Éditorial
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Constellation Cendrars
2020, n° 4. varia - Auteurs : Le Quellec Cottier (Christine), Leroy (Claude)
- Pages : 13 à 17
- Revue : Constellation Cendrars
ÉDITORIAL
« Il y a des dates qui comptent, d’autres qui tombent en poussière. » C’était le cas mémorable de 1900 qui selon Paul Morand fêtait les noces d’or du passé et de l’avenir, mais il est certain qu’on n’oubliera pas non plus 2020. Au cours de l’année la foudre aura frappé deux fois. La première pour le ravissement des amis de Blaise Cendrars : c’était l’inscription de L’Homme foudroyé aux programmes des agrégations de lettres. Mais la seconde fois les a consternés comme le monde entier en les contraignant à se confiner contre une pandémie que personne n’avait vu venir. Foudre de vie, foudre de mort. Cette alternance ne cesse de se jouer et de se rejouer sur le grand théâtre de l’œuvre de Cendrars. Par un humour très noir, c’est entre l’écrit et l’oral des concours que le virus s’est abattu sur la terre.
De ce second foudroiement qui perdure à l’heure où nous écrivons, les médias se font abondamment l’écho et nous n’y ajouterons que le rappel de quelques lectures. Dans « TPMTR » qui ouvre la trilogie des Histoires vraies, c’est la crainte d’une épidémie sur le Saint-Wandrille qui fait jeter à la mer le cercueil de Quinquembois, le boulanger. Quant à la grippe espagnole dont le fantôme ressurgit en force dans l’actualité, elle traverse l’aventure de Jean Galmot. En plus d’une abondante consommation de rhum, elle a provoqué une vague de complotisme – moins ce mot qui n’était pas encore reçu. Mais la description que donne Cendrars des « terribles Maîtres de la Terre » que les rumeurs accusent d’être à l’origine de toutes les catastrophes n’a rien perdu de sa pertinence. Et c’est l’épouvantable grippe, qui ne s’en souvient, qui a provoqué la mort de Guillaume Apollinaire. En évoquant avec Michel Manoll les derniers jours de son ami, Cendrars note avec un peu d’amertume qu’il avait apporté au malade un remède miracle, l’huile de Haarlem, mais que celui-ci n’a eu ni la curiosité, ni la foi, ni le courage de le boire. Les fioles élaborées par les alchimistes du xive siècle ont aujourd’hui disparu des officines, mais elles restent disponibles sur 14internet. Personne à ce jour ne semble les avoir recommandées contre le coronavirus. Mais patience…
Le bourlingueur a donc fait, cette année, un pas de plus dans la carrière universitaire. Depuis longtemps L’Or, la Prose ou quelques Feuilles de route sont régulièrement insérés dans les programmes scolaires, mais cette fois-ci Cendrars est mis à contribution pour choisir les futurs enseignants français. Dans tout le pays, les préparateurs aux concours et les jurys administrent L’Homme foudroyé aux postulants sous la forme de dissertations, d’études littéraires, de leçons et d’explications de texte. Il est bien tentant de rappeler ici les virulentes diatribes que l’auteur de Sous le signe de François Villon lançait aux profs, aux sorbonnâtres et au monde académique qu’il rejetait dans son ensemble. Tentant mais, convenons-en, par trop facile. Libre à chacun, bien entendu et selon sa paroisse, de voir dans cette promotion officielle un geste déplorable de récupération ou une forme légitime de consécration, à la suite de l’entrée de Cendrars dans la Bibliothèque de la Pléiade. Après le papier bible, la toge universitaire ? Ironie à part, il n’est pas inutile de rappeler aux intégristes de l’aventure