Le territoire conceptuel de l’entreprise Application au cas de l’entreprise familiale
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Entreprise & Société
2020 – 1, n° 7. varia - Auteurs : Hirigoyen (Gérard), Villéger (Amélie)
- Pages : 89 à 129
- Revue : Entreprise & Société
Le territoire conceptuel
de l’entreprise
Application au cas de l’entreprise familiale
Gérard Hirigoyen
IRGO – Université de Bordeaux
Amélie Villéger
CEREGE – Université de Poitiers
Introduction
En 1933, Korzybski remet en cause le postulat aristotélicien d’une logique humaine binaire, selon lui synonyme d’une certaine fermeture d’esprit et en partie responsable de l’état d’esprit ayant conduit à la première guerre mondiale. Il propose d’envisager le monde selon une forme de pensée plus ouverte : la sémantique générale. Sous l’égide de ce nouveau paradigme, il estime que « la carte n’est pas le territoire », la cartographie d’un territoire n’étant que l’une des multiples représentations possibles de ce territoire. Il rappelle alors l’infinitude des représentations de la réalité qu’autorise l’esprit humain et plaide pour une appréhension plus empathique et pacifique des divergences idéologiques.
Ainsi compris, cet aphorisme révèle qu’un territoire, comme un être humain, ne peut se réduire à sa seule entité physique. Le territoire est aussi un espace enrichi par le sens que les sociétés lui confèrent (Di Méo, 1998), une réalité objectivement organisée et culturellement inventée (Kourtessi-Philippakis et Treuil, 2011). C’est une construction sociale 90(Brunet, Ferras et Théry, 1993), un produit de l’imaginaire humain (Giraut, 2008) et la signification qui lui est attachée se joue des distances et des échelles géographiques (Debarbieux, 1995). Le territoire est autant conceptuel que matériel.
Les anglo-saxons utilisent d’ailleurs deux termes distincts pour parler du territoire. Le premier, « territory », fait référence à un espace physique, géographiquement délimité, et susceptible d’être juridiquement soumis au droit de la propriété privée. Il s’agit donc du territoire matériel. Le second, « space » désigne le territoire conceptuel, c’est-à-dire un espace existant en dehors de toute considération juridique.
Ces subtilités sémantiques mettent en évidence que la notion de territoire doit nécessairement s’entendre comme « une réalité bifaciale », à la fois géographique et psychologique, matérielle et conceptuelle. Il s’agit d’une spatialité à la fois géographique et symbolique (Debarbieux, 1995).
Ainsi, le territoire de l’entreprise n’est pas uniquement le territoire géographique sur lequel elle est implantée. Une entreprise sans murs possède pourtant un territoire. Or, l’approche conceptuelle du territoire des entreprises, notamment familiales, n’a guère été explorée dans la recherche académique. Lorsque la littérature s’est intéressée au territoire, elle l’a fait uniquement sous l’angle géographique. Les études cherchaient alors à rendre le paysage « intelligible économiquement » (Ponsard, 1955) et à comprendre les choix d’implantation et de localisation au prisme de la minimisation des coûts, mais elles omettaient de rendre le paysage intelligible socialement et culturellement.
Von Thunen (1826) est l’un des pionniers de cette économie spatiale, orientée exclusivement sur la dimension géographique du territoire. Alfred Marshall (1890, 1919) propose le concept de district industriel. Weber (1909) pose les jalons d’une théorie de la localisation industrielle tandis que Christaller (1933) imagine un modèle de disposition spatiale des villes selon le niveau de services qu’elles offrent. On dénombre un grand nombre d’économistes, comme Perroux (1950) ou Isard (1956), qui tendent à quitter l’analyse sectorielle classique pour orienter leurs recherches dans une approche purement aménagiste.
En 1998, Porter développe sa « théorie du diamant » et précise le concept de « cluster » qu’il avait ciblé comme un des principaux facteurs de la compétitivité dans son ouvrage « The competitive advantage of nations » paru en 1990.
91Toutes ces théories possèdent une dimension explicative certaine, et nombreux sont les auteurs à avoir mis en lumière le rôle significatif des entreprises familiales dans les districts industriels et les clusters (Garofoli, 1994 ; Becattini, 2000 ; Johannisson et al., 2007 ; Wei, Li et Wang, 2007 ; Jaskiewicz et Luchak, 2013), facteurs de développement régional.
Mais, aussi intéressantes soient-elles, ces recherches restent centrées sur la dimension spatiale du territoire de l’entreprise et ignorent sa dimension conceptuelle.
L’originalité de cette contribution est double. D’une part, elle cherche à pallier cette insuffisance en mettant en évidence la dimension conceptuelle du territoire d’une entreprise, entité abstraite composée d’idées et de valeurs. D’autre part, elle s’intéresse au cas particulier de l’entreprise familiale, caractérisée par son hybridité entre une famille et une entreprise, celle-ci conduisant à enrichir cette dimension conceptuelle.
Au niveau théorique, l’un des intérêts de cet article est donc de répondre aux demandes académiques estimant que « repenser les frontières des espaces entrepreneuriaux […] représente une part cruciale du futur agenda de recherche des études en entrepreneuriat » (Steyaert et Katz, 2004). Plus précisément, en mettant en lumière les dimensions sociales et culturelles du territoire, il participe au développement, prôné par les chercheurs, d’une vue de l’entrepreneuriat au prisme des sciences sociales (Swedberg, 2000). Il s’inscrit dans une vision considérant qu’il faut prendre conscience « de la dimension sociale des espaces autour desquels nous concevons l’entrepreneuriat » (Steyaert et Katz, 2004) et contribue à « combler le fossé entre les entreprises familiales et la science régionale » (Stough, Welter, Block, Wennberg et Basco, 2015).
Cette recherche s’inscrit aussi dans un courant préconisant d’accorder davantage d’attention à la contextualisation des réalisations entrepreneuriales. Le contexte historique, temporel, institutionnel, spatial et social y est considéré comme une clé majeure de compréhension des comportements et des objectifs entrepreneuriaux. Le contexte agit sur l’entreprise, autant que l’entreprise agit sur son contexte (Welter, 2011). Le territoire est appréhendé ici comme un instrument privilégié de contextualisation de l’entreprise en général et de l’entreprise familiale en particulier. En effet, les entreprises familiales ne peuvent être correctement comprises sans une prise en compte du contexte dans lequel elles évoluent (Rogers, Carsrud et Krueger, 1996). Enfin, cet article répond aux demandes des 92chercheurs d’investiguer de manière plus approfondie comment les entreprises familiales trouvent l’équilibre entre leur identité locale et la conquête des marchés mondiaux (Baù, Block, Cruz et Naldi, 2017).
L’intérêt managérial d’une telle approche conduit, du point de vue du dirigeant, à avoir une vision différente de son entreprise et à expérimenter une gouvernance globale et intégrée. La prise en considération du territoire conceptuel favorise l’ouverture d’esprit et élargit d’autant le champ des possibles. Le territoire conceptuel devient alors un socle stratégique de développement et de rayonnement de l’entreprise. Dans une société contemporaine marquée, notamment grâce à l’outil numérique, par le décloisonnement des espaces, l’appréhension et la gestion efficiente de son territoire conceptuel par une entreprise représente sûrement l’un de ses principaux avantages compétitifs.
Au niveau sociétal enfin, cette approche participe à la promotion de la responsabilité sociale des entreprises en ce sens qu’elle propose une vision intégrative incluant l’ensemble des parties prenantes. Chaque partie prenante est considérée comme un acteur contribuant à la fois à la création d’identité et à la création de valeur de l’entreprise. La prise en compte de leurs cultures et de leurs environnements respectifs soutient une vision durable et responsable dans laquelle les individualités nourrissent autant qu’elles enrichissent le projet entrepreneurial global. Il convient de penser l’entreprise dans le respect des différentes parties prenantes, et avec l’idée de ne pas avoir d’effet négatif sur celles-ci.
