En guise de postface
- Publication type: Book chapter
- Book: Correspondance. De la Société des gens de lettres au jury du prix Vie heureuse
- Pages: 151 to 155
- Collection: Correspondence and Memoirs, n° 15
- Series: Les xxe et xxie siècles, n° 2
EN GUISE DE POSTFACE
Georges de Peyrebrune décéda le 6 novembre 1917, premier jour de la révolution d’Octobre à Pétrograd. Peu de journaux évoquèrent sa disparition. Ce silence est certes imputable aux bouleversements que connaissait alors l’Europe mais surtout à l’oubli dans lequel la romancière glissait depuis les années 1910. Les Belles martyres, paru en 1911 au Mercure de France, est sa dernière œuvre originale. Quelques-uns de ses titres continuèrent d’être réédités, comme Le Curé d’Anchelles (1907), Les Ensevelis (1908 et 1918), Le Réveil d’Ève (1909 et 1912), Une séparation (1913). En 1915, les éditions Lemerre proposaient « La Bibliothèque du soldat ». Cette collection regroupait L’Amour vint ! de G. de Peyrebrune, Cosmopolis de P. Bourget, La Chambre vide de M. Formont, Les Confidences d’une biche d’A. Hermant, L’Amour prodigue de R. Maizeroy et La Confession d’un amant de M. Prévost. Victoire la Rouge sera encore édité en 1921.
Le Temps du 17 novembre 1917
« On annonce la mort, à Paris, après une douloureuse maladie1, d’une romancière connue, Mme Georges de Peyrebrune qui laisse une œuvre importante et appréciée.
Mme Georges de Peyrebrune était membre de la Société des gens de lettres et du comité du Prix de La Vie Heureuse ».
Le Journal des Débats du 19 novembre 1917
« Mme Georges de Peyrebrune est décédée après une douloureuse maladie. Elle laisse une œuvre romanesque considérable qui l’avait mise au premier rang des femmes écrivains. Victoire la Rouge, son chef-d’œuvre, est une évocation du Périgord noir qui égale les romans rustiques de George Sand2. L’âme élevée, tendre, douloureuse de cette grande artiste, s’exprima avec une émotion poignante dans Marco, Une séparation, Le Roman d’un bas-bleu, Les Frères Colombes, Deux Amoureuses…etc.
Mme de Peyrebrune était membre de la Société des gens de lettres et du comité prix Vie heureuse.
La date des obsèques sera fixée ultérieurement ».
Sans que l’on connaisse la date exacte, elle fut incinérée au cimetière du Père Lachaise ; sur sa plaque est reproduite la stance VII du 4e livre des Stances (1906) de Jean Moréas3.
Compagne de l’éther, indolente fumée,
Je te ressemble un peu.
Ta vie est d’un instant, la mienne est consumée,
Mais nous sortons du feu.
L’homme pour subsister, en recueillant la cendre
Qu’il use ses genoux !
Sans plus nous soucier et sans jamais descendre,
Évanouissons-nous !
Discours prononcé par M. Jules Perrin4, membre du Comité,
aux obsèques de Mme Georges de Peyrebrune5
J’apporte à la mémoire de Georges de Peyrebrune le salut et l’hommage de la Société des gens de lettres.
La voici parvenue, cette âme laborieuse et passionnée, sur le seuil redoutable au bord duquel trébuchent tant de fausses gloires et, en dépit de la majesté de l’heure et du respect commandé par la mort, se mesurent à leur valeur profonde les gestes de toutes les existences, les mérites de toutes les œuvres.
Celle dont je parle, du moins, a pu s’éloigner sans appréhension du champ de l’action vers le repos éternel ; aux dernières lueurs de ce flambeau que, selon l’antique formule rajeunie par l’un des nôtres, sa main défaillante vient de transmettre à ceux qui la suivent, elle a peut-être embrassé d’un dernier regard l’ensemble de son labeur : son inquiète et probe conscience elle-même, à cette clarté suprême, n’a pu se tromper sur le droit qu’elle avait de partir en toute sérénité.
L’œuvre de Georges de Peyrebrune se présente avec tous les caractères qui font la marque des vrais écrivains : d’abord, l’abondance, non cette vaine et brouillonne prolixité qui jamais ne sait se contenir, mais la forte plénitude d’une production réfléchie et maîtresse d’elle-même ; ensuite le style, qu’elle eut simple, plein d’élégance et par où elle exprima si bien sa personne même ; la diversité enfin, car, en dépit de l’unité de son inspiration, elle sut en varier l’expression au gré de la mise en scène et du sujet. Une fois même il sembla qu’elle allait jusqu’au dédoublement de sa personnalité6.
Toute pénétrée de bonté, d’indulgence et d’amour, Georges de Peyrebrune avait tourné son observation vers la Passion humaine avec ses joies et ses souffrances, fleurs délicates ou sauvages dont elle excellait à comprendre et à exprimer les nuances ; mais elle n’était point de celles qui ne demandent à l’étude que la satisfaction d’une curiosité supérieure : à force d’analyser la souffrance des autres, elle l’éprouva si profondément qu’elle en cria de douleur. Et ce cri, elle le jeta d’un cœur si déchiré, d’une voix si forte, que cette voix en parut toute changée et que l’écho la porta bien au-delà du cercle encore limité où elle avait commencé de se faire entendre7.