que si l’auteur de L’Homme foudroyé traitait la critique à la hussarde (ou à la bourlingueuse), il n’en veillait pas moins en parfait archiviste à assurer la survie matérielle de son œuvre et surtout à tenir la place qu’il estimait devoir être la sienne au premier rang des écrivains du temps. En dissociant quelques idées reçues, sa présence à l’agrégation y contribue. À ceux que les classements de l’histoire littéraire, les orientations de la critique ou la légende du poète tenaient en marge de son œuvre, elle offre l’occasion d’aborder enfin un continent inconnu. C’est une chance pour un écrivain, aussi notoire fût-il, que de franchir le seuil de son public habituel pour aller à la rencontre d’un nouveau cercle de lecteurs aussi informés qu’exigeants. Dans le petit monde de l’agrégation, l’opinion prévaut, non sans malice, que les auteurs inscrits dans les programmes passent eux aussi un concours. Certains résistent superbement à l’épreuve, d’autres moins. Il semble que L’Homme foudroyé tienne remarquablement devant l’assaut des universitaires. Autant qu’on puisse déjà en juger par la qualité des Journées d’études et des publications qui se sont multipliées ces derniers mois, comme on verra dans la bibliographie, la découverte de Cendrars aura été dessillante pour beaucoup de regards. Comment ne pas s’en réjouir ? Elle aura peut-être éveillé ici ou là quelques vocations qui sauront frayer des voies inédites à la reconnaissance du poète.
15C’est sous le signe de la rencontre qu’est placée la quatrième tomaison de Constellation Cendrars. Rencontres entre pairs, tout d’abord, et d’une génération à l’autre. André Beucler, qui fit la connaissance de Cendrars dans les années 1920, le tenait pour l’un de ceux qui ont fait entrer, non sans fracas, le monde moderne dans la littérature. Il prenait un vif plaisir au récit des aventures mirobolantes d’un grand voyageur qui guettait, du coin de l’œil, l’effet qu’elles produisaient sur ses interlocuteurs. Outre l’amour de l’écriture, ils avaient la Russie, le cinéma et la radio en partage. Au-delà d’une évidente sympathie, le regret d’une amitié inachevée affleure dans les quelques lettres qu’ils ont échangées et surtout dans la nécrologie inédite que nous a confiée Roland Beucler, le fils de l’écrivain qui veille à entretenir la présence d’une œuvre trop méconnue. Vient ensuite Frédéric Jacques Temple qui, tout jeune poète, a découvert en Cendrars un de ces héros doubles qui ne séparent pas la vie et l’écriture. Dès leur première rencontre dans la canicule de Saint-Segond en 1949, le bourlingueur est devenu pour lui une figure tutélaire auquel il n’a cessé de rendre hommage. À la mort de son ami, il a lancé un « Blaise Cendrars commence » qui tenait du manifeste et de l’oracle. Et, tout au long de son parcours, il lui a dédié ou consacré une suite de poèmes qu’il nous permet de réunir ici pour la première fois. Elle forme la tapisserie d’une amitié. Le plus jeune enfin, Olivier Salon, a déjà offert à Cendrars un « beau présent » que les lecteurs de Constellation Cendrars ont eu le privilège de découvrir dans notre précédent numéro. Il est trop jeune pour avoir pu rencontrer Cendrars qui, pourtant, ne cesse de l’accompagner depuis les jeux de l’enfance jusqu’à ceux de l’Oulipo, en passant par une dévotion à Erik Satie et l’amour de la Patagonie. On suivra le fil de cette hantise heureuse dans la conférence qu’il a faite à Berne, lors de la dernière rencontre du CEBC, et qu’il a confiée à notre revue.
