Field philosophy. From the “why” to the “how”? The example of the philosophy of medicine
- Publication type: Journal article
- Journal: Éthique, politique, religions
2019 – 2, n° 15. Le terrain en philosophie, quelles méthodes pour quelle éthique ? - Author: Gaille (Marie)
- Pages: 37 to 56
- Journal: Ethics, Politics, Religions
La philosophie de terrain,
Du pourquoi au comment ?
L’exemple de la philosophie de la médecine1
Des philosophes se sont formés à la médecine : Locke (xviie siècle), Diderot et Cabanis (xviiie siècle) et plus récemment, nous disposons d’exemples beaucoup plus proches de philosophes non seulement formés à la médecine (Canguilhem, Dagognet), mais pratiquant de façon effective l’art de soigner (Fagot-Largeault, Moulin). Malgré ces exemples, à bien des égards exceptionnels, une ligne de partage semble s’être esquissée à la fin du xviiie siècle entre philosophie et médecine2, qui a contribué à qualifier les philosophes comme théoriciens et/ou créateurs de concepts (Deleuze3), sans qu’il soit nécessaire pour ces activités d’être engagé d’une quelconque manière dans une pratique ou d’entretenir un rapport étroit avec une pratique. Pourtant, depuis une soixantaine d’années environ, cette évolution a été sinon mise en cause, du moins discutée. Au moins deux directions sont explorées : celle d’une compétence mixte, fondée sur une approche philosophique et épistémologique mise au service de la recherche biomédicale et inscrite dans celle-ci, comme l’illustre 38la démarche de Thomas Pradeu en France ; celle d’une exploration philosophique des pratiques médicales, dans laquelle le philosophe ne cherche pas à devenir médecin ni même à contribuer de quelque façon que ce soit à l’art de soigner. C’est à cette seconde direction que nous allons ici nous intéresser.
Précisons notre angle d’approche. Maël Lemoine a récemment proposé une caractérisation de la philosophie de la médecine : la médecine ne peut être considérée seulement comme une science, fût-elle distincte d’une « biologie appliquée4 », mais doit être perçue à travers son exigence d’agir (diagnostiquer, soigner). Partant, la philosophie de la médecine peut se déployer dans plusieurs directions : celle d’une éthique, celle d’une anthropologie (au sens d’une étude de la condition humaine marquée par l’expérience de la maladie et la finitude) ou celle de la philosophie des sciences (ou épistémologie). Ces trois directions ne peuvent toujours être dissociées sous peine, parfois, de manquer certains éléments indispensables à la réflexion. Ainsi, de certaines interrogations traitées en philosophie des sciences dépendent, selon M. Lemoine, les réponses que l’on peut formuler à certaines questions éthiques5. Mais néanmoins, dans les faits, elles ont selon lui une certaine autonomie l’une vis-à-vis de l’autre. Dans la présente contribution, nous nous intéresserons aux questionnements d’ordre moral et politique développées en lien avec la médecine. La frontière d’un tel questionnement éthique avec la dimension anthropologique et la dimension épistémologique est souvent poreuse.
Nous laisserons de côté cette porosité, malgré son intérêt, et privilégierons ici l’« entrée » éthique de la philosophie de la médecine. Nous proposerons dans cette contribution une réflexion destinée à formuler un positionnement général. Il faut cependant souligner qu’elle a été élaborée à partir d’un matériau de travail réuni sur une quinzaine d’années, correspondant à diverses tentatives de traiter de questions de philosophie de la médecine en établissant un rapport avec « la réalité empirique ». Je ne reviendrai pas ici sur ces questions qui ont fait l’objet de diverses publications, mais tenterai de tirer les leçons de ces tentatives6. Ce rap39port avec « la réalité empirique » a pu prendre une forme qu’on peut désigner comme un terrain philosophique – idée que nous chercherons ici à éprouver mais aussi à étayer.
Il ne s’agira donc pas pour nous de juger du bien ou mal fondé des questionnements éthiques en médecine, comme le fait Jean-François Braunstein dans un dossier consacré à la philosophie de la médecine, dans lequel il fustige telle ou telle « mauvaise raison pour laquelle la philosophie peut s’intéresser à la médecine », et notamment celle d’espérer y trouver « un réservoir de “questions éthiques” concrètes permettant de donner un contenu à une métamorale autrement vide7 ». Plutôt, nous souhaitons ici examiner les raisons d’un tel intérêt. En réinscrivant celui-ci dans l’histoire de la philosophie des soixante dernières années, nous chercherons tout d’abord à comprendre les raisons de sa formulation et de son émergence (Partie 1). Nous verrons qu’une première scansion est marquée par la revendication de proposer une éthique substantielle de la médecine et que celle-ci a rapidement fait l’objet d’une critique issue des sciences sociales. Une telle critique a débouché sur des tentatives de réponse diverses, toutes orientées par le souci d’éviter la perte de la relation au « réel », fondées sur le cas, la description de l’expérience vécue et ce qu’on nomme aujourd’hui l’éthique empirique (Partie 2). Cependant, même cette dernière peut s’inscrire dans une division du travail dans laquelle les philosophes restent en chambre et rencontrent des chercheurs engagés dans l’enquête empirique pour croiser, intégrer, articuler d’une manière ou d’une autre leurs réflexions. Dans un troisième et dernier temps, nous chercherons à présenter la démarche d’un philosophe qui entreprend lui-même de constituer son matériau empirique. Nous tâcherons alors de montrer combien il importe de passer de la question du « pourquoi » à celle du « comment ». Ce passage est en effet selon non la condition pour identifier les enjeux et la portée d’une philosophie de terrain (partie 3).
