Présentation du tome II
- Publication type: Book chapter
- Book: Théâtre complet. Tome II
- Pages: 7 to 12
- Collection: French Theatre Library, n° 82
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PRÉSENTATION du tome II
Devenu célèbre par la création triomphale de La Dame aux camélias le 2 février 1852, Dumas fils se remet au travail dès l’été : il lui faut confirmer cette réputation en donnant un deuxième drame susceptible de rivaliser avec ce coup de maître. Tout naturellement, il reprend le principe de l’adaptation romanesque, désormais à partir de son expédition à la poursuite de Lydie Nesselrode. Son premier succès était né de ses amours avec une courtisane, le nouveau transcrira son aventure avec une grande dame étrangère, qui lui a échappé par la volonté d’un puissant époux, apte à l’arrêter à la frontière russo-polonaise. On lui a reproché de peindre le monde de la bohème, il va brosser le portrait de la haute société, et conclure symétriquement sur la condition féminine : l’ennui toujours, non pas la déchéance sociale cette fois, mais la puissance maritale qui va jusqu’à tuer l’amant, à l’inverse d’Antony. Nourriture doublement intime donc, celle de l’enfant naturel, déjà évoqué par son père, celle du jeune homme renvoyé à sa modeste origine par un diplomate du tsar. Mais la tâche est plus complexe, car Dumas fils n’a pas écrit un seul roman, comme celui que lui avait inspiré la tombe de Marie Duplessis, mais deux, rédigés en 1851 : Diane de Lys, publié à Paris en août 1851, et La Dame aux perles, qui paraîtra seulement en février et mai 1853. S’y ajoute une nouvelle également inspirée de cet amour, qui verra le jour dans un recueil de Contes en mars 1853, Un Paquet de lettres, titre sans doute inspiré des missives extraordinairement communiquées par la sœur de Chopin à Myslowitz qui viennent de lui permettre de lier connaissance avec Sand. La fusion de ces trois écrits narratifs n’est pas sans poser quelques difficultés, mais, entre Bruxelles, Lyon et la Moldavie, la matière s’organise au fil des divers actes et permet de sublimer l’échec du vécu en sortant vivant de si rocambolesques tribulations, là où son héros dramatique, le peintre Paul Aubry, meurt foudroyé par le pistolet du comte de Lys. Cette fois aussi, l’amie, Marceline, sera une dame du monde, plutôt bonne conseillère, là où 8Nichette était trop grisette, où Prudence jouait les entremetteuses, et la figure pittoresque du sculpteur Taupin sera compensée par un jeune conseiller d’ambassade prétentieux, Maximilien de Ternon. Le combat contre la censure n’est pas terminé, car peindre les risques pris par une aristocrate n’est pas pour rassurer Anastasie qui avait crié d’abord au scandale devant une prostituée d’exception. Mais Dumas fils sait déjà ce qui est nécessaire pour faire advenir sur les planches du Gymnase sa Diane de Lys le 15 novembre 1853. Il a exécuté les retouches obligées, rectifiant l’amoralité de son héroïne romanesque en une curiosité par lassitude qui excuse son comportement imprudent. Il a hésité sur le dénouement, puis choisi bravement d’ahurir son public par le contraste entre la violence d’un meurtre et le calme avec lequel est rappelé le respect dû au Code conjugal. Et le succès est de nouveau au rendez-vous, confirmant l’accès du nouvel auteur dramatique au firmament, même si la critique se plaît à tenter de modérer l’enthousiasme des spectateurs.
Qu’importe ! en 1854, Dumas fils est désormais un auteur adulé, parodié, traduit ; son premier drame a inspiré La Traviata à Verdi ; et le ministère voudrait même se l’attacher en lui faisant promettre sa prochaine pièce au Théâtre-Français. Mais il ne l’entend pas de cette oreille, conquis par la troupe de Montigny, et surtout par le talent de sa délicieuse et sublime épouse, Rose Chéri, qui a si bien créé Diane. Il est donc temps, dans cet ancien théâtre de Madame, qui a conquis sa place de choix à Paris, de succéder à Scribe en montrant toute l’étendue de ses conventions, désormais fort plates par rapport au réalisme que Dumas se sent apte à porter sur scène. Il pense bien à un autre sujet intime, la dure condition de l’enfant non reconnu, sans passer par le détour d’un roman (L’Affaire Clémenceau ne sera conçue qu’en 1865), et entame donc dès l’été 1853 un nouveau drame, Le Fils naturel. Mais le dénouement ne vient pas, et, arrivé à l’acte III, il revient sur ses pas, sans savoir comment résoudre cette intrigue sans nuire à l’image d’un père auquel désormais il succède dans la notoriété et dont il a finalement pardonné les légèretés, qui ont pourtant torturé son enfance. Une autre piste se présente. Puisqu’il vit maintenant officieusement avec une autre grande dame, la princesse Nadejda Naryschkine, il ne convient plus de s’inspirer de ses amours, mais il va continuer la peinture de la vie mondaine, en biaisant sur les mœurs. Il connaît ce Demi-Monde où sont déchues d’anciennes épouses fautives, qui sauvegardent les apparences 9salonnières, tout en se mêlant à quelques échappées d’une prostitution élégante. Il en a rencontré une à l’Opéra en janvier 1853, Mme Adriani, peut-être connu une brève liaison avec elle, qui lui a raconté comment elle avait opéré son intime révolution de 1848. Elle tient un salon frelaté que fréquentent quelques messieurs masquant leurs facettes suspectes, que peuplent des aventurières, mais aussi des femmes veuves ou adultères, parfois munies de leurs filles promises à une problématique destinée, tout en gardant les manières du grand monde dont elles sont pour certaines issues. Cet entre-deux-mondes est bien celui de la fête impériale, soucieuse d’honorabilité bien pensante, mais souterrainement minée par l’hypocrisie, c’est le sujet d’un tableau de l’époque tel que le jeune dramaturge réaliste veut en raisonner, à travers son porte-parole discret, Olivier de Jalin. Sans support romanesque désormais, Dumas fils élabore ce qui devient comédie tout en gardant quelques traits d’ombre grâce à sa redoutable ambitieuse, Suzanne d’Ange, qui prétend intégrer l’univers conjugal après une existence aléatoire. Dans le panorama de la condition féminine que poursuit l’auteur, il introduit pour la première fois cette « bête » dangereuse qui ose ébranler la société en abusant de l’amour que lui voue un militaire naïf. La morale est finalement sauve, mais de justesse, selon cette ambivalence qui plaît à Dumas fils et lui permet de conquérir l’adhésion par la surprise. Le dramaturge a peaufiné sa logique serrée, sa rapidité dans la conduite de l’action, maîtrisé sa connaissance du cœur humain, et le public est si transporté par la vérité des caractères que le titre de la pièce entre dans le lexique de la société nouvelle. Le succès est à son comble, les critiques s’inclinent devant cette aurore d’un théâtre qui relègue Scribe comme les romantiques à un temps révolu.