L’objectif de cet article est d’explorer la notion de « territoire de l’entreprise familiale » et de mettre en lumière l’importance de ce concept peu étudié, dans la compréhension et la connaissance de ces firmes. Quelles sont les différentes dimensions du territoire d’une entreprise familiale ? En quoi l’appréhension du territoire global de leur entreprise peut-elle être utile aux entrepreneurs familiaux ?
Pour répondre à ces questions, une revue de la littérature est d’abord réalisée, afin de faire apparaître les composantes, notamment conceptuelles, du territoire de l’entreprise familiale, ainsi que les implications théoriques de la prise en compte de ces composantes. En se fondant sur ce socle théorique, plusieurs propositions sont émises et modélisées. La discussion envisage de considérer la notion de territoire, aussi bien géographique que conceptuel, comme un nouveau socle théorique à partir duquel les chercheurs sur les entreprises familiales pourraient travailler.
931. Revue de la littérature
Selon Steyaert et Katz (2004), « la taille de l’espace entrepreneurial a augmenté de façon spectaculaire ces dernières années car l’entrepreneuriat a envahi tous les milieux et tous les secteurs de la société ». Dans leurs travaux, ces auteurs envisagent « l’espace entrepreneurial » davantage comme un concept qui se diffuse et s’élargit grâce à l’esprit entrepreneurial, que comme un espace matériel. Pour Pitelka (1959), le territoire est même une construction entièrement et uniquement subjective. Il s’apprend, se défend, s’invente et se réinvente. C’est un lieu de vie, de pensée, d’action, de culture, de reconnaissance, de droit, d’enracinement et d’identité. En marketing, le territoire est d’ailleurs considéré comme un espace de valeurs et d’attentes où une marque est légitime aux yeux de sa clientèle actuelle ou potentielle. Il est donc exclusivement psychologique.
Ainsi, la notion de territoire peut être appréhendée sous différents sens. À côté de la territorialité géographique, il existe une territorialité humaine (Raffestin, 1987). C’est à cette dernière que la notion de territoire conceptuel se réfère en considérant, avec Soja (1971), que « l’homme est un animal territorial » et que « la territorialité affecte le comportement humain à tous les niveaux de la vie sociale ». La vision retenue ici est celle d’une « géographie subjectiviste du territoire » (Bailly, 1983 ; Leberre, 1995 ; Moles, 1995) ou « géographie appliquée » (Perrin, 2001). Sous l’égide d’un positionnement constructiviste, les partisans de ce courant plaident pour une « science du territoire », appelée « territoriologie », et discipline à part entière, qui mêlerait l’éthologie, la psychologie animale, l’écologie, l’ethnologie, l’anthropologie physique et la sociologie, et qui resterait à construire (Malmberg, 1980 ; Bonnemaison, Cambrezy et Quinty-Bourgeois, 1999). Dans cette acceptation élargie, trois dimensions du territoire ont été identifiées dans la littérature : une dimension culturelle (2.1), une dimension « business » (2.2) et une dimension sociale (2.3).
1.1. La dimension culturelle du territoire conceptuel
Certains auteurs insistent sur la dimension culturelle du territoire, au point de considérer que le territoire est avant tout une notion « culturelle et subjective » (Buttimer, 1969). Dans cette approche, le territoire se 94développe et prend forme à partir de représentations, de valeurs et d’idéologies (Bélanger, 1977). Il est défini avant tout par la relation culturelle qu’un groupe entretient avec le maillage de son espace. Il devient dès lors un « géosymbole », c’est-à-dire un espace qui prend, aux yeux des peuples, une dimension culturelle où s’enracinent leurs valeurs (Bonnemaison, 1981). L’histoire, jalonnée de résistances culturelles faisant suite à des conquêtes territoriales (Faucquez, 2009), met en lumière la dichotomie entre territoire géographique et territoire culturel et confirme, si besoin en était, l’importance de la dimension culturelle du territoire.
La culture est une variable largement informelle qui permet de distinguer une entreprise d’une autre (Thévenet, 1993). Schein (1985) et Dyer (1986) identifient quatre composantes de la culture : les « artifacts », les « perspectives », les « values » et les « assumptions ». Les « artifacts » sont les manifestations physiques, tangibles, de la culture : nom, marque, logo, codes vestimentaires, langage, rites, comportements, réputation… Les « perspectives » sont intangibles. Elles correspondent aux idées et aux actions qu’une personne utilise pour remédier à une situation problématique (Becker, Geer, Hughes et Strauss, 1961). Ce sont donc des règles spécifiques à une situation, tandis que les « values » sont des principes plus fondamentaux, qui sous-tendent un comportement général (par exemple, respecter une certaine éthique, une certaine philosophie…). Les « assumptions » enfin, se traduisent par un état d’esprit auquel l’organisation semble répondre. Dans l’entreprise familiale, les « assumptions » sont largement influencées par la présence d’une famille et par son histoire, voire par ses mythes et ses rites. Pour de nombreux auteurs (Corbetta, 1995 ; Aronoff et Ward, 2000 ; Ward, 2004), les valeurs familiales sont l’essence-même des entreprises familiales et l’un des piliers-clés de leur stratégie. La culture de l’entreprise familiale peut être plus ou moins explicite et plus ou moins ouverte (Hall, Melin et Nordqvist, 2001), mais, dans tous les cas, trois grands types de valeurs s’entrecroisent : celles des individus, celles de la famille et celles de l’entreprise. Hirigoyen (2013) les modélise grâce à trois cercles se chevauchant et estime que l’importance de la surface commune entre ces cercles est un indicateur de leur convergence. Ainsi, plus l’adéquation entre ces trois types de valeurs sera forte, plus la dimension « culture » du territoire de l’entreprise familiale sera homogène et clairement identifiable. Dans les firmes familiales, le chevauchement entre les territoires 95conceptuels des individus qui composent la firme (qu’ils soient membres de la famille ou non) et le territoire conceptuel de l’organisation est donc un facteur clé de succès, l’assimilation entre les valeurs de la famille, de l’entreprise et des individus étant, selon Distelberg et Sorenson (2009), le principal défi que les firmes familiales doivent relever.
1.2. La dimension « business » du territoire conceptuel
La dimension « business » concerne l’entreprise sur son (ses) secteur(s) et sur ses marchés. Elle traduit sa place dans les cycles de vie afférents (ie Vernon, 1966 ; Dicken, 2007) et son positionnement concurrentiel. Elle reflète ainsi les choix stratégiques qui ont été faits ou qui seront susceptibles de l’être. Ces choix concernent notamment, du fait de leur impact sur le territoire de l’entreprise, la diversification et l’internationalisation.
1.2.1. Diversification versus non diversification
Rumelt (1974), dans la lignée des travaux de Chandler (1962), est parmi les premiers auteurs à avoir mis en évidence un lien stratégique entre stratégies de diversification et performance économique. Il sera toutefois conduit à nuancer ses conclusions suite aux critiques formulées notamment par Christensen et Montgomery (1981). Finalement pour Rumelt (1991), l’industrie n’est pas une bonne unité d’analyse, les industries étant beaucoup trop hétérogènes.
