Avant-propos
- Publication type: Article from a collective work
- Collective work: États des lieux dans les récits français et francophones des années 1980 à nos jours
- Pages: 7 to 8
- Collection: Encounters, n° 372
- Series: Twentieth and twenty-first century literature, n° 35
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Avant-propos
Faire de plus en plus de place à l’espace, telle semble être une tendance assez générale de la littérature – et, partant, de la critique littéraire – comme des sciences humaines et sociales. Cette tendance est à l’origine de disciplines nouvelles comme la géopoétique (Kenneth White), la géocritique (Bertrand Westphal), la géographie littéraire (Michel Collot), l’écocritique (Alain Suberchicot), l’écopoétique (Pierre Schoentjes), qui s’emploient à jeter des ponts entre géographie, philosophie, arts et littérature, mais aussi entre sciences humaines et sciences de la nature et de l’environnement. Le concept de spatial turn, avancé en 1989 par Edward Soja dans son essai Postmodern Geographies, en est vite venu à illustrer des phénomènes excédant largement son domaine d’étude et la trentaine d’années concernée à l’origine. Reprise et discutée d’abord presque exclusivement par les géographes, sociologues et philosophes anglo-saxons et allemands, l’expression gagne progressivement d’autres pays et d’autres domaines pour désigner l’importance nouvelle, voire la prédominance du paramètre spatial dans les réflexions comme dans les créations. Paradoxe aussi violent qu’aisément compréhensible, la place de l’espace dans les représentations augmente à mesure que l’espace habitable sur Terre diminue. Depuis quelques décennies, cette diminution se fait dramatiquement visible, des menaces de plus en plus lourdes et précises pèsent sur l’environnement, tandis que l’espace peuplé rejoint de plus en plus souvent certains items que Georges Perec présentait en 1974 sous le titre « L’Inhabitable » dans son ouvrage Espèces d’espaces, largement précurseur de motifs topographiques insistants dans la littérature actuelle : « L’hostile, le gris, l’anonyme, le laid, les couloirs du métro, les bains-douches, les hangars, les parkings, les centres de tri, les guichets, les chambres d’hôtel1 ».
La littérature développe ainsi la description de lieux que l’on a envie de qualifier de « nouveaux », qu’il s’agisse de lieux existant depuis longtemps 8mais à la représentation desquels elle ne s’est jamais vraiment attardée, de lieux, souvent dysphoriques, parfois excitants, créés comme de toute pièce par les avancées technologiques et le changement des modes de vie, ou d’entre-deux sans vraie identité. Elle revisite également des lieux, ruraux ou citadins, largement décrits par les œuvres antérieures mais sur lesquels elle jette un autre éclairage, dépaysant, lié en grande partie à d’autres interactions. À l’instar de Jean-Christophe Bailly, beaucoup d’écrivains actuels estiment manifestement plus fécond, pour approcher la « pelote de signes enchevêtrés mais souvent divergents formée par la géographie et l’histoire, les paysages et les gens2 », de se rendre en priorité sur les lieux, ne serait-ce que par l’imagination, pour y trouver matière à de nouvelles écritures.
Cet ouvrage collectif se propose d’examiner ces « nouveaux lieux » et ces nouvelles façons d’ancrer les récits dans une spatialité, de voir et de représenter l’espace et les parcours qui le configurent. Il ne s’agira pas nécessairement d’opposer, en reprenant la célèbre terminologie de Marc Augé, des « lieux » à des « non-lieux » issus de la « surmodernité3 », ni d’opposer géographie et histoire, d’autant que les lieux sont peut-être moins que jamais dissociables du processus historique qui les a faits tels, mais d’examiner sans a priori les représentations spatiales proposées par les écrivains depuis les années 80, pour en mesurer l’importance, la nouveauté, la variété et les enjeux. D’esquisser, en somme, une géographie poétique des lieux-écrits contemporains4.
1 Georges Perec, Espèces d’espaces, Paris, Galilée, 1974/2000, p. 176.
2 Jean-Christophe Bailly, Le Dépaysement. Voyages en France, Paris, Seuil, « Points », 2012 [2011], p. 7.
3 Marc Augé, Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Seuil, 1992.
4 Voir les résumés des contributions en fin de volume.
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-07989-7
- EAN: 9782406079897
- ISSN: 2261-1851
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-07989-7.p.0007
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 01-07-2019
- Language: French