Après les écrivains, viennent les éditeurs. Les cinq contributions qui suivent sont issues du premier séminaire « Constellation Cendrars », dont le nom ne cache pas la relation intime qui l’unit à notre revue. Marie-Paule Berranger et Myriam Boucharenc, ses organisatrices, avaient choisi pour thème « L’écrivain et ses éditeurs », une relation aussi décisive pour qui entend être publié que riche en conflits ou en malentendus de toutes sortes. Dans une ouverture panoramique, Sylvie Perez retrace « l’empoignade » aux multiples épisodes à laquelle ne 16cessent de se livrer les partenaires rivaux que sont, pour le meilleur et parfois pour le pire, écrivains et éditeurs. Éditeur, Cendrars le fut lui-même, brièvement mais à trois reprises, ce qui, souligne Claude Leroy, montre en lui un homme du livre fasciné par l’ensemble de la chaîne qui conduit du manuscrit à la fabrique du volume et jusqu’à la publicité qui accompagne sa sortie. Tour à tour publisher et editor, il n’a pourtant jamais songé à en faire un métier. La passion du livre qui fut celle du poète, surtout à ses débuts, a produit quelques-unes des plus grandes réussites du livre d’art moderne, et Nicolas Malais fait valoir leur diversité, leur nouveauté et l’importance de la collaboration de Cendrars avec quelques artistes majeurs du temps (Sonia Delaunay, Fernand Léger, Kisling, Tarsila…). Puis il a pris congé des peintres. C’est à la rencontre exceptionnelle de deux grands poètes qu’on doit la publication de Kodak chez Stock en 1924. À cette occasion qui est restée unique dans sa vie, Pierre Jean Jouve s’est fait éditeur pour accueillir Cendrars dans sa collection « Poésie du temps ». Amicale à cette époque, leur relation dont Vincent Yersin examine la complexité s’est peu à peu assombrie jusqu’à un éloignement définitif de la part de Cendrars, pour des raisons mal connues. Plus durablement amicale aura été sa relation avec Maximilien Vox. Marie-Paule Berranger met l’accent sur les multiples facettes d’un créateur à la forte personnalité dont le souvenir s’est un peu effacé. Ce maître typographe dont l’apport dans son domaine est considérable fut aussi un dessinateur de talent et un éditeur que les circonstances d’une époque troublée ont conduit à la direction provisoire de Denoël pour la publication de L’Homme foudroyé.
En tête du numéro, Annie Lachaise rend l’hommage de l’amitié à Georgiana Colvile, à sa vocation de chercheuse internationale, à l’apport de ses travaux sur Cendrars et à l’action qu’elle mena à la présidence de l’AIBC. À la suite des deux séries de rencontres prennent place nos rubriques rituelles : un éphéméride international des événements qui font place à Cendrars, la Vie des archives littéraires de Berne retracée par Fabien Dubosson et Vincent Yersin, le Trésor du bibliophile (Thierry Jugan présente la fabuleuse collection Destribats), l’état bibliographique d’une année marquée, on l’a vu, par L’Homme foudroyé, des recensions, enfin la Vie de nos associations jumelles contée par Jehanne Denogent et Aude Bonord. Un des effets de la foudre pandémique aura été d’interrompre brutalement la seconde année du séminaire dont les 17travaux se poursuivaient sur « L’écrivain et ses éditeurs ». Les interventions prévues ont dû être reportées mais, si leur date reste à fixer, elles prendront place dans le prochain numéro de notre revue. Foudre de mort, foudre de vie.
Le CEBC et l’AIBC remercient la Bibliothèque nationale suisse à Berne et la Fondation Isaac Dreyfus-Bernheim à Bâle.
Christine Le Quellec Cottier
Directrice du CEBC
Berne et Lausanne
Claude Leroy
Président de l’AIBC
Paris
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-11038-5
- EAN : 9782406110385
- ISSN : 2557-7360
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-11038-5.p.0013
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 28/09/2020
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français
- Mots-clés : 2020 will have marked a step regarding Cendrars’s works recognition. After the integration in Pléiade, L’Homme foudroyé was made part of the Modern Literatures’ studies high-level competitive exam. This event was the occasion for one of his major book to encounter a new audience, demanding as well as aware. This present edition is built as a diptych: one part gathers three dialogues between writers and the other opens a critical study: the writer and his publisher.