La diversification a ensuite été envisagée comme un moyen de réduire les risques stratégiques (Porter, 1980 ; Amit et Wernefelt, 1990 ; Denis, Denis et Sarin, 1997). Dans les entreprises familiales, les actionnaires dirigeants familiaux cherchent cette diminution du risque stratégique (Casson, 1999 ; Chami, 1999 ; Faccio, Lang et Young, 2001 ; Anderson et Reeb, 2003 ; Gomez-Mejia, Haynes, Nunez-Nickel, Jacobson et Moyano-Fuentes, 2007). On pourrait donc s’attendre à un niveau de diversification élevé dans cette catégorie d’entreprises. C’est l’hypothèse retenue par Shleifer et Vishny (1986) ou par Anderson et Reeb (2003). Mais, elle n’est pas validée car la présence de la famille dans l’actionnariat et dans le management trouble le jeu des relations entre actionnaires et dirigeants. Un engagement socio-émotionnel particulier influence le comportement stratégique (Gomez-Mejia et al., 2007). Dans les entreprises familiales, le point de référence en termes de prise de risque est 96la peur de réduire la valeur socio-émotionnelle. Or, la diversification entraîne des risques de diminution de la valeur socio-émotionnelle. Elle suppose en effet plus d’incertitude, elle nécessite une délégation et peut conduire à l’apparition de nouveaux acteurs externes au cadre familial qui pourront exercer un contrôle sur la stratégie de l’entreprise. Cette explication peut être renforcée par les résultats de Jones, Makri et Gomez-Mejia (2008) qui montrent que la présence dans le conseil d’administration des entreprises familiales de directeurs non-familiaux diminue la perspective de risque lié à la diversification et augmente ainsi le niveau de diversification.
L’innovation est aussi un facteur d’élargissement du territoire de l’entreprise familiale car elle permet de proposer de nouveaux produits et ainsi de se différencier de la concurrence. En misant sur la recherche et le développement, l’entreprise familiale peut rester à la pointe dans son domaine, assoir sa réputation et conquérir de nouveaux marchés (Villéger, 2018). L’étude Ernst &Young (2013), réalisée en collaboration avec le FBN-I (Family Business Network International), montre que l’innovation est considérée par les dirigeants d’entreprises familiales comme étant un enjeu majeur de la croissance de leur entreprise.
Mais, réciproquement, le territoire peut aussi stimuler l’innovation en secrétant, dans sa forme conceptuelle, les ressources (savoir-faire, compétences, capital) et les acteurs (entreprises, innovateurs, institutions de support…) nécessaires à l’innovation. Block et Spiegel (2013) montrent d’ailleurs que les régions avec un haut niveau de densité d’entreprises familiales sont aussi celles qui présentent le plus haut niveau d’innovation. Ainsi, l’innovation n’apparait pas nécessairement de manière uniforme dans l’espace.
1.2.2. Le choix stratégique de l ’ internationalisation
L’internationalisation des entreprises familiales a donné lieu à un nombre de recherches significatif (i.e. Basly, 2007 ; Koopman et Sebel, 2009 ; Kontinen et Ojala, 2010 ; Sciascia, Mazzola, Astrachan et Pieper, 2013). Traditionnellement attachées à leurs marchés domestiques, les entreprises familiales sont parfois conduites à s’internationaliser afin de survivre sur des marchés devenus de plus en plus globalement compétitifs. Deux formes d’internationalisation méritent attention du fait qu’elles 97impactent le territoire de l’entreprise : la stratégie de délocalisation et la stratégie d’implantation à l’étranger.
De très nombreuses études, notamment celles réalisées par Feenstra et Hanson (1996, 1999), ont mis en évidence l’importance des stratégies de délocalisation des firmes américaines. Une synthèse de ces études montre que chacune d’entre elles s’est attachée à étudier une thématique précise liée à la stratégie de délocalisation. Barba Navaretti, Faini et Tucci (2008) s’intéressent à la question du choix de la partie à délocaliser dans un pays étranger. Jones et Kierzdovski (1990), Jones (2005) analysent le choix en termes de compromis entre les coûts de production inférieurs dans le territoire étranger et ceux de la production fragmentée. Helpman, Melitz et Yeaple (2004) se concentrent sur le choix du marché de la production (domestique versus étranger) et de la manière de le servir (exportations versus investissements directs à l’étranger). Antras et Helpman (2004) s’interrogent sur le choix de l’origine des inputs (offshoring versus inshoring) et de l’insourcing ou de l’outsourcing, c’est-à-dire de la quantité de délocalisation qu’un pays ou qu’une région reçoit de l’étranger.
La stratégie de délocalisation peut être considérée comme une altération de la théorie de l’encastrement (Granovetter, 1985), car elle a des conséquences sur le territoire géographique mais aussi sur le territoire conceptuel de l’entreprise. Selon une étude Pwc de 20141, 93 % des dirigeants d’entreprise familiale sondés ne souhaitent pas la délocalisation de tout ou partie de leur entreprise. Les dirigeants d’entreprises familiales, attachés à la gestion de proximité, y voient une perte potentielle d’identité et de valeurs, ainsi qu’une possible atteinte à l’image de l’entreprise. Ils sont particulièrement prudents, voire réticents, face à ce choix stratégique. Donckels et Frohlich (1991) estiment aussi que ce faible intérêt pour l’international tient au comportement moins axé sur le profit des dirigeants familiaux par rapport aux dirigeants non-familiaux. On peut aussi justifier le faible taux de délocalisation des entreprises familiales par leur positionnement sur des créneaux de luxe nécessitant une main d’œuvre hautement qualifiée. C’est par exemple le cas de l’entreprise Selmer, créée en 1885 et considérée comme l’excellence française en matière de fabrication de saxophones, ou le cas de l’entreprise 98Catherineau, créée en 1750, spécialisée dans l’équipementerie de luxe pour avions d’affaire ou yachts. La délocalisation dans des pays à main d’œuvre peu chère, mais peu qualifiée, compromettrait la réputation et l’image de marque de ces entreprises.
L’implantation à l’étranger est un second choix stratégique possible d’internationalisation. Dans ce cas, l’entreprise reste ancrée dans son territoire géographique d’origine et la production n’y est pas affectée. Mais elle choisit de se développer en s’implantant aussi à l’étranger, afin de conquérir de nouveaux marchés. Le territoire géographique devient alors pluriel et l’entreprise passe d’« un territoire » à « des territoires ». Gallo et Pont (1996) estiment que plus la famille entrepreneuriale est capable « d’être » internationale, c’est à dire d’avoir un état d’esprit ouvert sur le monde, plus elle a tendance à se développer à l’international. C’est donc finalement la propension de la famille à s’internationaliser qui détermine la propension de l’entreprise familiale à faire de même. D’ailleurs, les membres de la famille sont souvent utilisés comme des instruments de réduction de l’incertitude liée à l’implantation à l’étranger car ils sont envoyés dans le pays d’accueil en tant que dirigeant de la nouvelle unité implantée. Cette stratégie rassure la famille et permet aussi de donner une responsabilité et une autonomie importante à des membres familiaux qui souhaitent s’affirmer et être reconnus. C’est particulièrement le cas des membres de la deuxième et troisième génération, qui voient dans cet « exil », un moyen de faire leurs preuves et d’apporter à l’édifice familial une extension internationale que leurs parents n’avaient pas apportée. En cela, l’implantation à l’étranger peut participer au phénomène de « cooling off » décrit par Corbetta (1995). L’étude de Gallo et Pont (1996) montre d’ailleurs que ce sont les entreprises familiales multigénérationnelles qui atteignent les plus hauts niveaux d’internationalisation.
1.2.3. La dimension sociale du territoire conceptuel
La dernière approche présente dans la littérature tend à considérer le territoire comme un tissu de relations sociales : c’est la dimension sociale du territoire conceptuel. Si selon Garello (1999), une famille peut se concevoir avant tout comme un espace relationnel, de la même manière, un territoire peut se définir avant tout comme un tissu de 99relations, espace plus ou moins dense d’interactions sociales. Dans cette dimension, le réseau occupe une place prépondérante même si les notions de « réseau » et de « territoire » peuvent, à première vue, sembler antagonistes. En effet, dans l’acceptation traditionnelle, le territoire est associé aux frontières et à la limitation d’un espace singulier au sein d’un espace global. La dynamique du réseau repose au contraire sur son indifférence à la notion de frontière (Négrier, 1989). L’approche conceptuelle permet de dépasser ce clivage, la dimension sociale du territoire étant entendue comme l’influence de l’identité territoriale au-delà de ses frontières géographiques.