40Philosopher sur les aspects moralement problématiques de la politique et de la vie sociale : un projet d’« éthique substantielle » et ses limites
Dans les années 1960, notamment au sein de traditions philosophiques où dominait la pensée analytique, certains philosophes ont manifesté leur intérêt pour la « chose publique » et certains enjeux de l’actualité internationale. Dans ce contexte, rompant avec un abord jugé « scolastique » et éloigné des problèmes de la vie réelle, plusieurs d’entre eux se sont intéressés à la bioéthique naissante et ont développé une réflexion sur les enjeux éthiques suscités par la recherche médicale et les pratiques de soin. C’est ainsi que le philosophe anglais John Harris décrit son propre parcours, alliant philosophie morale de tradition analytique et bioéthique :
En cette période du milieu du xxe siècle, les plus éminents philosophes universitaires se sont détournés d’un engagement avec de vrais problèmes moraux pour se consacrer à la discussion de méta-éthique. Les philosophes moraux ont ainsi perdu leur rôle important de critique et, dans une certaine mesure, de correction des aspects moralement problématiques de la vie politique et sociale. Au cours des années 1960, de nombreux jeunes philosophes ont recommencé à se tourner vers les problèmes moraux de la société moderne, en utilisant les outils philosophiques de la philosophie analytique anglo-américaine moderne. Ce regain d’attention philosophique pour les questions réelles et urgentes d’intérêt public peut être attribué à la campagne de désarmement nucléaire8.
John Harris souligne en outre, au sujet de la bioéthique, qu’il y a une raison particulière pour les philosophes de s’y intéresser. Les interrogations qu’elle recèle sont d’un genre qui, selon lui, a justifié l’existence même de la philosophie :
La bioéthique a peut-être attiré certains des meilleurs philosophes et produit certains des travaux les plus importants de la philosophie contemporaine, 41précisément parce qu’elle s’intéresse aux questions finales dans leur forme la plus dramatique. Les questions sur la valeur de la vie et sur le sens de la vie […]. Voilà le genre de questions qui ont certainement justifié l’existence de la philosophie en tant que domaine d’étude d’une importance particulière9.
Ce qui s’est passé à partir des années 1960 est donc, dans l’esprit de John Harris, un juste retour aux véritables et essentielles questions de la philosophie, ainsi conduite à traiter de problèmes, dilemmes ou question spécifiques, tels que le cas de « Mme Jones dans la salle 5 à 16h10 de l’après-midi » et des enjeux de politiques publique10. Il s’agit de ne pas s’en tenir à une analyse sur les prédicats moraux et de développer des conceptions morales dotées d’un contenu réel (ce qu’on appelle, par différence avec la « méta-éthique », l’« éthique substantielle »), à partir desquelles intervenir dans le débat public.
En 1994, Monique Canto avance l’idée selon laquelle cette façon de faire de la philosophie était peut-être plus familière aux Anglais qu’aux Français :
Il semble que les philosophes britanniques n’ont jamais considéré que les questions ayant trait à la vie des hommes en société ou aux aspects les plus concrets de l’expérience humaine devaient rester en dehors de leur compétence […] on a l’impression que les philosophes d’Outre-Manche ont maintenu au cours de ce siècle une façon de faire qui était la leur depuis le xixe siècle et dont on a quelques exemples en France jusqu’à la Première Guerre mondiale environ. Ce n’est aucunement parce qu’ils ont renoncé à faire de la vraie philosophie que les philosophes traitent de ces sujets, mais parce qu’ils considèrent, conformément à la formule de Platon sur la beauté de la recherche, que la philosophe n’a pas d’objet réservé et qu’elle doit contribuer, lorsque c’est possible, à une meilleure compréhension des conditions de la vie humaine11.
Cette vision de l’histoire des deux manières de philosopher de part et d’autre de la Manche se discute sans doute. Quoi qu’il en soit, en promeuvant une pratique réflexive fondée sur l’information réciproque des théories philosophiques et des cas concrets, Monique Canto contribue à positionner une manière de philosopher qui, pour elle, doit permettre d’éviter un double écueil : d’une part, une posture normative surplombante, à partir de laquelle le philosophe intervient pour confirmer sa 42théorie, en démontrer la validité et l’efficacité, en l’appliquant à un problème pratique12 ; d’autre part, d’illusoires consensus entre des théories morales qui semblent converger au niveau général, mais qui s’avèrent en réalité divergentes dès lors qu’on les confronte à une situation concrète. Une telle manière de philosopher privilégie le travail d’élucidation, de clarification et de questionnement. Sous cet angle, même si le terme « éthique » renvoie dans son usage courant plus souvent aux « aspects les plus concrets de la réflexion morale13 », Monique Canto estime qu’il n’y a pas de différence fondamentale entre éthique et morale qui ont en commun « la volonté de rendre intelligible, d’apprécier de manière critique, de réfléchir sur les principes et de comprendre14 ».
Cependant, une telle volonté de se tourner vers les problèmes rencontrés par les êtres humains dans la « vie réelle » – quel que soit le sens que l’on donne à cette expression – n’implique pas nécessairement de s’engager dans une démarche dite de terrain au sens que les sciences sociales confèrent à ce terme de terrain. Il est fort possible de traiter de tels problèmes en s’en tenant à une approches conceptuelle et normative de principe. C’est un point que Renée Fox et Judith Swazey ont souligné, de façon critique, dès le début des années 1980, au sujet de la bioéthique qui a pris peu à peu place dans le paysage académique américain au cours des années 1970. Elles affirment que la bioéthique développée aux États-Unis, sous couvert d’universalisme, promeut en réalité de façon non réfléchie les valeurs et les croyances de la société américaine. Les rédacteurs du Rapport Belmont avaient pris la peine d’indiquer que les principes discutés dans ce rapport étaient acceptés dans la « tradition culturelle » américaine, sous-entendant par là que ce n’était pas nécessairement le cas partout15. Mais ce faux universalisme est repérable sous 43d’autres plumes pour Fox et Swazey, qui dénoncent un groupe célèbre de bioéthiciens, notamment composés de philosophes, et leur « myopie culturelle » à l’égard des différences en matière d’éthique médicale :
À cet égard, la réaction d’Engelhardt ressemble à celle des premiers missionnaires chrétiens qui ont vécu et travaillé en Chine à la fin du xvie et au début du xviie siècle et qui ont supposé que les Chinois « n’ont pas de logique » […]. En outre, lui, ses collègues et les éditeurs du rapport du Centre Hastings qui lui ont permis de conserver le titre de son article ont considéré que la bioéthique est un terme suffisamment neutre et universel pour être appliqué aux mœurs médicales en Chine ou, en fait, aux questions éthiques médicales dans quelque société et sous quelque forme qu’il se passe. Ce genre de myopie culturelle nous dérange. Une telle myopie ne se limite pas aux cas où des bioéthiciens américains s’aventurent dans d’autres pays. Il s’agit plutôt d’une caractéristique plus répandue du domaine de la bioéthique, qui se manifeste généralement sous la forme d’une inattention systématique aux sources sociales et culturelles et aux implications de sa propre pensée16.
