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Classiques Garnier

Éditorial

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Constellation Cendrars
    2020, n° 4
    . varia
  • Auteurs : Le Quellec Cottier (Christine), Leroy (Claude)
  • Résumé : 2020 aura marqué une étape dans la reconnaissance de Cendrars. Après l’entrée dans la Bibliothèque de la Pléiade, l’agrégation des lettres modernes a inscrit L’Homme foudroyé à son programme. L’événement a permis à ce grand livre de rencontrer un public aussi exigeant qu’informé. Le présent numéro est construit en diptyque : le premier volet réunit trois dialogues entre écrivains, le second ouvre un dossier critique : l’écrivain et son éditeur.
  • Pages : 13 à 17
  • Revue : Constellation Cendrars
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406110385
  • ISBN : 978-2-406-11038-5
  • ISSN : 2557-7360
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-11038-5.p.0013
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 28/09/2020
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : 2020 will have marked a step regarding Cendrars’s works recognition. After the integration in Pléiade, L’Homme foudroyé was made part of the Modern Literatures’ studies high-level competitive exam. This event was the occasion for one of his major book to encounter a new audience, demanding as well as aware. This present edition is built as a diptych: one part gathers three dialogues between writers and the other opens a critical study: the writer and his publisher.
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ÉDITORIAL

« Il y a des dates qui comptent, dautres qui tombent en poussière. » Cétait le cas mémorable de 1900 qui selon Paul Morand fêtait les noces dor du passé et de lavenir, mais il est certain quon noubliera pas non plus 2020. Au cours de lannée la foudre aura frappé deux fois. La première pour le ravissement des amis de Blaise Cendrars : cétait linscription de LHomme foudroyé aux programmes des agrégations de lettres. Mais la seconde fois les a consternés comme le monde entier en les contraignant à se confiner contre une pandémie que personne navait vu venir. Foudre de vie, foudre de mort. Cette alternance ne cesse de se jouer et de se rejouer sur le grand théâtre de lœuvre de Cendrars. Par un humour très noir, cest entre lécrit et loral des concours que le virus sest abattu sur la terre.

De ce second foudroiement qui perdure à lheure où nous écrivons, les médias se font abondamment lécho et nous ny ajouterons que le rappel de quelques lectures. Dans « TPMTR » qui ouvre la trilogie des Histoires vraies, cest la crainte dune épidémie sur le Saint-Wandrille qui fait jeter à la mer le cercueil de Quinquembois, le boulanger. Quant à la grippe espagnole dont le fantôme ressurgit en force dans lactualité, elle traverse laventure de Jean Galmot. En plus dune abondante consommation de rhum, elle a provoqué une vague de complotisme – moins ce mot qui nétait pas encore reçu. Mais la description que donne Cendrars des « terribles Maîtres de la Terre » que les rumeurs accusent dêtre à lorigine de toutes les catastrophes na rien perdu de sa pertinence. Et cest lépouvantable grippe, qui ne sen souvient, qui a provoqué la mort de Guillaume Apollinaire. En évoquant avec Michel Manoll les derniers jours de son ami, Cendrars note avec un peu damertume quil avait apporté au malade un remède miracle, lhuile de Haarlem, mais que celui-ci na eu ni la curiosité, ni la foi, ni le courage de le boire. Les fioles élaborées par les alchimistes du xive siècle ont aujourdhui disparu des officines, mais elles restent disponibles sur 14internet. Personne à ce jour ne semble les avoir recommandées contre le coronavirus. Mais patience…