Pour de nombreux auteurs (par exemple Miles et Snow, 1986), et dans la lignée d’Emery et Trist (1965), c’est l’accroissement de la turbulence, et par là-même de l’incertitude, qui est à l’origine d’un changement de point de vue menant les entreprises à envisager d’autres formes d’interactions que la rivalité, et notamment la coopération.
Une entreprise est insérée dans un système territorial. Cette insertion passe par l’établissement de relations avec les autres entreprises qui lui fournissent ses intrants ou lui achètent ses produits et services. Elle passe aussi par un ancrage territorial qui lui permet de mobiliser des ressources spécifiques et de participer aux réseaux locaux d’innovation et de soutien au système de production régional. La coopération n’est pas permanente mais elle débouche sur la constitution d’un capital relationnel, dans le sens où les acteurs locaux identifient des ressources particulières et connaissent les modalités y donnant accès.
Cette approche relationnelle (Dyer et Singh, 1998) considère que les coopérations et les alliances peuvent accroître la performance des organisations et réduire les coûts et les risques. Ces arrangements constituent des avantages « relationnels » qui devraient être pris en compte dans la détermination de la valeur de marché d’une entreprise (Preston et Donaldson, 1995).
L’existence de ce capital relationnel suppose que les modalités de mobilisation de ressources ne s’arrêtent pas aux formes monétaires. Les valeurs (entrepreneuriales, familiales, professionnelles…) en vigueur dans un milieu amènent les différentes parties prenantes à contribuer à l’innovation et à la production également dans la perspective d’un investissement social permettant de jouer par la suite sur la confiance et la réciprocité. Cet aspect des milieux innovateurs renvoie à d’autres approches plus 100spécialisées sur les problèmes de coordination de Williamson (1985) avec sa distinction entre hiérarchie, marché et réseau, en passant par des notions plus récentes comme les interdépendances non marchandes (Storper, 1995).
Le tissu social peut alors être considéré comme une ressource, constituée de « relations plus ou moins institutionnalisées d’interconnaissance » (Bourdieu, 1980) et appréhendée sous l’agrégat de « capital social » (Coleman, 1988 ; Danes, Stafford, Haynes et Amarapurkar, 2009). Les liens sociaux peuvent être formels (institutionnalisés) ou informels (basés sur l’affinitaire) (Tourte, 2011). Le pouvoir en résultant se partage lui aussi entre formel et informel, ce dernier pouvant se révéler, notamment dans l’entreprise familiale, plus influent que le premier (Hirigoyen et Villéger, 2017, 2018). Les liens sociaux peuvent aussi être faibles ou forts (Granovetter, 1973). Les liens sociaux forts sont ceux qui relient un individu à sa famille et à ses amis proches. Les liens faibles sont ceux qui s’établissent avec de simples connaissances. L’ensemble de ces liens constituent le réseau. Mais, selon Granovetter (1973), les liens faibles sont finalement très forts dans la mesure où, s’ils sont diversifiés, ils permettent de pénétrer d’autres réseaux sociaux que ceux constitués par les liens forts.
Le réseau de l’entreprise familiale est donc un réseau particulièrement fort (Lumpkin, Brigham et Moss, 2010), car il combine la puissance des liens forts par nature (les liens familiaux) et celle des liens faibles (les liens avec les parties prenantes de l’entreprise par exemple), qui peuvent être qualifiés de forts dans la mesure où ils ouvrent de nouveaux horizons, c’est-à-dire dans la mesure où ils permettent d’étendre le territoire de l’entreprise familiale. Le vocabulaire employé par Granovetter (1973) est d’ailleurs révélateur de cette extension de territorialité puisqu’il fait référence aux « ponts » tracés par les liens faibles entre des groupes d’individus a priori non reliés, terme repris ensuite par Sharma (2008) pour désigner le réseau que l’entreprise familiale entretient avec son environnement externe.
Dans l’entreprise familiale, les relations sociales s’entendent de liens affectifs, financiers, informationnels et politiques, qui permettent d’identifier l’entreprise (Hirigoyen, 2010). « L’espace de l’entreprise familiale semble être caractérisé par un système complexe de freins et de contrepoids qui harmonise les besoins et les désirs d’une variété 101d’individus et d’entreprises coexistant au sein de réseaux. Ainsi, l’espace de l’entreprise familiale n’est pas seulement l’espace de la petite entreprise ou de la multinationale, mais plutôt un espace distinct, étroitement lié à sa localisation ainsi qu’à la communauté et aux réseaux qui l’entourent » (Seaman, 2013).
2. Propositions et modèle conceptuel
Que ce soit au niveau géographique ou au niveau conceptuel, le territoire possède une dimension identitaire. En effet, le territoire est un agencement de ressources matérielles et symboliques capables de structurer les conditions pratiques de l’existence d’un individu ou d’un collectif social et d’informer en retour cet individu ou ce collectif sur sa propre identité (Debarbieux, 1995 ; Ferrier, 2009). C’est aussi un espace où se conforte l’identité des peuples (Bonnemaison, 1981). Au sens biologique ou ethnographique, le territoire désigne un espace qu’un groupe s’est approprié par identification (Lévy et Lussault, 2009). Le concept d’identification sous-tend donc la notion de territoire.
Au niveau géographique, la dimension identitaire du territoire est difficilement contestable. Le lieu d’implantation de l’entreprise, et notamment son siège social, lui confère avant tout une nationalité, c’est-à-dire une identité nationale. Mais dans le cas des entreprises familiales, la forte connexion qu’elles entretiennent avec leur « home region » (Bird et Wennberg, 2014), fait que leur l’identité est aussi, et peut-être avant tout, régionale et locale. La proposition suivante est émise :
P1a. Le territoire géographique participe à la définition de l ’ identité de l ’ entreprise familiale.
Au niveau conceptuel, du fait du chevauchement des systèmes « famille » et « entreprise » (Tagiuri et Davis, 1992 ; Sundaramurthy et Kreiner, 2008 ; Barnett, Eddleston et Kellermanns, 2009), l’entreprise familiale offre un contexte propice à la mise en place de l’identité organisationnelle (Zellweger, Eddleston et Kellermanns, 2010), même 102si le degré d’implication et d’influence de la famille peut être variable (Chrisman, Chua et Sharma, 2005 ; Chrisman, Chua, Pearson et Barnett, 2009). Cette présence familiale induit une culture différente de celle des organisations bureaucratiques non familiales (Lansberg, 1983 ; Astrachan, 1988), notamment grâce à la génération du « familiness », bouquet idiosyncrasique de ressources et compétences apportées par les membres familiaux et potentiellement créateur d’un avantage comparatif (Habbershon, Williams et MacMillan, 2003 ; Zellweger et al., 2010). Or, la culture de la famille, sa réputation, ainsi que son implantation géographique et son histoire, sont considérées par Habbershon et Williams (1999) comme les premières ressources inimitables que possèdent une entreprise familiale. La culture fait d’ailleurs partie des trois indicateurs – les deux autres étant le pouvoir et l’expérience – composant l’échelle PEC (The F-PEC Scale) (Astrachan, Klein et Smyrnios, 2002), outil majeur d’analyse des firmes familiales.
