Adieu Georgiana Une pionnière des études cendrarsiennes nous a quittés
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Constellation Cendrars
2020, n° 4. varia - Auteur : Lachaise (Annie)
- Pages : 19 à 21
- Revue : Constellation Cendrars
ADIEU GEORGIANA
Une pionnière des études cendrarsiennes nous a quittés
Qui se souvient de Georgiana Colvile ? Un nom pratiquement inconnu des cendrarsiens actuels…
S’étant effacée d’elle-même de leur groupe, son nom ne figurait plus guère dans leur actualité qu’en tête de l’ancien bulletin Feuille de routes parmi les membres d’honneur, jusqu’à sa fusion avec Continent Cendrars en 2017. Mais alors, qui était Georgiana Mary Morton Colvile ou, du moins, quel fut son parcours cendrarsien ? Une petite biographie s’impose.
Née en Angleterre d’un père suisse d’origine irlandaise et d’une mère anglo-américaine, elle vient vivre en France vers l’âge de six ans, dans la maison que son père avait acquise à Aix-en-Provence, bien avant sa naissance. Mais elle fera ses études secondaires dans un « Ladies’ College » en Grande-Bretagne. Elle reviendra à Aix-en-Provence passer une licence, mais c’est à UC Davis, université du Colorado, qu’elle soutiendra sa thèse. De retour en France, elle enseigne au Couvent des oiseaux à Paris puis part pour un poste à Berkeley. Elle y rencontre un Français qu’elle épouse et suit à Strasbourg avant d’enseigner à l’Université de Tours. C’est pourtant aux États-Unis qu’elle porte l’œuvre de Cendrars jusqu’à Boulder et Denver, Université du Colorado, tout en entretenant des liens étroits avec la France. C’est ce pays qu’elle choisit lorsqu’elle quitte l’Amérique. Elle séjourne d’abord à Aix-en-Provence où son père Henry Morton Colvile, artiste peintre, avait installé son atelier. Là, dans ce qui est toujours resté sa ville, avec une autre pionnière, Monique Chefdor, l’une des fondatrices de la première association cendrarsienne créée outre-Atlantique, elle organise en juin 1992 un colloque consacré à la période provençale de l’écrivain. Blaise Cendrars, la Provence et la séduction du Sud : le titre est séduisant, le colloque réussi. Les quatre journées se déroulent à l’ancienne bibliothèque Méjanes. Le dernier jour, en fin d’après-midi, quelques-uns des participants partent visiter l’atelier de son père dans un quartier de la campagne aixoise. Georgiana clôture 20ainsi ces quatre jours de conférences sur une note personnelle et avec une grande émotion. Les actes seront recueillis en 1996 chez Minard dans la série « Blaise Cendrars » de La Revue des lettres modernes.
De 1991 à 1994, Georgiana Colvile est élue à la présidence de l’Association Internationale Blaise Cendrars. Elle quitte ses fonctions en organisant à Londres (avec Livio Hürzeler) une Journée Blaise Cendrars, Les Patries palimpsestes d’un écrivain suisse, dont les actes seront publiés en plaquette par l’ambassade de Suisse. Durant quelques années, elle demeure très active dans l’AIBC, tout en restant sur des positions internationales, notamment aux éditions Rodopi (Pays-Bas et États-Unis), où elle publie en 1994 Blaise Cendrars, écrivain protéiforme. Préfacé par Michael Bishop, un directeur de collection canadien, cet ouvrage recueille plusieurs essais sur le poète, le romancier et le journaliste.
Néanmoins, pour des raisons personnelles, Georgiana s’éloigne de l’Association et s’installe à Paris, du côté de Montmartre, au-dessus du fameux Bateau-Lavoir, où Picasso, Picabia et bien d’autres célébrités ont trouvé inspiration et refuge. Elle disparaît du panorama cendrarsien pour renaître sur le versant surréaliste. Elle a tourné la page. Co-fondatrice avec Anne-Marie Richard de l’Association Femmes Monde, elle regarde dès lors vers d’autres centres d’intérêt, s’engage dans de belles causes qu’elle porte et représente avec efficacité : celle des femmes restées dans l’ombre, celle des jeunes intellectuelles qu’elle encourage et soutient tant idéologiquement que matériellement. Elle se rapproche, en effet, des chercheurs pour l’étude du surréalisme et écrit de nombreux articles, donne sa place au cinéma, publie des ouvrages, notamment chez Jean-Michel Place un livre magnifique sur les femmes créatrices : Scandaleusement d’elles – 34 femmes surréalistes. Dans « la première anthologie littéraire en français d’écrits de “femmes surréalistes” », elle réunit des écrits et des œuvres plastiques d’un certain nombre de femmes écrivains et artistes, d’Eilen Agar à Unica Zürn, les accompagnant de leur portrait, d’un fac-similé de leur écriture, d’une chronologie, d’une bibliographie, de notes critiques.
Quand elle épouse Gabriel du Rivau, rayonnante, Georgiana fait partager sa joie et son bonheur à ses amis « du monde entier ». Sa vie avec l’agréable et généreux « Gaby », artiste-peintre, costumier de théâtre et accessoirement scénariste, est très heureuse. Peu de temps après, hélas, une terrible maladie la terrasse. Elle lutte. Le traitement la sauve, 21mais elle a perdu la vue. Soutenue par l’affection de son compagnon, elle reprend goût à la vie, se montre gaie et souriante en dépit de son infirmité. Par commodité, le couple quitte le nid montmartrois pour le midi de la France. Le mal reprend le dessus. Georgiana s’éteint dans la nuit du 4 juin 2019, « tout amour mais épuisée par tant d’efforts pour survivre » écrira son époux pour annoncer la triste nouvelle à leurs proches. Grâce à ses soins, elle aura été jusqu’au bout l’objet d’attentions et d’un accompagnement indéfectibles. C’était une belle personne, courageuse, intègre et juste, et celles et ceux qui l’ont connue – même du bout du monde – ne pourront oublier ses qualités si humaines. Une journée d’hommage lui sera consacrée au Bateau-Lavoir, tandis que les cendrarsiens ne manqueront pas d’évoquer son souvenir lors de la prochaine assemblée générale.
Selon son souhait, ses cendres seront dispersées en Crête, à Lendas, au sud d’Héraklion, le 17 juin 2020… une trace cendrarsienne s’il en est. Ne se déprend pas qui veut de l’Homme foudroyé, chère Georgiana. Et ce rapprochement dans le cœur de celle qui l’écrit est encore un hommage.
Annie Lachaise
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-11038-5
- EAN : 9782406110385
- ISSN : 2557-7360
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-11038-5.p.0019
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 28/09/2020
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français
- Mots-clés : décès, pionnière, présidence, femmes surréalistes, Aix-en-Provence