Chose étrange, que le romancier de Gatienne et de Marco, l’analyste délicat des Frères Colombe, le conteur élégant et solide de Mlle de Trémor, d’Une séparation, du Roman d’un bas-bleu, renonçant courageusement au ton et au cadre habituels de ses récits, ait avec tant d’à-propos, et sans modifier les moyens ni les formes, élargi sa manière où la fermeté se pare d’une telle distinction, jusqu’à la violence de ton qui fit la force et le succès de Victoire la Rouge.
C’était encore le sujet éternel du roman français : l’amour avec ses douleurs et ses joies fugitives, mais l’amour avec ses cruautés et ses victimes, avec sa victime pour ainsi dire tutélaire, la femme, la fille-mère férocement sacrifiée, seule et désarmée en face de l’égoïsme humain, parmi la nature puissante et insensible. Drame terrible et pitoyable, tel qu’il fallait une femme pour le conter et, si l’on y réfléchit, une femme comme Georges de Peyrebrune, capable à la fois de cette ardeur colorée dans le paysage et dans la plastique, comme aussi de cette réserve et de cette maîtrise par où la force, en se gardant de la brutalité, parvient à s’imposer à tous sans tenter de violenter personne.
Qualités précieuses, personnalité rare que l’on remarqua d’autant plus que la mode strictement naturaliste de l’époque les faisait plus visibles. Le succès fut très grand et, pour l’auteur, définitif. Désormais, Georges de Peyrebrune connut les avantages et les joies d’une renommée littéraire incontestée ; elle était une femme de lettres vivant noblement de sa plume, situation qui aujourd’hui n’étonne plus, mais qui pouvait surprendre à cette époque. Elle continua de travailler et de produire avec persistance et réflexion, ne cessant son labeur qu’à la limite imposée aux forces humaines. Bel exemple d’une vie toute remplie de l’amour des lettres, toute embaumée de ce parfum de tendresse, de cet altruisme délicat dont Mme de Peyrebrune demeure, aux yeux de ceux qui la connurent, l’expression la plus parfaite.
C’est une affaire de nature : il y a des gens dont le talent est fait de colère, de rancune et de haine ; d’autres aiment à aimer et Mme de Peyrebrune était de ceux-ci. Sans banalité toutefois ; car elle s’entendait à choisir. Mais quelle passion, quel enthousiasme elle y apportait ! Elle éprouvait à découvrir des talents nouveaux, cette joie naturelle qui est la marque des âmes supérieures ; sans doute le sentiment naïf de leur personnelle élévation les persuade à jamais de l’inutilité de l’envie. Cette intelligente sensibilité qui la faisait bonne à tous la faisait aussi généreuse
et pitoyable à toutes les misères. Elle était seule à ne pas bénéficier de sa propre indulgence, sévère pour elle-même et poussant la discrétion et la réserve jusqu’à la fierté la plus ombrageuse. Contradiction après tout normale, en accord avec la grande dignité de son existence.
Elle y gagna du moins des amitiés fidèles qui, jusqu’à la fin, l’ont entourée d’attention et de tendresse. Ces dernières années d’une vieillesse un peu rêveuse, elle les passa dans le commerce et l’entretien de ceux qu’elle aimait. Elle les a quittés brusquement, comme l’on fait quand on ne veut point laisser voir la tristesse qu’on a de partir.
Adieu, Madame de Peyrebrune. Ceux qui vous ont connue dans notre maison de lettres conserveront fidèlement de vous le souvenir que vous devez aimer que l’on en garde : celui d’une svelte silhouette, infiniment élégante et gracieuse, du regard pénétrant de deux beaux yeux sombres alanguis du sourire un peu triste des clairvoyants et des pitoyables. Et, quand s’évoquera parmi nous le nom que vous avez fait glorieux dans notre art, tous les fronts s’inclineront avec respect pour affirmer que vous fûtes une charmante femme et un loyal confrère, en même temps qu’une vaillante et consciencieuse ouvrière des lettres françaises.
1 Nous n’avons pu identifier cette affection.
2 Cette comparaison avec George Sand a été très tôt établie ; ainsi en 1885, Camille Le Senne notait, dans ses Étrennes aux dames, que Victoire la Rouge (1883) était « une robuste paysannerie sans mièvrerie ni marivaudage, de la grande et forte école de George Sand, avec une modernité fervente qui rappelle à la fois certains vers de Guy de Maupassant et certaines pages de Camille Lemonnier », p. 26.
3 Le choix de la crémation peut surprendre dans la mesure où elle a longtemps été condamnée par le catholicisme. En revanche, elle était acceptée depuis 1898 par l’Église réformée : doit-on conclure que Georges de Peyrebrune était protestante ? A-t-elle, à moment donné de son existence, embrassé la religion de son père naturel, sir Emile Johnston ? À moins qu’il faille voir là le choix d’une libre-penseuse.
4 Chanteur, auteur de chansonnettes et d’opérettes, il était une des têtes d’affiche de l’Eldorado dont il était en 1871 le directeur.
5 Discours publié dans La Chronique des Gens de Lettres de décembre 1917, p. 247-249.
6 Doit-on voir là une allusion à son roman d’inspiration autobiographique, Le Roman d’un bas-bleu paru en 1892 chez Ollendorff ?
7 Georges de Peyrebrune commença à écrire pour des journaux comme L’Écho de la Dordogne, Le Zig Zag, Le Télégraphe…
- CLIL theme: 3639 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Art épistolaire, Correspondances, Discours
- ISBN: 978-2-8124-3323-8
- EAN: 9782812433238
- ISSN: 2261-5881
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-8124-3323-8.p.0151
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 05-19-2016
- Language: French