De plus, la présence familiale influence l’identité sociale de la firme : se vivant en tant qu’entreprise familiale, et se sachant « entreprise familiale » et vue comme telle, elle met instinctivement en œuvre le comportement socialement attendu de la part d’une entreprise dite « familiale » (Tajfel et Turner, 1985). Ainsi, et notamment dans sa dimension culturelle, le territoire conceptuel participe largement à la définition de l’identité de l’entreprise familiale. La proposition suivante est émise :
P1b. Le territoire conceptuel participe à la définition de l ’ identité de l ’ entreprise familiale
Le territoire géographique peut être considéré comme une ressource économique créatrice de valeur (Capello, 2009). Mais, dans l’entreprise familiale plus qu’ailleurs, le choix d’une implantation est davantage lié à des considérations non-économiques, qu’à des considérations économiques (Bird et Wennberg, 2014). Dans ce contexte, l’hypothèse de Weber (1909) tombe : ce n’est plus l’optimisation financière qui guide le choix d’installation. L’histoire familiale est ancrée dans un espace donné et, avant les considérations financières et stratégiques, ce sont des considérations familiales et émotionnelles qui déterminent l’implantation de l’entreprise. Dans le cadre particulier des entreprises familiales, le territoire géographique est alors davantage un facteur de création de valeur socio-émotionnelle qu’un facteur de création de 103valeur économique (même si la valeur socio-émotionnelle peut avoir des répercutions économiques). Ce comportement a une résonnance au prisme de la théorie de l’attachement (Bowlby, 1969), et notamment de la théorie de l’attachement au lieu (Belk, 1992 ; Low et Altman, 1992), défini comme un lien affectif positif et identitaire entre un individu et un lieu spécifique, ce dernier constituant pour l’individu une extension du soi. L’attachement donne au lieu une valeur particulière, distincte de sa valeur utilitaire (Debenedetti, 2005). La proposition suivante est émise :
P2a. Le territoire géographique crée de la valeur pour l ’ entreprise familiale.
La culture organisationnelle est source d’avantage compétitif (Barney, 1986). Dans la dimension culturelle du territoire conceptuel, les valeurs de l’entreprise familiale sont créatrices d’une valeur socio-émotionnelle pour l’entreprise familiale. L’honnêteté (Koiranen, 2002 ; Lambrecht et Ting To, 2008), l’équité, la confiance et la loyauté (Pollak, 1985 ; Aronoff et Ward, 1995), ainsi qu’un travail rigoureux et de qualité (Tapies et Fernandez, 2010) sont typiquement des valeurs qui guident l’action des entrepreneurs familiaux. Ces valeurs sont créatrices de valeur car elles contribuent à la cohésion familiale et à la pérennité de la firme (Tapies et Fernandez, 2010).
En outre, comme la famille veut le bien de ses propres membres, l’entrepreneur familial veut le bien de ses employés. Il a tendance à considérer ses salariés comme appartenant à sa famille et à se comporter en protecteur vis-à-vis d’eux (Villéger, 2016). Le paternalisme exercé est sous-tendu par la volonté que les salariés se sentent appartenir à la famille et qu’une communauté d’intérêts puisse ainsi se créer. La démarche est souvent couronnée de succès puisque, dans les entreprises familiales, les employés non-familiaux manifestent un fort sentiment d’appartenance à l’identité familiale (Miller et Le Breton-Miller, 2005). Ils réfléchissent et agissent comme si l’entreprise était la leur, illustrant en cela le concept de propriété psychologique créatrice de valeur socio-émotionnelle (Pierce, Jussila et Cummings, 2009). Ils adoptent alors un comportement de « stewardship » (Sharma, 2004 ; Miller et Le Breton-Miller, 2006) et des motivations semblables à ceux des membres de la famille (Corbetta et Salvato, 2004). Or, l’intensité des valeurs d’engagement et de dévouement envers l’entreprise familiale est positivement corrélée à sa flexibilité 104stratégique, source d’avantage compétitif (Zahra, Hayton, Neubaum, Dibrell et Craig, 2008).
La valeur ainsi créée l’est à un double niveau : pour l’entreprise, notamment en terme d’image, et pour son environnement (écologique mais aussi économique et social). Dans les entreprises familiales, la notion de responsabilité vis-à-vis des parties prenantes est innée et naturelle car les membres de la famille considèrent l’entreprise comme une extension de leur cellule familiale et ne veulent par conséquent souffrir d’une image négative (Dyer, 2006).
Concernant la dimension « business » du territoire conceptuel ensuite, Porter (1980) met en évidence les facteurs exogènes qui impactent la position concurrentielle de l’entreprise (modèle des cinq forces : le pouvoir de négociation des clients, le pouvoir de négociation des fournisseurs, la menace des produits ou services de substitution, la menace d’entrants potentiels sur le marché, l’intensité de la rivalité entre les concurrents). Il fait ainsi le lien entre le succès de l’entreprise et l’environnement dans lequel elle évolue. Le différentiel de performance des entreprises résulte alors de leur capacité à atténuer l’influence des concurrents. Les facteurs endogènes de succès, comme la diversification ou l’innovation, participent aussi au développement de leur avantage concurrentiel et à la création de valeur.
Pour la dimension sociale du territoire conceptuel enfin, en s’appuyant sur la théorie du capital social (Leana et Van Buren, 1999 ; Adler et Kwon, 2002), Arregle, Hitt, Sirmon et Very (2007) montrent que la force du « family social capital » est déterminée par la stabilité des interactions et la proximité des interconnexions des membres du réseau. Du fait de leurs racines locales et des liens forts qu’elles ont pu tisser autour, les entreprises familiales sont plus que les autres, fortement encastrées dans leur environnement local (Astrachan, 1988 ; Deniz et Suarez, 2005 ; Block, 2010). Ces liens forts avec leur environnement sont créateurs de valeur pour les entreprises familiales car ils leur permettent de bénéficier de ressources particulières (capital social, gouvernance) (Sirmon et Hitt, 2003) et représentent l’un des principaux facteurs de pérennité et de viabilité des firmes familiales dans le temps (Miller et Lebreton-Miller, 2005 ; Ward, 2008). Ces développements induisent la proposition suivante :
P2b. Le territoire conceptuel crée de la valeur pour l ’ entreprise familiale.
105Enfin, le territoire conceptuel et le territoire géographique de l’entreprise familiale sont indissociables. Les entreprises familiales influencent fortement leur environnement (Lumpkin et al., 2010) et sont fortement influencées par leur environnement (Reay, Jaskiewicz, et Hinings, 2015). Plus que dans les autres entreprises, le destin entrepreneurial est lié à un ancrage familial local et toute modification des composantes de l’un des deux territoires entraine une modification des composantes de l’autre territoire. La proposition suivante a donc pour ambition, comme suggéré par Baù, Block, Cruz et Naldi (2017), de « dévoiler l’interaction entre les entreprises familiales et leurs racines locales » (Hindle, 2010 ; Fletcher, 2011 ; Basco, 2015).
P3. Le territoire conceptuel et le territoire géographique de l ’ entreprise familiale interagissent.
Ces propositions conduisent à l’élaboration d’un modèle conceptuel :
Fig. 1 – Modèle conceptuel du territoire de l’entreprise familiale.
Il ressort de ces développements que les entreprises, notamment familiales, ont le pouvoir de créer et de façonner leur espace d’influence et d’action. Le territoire en est l’expression.
1063. Discussion
Elle s’organise autour des trois thématiques suivantes : territoire et identité (4.1), territoire et création de valeur (4.2), interdépendance des territoires conceptuels et géographiques (4.3).
3.1. Territoire et identité de l’entreprise familiale
Le territoire participe à la mise en place et à la reconnaissance de l’identité de l’entreprise familiale. Une carte d’identité conceptuelle de l’entreprise, distinguant les trois composantes de son territoire conceptuel peut être dressée.
Fig. 2 – Carte d’identité conceptuelle de l’entreprise familiale.