Le bourlingueur a donc fait, cette année, un pas de plus dans la carrière universitaire. Depuis longtemps LOr, la Prose ou quelques Feuilles de route sont régulièrement insérés dans les programmes scolaires, mais cette fois-ci Cendrars est mis à contribution pour choisir les futurs enseignants français. Dans tout le pays, les préparateurs aux concours et les jurys administrent LHomme foudroyé aux postulants sous la forme de dissertations, détudes littéraires, de leçons et dexplications de texte. Il est bien tentant de rappeler ici les virulentes diatribes que lauteur de Sous le signe de François Villon lançait aux profs, aux sorbonnâtres et au monde académique quil rejetait dans son ensemble. Tentant mais, convenons-en, par trop facile. Libre à chacun, bien entendu et selon sa paroisse, de voir dans cette promotion officielle un geste déplorable de récupération ou une forme légitime de consécration, à la suite de lentrée de Cendrars dans la Bibliothèque de la Pléiade. Après le papier bible, la toge universitaire ? Ironie à part, il nest pas inutile de rappeler aux intégristes de laventure que si lauteur de LHomme foudroyé traitait la critique à la hussarde (ou à la bourlingueuse), il nen veillait pas moins en parfait archiviste à assurer la survie matérielle de son œuvre et surtout à tenir la place quil estimait devoir être la sienne au premier rang des écrivains du temps. En dissociant quelques idées reçues, sa présence à lagrégation y contribue. À ceux que les classements de lhistoire littéraire, les orientations de la critique ou la légende du poète tenaient en marge de son œuvre, elle offre loccasion daborder enfin un continent inconnu. Cest une chance pour un écrivain, aussi notoire fût-il, que de franchir le seuil de son public habituel pour aller à la rencontre dun nouveau cercle de lecteurs aussi informés quexigeants. Dans le petit monde de lagrégation, lopinion prévaut, non sans malice, que les auteurs inscrits dans les programmes passent eux aussi un concours. Certains résistent superbement à lépreuve, dautres moins. Il semble que LHomme foudroyé tienne remarquablement devant lassaut des universitaires. Autant quon puisse déjà en juger par la qualité des Journées détudes et des publications qui se sont multipliées ces derniers mois, comme on verra dans la bibliographie, la découverte de Cendrars aura été dessillante pour beaucoup de regards. Comment ne pas sen réjouir ? Elle aura peut-être éveillé ici ou là quelques vocations qui sauront frayer des voies inédites à la reconnaissance du poète.

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Cest sous le signe de la rencontre quest placée la quatrième tomaison de Constellation Cendrars. Rencontres entre pairs, tout dabord, et dune génération à lautre. André Beucler, qui fit la connaissance de Cendrars dans les années 1920, le tenait pour lun de ceux qui ont fait entrer, non sans fracas, le monde moderne dans la littérature. Il prenait un vif plaisir au récit des aventures mirobolantes dun grand voyageur qui guettait, du coin de lœil, leffet quelles produisaient sur ses interlocuteurs. Outre lamour de lécriture, ils avaient la Russie, le cinéma et la radio en partage. Au-delà dune évidente sympathie, le regret dune amitié inachevée affleure dans les quelques lettres quils ont échangées et surtout dans la nécrologie inédite que nous a confiée Roland Beucler, le fils de lécrivain qui veille à entretenir la présence dune œuvre trop méconnue. Vient ensuite Frédéric Jacques Temple qui, tout jeune poète, a découvert en Cendrars un de ces héros doubles qui ne séparent pas la vie et lécriture. Dès leur première rencontre dans la canicule de Saint-Segond en 1949, le bourlingueur est devenu pour lui une figure tutélaire auquel il na cessé de rendre hommage. À la mort de son ami, il a lancé un « Blaise Cendrars commence » qui tenait du manifeste et de loracle. Et, tout au long de son parcours, il lui a dédié ou consacré une suite de poèmes quil nous permet de réunir ici pour la première fois. Elle forme la tapisserie dune amitié. Le plus jeune enfin, Olivier Salon, a déjà offert à Cendrars un « beau présent » que les lecteurs de Constellation Cendrars ont eu le privilège de découvrir dans notre précédent numéro. Il est trop jeune pour avoir pu rencontrer Cendrars qui, pourtant, ne cesse de laccompagner depuis les jeux de lenfance jusquà ceux de lOulipo, en passant par une dévotion à Erik Satie et lamour de la Patagonie. On suivra le fil de cette hantise heureuse dans la conférence quil a faite à Berne, lors de la dernière rencontre du CEBC, et quil a confiée à notre revue.

