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Classiques Garnier

Introduction à la première section

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Économie. Passé, présent, avenir
  • Pages : 637 à 639
  • Collection : Bibliothèque de l'économiste, n° 45
  • Série : 1, n° 23
  • Thème CLIL : 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
  • EAN : 9782406128991
  • ISBN : 978-2-406-12899-1
  • ISSN : 2261-0979
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12899-1.p.0637
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 30/06/2022
  • Langue : Français
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Introduction
à la première section

Lavènement de sociétés nationales dotées dun ordre économique ne sest pas opéré de façon synchronique dans les cinq continents, loin sen faut. LEurope occidentale est le premier espace géographique où il a eu lieu. Dès lors quil se caractérise par celui de la production pour la vente contre monnaie dobjets utiles par des entreprises distinctes des familles et de lÉtat, on est assuré que cet avènement na pas été une totale invention. En effet, la production et la monnaie ont vu le jour bien avant. Pour autant, lune et lautre ne remontent pas à la nuit des temps, cest-à-dire à lapparition des hominidés sur terre ou même à ce moment où homo sapiens sest imposé comme la seule branche pérenne. Ce sont des inventions relativement récentes dans lhistoire humaine. Elles ont eu lieu distinctement lune de lautre et ont été ensuite conjuguées avec lapparition de la production pour la vente. Cet espace dEurope occidentale dans lequel la Nation moderne, avec son ordre économique, est advenue en premier nest pas celui dans lequel ces inventions se sont produites. Ces inventions y ont été importées en entrainant des transformations déjà acquises assez longtemps avant dans dautres espaces, notamment en Chine et au Moyen-Orient. Cela vaut tout particulièrement pour la jonction entre la production et lusage de la monnaie. À lépoque où cette jonction est inventée et dans les siècles qui suivent, la sorte de vivre-ensemble des humains dans laquelle cela a lieu et se reproduit doit être qualifiée de société traditionnelle et la production pour la vente de production traditionnelle parce quelle consiste, pour celui qui vend, à vendre pour acheter. La transformation suivante est le passage de cette production traditionnelle à la production moderne, celle qui consiste, pour une entreprise, à acheter pour vendre. Cette transformation est la dernière étape de laspect du processus qui est analysé dans la présente section. Elle advient en premier en Europe occidentale dans 638le cours et à la suite de ce quil est convenu dappeler la Renaissance. La divergence entre le développement qui a lieu dans cet espace et celui qui est constaté ailleurs dans le monde date de cette époque.

Lobjet de cette section est primordialement de traiter des moments dinvention de ces deux ingrédients de lordre économique moderne : la production et la monnaie. Se donner un tel objet implique de considérer que la production nexiste pas dès la première forme de vie qualifiée ici de « communauté », celle des groupements humains de chasseurs-cueilleurs dont les anthropologues ont dessiné une vision à partir de leurs observations de ce qui en survivait en des lieux reculés à la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle en Amazonie, en Afrique centrale ou dans des iles du Pacifique1. Comme cela a été mis en évidence dans le chapitre introductif, cette proposition contredit ce qui peut être considéré comme le point de vue commun de tous les économistes : elle repose sur une définition de la production qui diffère de celles qui, bien que diverses, sont au fondement de ce point de vue commun. On ne peut dire la même chose pour la monnaie. En effet, très peu déconomistes considèrent que la monnaie existe déjà dans les communautés, même sous des formes primitives. Mais, dans leur grande majorité, ils conçoivent la monnaie comme une institution économique, cest-à-dire une entité dont linvention est liée au fait quil y a une production dobjets ordinaires (céréales, bestiaux, fer, vêtements, etc.) dans toute forme de « vivre ensemble » des humains, que cette production relève de ce quil est convenu dappeler à la suite dAdam Smith et de Karl Marx une « division du travail dans la société » et quen conséquence des échanges portant sur ces objets ont nécessairement lieu entre les membres de ce groupement. Dailleurs, deux thèses saffrontent à ce propos, celle de Smith pour qui « la monnaie facilite les échanges au regard du troc » et celle de Marx pour qui « léchange fait largent avec la marchandise qui y convient le mieux ». La thèse qui va être défendue dans cette section est, au contraire, que linvention de la monnaie ne doit rien à la circulation entre les membres de tout groupement humain des objets ordinaires qui y sont réalisés. Pour le dire en dautres termes, cette thèse est que linvention de la monnaie ne doit rien à linvention de la production.

Pour défendre ces deux propositions originales, celle relative à la production et celle relative à la monnaie, il faut nécessairement se référer 639à un « cadre conceptuel pour interpréter lhistoire de lhumanité » qui le soit aussi. Un tel cadre est un socle de science sociale. Il est présenté dans le premier chapitre de cette section. Lune de ses caractéristiques est de distinguer, au sein dun ensemble de quatre registres de socialisation, un registre dit « économique ». Mais toute activité humaine tient à lexistence de ces registres et, par conséquent, on ne peut faire état dactivités qui seraient « économiques » tandis que dautres seraient « politiques » et dautres encore, « domestiques » ou « écologiques ». En mobilisant ce cadre, le chapitre suivant traite des inventions respectives de la production et de la monnaie au sein de la seconde forme de vie construite dans ce cadre, la société traditionnelle, puis des mondes de production traditionnels qui procèdent de la conjonction de la production et de la monnaie. Il reste alors à traiter de la transformation qui fait passer à léconomique moderne, transformation dont les marchands et les banquiers ont été des acteurs déterminants.

1 Voir notamment (Descola, 2005).