Le territoire pourrait alors s’envisager comme un nouveau socle d’appréhension de l’identité organisationnelle, identité s’appuyant sur les caractéristiques les plus centrales, les plus distinctives et les plus durables de l’organisation (Albert et Whetten, 1985 ; Whetten et Mackey, 2002). Cette identité organisationnelle est une représentation, potentiellement 107dynamique (Albert, Ashforth et Dutton, 2000 ; Hogg et Terry, 2000), que les individus se font de l’organisation (Bouchikhi et al., 1998). C’est une approche cognitive de l’entreprise, qui correspond parfaitement à l’approche cognitive de la notion de territoire conceptuel. De plus, les éléments qui font partie du territoire conceptuels sont, comme ceux qui font partie de l’identité organisationnelle, les caractéristiques les plus centrales, les plus distinctives et les plus durables de l’entreprise.
L’identité organisationnelle permet aux membres de l’entreprise de donner un sens à leurs comportements organisationnels (Ravasi et Schultz, 2006). Dans ce cadre, les membres de l’organisation sont des acteurs à la fois passifs et actifs de l’identité organisationnelle : actifs car ils participent, par leur travail, leur comportement, leur engagement vis-à-vis de certaines valeurs et de certains principes de l’organisation, à la création de l’identité organisationnelle ; mais acteurs passifs aussi car leur comportement est nécessairement influencé par l’identité de l’organisation dans laquelle ils s’inscrivent. Par leur comportement, ils influencent l’identité organisationnelle, mais leur comportement est aussi influencé par l’identité organisationnelle. La reconnaissance et la prise en compte du territoire conceptuel de l’organisation, présentant les caractéristiques majeures de l’identité organisationnelle, a donc une portée pratique considérable. L’analyse de ce territoire conceptuel par les instances dirigeantes peut permettre de mieux cerner les différentes composantes de l’identité de leur organisation et d’envisager d’éventuelles mesures adaptatives. En effet, l’identité organisationnelle, ressource idiosyncrasique propre à chaque entreprise (familiale ou non) est inimitable et par conséquent potentiellement génératrice d’avantage concurrentiel.
Mais, en proposant une vision globale et cognitive de l’organisation, la modélisation du territoire conceptuel sous la forme d’une carte d’identité conceptuelle (figure 2) peut aussi être un outil à destination des parties prenantes de l’entreprise. Chacune d’elle pourrait en effet renseigner les différentes catégories proposées, afin de mieux appréhender son positionnement et son rôle dans l’environnement de l’entreprise. La carte d’identité conceptuelle serait alors un outil d’aide à la décision. Pour le dirigeant, l’analyse de la perception des parties prenantes concernant ce territoire, dont il a lui-même une vision précise (et précisée, grâce à cet outil), pourrait faire apparaître des éléments de convergence et de divergence avec sa propre vision. Là encore, des actions correctrices 108pourraient être envisagées. En effet, si l’identité est une ressource idiosyncrasique, propre à chaque entreprise, elle résulte aussi d’une perception idiosyncrasique, propre à chaque personne. Dans l’entreprise familiale, l’identité organisationnelle reflète la manière dont la famille définit et voit la firme. Or, cette vision peut soutenir ou au contraire entraver la performance entrepreneuriale (Zellweger et al., 2010). Une comparaison de la vision du territoire conceptuel de l’entreprise de chacun des membres de la famille pourrait donc accompagner la mise en œuvre d’une identité organisationnelle cohérente et partagée.
Dans une approche fonctionnelle, le territoire conceptuel est donc un ensemble idiosyncrasique de valeurs, de pratiques et de relations sociales à partir desquelles l’entreprise familiale construit et vit son identité (Proposition P1b).
Mais l’identité de l’entreprise familiale se fonde aussi sur son territoire géographique (Proposition P1a). Dans une perspective de mise en évidence de l’importance de la prise en compte du territoire dans la recherche sur les entreprises familiales, il est possible d’envisager la décision d’implantation comme directement liée à un ancrage territorial préexistant. Ce territoire familial d’origine fait partie de l’identité génétique de l’entreprise et appartient irrémédiablement à l’histoire de la famille et donc de l’entreprise. Il a une dimension identitaire, et cette dimension identitaire est récursive. Si le territoire participe à la création de l’identité de l’entreprise, l’entreprise participe elle aussi à la création de l’identité de son territoire. L’organisation, à travers son identité, crée un environnement symbolique grâce à ses acteurs qui font exister les structures, les contraintes et les opportunités auxquelles ils sont confrontés (Weick, 1988). En ce sens, l’entreprise familiale rayonne sur le territoire qui l’entoure et contribue aussi à le caractériser. L’exemple de l’entreprise Michelin est révélateur. Si, au départ, seules les racines familiales justifiaient l’installation sur le territoire clermontois, 150 ans plus tard, c’est l’entreprise qui donne une grande partie de son identité à cet espace. Tous les acteurs locaux reconnaissent que son rayonnement pèse pour une grande part dans l’attractivité de la ville. « L’entreprise Michelin est indissociable de la ville de Clermont-Ferrand dont elle a assuré l’essentiel du développement économique et social depuis plus d’un siècle. Leurs sorts restent intimement liés » (Donnet, 2008). La présence d’un groupe de cette renommée a même été analysée par certains auteurs 109(Védrine, 2008) comme « le seul attribut global de ce territoire ». C’est finalement le territoire conceptuel de l’entreprise qui donne une identité au territoire géographique qui l’accueille (Proposition P3).
3.2. Territoire et création de valeur
pour l’entreprise familiale
Dans chacune de ses trois dimensions, le territoire conceptuel crée de la valeur pour l’entreprise familiale. Dans sa dimension culturelle tout d’abord, la culture de l’entreprise familiale est transmise non seulement aux membres de la famille mais aussi aux employés de l’entreprise, non-membres de la famille. Dans ce contexte, les valeurs créent de la valeur (Villéger, 2016) (Proposition P2b). Les entreprises familiales sont marquées par une recherche d’adéquation entre les valeurs de la famille, celles des individus et celles de l’entreprise. La présence d’une famille à la tête de l’entreprise implique, tel un effet « buvard », que les valeurs familiales déteignent sur l’entreprise.
Concernant les membres familiaux, le système « famille » fait en sorte, de manière quasi-darwinienne, de développer chez eux, une culture de la continuité et de la primauté de l’entreprise familiale. C’est l’entité « famille » qui, sous le paradigme de la transmission intergénérationnelle, est responsable de la formation du capital social et culturel de ses membres (Becker, 1964). L’entreprise familiale reste ainsi un environnement particulièrement favorable à la transmission familiale de connaissances, de valeurs, d’outils, de compétences et de motivation (Dawson, 2012), facteurs de pérennité de la firme (Proposition P2b).
Mais la dimension culturelle du territoire conceptuel de l’entreprise familiale se développe aussi autour des employés de l’entreprise non-membres de la famille. L’identité particulière des entreprises familiales les affecte (d’Iribarne, 1993). Par effet « boule de neige », ils sont eux aussi, davantage que dans les entreprises non-familiales, imprégnés des valeurs de loyauté, de fidélité, d’implication et de reconnaissance. Ils ont tendance à se comporter en « bon intendant » de l’entreprise, plutôt qu’en agent (Basco, 2015), ce qui induit chez eux un comportement responsable et un fort engagement (Azoury, Daou et Sleiaty, 2013), créateurs de valeur pour l’entreprise (Proposition P2b).
En transmettant ses valeurs, l’entreprise familiale agrandit son territoire conceptuel. La valeur créée par le dynamisme de ce territoire 110conceptuel (Proposition P2b) a renforcé la valeur du territoire global de l’entreprise (Proposition P3).