Après les écrivains, viennent les éditeurs. Les cinq contributions qui suivent sont issues du premier séminaire « Constellation Cendrars », dont le nom ne cache pas la relation intime qui lunit à notre revue. Marie-Paule Berranger et Myriam Boucharenc, ses organisatrices, avaient choisi pour thème « Lécrivain et ses éditeurs », une relation aussi décisive pour qui entend être publié que riche en conflits ou en malentendus de toutes sortes. Dans une ouverture panoramique, Sylvie Perez retrace « lempoignade » aux multiples épisodes à laquelle ne 16cessent de se livrer les partenaires rivaux que sont, pour le meilleur et parfois pour le pire, écrivains et éditeurs. Éditeur, Cendrars le fut lui-même, brièvement mais à trois reprises, ce qui, souligne Claude Leroy, montre en lui un homme du livre fasciné par lensemble de la chaîne qui conduit du manuscrit à la fabrique du volume et jusquà la publicité qui accompagne sa sortie. Tour à tour publisher et editor, il na pourtant jamais songé à en faire un métier. La passion du livre qui fut celle du poète, surtout à ses débuts, a produit quelques-unes des plus grandes réussites du livre dart moderne, et Nicolas Malais fait valoir leur diversité, leur nouveauté et limportance de la collaboration de Cendrars avec quelques artistes majeurs du temps (Sonia Delaunay, Fernand Léger, Kisling, Tarsila…). Puis il a pris congé des peintres. Cest à la rencontre exceptionnelle de deux grands poètes quon doit la publication de Kodak chez Stock en 1924. À cette occasion qui est restée unique dans sa vie, Pierre Jean Jouve sest fait éditeur pour accueillir Cendrars dans sa collection « Poésie du temps ». Amicale à cette époque, leur relation dont Vincent Yersin examine la complexité sest peu à peu assombrie jusquà un éloignement définitif de la part de Cendrars, pour des raisons mal connues. Plus durablement amicale aura été sa relation avec Maximilien Vox. Marie-Paule Berranger met laccent sur les multiples facettes dun créateur à la forte personnalité dont le souvenir sest un peu effacé. Ce maître typographe dont lapport dans son domaine est considérable fut aussi un dessinateur de talent et un éditeur que les circonstances dune époque troublée ont conduit à la direction provisoire de Denoël pour la publication de LHomme foudroyé.

En tête du numéro, Annie Lachaise rend lhommage de lamitié à Georgiana Colvile, à sa vocation de chercheuse internationale, à lapport de ses travaux sur Cendrars et à laction quelle mena à la présidence de lAIBC. À la suite des deux séries de rencontres prennent place nos rubriques rituelles : un éphéméride international des événements qui font place à Cendrars, la Vie des archives littéraires de Berne retracée par Fabien Dubosson et Vincent Yersin, le Trésor du bibliophile (Thierry Jugan présente la fabuleuse collection Destribats), létat bibliographique dune année marquée, on la vu, par LHomme foudroyé, des recensions, enfin la Vie de nos associations jumelles contée par Jehanne Denogent et Aude Bonord. Un des effets de la foudre pandémique aura été dinterrompre brutalement la seconde année du séminaire dont les 17travaux se poursuivaient sur « Lécrivain et ses éditeurs ». Les interventions prévues ont dû être reportées mais, si leur date reste à fixer, elles prendront place dans le prochain numéro de notre revue. Foudre de mort, foudre de vie.

Le CEBC et lAIBC remercient la Bibliothèque nationale suisse à Berne et la Fondation Isaac Dreyfus-Bernheim à Bâle.

Christine Le Quellec Cottier

Directrice du CEBC

Berne et Lausanne

Claude Leroy

Président de lAIBC

Paris