Pour rendre compte de cette « myopie », Fox et Swazey mettent en avant une série de traits propres au développement de la bioéthique aux États-Unis : tout d’abord, la professionnalisation de celle-ci est marquée par le rôle prédominant des philosophes, des théologiens, des juristes, des docteurs, des biologistes et enfin des économistes, et beaucoup moins par des spécialistes des sciences sociales comme l’anthropologie ou la sociologie ; la forte présence des théologiens suscite pour elles une question spécifique, celle de la légitimité d’une voix religieuse dans le débat, compte tenu de la séparation institutionnelle de l’Église et de l’État ; d’autre part, le développement de la bioéthique américaine s’est caractérisé par une floraison d’associations, de centres et d’instituts, selon un mode de fonctionnement propre à la démocratie américaine déjà indiqué par Tocqueville. C’est toutefois surtout par les valeurs qu’elle promeut que la bioéthique américaine se distingue selon elles : l’individualisme en est la valeur clé et c’est de celui-ci que découle les principes d’autonomie, de respect de la « privacy » et de vérité due au patient, ainsi que le modèle du contrat pour déterminer la relation entre le médecin et le patient. Un tel primat de l’individu conduit fréquemment la bioéthique américaine à poser la question de l’allocation des ressources rares et à envisager la 44relation entre individu et communauté comme une relation d’opposition et non de complémentarité. Revenant enfin sur la figure du philosophe, elles indiquent que la bioéthique américaine repose en grande partie sur un raisonnement de type analytique en philosophie morale, la philosophie analytique dominant le champ de la réflexion éthique dans les années 1970. Cela conduit le bioéthicien à privilégier les « expériences de pensée » sur les données issues du terrain et à faire d’un raisonnement sans défaut logique le critère premier de la réflexion (au risque, selon elle d’un appauvrissement certain de la vision de la réalité jugée).
Une telle critique de la bioéthique, ou de la bioéthique philosophique, pourrions-nous dire, n’est pas restée sans effet. Elle a suscité plusieurs stratégies de réponse destinées à éviter l’écueil de l’abstraction, que nous allons examiner dans un second temps.
Répondre à la critique de l’abstraction :
le cas, l’expérience vécue et l’éthique empirique
Lorsque l’on est convaincu, comme Kathleen Wilkes, que les « expériences de pensée » sont insuffisantes pour proposer une réflexion éclairante, une analyse des personnes considérées dans leur « vie réelle » paraît plus appropriée (nous continuons à mettre « vie réelle » entre guillemets, en attendant de revenir au sens de cette expression17). Cette perspective paraît d’autant plus fondée en philosophie de la médecine que plusieurs témoignages de personnes malades insistent sur la différence entre « le monde du malade » et le « monde du bien portant » :
La maladie est la zone d’ombre de la vie, un territoire auquel il coûte cher d’appartenir. En naissant, nous acquérons une double nationalité qui relève du royaume des bien-portants comme de celui des malades. Et bien que nous préfèrerions tous présenter le bon passeport, le jour vient où chacun de nous est contraint, ne serait-ce qu’un court moment, de se reconnaître citoyen de l’autre contrée18.
45Il conviendrait, dès lors que l’on s’occupe de prise en charge médicale, de soin, de rapport à la santé et de maladie, d’être à même d’appréhender des expériences humaines qualitativement différentes, d’être attentifs à plusieurs mondes vécus, dans la mesure où les corps malades sont sans doute les foyers d’une vision du monde fort différente de celle qui émane d’un corps en bonne santé.
Sur le plan de la réflexion éthique, une manière de répondre à l’exigence de dépasser l’abstraction (et l’universalisme supposé de certaines valeurs) a consisté à développer un intérêt pour des « cas » particuliers et concrets de situations de soin, de décisions médicales, d’expériences de malades. Cette voie a été également empruntée par les créateurs de l’éthique clinique, qui ont souhaité revenir, afin d’instruire les difficultés éthiques suscitées par la médecine, au « chevet du patient19 ». Comme nous l’avons rappelé par ailleurs, parmi les principaux initiateurs de cette démarche figure Mark Siegler, médecin de formation et créateur du MacLean Center for Clinical Medical Ethics, implanté à l’Université de Chicago. Mark Siegler est l’auteur, avec Albert R. Jonsen et William J. Winslade, de Clinical Ethics – A practical Approach to Ethical Decisions in Clinical Medicine20. Ces derniers ont promu la nécessité de retrouver le lien avec la relation médecin-malade au quotidien, afin de poser les questions éthiques en situation, compte tenu des caractéristiques propres à ces parcours singuliers.
Cet intérêt pour les cas particuliers constitue un vecteur de rencontre entre philosophie et médecine assez fécond, dans la mesure où la réflexion au cas par cas est centrale dans la manière médicale d’appréhender les situations pathologiques et qu’il existe en philosophie morale un questionnement pluriséculaire sur l’application des principes, fondé sur l’idée qu’une telle application ne va pas (toujours de soi) et que les principes peuvent se décliner de diverses manières selon les situations. La démarche de réflexion sur et à partir des cas constitue donc un espace de rencontre assez propice entre philosophes et médecins21.
46Une manière toute différente d’échapper aux écueils de l’abstraction, et dont nous dirons ici seulement quelques mots, est d’investir la description, en première ou en troisième personne, de l’expérience de la maladie et de la décision médicale, et à partir de celle-ci d’élaborer un propos normatif sur la médecine et la manière dont les équipes médicales devraient soigner les patients. Le socle philosophique d’une telle démarche est souvent phénoménologique, en particulier inspiré par les travaux de M. Merleau-Ponty sur le corps comme centre de perspective et vecteur premier de notre rapport au monde. En première personne, des philosophes telles que Sarah K. Toombs, et Havi Carel, en troisième personne, les philosophes Richard Zaner et Hans Gadamer, ont mis en avant grâce aux outils de la phénoménologie les caractéristiques propres de l’expérience d’un malade confronté à une pathologie et à des décisions susceptibles de changer le cours d’une vie : une expérience que d’autres points de vue, notamment médical selon eux, ne peuvent appréhender sans un travail significatif de réorientation radicale du regard22.