Après ce triomphe de 1855, comment relever le gant pour une nouvelle création ? Dumas fils se sent désormais investi d’une mission : il pressent un théâtre « utile » qui non seulement refléterait les mœurs, mais voudrait influencer au point de les corriger. La reprise récente, en 1851, du Mercadet de Balzac adapté par d’Ennery lui donne l’idée de dépeindre les mœurs du monde de la finance. Les affaires entre Pereire et Mirès autour des chemins de fer occupent les pensées, la Bourse crée des spéculations qui attirent les bourgeois tout en les effrayant, va donc pour La Question d’argent ! Ce sera de nouveau une comédie, bien plus dans la note du théâtre de boulevard, sans couplets obligés désormais, 10et parallèle à l’ascension de l’ami et rival qui vient de monter sa Ceinture dorée, Émile Augier. Plus rien de personnel à présent dans l’intrigue, si ce n’est peut-être le rendu des sentiments d’un parvenu, conscient de commettre quelques impairs dans la bonne société à laquelle il veut s’intégrer, tout en la méprisant parfois, et la dominant souvent. Jean Giraud porte les traces de ce vécu, tout en s’en distanciant fortement : il est un spéculateur, à l’instar de l’habile manœuvrier qu’est déjà le dramaturge, mais il exerce ses talents dans la finance, et non pas sur les planches. Les refontes du manuscrit révèlent la difficulté éprouvée par l’auteur durant toute une année de mise au point. Il a besoin de tout son art d’enchaîner les scènes, d’équilibrer ses personnages, pour trouver la solution : montrer un monde perturbé par l’argent des hommes –le boursicoteur, le noble appauvri par dette d’honneur, le rentier tenté de spéculer sans risque, le fils de famille dissipateur sans scrupule– comme dans ses pièces précédentes par les errements féminins, sans pour autant ennuyer le spectateur avec trop de considérations théoriques économiques sur l’industrialisation en cours et le développement agricole. Il recourt de nouveau à un personnage pivot où transférer sa fonction de raisonneur, René de Charzay, lien entre toutes les femmes de cette société –confident, amant, ami, ennemi, finalement époux de la plus digne d’entre elles. Cette galerie féminine qui plaît tant à ses spectatrices, Dumas fils ne l’oublie pas (la noble dame en danger d’adultère, la bourgeoise méprisée par son mari, l’ingénue impertinente, la jeune fille sacrifiée au devoir), tout en la menaçant des manœuvres d’une rescapée du demi-monde. La censure n’objecte plus rien, vu sa punition au dénouement, et le Gymnase tient un nouveau succès en janvier 1857, d’autant que se murmurent quelques bruits prêtant des clés aux personnages, que Mirès a l’imprudence de justifier en criant à l’attaque ad hominem. Cependant, dès le printemps, Montigny pressent que les représentations, même aidées des parodies désormais habituelles aux pièces dumasiennes, n’égaleront pas le nombre du précédent opus.
Durant ces quatre années 1853-1857, Dumas fils a confirmé son statut d’auteur dramatique à succès. Si Diane de Lys a continué la veine autobiographique à tendance mélodramatique, il a opéré un tournant important en élargissant son panorama avec Le Demi-Monde, comédie si convaincante dans son tableau des réalités contemporaines que le vocable est passé dans le langage commun. La Question d’argent a moins réussi, 11sans doute parce que trop directement inspirée d’une actualité à clefs, malgré les dénégations de l’auteur face à Mirès, mais aussi parce que les questions financières ne constituent pas le véritable centre d’intérêt de Dumas fils. Il va donc revenir vers ses hantises personnelles, pour tâcher de s’en délivrer en les traitant de manière plus générale, sous l’angle de l’utilité sociale d’une réforme souhaitable de la reconnaissance de paternité et du devenir de l’enfant illégitime : ce seront Le Fils naturel et Un Père prodigue.
12Fig. 1 – Alexandre Dumas fils et ses œuvres.
Société des amis de Dumas. © C. Issartel.
- CLIL theme: 3622 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Théâtre
- ISBN: 978-2-406-11783-4
- EAN: 9782406117834
- ISSN: 2261-575X
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-11783-4.p.0007
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 11-24-2021
- Language: French