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Classiques Garnier

En guise de postface

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EN GUISE DE POSTFACE

Georges de Peyrebrune décéda le 6 novembre 1917, premier jour de la révolution dOctobre à Pétrograd. Peu de journaux évoquèrent sa disparition. Ce silence est certes imputable aux bouleversements que connaissait alors lEurope mais surtout à loubli dans lequel la romancière glissait depuis les années 1910. Les Belles martyres, paru en 1911 au Mercure de France, est sa dernière œuvre originale. Quelques-uns de ses titres continuèrent dêtre réédités, comme Le Curé dAnchelles (1907), Les Ensevelis (1908 et 1918), Le Réveil dÈve (1909 et 1912), Une séparation (1913). En 1915, les éditions Lemerre proposaient « La Bibliothèque du soldat ». Cette collection regroupait LAmour vint ! de G. de Peyrebrune, Cosmopolis de P. Bourget, La Chambre vide de M. Formont, Les Confidences dune biche dA. Hermant, LAmour prodigue de R. Maizeroy et La Confession dun amant de M. Prévost. Victoire la Rouge sera encore édité en 1921.

Le Temps du 17 novembre 1917

« On annonce la mort, à Paris, après une douloureuse maladie1, dune romancière connue, Mme Georges de Peyrebrune qui laisse une œuvre importante et appréciée.

Mme Georges de Peyrebrune était membre de la Société des gens de lettres et du comité du Prix de La Vie Heureuse ».

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Le Journal des Débats du 19 novembre 1917

« Mme Georges de Peyrebrune est décédée après une douloureuse maladie. Elle laisse une œuvre romanesque considérable qui lavait mise au premier rang des femmes écrivains. Victoire la Rouge, son chef-dœuvre, est une évocation du Périgord noir qui égale les romans rustiques de George Sand2. Lâme élevée, tendre, douloureuse de cette grande artiste, sexprima avec une émotion poignante dans Marco, Une séparation, Le Roman dun bas-bleu, Les Frères Colombes, Deux Amoureuses…etc.

Mme de Peyrebrune était membre de la Société des gens de lettres et du comité prix Vie heureuse.

La date des obsèques sera fixée ultérieurement ».

Sans que lon connaisse la date exacte, elle fut incinérée au cimetière du Père Lachaise ; sur sa plaque est reproduite la stance VII du 4e livre des Stances (1906) de Jean Moréas3.

Compagne de léther, indolente fumée,

Je te ressemble un peu.

Ta vie est dun instant, la mienne est consumée,

Mais nous sortons du feu.

Lhomme pour subsister, en recueillant la cendre

Quil use ses genoux !

Sans plus nous soucier et sans jamais descendre,

Évanouissons-nous !

Discours prononcé par M. Jules Perrin4, membre du Comité,

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aux obsèques de Mme Georges de Peyrebrune5

Japporte à la mémoire de Georges de Peyrebrune le salut et lhommage de la Société des gens de lettres.

La voici parvenue, cette âme laborieuse et passionnée, sur le seuil redoutable au bord duquel trébuchent tant de fausses gloires et, en dépit de la majesté de lheure et du respect commandé par la mort, se mesurent à leur valeur profonde les gestes de toutes les existences, les mérites de toutes les œuvres.

Celle dont je parle, du moins, a pu séloigner sans appréhension du champ de laction vers le repos éternel ; aux dernières lueurs de ce flambeau que, selon lantique formule rajeunie par lun des nôtres, sa main défaillante vient de transmettre à ceux qui la suivent, elle a peut-être embrassé dun dernier regard lensemble de son labeur : son inquiète et probe conscience elle-même, à cette clarté suprême, na pu se tromper sur le droit quelle avait de partir en toute sérénité.

Lœuvre de Georges de Peyrebrune se présente avec tous les caractères qui font la marque des vrais écrivains : dabord, labondance, non cette vaine et brouillonne prolixité qui jamais ne sait se contenir, mais la forte plénitude dune production réfléchie et maîtresse delle-même ; ensuite le style, quelle eut simple, plein délégance et par où elle exprima si bien sa personne même ; la diversité enfin, car, en dépit de lunité de son inspiration, elle sut en varier lexpression au gré de la mise en scène et du sujet. Une fois même il sembla quelle allait jusquau dédoublement de sa personnalité6.

Toute pénétrée de bonté, dindulgence et damour, Georges de Peyrebrune avait tourné son observation vers la Passion humaine avec ses joies et ses souffrances, fleurs délicates ou sauvages dont elle excellait à comprendre et à exprimer les nuances ; mais elle nétait point de celles qui ne demandent à létude que la satisfaction dune curiosité supérieure : à force danalyser la souffrance des autres, elle léprouva si profondément quelle en cria de douleur. Et ce cri, elle le jeta dun cœur si déchiré, dune voix si forte, que cette voix en parut toute changée et que lécho la porta bien au-delà du cercle encore limité où elle avait commencé de se faire entendre7.