Dans sa dimension « business », le territoire conceptuel de l’entreprise familiale participe aussi à la création de valeur (Proposition P2b). En innovant ou en se diversifiant, l’entreprise familiale peut conquérir de nouveaux marchés. L’étude Ernst &Young (2013), réalisée en collaboration avec le FBN-I (Family Business Network International), montre que près de la moitié des entreprises familiales interrogées prévoit de miser davantage sur l’innovation dans les années à venir.
Enfin, pour la dimension sociale, le territoire conceptuel, et plus particulièrement le réseau, crée de la valeur (Proposition P2b), aussi bien pour les individus qui en font partie que pour leur entourage (Putnam, 2002 ; Sander, 2015). Il apporte des ressources (Grootaert et Van Bastelaer, 2002) et des bénéfices (Portes, 1998) supplémentaires à l’entreprise. Il permet aussi de régler de manière informelle bon nombre d’opérations et de réduire d’autant les coûts de transaction (Fourcade, Gallego, Polge et Saoudi, 2010). L’effet d’appartenance à un réseau génère un avantage concurrentiel pour l’entreprise (Becattini, 2004) dû à un effet de proximité, aussi bien géographique que relationnel (Grossetti, 2004).
Les entreprises familiales créent de la valeur grâce à leur capacité à renouveler et à réorganiser leurs interactions sociales à l’intérieur et à l’extérieur de la famille qui les contrôle (Salvato et Melin, 2008). L’intégration locale est par exemple devenue une variable de mesure de la valeur des entreprises familiales (Colli, 2012). Elles développent et cultivent aussi des relations coopératives de long terme qui favorisent l’apprentissage, le partage des risques et l’investissement, et qui sont donc créatrices de valeur, aussi bien au niveau individuel qu’au niveau collectif (Uzzi, 1996). Elles peuvent aussi faire partie de réseaux issus de « business center » ou d’associations professionnelles dédiées aux entreprises familiales, qui leur apportent davantage de reconnaissance et de visibilité ainsi qu’un partage de connaissances et de projets (Sharma, Hoy, Astrachan et Koiranen, 2007).
Le territoire géographique est aussi créateur de valeur pour l’entreprise familiale (Proposition P2a). Dans les approches traditionnelles marshalliennes et porterriennes, le territoire géographique est, en lui-même, créateur de valeur pour l’entreprise qui s’y implante, pourvu qu’elle y ait, au préalable, décelé les facteurs nécessaires à sa réussite. Si dans 111ces analyses les facteurs à déceler sont essentiellement matériels, organisationnels et économiques, dans l’entreprise familiale, les facteurs géographiques créateurs de valeur sont avant tout socio-émotionnels.
Parmi eux, le premier facteur spatial créateur de valeur est l’implantation de la famille. En effet, en s’implantant dans la région d’origine de la famille, l’entreprise familiale bénéficie instantanément d’une assise déjà existante. L’ancrage territorial de la famille renforce l’ancrage territorial de l’entreprise.
Du côté des employés, il est possible d’envisager que l’effet de simple exposition (Zajonc, 1968), combiné au biais de familiarité, est ici à l’œuvre, augmentant la probabilité pour l’entreprise de créer une perception positive du simple fait d’une exposition répétée et déjà familière des membres de la famille dans cet espace géographique. Dans le même sens, la familiarité et la confiance, induites par l’appartenance à un même territoire permet de réduire les coûts d’agence ainsi que les coûts de transaction et de contrôle dans les échanges intra-territoriaux. La tendance au comportement de « bon intendant » des employés d’entreprises familiales non-membres de la famille (Basco, 2015) trouve alors une nouvelle explication dans la proximité spatiale dans laquelle les acteurs se retrouvent. Le partage d’un même territoire géographique favorise le partage de valeurs et de destinées. Le lien spatial agit comme un catalyseur de confiance et d’ambitions communes.
Du côté des membres de la famille entrepreneuriale, l’ancrage « géographico-familial » est aussi rassurant. Il donne le sentiment de s’inscrire dans une continuité et de ne pas être en rupture avec l’histoire familiale. Il apporte aussi une légitimité, voire une assurance, à des dirigeants parfois en proie au doute. Mais l’attachement au lieu est avant tout dû à des facteurs socio-émotionnels, ce qui explique que les dirigeants d’entreprises familiales aient moins tendance que les autres à délocaliser2.
Lorsqu’ils choisissent de s’implanter à l’étranger, les dirigeants d’entreprises familiales le font en tentant de reproduire l’esprit et les valeurs de l’entreprise dans le nouveau lieu d’accueil. Tout se passe comme si ils essayaient de recréer le cadre local de leurs origines dans le pays d’implantation. L’entreprise familiale cherche à se rapprocher des populations locales, à développer un lien de confiance et de proximité avec elles. Son attachement aux valeurs socio-émotionnelles lui fait 112accorder une importance particulière au respect des acteurs locaux lors de la pénétration du nouveau territoire géographique (Gomez-Mejia et al., 2017). Le territoire géographique, en tant que support physique de considérations socio-émotionnelles liées au lieu, est donc intrinsèquement un outil de création de valeur aux yeux des entrepreneurs familiaux (Proposition P2a), attachés aux racines locales et à la proximité.
3.3. Interdépendance des territoires conceptuels
et géographiques de l’entreprise familiale
François Michelin avait coutume de dire en parlant de son entreprise : « Le jour où la Maison quitterait ses murs, elle perdrait son âme » (Donnet, 2008). Cette citation illustre parfaitement l’indissociabilité du territoire géographique (les murs) et du territoire conceptuel (l’âme) de l’entreprise familiale. Cette imbrication est modélisée par la figure 3.
Fig. 3 – L’entreprise familiale en tant que territoire.
113Dans sa composante spatiale, le territoire de l’entreprise familiale est une terre d’origine, celle dans laquelle ses racines sont nées et se sont développées. En cela, la figure de l’ancre est symbolique. Elle permet de représenter non seulement l’attachement fort de l’entreprise familiale à son territoire géographique d’origine (l’arrachement de l’ancrage pouvant provoquer des dégâts irrémédiables) mais aussi l’idée d’une terre nourricière dans laquelle l’entreprise viendrait puiser son histoire et sa force. L’espace physique est la matrice d’un espace économique et social qui le transcende, ce dernier s’étant largement élargi à l’époque contemporaine puisque les ressources spécifiques ne sont plus matérielles et liées au territoire physique, mais de plus en plus immatérielles et liées au territoire organisé (Mendez et Mercier, 2006), c’est-à-dire au territoire conceptuel.
Ce territoire conceptuel, largement symbolique, mais non moins important que le territoire physique, se compose de trois dimensions (culturelle, business et sociale) qui interagissent et se nourrissent mutuellement. Les ellipses qui les représentent symbolisent non seulement les interactions entre ces trois dimensions mais aussi le caractère potentiellement mouvant et dynamique de ce territoire. Il n’est pas figé. Il évolue et se renouvelle perpétuellement.
Enfin, les doubles flèches symbolisent les interactions entre le territoire géographique et le territoire conceptuel (Proposition P3). Ces deux territoires sont interdépendants car les actions individuelles et les relations interpersonnelles, y compris économiques, sont « encastrées » dans divers tissus de relations sociales (Granovetter, 1985). Ce tissu de relations sociales peut se révéler être, pour l’individu, aussi bien une ressource qu’une contrainte, car l’encastrement n’est ni une dissolution ni un déterminisme, c’est une dépendance. Plus largement, plusieurs sociologues (par exemple Dimaggio et Zukin, 1990 ; Scott, 1995 ; Beckert, 2010) ont utilisé la notion d’encastrement pour désigner la dépendance de l’activité économique vis-à-vis de divers aspects de la vie sociale, au-delà des réseaux sociaux. En ce sens, les activités économiques de la firme sont sous l’emprise des contraintes politiques, institutionnelles, culturelles… des sociétés dans lesquelles elles s’inscrivent et l’encastrement territorial fait référence à ce phénomène transposé au niveau local. Dans ce tissu de relations encastrées, le territoire géographique de l’entreprise familiale ne peut s’affranchir de son territoire conceptuel, avec sa culture, ses 114activités et ses relations sociales. De même, les éléments du territoire conceptuel sont en partie déterminés par des variables géographiques.
