. 187-231 ; « Edmund Husserl. La cinquième Méditation cartésienne » (1967), ibid., p. 233-272 (qui ne sera considéré que de façon comparative) ; « Sympathie et respect » (1954), ibid., p. 333-359 ; « Kant et Husserl » (1954-1955), ibid., p. 273-313 ; « Le sentiment » (1959), ibid., p. 315-331. Nous ferons référence aussi à deux documents d’archive conservés au Fonds Ricœur de l’Institut protestant de théologie de Paris : le cours intitulé « Kant et la négation », datant en toute probabilité de la fin des années 1950 (boîte 16, dossier 58), et les notes de lectures sur Scheler, recueillie dans deux feuillets probablement écrits en préparation à l’article de 1954 (f. 5433-5434).
7 P. Ricœur, « Kant et Husserl », art. cité, p. 305.
8 P. Ricœur, Philosophie de la volonté. 1 – Le volontaire et l’involontaire, Paris, Points, 2009, p. 54.
9 P. Ricœur, « Kant et Husserl », art. cité, p. 274-276.
10 Ibid., p. 275.
11 P. Ricœur, « Sympathie et respect », art. cité, p. 358.
12 P. Ricœur, « Kant et Husserl », art. cité, p. 304.
13 P. Ricœur, « Étude sur les “Méditations cartésiennes” de Husserl », art. cité, p. 230-231.
14 E. Husserl, Méditations cartésiennes, 4e, § 41, trad. fr. M. De Launay, Paris, Puf, 1994, p. 132.
15 P. Ricœur, « Étude sur les “Méditations cartésiennes” de Husserl, art. cité, p. 190.
16 P. Ricœur, « Sympathie et respect, art. cité, p. 335.
17 Les analyses de la cinquième Méditation cartésienne que Ricœur mène dans les années 1950 se retrouvent dans les deux articles déjà cités « Kant et Husserl » et « Sympathie et respect », alors que l’« Étude sur les “Méditations cartésiennes” de Husserl » ne concerne que les quatre premières Méditations. Rappelons en outre que les écrits inédits de Husserl sur l’intersubjectivité, recueillis dans les tomes XIII et XIV des Husserliana, ne seront publiés qu’en 1973, par Iso Kern, et que par conséquent Ricœur n’y a pas accès à cette époque. Ce n’est que dans l’article de 1986, « Hegel et Husserl sur l’intersubjectivité » (P. Ricœur, Du texte à l’action. Essais d’herméneutique II, Paris, Éditions du Seuil, 1986, p. 281-302), que ces écrits seront considérés.
18 E. Husserl, Recherches philosophiques pour une constitution, § 18h, trad. fr. E. Escoubas, Paris, Puf, 1996. Voir aussi P. Ricœur, « Analyses et problèmes dans Ideen II de Husserl, art. cité, p. 114.
19 E. Husserl, Recherches philosophiques pour une constitution, § 47, op. cit., p. 239. Voir aussi P. Ricœur, « Analyses et problèmes dans Ideen II de Husserl », art. cité, p. 136.
20 E. Husserl, Recherches philosophiques pour une constitution, § 52, op. cit., p. 281. Cfr. aussi P. Ricœur, « Analyses et problèmes dans Ideen II de Husserl » (1952), in À l’école de la phénoménologie, op. cit., p. 143.
21 Ibid., p. 97-98.
22 Ibid., p. 152-153.
23 P. Ricœur, « Kant et Husserl », art. cité, p. 306.
24 E. Husserl, Méditations cartésiennes, 5e, § 50, op. cit., p. 160.
25 Ibid., § 55, p. 173.
26 P. Ricœur, « Kant et Husserl », art. cité, p. 307-308.
27 Ibid.
28 P. Ricœur, « Sympathie et respect », art. cité, p. 338.
29 P. Ricœur, « Kant et Husserl », art. cité, p. 274-275.
30 Ibid., p. 308.
31 E. Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, 2e section, trad. fr. V. Delbos, Paris, Delagrave, 1974, p. 150.
32 P. Ricœur, « Sympathie et respect », art. cité, p. 346 : « il n’est pas possible que je reconnaisse autrui dans un jugement d’existence brute qui ne soit pas un consentement de mon vouloir au droit égal d’un vouloir étranger ».
33 P. Ricœur, « Kant et Husserl », art. cité, p. 308.
34 Ibid., p. 313.
35 P. Ricœur, « Sympathie et respect », art. cité, p. 358 : « La personne est reconnue dans le mouvement inverse qui replace l’apparaître dans l’être ».
36 C’est cette idée de positivité de la limite que Kant approfondit dans le dossier inédit du Fonds Ricœur, intitulé « Kant et la négation » (Fonds Ricœur de l’Institut protestant de théologie de Paris, boîte 16, dossier 58).
37 P. Ricœur, « Sympathie et respect, art. cité, p. 345.
38 Il est vrai que Ricœur, à deux reprises (ibid., p. 311 et 349), exprime son regret pour le « tour juridique » pris par l’analyse kantienne, mais cela ne constitue pas une véritable critique. Ricœur insiste sur le fait que Kant a pensé la personne à partir du domaine pratique et éthique.
39 Ibid., p. 357.
40 Nous avons aussi à disposition, grâce aux Archives du Fonds Ricœur, deux feuillets de notes sur Scheler, et notamment sur son œuvre de 1913 Nature et formes de la sympathie (f. 5433-5434), qui constituent en toute probabilité la préparation pour la rédaction de cet article.
41 M. Scheler, Le formalisme en éthique et l’éthique matérielle des valeurs, trad. fr. M. de Gandillac, Paris, Gallimard, 1991.
42 Ibid., p. 11.
43 Ibid., p. 11-13.
44 Ibid., p. 11.
45 P. Ricœur, « Sympathie et respect », art. cité, p. 340.
46 C’est principalement à ces distinctions que sont dédiés les deux feuillets manuscrits sur Scheler conservés au Fonds Ricœur (f. 5433-5434).
47 P. Ricœur, « Le sentiment », art. cité, 315.
48 P. Ricœur, « Sympathie et respect », art. cité, p. 348 : « L’illusion des phénoménologues de la sympathie est que l’existence d’autrui subsisterait encore de manière perceptive ou affective si autrui avait perdu la dimension éthique de sa dignité. »
49 Ibid., p. 344.
50 Ibid., p. 352.
51 Ibid., p. 356.
52 P. Ricœur, « Kant et Husserl », art. cité, p. 309-310.
- Thème CLIL : 3133 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie contemporaine
- ISBN : 978-2-406-12623-2
- EAN : 9782406126232
- ISSN : 2271-7234
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12623-2.p.0155
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 15/12/2021
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : altérité, Ricœur, phénoménologie, éthique, respect, Kant