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Chose étrange, que le romancier de Gatienne et de Marco, lanalyste délicat des Frères Colombe, le conteur élégant et solide de Mlle de Trémor, dUne séparation, du Roman dun bas-bleu, renonçant courageusement au ton et au cadre habituels de ses récits, ait avec tant dà-propos, et sans modifier les moyens ni les formes, élargi sa manière où la fermeté se pare dune telle distinction, jusquà la violence de ton qui fit la force et le succès de Victoire la Rouge.

Cétait encore le sujet éternel du roman français : lamour avec ses douleurs et ses joies fugitives, mais lamour avec ses cruautés et ses victimes, avec sa victime pour ainsi dire tutélaire, la femme, la fille-mère férocement sacrifiée, seule et désarmée en face de légoïsme humain, parmi la nature puissante et insensible. Drame terrible et pitoyable, tel quil fallait une femme pour le conter et, si lon y réfléchit, une femme comme Georges de Peyrebrune, capable à la fois de cette ardeur colorée dans le paysage et dans la plastique, comme aussi de cette réserve et de cette maîtrise par où la force, en se gardant de la brutalité, parvient à simposer à tous sans tenter de violenter personne.

Qualités précieuses, personnalité rare que lon remarqua dautant plus que la mode strictement naturaliste de lépoque les faisait plus visibles. Le succès fut très grand et, pour lauteur, définitif. Désormais, Georges de Peyrebrune connut les avantages et les joies dune renommée littéraire incontestée ; elle était une femme de lettres vivant noblement de sa plume, situation qui aujourdhui nétonne plus, mais qui pouvait surprendre à cette époque. Elle continua de travailler et de produire avec persistance et réflexion, ne cessant son labeur quà la limite imposée aux forces humaines. Bel exemple dune vie toute remplie de lamour des lettres, toute embaumée de ce parfum de tendresse, de cet altruisme délicat dont Mme de Peyrebrune demeure, aux yeux de ceux qui la connurent, lexpression la plus parfaite.

Cest une affaire de nature : il y a des gens dont le talent est fait de colère, de rancune et de haine ; dautres aiment à aimer et Mme de Peyrebrune était de ceux-ci. Sans banalité toutefois ; car elle sentendait à choisir. Mais quelle passion, quel enthousiasme elle y apportait ! Elle éprouvait à découvrir des talents nouveaux, cette joie naturelle qui est la marque des âmes supérieures ; sans doute le sentiment naïf de leur personnelle élévation les persuade à jamais de linutilité de lenvie. Cette intelligente sensibilité qui la faisait bonne à tous la faisait aussi généreuse

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et pitoyable à toutes les misères. Elle était seule à ne pas bénéficier de sa propre indulgence, sévère pour elle-même et poussant la discrétion et la réserve jusquà la fierté la plus ombrageuse. Contradiction après tout normale, en accord avec la grande dignité de son existence.

Elle y gagna du moins des amitiés fidèles qui, jusquà la fin, lont entourée dattention et de tendresse. Ces dernières années dune vieillesse un peu rêveuse, elle les passa dans le commerce et lentretien de ceux quelle aimait. Elle les a quittés brusquement, comme lon fait quand on ne veut point laisser voir la tristesse quon a de partir.

Adieu, Madame de Peyrebrune. Ceux qui vous ont connue dans notre maison de lettres conserveront fidèlement de vous le souvenir que vous devez aimer que lon en garde : celui dune svelte silhouette, infiniment élégante et gracieuse, du regard pénétrant de deux beaux yeux sombres alanguis du sourire un peu triste des clairvoyants et des pitoyables. Et, quand sévoquera parmi nous le nom que vous avez fait glorieux dans notre art, tous les fronts sinclineront avec respect pour affirmer que vous fûtes une charmante femme et un loyal confrère, en même temps quune vaillante et consciencieuse ouvrière des lettres françaises.

1 Nous navons pu identifier cette affection.

2 Cette comparaison avec George Sand a été très tôt établie ; ainsi en 1885, Camille Le Senne notait, dans ses Étrennes aux dames, que Victoire la Rouge (1883) était « une robuste paysannerie sans mièvrerie ni marivaudage, de la grande et forte école de George Sand, avec une modernité fervente qui rappelle à la fois certains vers de Guy de Maupassant et certaines pages de Camille Lemonnier », p. 26.

3 Le choix de la crémation peut surprendre dans la mesure où elle a longtemps été condamnée par le catholicisme. En revanche, elle était acceptée depuis 1898 par lÉglise réformée : doit-on conclure que Georges de Peyrebrune était protestante ? A-t-elle, à moment donné de son existence, embrassé la religion de son père naturel, sir Emile Johnston ? À moins quil faille voir là le choix dune libre-penseuse.

4 Chanteur, auteur de chansonnettes et dopérettes, il était une des têtes daffiche de lEldorado dont il était en 1871 le directeur.

5 Discours publié dans La Chronique des Gens de Lettres de décembre 1917, p. 247-249.

6 Doit-on voir là une allusion à son roman dinspiration autobiographique, Le Roman dun bas-bleu paru en 1892 chez Ollendorff ?

7 Georges de Peyrebrune commença à écrire pour des journaux comme LÉcho de la Dordogne, Le Zig Zag, Le Télégraphe