Cette imbrication des deux territoires est particulièrement présente dans les entreprises familiales, traditionnellement très encastrées (« embeddedness ») au niveau local. En effet, leur territoire d’ancrage n’est pas seulement le lieu où le fondateur a ses racines, il est aussi le lieu où sa famille vit (Colli, 2012). Un lien de dépendance inextricable s’établit alors entre le territoire géographique et le territoire conceptuel de l’entreprise familiale (Proposition P3).
D’abord, en tant que lieu d’histoire et d’éducation, le territoire géographique est le dépositaire de la réputation familiale. L’image de la famille et celle de l’entreprise sont indissociables (Zellweger et Kellermanns, 2008 ; Zellweger et Nason, 2008). Tout manque de respect pour le territoire berceau de l’entreprise et de la famille risque d’avoir de graves répercussions sur leur image. C’est pourquoi les dirigeants d’entreprise familiale ont appliqué les préceptes du développement durable avant même que le concept n’existe. Chez eux, l’exigence de responsabilité est un comportement naturel, presque dicté par l’instinct de survie, tant la famille est prisonnière de l’image qu’elle renvoie sur le territoire. L’exigence est encore plus forte en cas d’éponymie. Si l’éponymie est un moyen privilégié d’associer les valeurs de la famille à celles de l’entreprise (Craig, Dibbrell et Davis, 2008), elle renforce aussi l’assimilation de la famille au territoire géographique et conceptuel de l’entreprise familiale. Finalement, au niveau local, avoir un nom associé à celui d’une entreprise familiale apporte peut-être plus de devoirs que de droits. La famille se doit d’être irréprochable, aussi bien dans la sphère privée que dans la sphère professionnelle, car l’image de l’entreprise, élément de la dimension culturelle de son territoire conceptuel, en dépend.
Ensuite, les entreprises familiales sont émotionnellement liées à leur région d’implantation (Hirigoyen et Basly, 2018). Pour elles, l’un des défis majeurs à relever est d’être en harmonie avec la communauté locale dans laquelle elles évoluent (Niehm, Swinney et Miller, 2008). Elles sont donc particulièrement dynamiques dans la constitution et le développement de réseaux régionaux, fondés sur un « regional familiness » (Basco, 2015). Fortement attachées à leur région, les firmes familiales font preuve, à son égard, d’un profond sens de l’engagement et d’un esprit citoyen (Berrone, Cruz et Gomez-Mejia 2012), voire philanthropique 115(Campopiano, De Massis et Chirico, 2014). Elles supportent souvent, financièrement et en s’y impliquant, les initiatives sociales et entrepreneuriales locales.
Mais la dimension sociale s’étend aussi au-delà de l’ancrage local. Aujourd’hui, les entreprises sont insérées à la fois dans un espace local et dans des espaces très éloignés (Nachum et Keeble, 2003). De même que la densité des réseaux matériels de transport sont révélateurs de l’attractivité et de la puissance d’un territoire géographique, la densité d’un réseau social informe sur le pouvoir de son détenteur. Or, là encore, le territoire géographique interagit avec le territoire conceptuel, de nouvelles implantations au niveau national ou international favorisant nécessairement le développement d’un réseau social afférent.
Conclusion
Le territoire conceptuel de l’entreprise familiale, dont l’étude a été négligée dans la littérature académique, s’articule autour de trois dimensions : la dimension culturelle, la dimension « business » et la dimension sociale. Ainsi définit, il participe, autant que le territoire géographique, à la caractérisation identitaire et à la création de valeur de chaque entreprise familiale. Enfin, il entretient une relation d’interaction récursive avec le territoire géographique.
Au niveau théorique, cette recherche offre une exploration originale qui répond à la demande de Rogers, Carsrud et Krueger (1996) considérant que les approches anthropologiques de l’entreprise familiale devraient être davantage investiguées.
En présentant de manière holistique les différentes facettes du territoire des entreprises familiales, cet article infirme l’appréciation de Sautter (1979), selon laquelle il existe entre les hommes et leurs paysages une connivence secrète dont le « discours rationnel, scientifique, “décorticateur” et classificateur » ne peut rendre compte. Ici, la modélisation du territoire conceptuel de l’entreprise familiale rend compte non seulement des relations qui existent entre l’entreprise et son paysage mais aussi des dynamiques qui les animent. Cet article pourrait ainsi servir de base à des 116études plus poussées sur la propension à la délocalisation des entreprises familiales et sur les leviers ou les réticences qui accompagnent ce choix.
En outre, la même analyse pourrait se faire pour la famille entrepreneuriale. Le territoire de la famille entrepreneuriale pourrait lui aussi être exploré, au prisme de sa culture, de ses activités et de ses relations sociales. La réalité du territoire de l’entreprise familiale résulterait alors de la synthèse et de l’interaction des territoires géographiques et conceptuels de l’entreprise et de la famille.
La recherche menée ici s’inscrit aussi dans le prolongement des travaux de Gomez-Mejia et al. (2007) sur l’importance de la valeur socio-émotionnelle pour les dirigeants familiaux. La prise en compte du territoire conceptuel et de sa dimension subjective confirme en effet que, dans les entreprises familiales, les motivations non-économiques jouent un rôle central dans les choix managériaux opérés. L’exemple du choix de la localisation de l’entreprise en fonction de l’histoire de la famille et non des ressources territoriales disponibles est à ce sujet révélateur.
L’analyse du territoire conceptuel permet aussi de dépasser l’approche classique de la firme tant la mise en lumière de l’influence des variables « histoire », « image » et plus généralement « culture » viennent confirmer les développements sur la rationalité limitée du dirigeant (Simon, 1957 ; Kahneman et Tversky, 1974).
Au niveau opérationnel, cette recherche montre que les entreprises, notamment familiales, ont le pouvoir de façonner leur espace d’influence et d’action. La création de valeur qui en découle influence la compétitivité de l’entreprise.
La modélisation du territoire conceptuel qui est proposée permet aussi aux entrepreneurs familiaux de mieux appréhender les facteurs d’identification et de valorisation de leur entreprise. Ils disposent ainsi d’un outil stratégique de visualisation des forces et des faiblesses, ainsi que des déséquilibres éventuels de chaque dimension de leur territoire global. Ils peuvent aussi l’utiliser comme support pour la réalisation d’un business model.
Pour les acteurs de l’entreprise, la modélisation du territoire conceptuel apporte une connaissance complète de l’organisation dans laquelle ils évoluent. Elle permet, aussi bien aux dirigeants qu’aux employés, de mieux comprendre les facteurs culturels singuliers de leur entreprise et de mieux se les approprier. En cas de rachat par exemple, la prise en 117compte du territoire conceptuel de l’entreprise familiale acquise peut aider les nouveaux dirigeants à cerner une culture déjà intégrée par les acteurs familiaux (Astrachan, 1988).
Finalement, le territoire de l’entreprise familiale dépasse largement sa localisation spatiale. Il est aussi bien géographique que conceptuel. Les deux dimensions interagissent en permanence et ont une portée particulièrement symbolique du fait de la présence familiale car, comme le disait François Michelin (1926-2015) : « On ne peut pas séparer un arbre de ses racines ».
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- Thème CLIL : 3312 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités
- ISBN : 978-2-406-10787-3
- EAN : 9782406107873
- ISSN : 2554-9626
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10787-3.p.0089
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 26/10/2020
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Territoire géographique, territoire conceptuel, entreprise familiale, identité, valeur