Mais sans doute faut-il prêter une attention soutenue à une troisième manière de répondre à la critique énoncée par R. Fox et J. Swazey au sujet 47des raisonnements de la bioéthique élaborés en dehors de tout ancrage empirique. Cette troisième réponse s’est élaborée non en dehors mais au sein même de la bioéthique depuis le début des années 2000 : « l’éthique empirique ». Cette réponse ne vaut pas pour les États-Unis seulement. Elle est aujourd’hui largement partagée à l’échelle internationale. Selon Pascal Borry, Paul Schotsmans et Kris Dierickx :
Bien qu’il y ait des manières variées de combiner la recherche empirique et la réflexion éthique (et de pratiquer l’éthique empirique), elles ont toutes en commun quelques hypothèses de base : en premier lieu, l’éthique empirique affirme que l’étude des croyances morales réelles, des intuitions, du comportement et du raisonnement des personnes apporte des informations qui sont significatives pour l’éthique et devraient constituer le point de départ de l’éthique ; deuxièmement, l’éthique empirique reconnaît que la méthodologie des sciences sociales (avec ses méthodes quantitatives et qualitatives comme les études de cas, les enquêtes, les expérimentations, les entretiens et l’observation participante) est une manière (et sans doute la meilleure manière) de cartographier cette réalité ; troisièmement, l’éthique empirique affirme que la distinction cruciale entre les dimensions descriptive et prescriptive devrait être plus souple. L’éthique empirique remet en cause l’incompatibilité structurelle entre des approches normatives et empiriques et est convaincue de leur complémentarité ; quatrièmement, l’éthique empirique est un terme heuristique qui défend l’intégration d’une méthodologie empirique ou la recherche empirique de preuve dans le déroulement de la réflexion éthique23.
L’éthique empirique est associée à plusieurs finalités. Sur des thématiques variées (fin de vie, greffe d’organes, tests génétiques, etc.), elle doit permettre, selon Pascal Borry, Paul Schotsmans et Kris Dierickx, de recueillir des connaissances sur « l’éthique en action » (entendue par différence avec le raisonnement éthique a priori) ou sur les conséquences d’une décision. Selon eux, une telle démarche apporte des connaissances fondant plusieurs moments de la réflexion éthique : identification de la question morale en jeu dans la « vie réelle » ; évaluation de la question morale ; évaluation de la décision prise à son sujet24. De manière 48proche, Bernadette Dierckx de Casterlé, Mieke Grypdonck, Nancy Cannaerts and Els Steeman estiment que les méthodes tant qualitatives que quantitatives permettent d’acquérir une meilleure compréhension du monde dans lequel nous vivons, de l’état réel des choses et à partir de là, d’élaborer des raisonnements éthiques plus raffinés que ceux qui ne sont pas fondés sur de telles méthodes25. Selon Jonathan Ives, enfin, l’éthique empirique est utile pour mettre en évidence la nécessité d’examiner à nouveau frais nos catégories morales, dont certaines paraissent mal taillées pour élaborer certaines questions sur des enjeux contemporains26.
Cependant, l’éthique empirique peut toujours s’adosser à une division du travail entre théoriciens et chercheurs engagés dans une démarche empirique, quelle que soit finalement la manière d’articuler les « données empiriques » dans le champ de l’éthique27. Dès lors, si l’éthique empirique constitue peut-être une réponse aux objections de Fox et Swazey pour la bioéthique, elle n’éclaire pas nécessairement la démarche d’un philosophe qui entreprend lui-même de constituer son matériau empirique – démarche qui va, dans la troisième et dernière partie, retenir notre attention.
49La philosophie de terrain :
un crime de lèse-majesté académique ?
Comme le souligne Jonathan Ives, si l’idée de ce qu’est l’éthique ou la bioéthique est relativement claire – une réponse à la critique issues des sciences sociales contre l’abstraction philosophique, une tentative pour développer une théorie morale contextualisée, attentive à l’expérience vécue des personnes concernées, et « une manière de regarder le monde tel qu’il est28 » –,
la question de comment on fait cela, la tâche de détailler une méthode est le plus grand défi auquel sont confrontés ceux qui tâchent de se positionner dans ce domaine en développement, et aucune réponse définitive n’a encore été formulée29.
Jonathan Ives met ici le doigt sur une difficulté majeure. En effet, c’est une chose de revendiquer ce qu’on pourrait appeler, dans le sillage de Jocelyn Benoist, la prise en compte de la réalité dans la démarche philosophique, c’est-à-dire, dans une perspective « corrective et critique », « la nécessité de ré-ancrer nos concepts, de prendre en compte leurs usages effectifs, d’essayer de voir comment ces concepts peuvent effectivement fonctionner dans la réalité30 ». Le comment faire cela s’avère être un chemin compliqué et semé d’épines.
La première difficulté est qu’a priori, dans de nombreuses traditions académiques, le philosophe n’est tout simplement pas formé pour aller à la « rencontre de l’expérience » selon l’expression de Michael Parker31. C’est un point que nous avons souligné dans un travail antérieur, La Valeur de la vie, en tâchant de distinguer différents aspects de cette 50rencontre32. Tout d’abord, s’il s’agit d’identifier et de repérer la diffusion de tel ou tel argument, idée, courant de pensée dans une telle société, un philosophe formé en historien de la pensée et/ou sensibilisé à l’histoire des idées peut s’appuyer sur sa capacité à délimiter et organiser des corpus. Même si, dans le cas de la philosophie de la médecine, le matériau est particulièrement foisonnant – littératures professionnelles, cliniques, épidémiologiques et biomédicales, recommandations de bonnes pratiques, textes législatifs, avis éthiques, production académique, témoignages publics, articles de presse, fictions littéraires ou cinématographiques, la tâche n’est pas impossible.
S’il s’agit de renoncer à l’analyse en chambre, apparaissent alors divers ordres de problèmes. Car, que s’agit-il d’apprendre, sinon à faire un terrain : autrement dit, un élément qualifiant majeur d’autres disciplines que la philosophie, en particulier la sociologie et l’anthropologie ? Les sociologues et les anthropologues peuvent à bon droit se montrer suspicieux, a minima dubitatifs, à l’égard de ce désir de terrain formulé par quelques philosophes : la division du travail, qui peut certes avoir une histoire différente selon les cultures académiques, se traduit cependant par des apprentissages distincts. Qui veut se lancer dans l’observation participante, les entretiens ou toute autre forme d’étude qualitative ne peut le faire de façon improvisée sans risquer de se fermer d’emblée des portes par d’élémentaires maladresses, ou fauter de façon grossière sur un plan méthodologique. Mutatis mutandis, il ne peut apprendre ces compétences que dans des formations de sciences sociales. Sur un plan méthodologique, les choses sont d’ailleurs bien balisées par les sciences sociales dans divers manuels de terrain, y compris dans le champ spécifique des recherches sur la médecine ou la santé humaine33. Mais au-delà de ces balises méthodologiques, l’expérience elle-même de terrain, de terrains devrait-on sans doute dire au pluriel, est incompressible. Elle fait d’une étude un travail « sociologique » ou « anthropologique » de plein droit.
