![Économie. Passé, présent, avenir - Introduction à la première section](https://classiques-garnier.com/images/Vignette/BblMS01b.png)
Introduction à la première section
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Économie. Passé, présent, avenir
- Pages : 637 à 639
- Collection : Bibliothèque de l'économiste, n° 45
- Série : 1, n° 23
Introduction
à la première section
L’avènement de sociétés nationales dotées d’un ordre économique ne s’est pas opéré de façon synchronique dans les cinq continents, loin s’en faut. L’Europe occidentale est le premier espace géographique où il a eu lieu. Dès lors qu’il se caractérise par celui de la production pour la vente contre monnaie d’objets utiles par des entreprises distinctes des familles et de l’État, on est assuré que cet avènement n’a pas été une totale invention. En effet, la production et la monnaie ont vu le jour bien avant. Pour autant, l’une et l’autre ne remontent pas à la nuit des temps, c’est-à-dire à l’apparition des hominidés sur terre ou même à ce moment où homo sapiens s’est imposé comme la seule branche pérenne. Ce sont des inventions relativement récentes dans l’histoire humaine. Elles ont eu lieu distinctement l’une de l’autre et ont été ensuite conjuguées avec l’apparition de la production pour la vente. Cet espace d’Europe occidentale dans lequel la Nation moderne, avec son ordre économique, est advenue en premier n’est pas celui dans lequel ces inventions se sont produites. Ces inventions y ont été importées en entrainant des transformations déjà acquises assez longtemps avant dans d’autres espaces, notamment en Chine et au Moyen-Orient. Cela vaut tout particulièrement pour la jonction entre la production et l’usage de la monnaie. À l’époque où cette jonction est inventée et dans les siècles qui suivent, la sorte de vivre-ensemble des humains dans laquelle cela a lieu et se reproduit doit être qualifiée de société traditionnelle et la production pour la vente de production traditionnelle parce qu’elle consiste, pour celui qui vend, à vendre pour acheter. La transformation suivante est le passage de cette production traditionnelle à la production moderne, celle qui consiste, pour une entreprise, à acheter pour vendre. Cette transformation est la dernière étape de l’aspect du processus qui est analysé dans la présente section. Elle advient en premier en Europe occidentale dans 638le cours et à la suite de ce qu’il est convenu d’appeler la Renaissance. La divergence entre le développement qui a lieu dans cet espace et celui qui est constaté ailleurs dans le monde date de cette époque.
L’objet de cette section est primordialement de traiter des moments d’invention de ces deux ingrédients de l’ordre économique moderne : la production et la monnaie. Se donner un tel objet implique de considérer que la production n’existe pas dès la première forme de vie qualifiée ici de « communauté », celle des groupements humains de chasseurs-cueilleurs dont les anthropologues ont dessiné une vision à partir de leurs observations de ce qui en survivait en des lieux reculés à la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle en Amazonie, en Afrique centrale ou dans des iles du Pacifique1. Comme cela a été mis en évidence dans le chapitre introductif, cette proposition contredit ce qui peut être considéré comme le point de vue commun de tous les économistes : elle repose sur une définition de la production qui diffère de celles qui, bien que diverses, sont au fondement de ce point de vue commun. On ne peut dire la même chose pour la monnaie. En effet, très peu d’économistes considèrent que la monnaie existe déjà dans les communautés, même sous des formes primitives. Mais, dans leur grande majorité, ils conçoivent la monnaie comme une institution économique, c’est-à-dire une entité dont l’invention est liée au fait qu’il y a une production d’objets ordinaires (céréales, bestiaux, fer, vêtements, etc.) dans toute forme de « vivre ensemble » des humains, que cette production relève de ce qu’il est convenu d’appeler à la suite d’Adam Smith et de Karl Marx une « division du travail dans la société » et qu’en conséquence des échanges portant sur ces objets ont nécessairement lieu entre les membres de ce groupement. D’ailleurs, deux thèses s’affrontent à ce propos, celle de Smith pour qui « la monnaie facilite les échanges au regard du troc » et celle de Marx pour qui « l’échange fait l’argent avec la marchandise qui y convient le mieux ». La thèse qui va être défendue dans cette section est, au contraire, que l’invention de la monnaie ne doit rien à la circulation entre les membres de tout groupement humain des objets ordinaires qui y sont réalisés. Pour le dire en d’autres termes, cette thèse est que l’invention de la monnaie ne doit rien à l’invention de la production.
Pour défendre ces deux propositions originales, celle relative à la production et celle relative à la monnaie, il faut nécessairement se référer 639à un « cadre conceptuel pour interpréter l’histoire de l’humanité » qui le soit aussi. Un tel cadre est un socle de science sociale. Il est présenté dans le premier chapitre de cette section. L’une de ses caractéristiques est de distinguer, au sein d’un ensemble de quatre registres de socialisation, un registre dit « économique ». Mais toute activité humaine tient à l’existence de ces registres et, par conséquent, on ne peut faire état d’activités qui seraient « économiques » tandis que d’autres seraient « politiques » et d’autres encore, « domestiques » ou « écologiques ». En mobilisant ce cadre, le chapitre suivant traite des inventions respectives de la production et de la monnaie au sein de la seconde forme de vie construite dans ce cadre, la société traditionnelle, puis des mondes de production traditionnels qui procèdent de la conjonction de la production et de la monnaie. Il reste alors à traiter de la transformation qui fait passer à l’économique moderne, transformation dont les marchands et les banquiers ont été des acteurs déterminants.
1 Voir notamment (Descola, 2005).
- Thème CLIL : 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
- ISBN : 978-2-406-12899-1
- EAN : 9782406128991
- ISSN : 2261-0979
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12899-1.p.0637
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 30/06/2022
- Langue : Français