Ce constat fait, il ne reste guère d’autre option au philosophe désireux de faire un terrain que de se mettre en posture d’apprentissage, et ce, de façon durable, car tout cela prend du temps, et d’espérer aboutir à 51des résultats qui sauront convaincre ses collègues philosophes comme sociologues ou anthropologues, qu’une telle démarche ne se réduit pas à une transgression infondée. Chemin faisant, le philosophe découvre la nécessité d’élaborer des protocoles d’enquête et de les soumettre à un comité éthique qui validera, ou non, sa démarche de recherche non interventionnelle en santé34. Il devra apprendre à faire avec ses propres réactions émotionnelles face aux corps malades, à la gestion d’urgences vitales, à la machinerie des soins très impressionnante dans certaines spécialités médicales, etc. Il devra aussi accepter ce qu’on peut décrire comme des incohérences : entre les actes et les paroles, entre les propos publics et les propos privés, l’orientation initiale prise dans une décision médicale et son évolution, etc. Alors que le philosophe peut chercher à construire une unité argumentative ou conceptuelle, il s’agira pour lui, sur le terrain, d’accepter ces incohérences et même de leur donner sens35. Enfin, il conviendra qu’il apprenne à repérer, dans le sillage d’Erving Goffman, les ratés, les silences, les incongruités, qui viennent déranger un cadre d’expérience bien constitué ou signaler un questionnement rendu invisible par ce cadre36.
Il est certain que cette aventure du terrain, pratiquée en philosophe, ne répond pas à l’attente que certains sociologues formulent à l’égard de la philosophie, cette fois-ci non du point de vue de leur capacité à apprendre sérieusement à faire du terrain, mais plutôt, à l’inverse, à rester philosophes, et rien d’autre, c’est-à-dire des êtres dont la vocation est « d’extraire la portée, les soubassements et/ou les implications proprement philosophiques de concepts ou de schèmes d’explication qu’ont élaborés, dans une visée qui se voulait scientifique, sociologues et anthropologues37 ». Identifiant, en marge d’une position « démarcationniste », prônant la séparation entre la sociologie et la philosophie, et d’une autre position, « intégrationniste », visant l’unification de leurs deux discours, un troisième agencement possible de leur relation, le sociologue Cyril Lemieux tient que cet agencement, le « conversionnisme », repose sur le fait que chacun (philosophe et sociologue) fait son travail :
52À dire vrai, le conversionnisme ne cherche pas la mort de la philosophie. Il exige au contraire que la philosophie continue d’exister et d’affirmer hautement son point de vue. Cela, pour deux raisons. La première est que la perspective philosophique est celle-là même à laquelle les sciences sociales se doivent de répondre, si elles veulent se montrer à la hauteur de leur vocation qui est d’élaborer un savoir universel sur l’homme et les sociétés humaines. La seconde est que la perspective philosophique est également celle-là même avec laquelle les sciences sociales se doivent de rompre, si elles veulent conquérir leur statut de sciences à part entière. Ainsi, pour le conversionniste, la philosophie doit être reconnue comme le partenaire privilégié de la sociologie. Elle est une façon de penser le monde qui se tient au plus près du raisonnement sociologique tout en n’étant pourtant pas ce que la sociologie doit être38.
L’argument est intéressant, mais il ne tient pas compte du besoin énoncé de fait par des philosophes de rompre avec l’analyse en chambre, de se revendiquer d’une forme de réalisme, d’aller à la rencontre de l’expérience, in fine d’aller jusqu’à faire du terrain en apprenant de leurs collègues sociologues ou anthropologues. Si l’on veut tenir compte de ce besoin formulé, la question qu’il nous semble essentiel de poser à un philosophe de terrain est de savoir à quoi le conduit cet apprentissage en terme de positionnement épistémologique et disciplinaire : devient-il sociologue ou anthropologue (une autre forme de « conversion » que celle envisagée par Cyril Lemieux) ou fait-il en philosophe autre chose avec un terrain que les sciences sociales ?
Une réponse, que nous reprenons volontiers à notre compte, a été donnée à cette interrogation qui donne une place au terrain en philosophie, notamment pour faire émerger et élaborer des questions qu’une analyse sans terrain n’aurait même pas permis d’envisager. C’est dans cette perspective qu’Annemarie Mol positionne son travail dès 2002 en proposant au philosophe de renoncer à une position de surplomb à l’égard des sciences sociales et à une posture d’usager des matériaux réunis par les sciences sociales. La théorie ne peut, selon elle, s’élaborer à distance des pratiques. Elle doit aussi toujours être au fait de son ancrage dans la singularité d’une situation, sans chercher à la présenter sous un jour universel :
La philosophie dans laquelle je m’engage ici est d’un type bien précis. Elle est explicite sur ses origines locales. Ainsi, tout au long du livre, il y a des 53instantanés d’une seule maladie aux multiples aspects et de la façon dont elle est traitée dans un seul hôpital et dans certains de ses environs. La maladie est l’athérosclérose, et plus particulièrement l’athérosclérose des artères des jambes. L’hôpital est un grand hôpital universitaire dans une ville néerlandaise de taille moyenne, anonymisé en hôpital Z. En partant d’un site aussi bien circonscrit, j’essaie d’éloigner la philosophie de ses prétentions universalistes, qui en réalité dissimulent leur dimension locale. Cependant, l’idée n’est pas de célébrer le localisme au lieu de l’universalisme. Il s’agit plutôt de garder une trace aussi persistante que possible de ce qui change quand les choses, les termes et les objectifs voyagent d’un endroit à un autre39.
Une telle position, qu’elle a reconduite dans Ce que soigner veut dire, engage clairement le philosophe dans une démarche de terrain informée par les travaux en sciences sociales, mais avec d’autres finalités que celle des sciences sociales et un autre manière d’utiliser le terrain également40.
En complément de cette réponse, nous voudrions examiner un dernier point. Il nous semble qu’une philosophie de terrain comme celle qui vient d’être décrite, est susceptible d’impliquer une certaine proximité entre une forme d’ethnographie pratiquée aujourd’hui en anthropologie et une philosophie de la médecine d’inspiration canguilhémienne. Plus précisément, cette forme d’ethnographie est tout d’abord attentive à l’irréductible diversité des manières de vivre et d’être, manières qu’elle cherche à décrire, recenser, sans les juger ni les évaluer. Une telle ethnographie est également attentive aux possibles effets de l’état des corps sur la pensée, ce que l’anthropologue Michel Naepels exprime en citant un extrait des Carnets de Cambridge et de Skolden, de Ludwig Wittgenstein :
Mutile complètement un homme, coupe-lui bras et jambes, nez et oreilles, et puis vois ce qu’il reste de son respect de soi-même et de sa dignité et jusqu’à quel point les concepts qu’il a de ces choses sont encore les mêmes. Nous n’imaginons absolument pas combien ces concepts dépendent de l’état habituel, normal, de notre corps. […]. Nous ne savons pas que nous nous trouvons sur un mince rocher élevé, et entouré de précipices où tout apparaît entièrement différent41.
54On rencontre, par exemple dans le travail de Todd Meyers en anthropologie de la thérapeutique, une telle forme d’ethnographie, attentive à la fois aux variations des formes de vie et aux effets de la condition corporelle42. Or, cette pratique ethnographique a un air de famille avec la philosophie canguilhémienne du normal et du pathologique en ce que celle-ci nous invite à considérer les dynamiques normatives que chaque vie déploie et l’élaboration progressive, parfois contrariée, d’une norme individuelle qu’il s’agit de reconnaître dans sa singularité et non de juger43. Dans une veine canguilhémienne, et même si Georges Canguilhem lui-même n’a pas pratiqué la philosophie de terrain, nous dirions volontiers que le terrain est cet espace dans lequel un philosophe peut appréhender « le réel ondoyant et divers » cher au médecin hippocratique sur le plan nosologique, et qu’une philosophie de terrain est une manière de penser qui fait place, dans l’activité théorique elle-même, à ce réel ondoyant et divers, sans chercher à le réduire, à l’évaluer à priori ou à en généraliser abusivement l’un des aspects.
Conclusions
L’on rencontre dans la pensée de Georges Canguilhem une magnifique formule – citée par Jean-François Braunstein dans l’article évoqué en introduction « Histoire et philosophie de la médecine ». Cette formule semble, à elle seule, ressaisir, justifier et donner son cap à la philosophie lorsqu’elle s’intéresse à la médecine : « la philosophie est une réflexion pour qui toute matière étrangère est bonne, et nous dirions volontiers 55pour qui toute bonne matière doit être étrangère44 ». À notre sens, un tel propos ouvre avant tout une enquête sur les modalités à travers lesquelles la philosophie peut s’approprier cette matière étrangère, jusque dans celle, exigeante, de faire un terrain.
Aussi ai-je pris au sérieux, ici, l’affirmation d’un tel besoin de rapport au réel en philosophie, en m’intéressant d’abord à l’histoire récente de ses formulations, aux critiques qu’il a suscitées, à l’évolution de ses formes jusqu’à celle de la philosophe de terrain. J’ai tâché de mettre en évidence les obstacles qui s’élèvent contre une telle manière de faire de la philosophie, obstacles internes autant qu’externes, et d’examiner comment il est possible de les contourner.
J’ai abordé la question à travers l’exemple de la philosophie de la médecine, envisagée à travers les questions éthiques. Il faut souligner que l’interrogation est également instruite de façon très stimulante à l’heure actuelle sur le plan épistémologique par des philosophes des sciences qui inscrivent leur démarche dans des laboratoires de sciences biomédicales45. Il serait sans doute intéressant, en renouant avec le propos de Maël Lemoine cité en introduction, d’analyser les proximités, les articulations entre les philosophies de terrain pratiquées en médecine sous les angles éthique, anthropologique et épistémologique.
Par ailleurs, je n’ai pas abordé un point essentiel dans la présente réflexion : celui des écritures et des formes que peut prendre le « rendu » du terrain. C’est sans doute parce qu’à notre sens, il faut accepter une certaine pluralité en la matière. Mais il n’en reste pas moins que cela constitue un enjeu pour les sciences sociales comme pour la philosophie de terrain présentée ici et que cela engage sans doute, pour toutes ces disciplines, le rapport à la fiction littéraire et au témoignage en première personne.
Sans aucun doute, cette contribution est une tentative pour rendre lisible l’intérêt d’une telle démarche de philosophie de terrain et de lui faire une place, aux côtés d’autres manières de philosopher, des sciences sociales et de parcours « transfuges » d’une discipline à l’autre, comme celui d’Emmanuel Terray ou de Frédéric Keck, tous deux philosophes 56de formation, devenus anthropologues, pour penser en situation46. La philosophe, en s’intéressant aux questions d’éthique en médecine, n’est pas seulement devenue « folle47 » !
Marie Gaille
CNRS SPHERE, UMR 7219 – Université Paris Diderot
1 Je voudrais ici remercier les étudiant(e)s et collègues avec qui j’ai eu l’opportunité d’échanger et de lire sur la philosophie de terrain en médecine : Gilles Barroux, Agathe Camus, Claire Crignon, Catherine Dekeuwer, Steeve Demazeux, Charlotte Gilart de Keranflec’h, Xavier Guchet, Clémence Guillermain, Mathilde Lancelot, Lucie Laplane, Guillaume Le Blanc, Milena Maglio, César Meuris, Maria-Cristina Murano, Marta Spranzi.
2 Jackie Pigeaud, « L’aporie des médecins révélée par un philosophe », Aux portes de la psychiatrie, Aubier 2001 ; Marie Gaille, Textes clés de philosophie de la médecine Vol. I : Frontière, savoir, clinique, Paris, Vrin, 2011 ; et « D’indispensables services rendus : l’alliance épistémologique de la philosophie et de la médecine selon Cabanis », dans Cl. Crignon et D. Lefebvre (dir.), Philosophie et médecine – Une histoire, Paris, éditions du CNRS, 2019, p. 295-319.
3 Pour la première qualifiation, voir Claude Lévi-Strauss, Entretien avec Raymond Bellour, En marge de La voix des masques …, dans Œuvres, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2008, p. 1662 ; pour la seconde, voire Gilles Deleuze, Qu’est-ce que la philosophie ?, Paris, Éditions de Minuit, 1991.
4 Maël Lemoine, Introduction à la philosophie des sciences médicales, Paris, Hermann, 2017, p. 6.
5 Ibid., p. 13.
6 Marie Gaille, La valeur de la vie (Paris, Les Belles Lettres, 2010) ; Le désir d’enfant (Paris, PUF, 2011) ; écrit en collaboration avec G. Viot, « Prenatal diagnosis as a tool and a support for eugenics : myth or reality in French contemporary society ? », Medicine, Health Care and Philosophy, 2012, DOI : 10.1007/s11019-012-9429-1 ; « Des terres morales inconnues – Du diagnostic prénatal à la décision de poursuivre ou d’interrompre une grossesse : une enquête d’éthique clinique en contexte français », Anthropologie & santé, 12, 2016, mis en ligne le 30 mai 2016 ; Pathologies environnementales –Identifier, comprendre, agir, Paris, CNRS éditions, 2018.
7 Jean-François Braustein, « Histoire et philosophie de la médecine », Archives de Philosophie 73, 2010, p. 579.
8 John Harris, Bioethics, Oxford Reading in Philosophy, Oxford University Press, 2004, p. 2-3 (traduit par mes soins, avec l’aide de DeepL, comme pour les citations suivantes, sauf, naturellement, lorsque l’ouvrage a été traduit en français). On trouvera une éclairante présentation de cette évolution in : Monique Canto-Sperber, La philosophie morale britannique, Paris, PUF, 1994.
9 John Harris, Bioethics, op. cit., p. 15.
10 Ibid., p. 14 et p. 16.
11 Monique Canto-Sperber, La philosophie morale britannique, op. cit., p. ix.
12 On retrouve une telle position dans l’ouvrage de L. Sève, Pour une critique de la raison bioéthique, 1994.
13 Monique Canto, Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, Paris, PUF, 1996, p. vi.
14 Ibid. On remarquera qu’une orientation proche de celle développée pour la philosophie par Monique Canto est mise en avant par certains sociologues de l’éthique. S. Bateman distingue ainsi des « préoccupations essentiellement normatives » (fixer pour une société des règles morales et juridiques) du « souci éthique » (s’interroger sur la justesse de notre manière habituelle d’agir et donc des prescriptions normatives qui régissent celles-ci), in : S. Bateman, R. Ogien et P. Pharo (dir.), Raison pratique et sociologie de l’éthique autour des travaux de Paul Ladrière, Paris, CNRS Communication, 2000.
15 Rapport Belmont. Accessible en ligne : http://www.frqsc.gouv.qc.ca/documents/10191/186011/Rapport_Belmont_1974.pdf/511806ff-69c4-4520-a8f8-7d7f432a47ff. Consulté le 29 mars 2019.
16 Renée Fox et Judith Swazey, « Medical morality is not bioethics – medical ethics in China and the United-State », Perspectives in biology and medicine, 27, 3, Spring 1984, p. 337-338.
17 Kathleen Wilkes, Real People. Personal Identity without Thought Experiments, Oxford, Clarendon Press, 1988.
18 Susan Sontag, La Maladie comme métaphore (1977), tr. de M.-Fr. de Paloméra, Paris, Christian Bourgois, 2005, p. 9.
19 Marie Gaille, « Le retour à la vie ordinaire : un enjeu épistémologique pour la philosophie morale. Ce que nous apprend l’enquête éthique en contexte médical », Raison publique, 2014/1 (No 18), p. 93-107.
20 Albert R. Jonsen, Mark Siegler et William J. Winslade, Clinical Ethics – A practical Approach to Ethical Decisions in Clinical Medicine, McGraw-Hill Companies, 2006 (6e éd.).
21 Albert Jonsen et Stephen Toulmin, The Abuse of Casuistry : A History of Moral Reasoning, University of California Press, 1990 ; Marie Gaille, « L’articulation du cas et du principe en éthique médicale : éléments philosophiques pour une appréciation du conflit entre “principistes” et “casuistes” », dans Cl. Lavaud (dir.), Une éthique pour la vie, approches interdisciplinaires (philosophie, médecine, droit, sociologie), Paris, Seli Arslan, 2007, p. 227-241 ; « Le travail des normes en contexte médical : un enjeu épistémologique, moral et politique », dans Ch. Taoufik (dir.), Normes et valeurs, Revue tunisienne des études philosophiques, 52-53, 2013, p. 66-79.
22 De Havi Carel : « Phenomenology and its Application in Medicine », Theoretical Medicine and Bioethics, 2010, 32, no 1, p. 33-46 ; « Phenomenology as a Resource for Patients », Journal of Medicine and Philosophy, 2012, 37, no 2, p. 96-113 ; avec Jane Macnaughton, « “How do you feel ?” Oscillating Perspectives in the Clinic », Lancet, 2012, 379, no 9834 : 2334-35 (23 june) ; « The philosophical role of illness », Metaphilosophy, 2014, 45, 1, Janvier, p. 22-40 « Conspicuous, Obstrusive and Obstinate : A Phenomenology of the Ill Body », Medicine and Society, New Perspectives on Continental Philosophy, Dordrecht, Springer Sciences + Business Media, 2015. Hans G. Gadamer, « Du problème de l’intelligence », Philosophie de la santé, Philosophie de la santé (1993), tr. de M Dautrey, Paris, Grasset & Fasquelle et Éditions Mollat, 1998. De Sarah K. Toombs : The Meaning of Illness – A Phenomenological Account of the Different Perspectives of Physician and Patient, Introduction, Dordrecht et Londres, Kluwer Academic Publishers, 1992 ; « The Meaning of Illness : A Phenomenological Approach to the Patient-Physician Relationship », Journal of Medicine and Philosophy, 1987, 12, p. 219-240. De Richard Zaner : The problem of embodiment : some contributions to phenomenology of the body, La Hague, Nijhoff, 2de édition, 1971 ; The context of the self : a phenomenological inquiry using medicine as a clue, Athens, Ohio University Press, 1981 ; Conversations on the edge. Narrative of Ethics and Illness, Georgetown University Press / Washington, D. C., 2004.
23 Pascal Borry, Paul Schotsmans, Kris Dierickx, « Empirical ethics : A challenge to bioethics », Medicine, Health Care and Philosophy 7 : 1–3, 2004. Voir aussi Lucy Frith, « Empirical ethics : a growing area of bioethics », Clinical Ethics, 2010 ; 5 : 51–53. Voir aussi, pour la définition de la boiéthique empirique, Jonathan Ives, « “Encounters with Experience “ : Empirical Bioethics and the Future », Health Care Analysis, 2008, 16, p. 1-6.
24 Pascal Borry, Paul Schotsmans, Kris Dierickx, « What is the role of empirical research in bioethical reflection and decision- making ? An ethical analysis », Medicine, Health Care and Philosophy 7 : 41–53, 2004, p. 44.
25 Bernadette Dierckx de Casterlé, Mieke Grypdonck, Nancy Cannaerts and Els Steeman, « Empirical ethics in action : Lessons from two empirical studies in nursing ethics », Medicine, Health Care and Philosophy 7 : 41–53, 2004, p. 38.
26 Jonathan Ives, « “Encounters with Experience” : Empirical Bioethics and the Future », art. cité, p. 2.
27 Bert Molewijk, Anne M. Stiggelbout, Wilma Otten, Heleen M. Dupuis et Job Kievit distinguent 5 modalités d’articulation entre théorie et recherche empirique, dont toutes ne relèvent pas de l’éthique empirique telle qu’elle a été définie plus haut : – Prescriptive applied ethicists [Moral Theory > Empirical Data] ; – Theorists [Moral Theory > Empirical Data > Moral Theory] ; – Critical applied ethicists [Moral Theory > et < Empirical Data] ; – Particularists [Empirical Data only] ; – Research in integrated empirical ethics, qu’ils promeuvent comme un modèle dans lequel la distinction fait/valeur n’a pas de pertinence et dont l’objectif est d’élaborer une conclusion normative en lien avec une pratique sociale spécifique, dans « Empirical data and moral theory. A plea for integrated empirical ethics », Medicine, Health Care and Philosophy 7 : 55–69, 2004.
28 Jonathan Ives, « “Encounters with Experience” : Empirical Bioethics and the Future », art. cité, p. 2.
29 Ibid., p. 1.
30 Jocelyn Benoist, « Qu’est-ce que rendre justice aux choses ? », Critique, mars 2019, 862, p. 250. Voir dans ce volume de Critique Ronan de Calan, « Le fil rouge : politique du réalisme », p. 239-249 ; et de Jocelyn Benoist, Éléments de philosophie réaliste, Paris, Vrin, 2011, et L’Adresse du réel, Paris, Vrin, 2017.
31 Jonathan Ives, « “Encounters with Experience” : Empirical Bioethics and the Future », art. cité, p. 2.
32 Marie Gaille, La Valeur de la vie, Paris, Les Belles Lettres, 2010, p. 34 sq.
33 Philippe Adam et Claudine Herzlich, Sociologie de la maladie et de la médecine (1994), Paris, Armand Colin, 2016 ; Joëlle Kivits, Frédric Balard, Cécile Fournier, Myriam Winance, Les recherches qualitative en santé, Paris, Armand Colin, 2016.
34 Voir à ce sujet loi 2012-300 du 5 mars 2012 relative aux recherches impliquant la personne humaine dite loi « Jardé » 2012, textes applicatifs de 2016.
35 Marie Gaille, La Valeur de la vie, Op. cit.
36 Ibid., p. 38.
37 Cyril Lemieux, « Philosophie et sociologie. Le prix du passage », Sociologie, 2012/2 Vol. 3, p. 202.
38 Ibid.
39 Annemarie Mol, Body multiple – Ontology in medical practice, Duke University Press, 2003, p. viii, Préface.
40 Annemarie Mol, Ce que soigner veut dire (2008), tr. de M. et C. Debauche, Paris, Presses des mines, 2009.
41 Michel Naepels, Dans la détresse – une anthropologie de la vulnérabilité, Paris, éditions EHESS, 2019, p. 14-15. La citation est extraite de : Ludwig Wittgenstein, Carnets de Cambridge et de Skolden, 28 janvier 1932, tr. et prés. de J.-P. Cometti Paris, PUF, 1999, p. 90.
42 Todd Meyers, La Clinique et ailleurs – Anthropologie et thérapeutique de l’addiction (2013), tr. de A. Bandini, Paris, Vrin, 2016.
43 Cet air de famille a été remarqué par Marielle Macé, dans Styles – Critiques des formes de vie, Paris, Gallimard, 2016. Il faut d’ailleurs noter qu’à ses yeux, comme pour Alexandre Gefen (Inventer une vie – La fabrique littéraire de l’individu, Les Impressions nouvelles, 2015), la littérature a également les ressources pour décrire les vies, toutes les vies, dans leurs formes diverses, et les manières d’être, sans les évaluer, et d’être à son tour une forme proche de la description ethnographique. C’est même pour Marielle Macé « la responsabilité » de la littérature (p. 13).
44 Georges Canguilhem, Le Normal et le pathologique, Paris, PUF, 1966.
45 Lucie Laplane, Thomas Pradeu, Elliott Sober, « Opinion : Why science needs philosophy », Proceedings of the National Academy of Sciences, mars 2019. DOI : 10.1073/pnas.1900357116.
46 Marie Gaille, « Comment ordonner le réel “ondoyant et divers” ? De la philosophie à l’anthropologie, aller et retour ». Repenser l’anthropologie aujourd’hui avec Emmanuel Terray, Colloque international, Musée du Quai Branly, 2015. Accessible en ligne : Colloque internationalhttps://journals.openedition.org/actesbranly/620. Consulté le 29 mars 2019.
47 Jean-François Braunstein, La Philosophie devenue folle – le genre, l’animal, la mort, Paris, Grasset, 2018.
- CLIL theme: 3133 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie contemporaine
- ISBN: 978-2-406-10144-4
- EAN: 9782406101444
- ISSN: 2271-7234
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-10144-4.p.0037
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 03-18-2020
- Periodicity: Biannual
- Language: French
- Keyword: Philosophy, medicine, fieldwork, individual norm, form of life