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Classiques Garnier

Adieu Georgiana Une pionnière des études cendrarsiennes nous a quittés

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Constellation Cendrars
    2020, n° 4
    . varia
  • Auteur : Lachaise (Annie)
  • Résumé : Hommage, au nom des associations, à Georgiana Colvile, pionnière des recherches sur Cendrars (et sur les femmes surréalistes), ancienne présidente de l’AIBC (1991-1994), décédée le 4 juin 2019.
  • Pages : 19 à 21
  • Revue : Constellation Cendrars
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406110385
  • ISBN : 978-2-406-11038-5
  • ISSN : 2557-7360
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-11038-5.p.0019
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 28/09/2020
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : décès, pionnière, présidence, femmes surréalistes, Aix-en-Provence
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ADIEU GEORGIANA

Une pionnière des études cendrarsiennes nous a quittés

Qui se souvient de Georgiana Colvile ? Un nom pratiquement inconnu des cendrarsiens actuels…

Sétant effacée delle-même de leur groupe, son nom ne figurait plus guère dans leur actualité quen tête de lancien bulletin Feuille de routes parmi les membres dhonneur, jusquà sa fusion avec Continent Cendrars en 2017. Mais alors, qui était Georgiana Mary Morton Colvile ou, du moins, quel fut son parcours cendrarsien ? Une petite biographie simpose.

Née en Angleterre dun père suisse dorigine irlandaise et dune mère anglo-américaine, elle vient vivre en France vers lâge de six ans, dans la maison que son père avait acquise à Aix-en-Provence, bien avant sa naissance. Mais elle fera ses études secondaires dans un « Ladies College » en Grande-Bretagne. Elle reviendra à Aix-en-Provence passer une licence, mais cest à UC Davis, université du Colorado, quelle soutiendra sa thèse. De retour en France, elle enseigne au Couvent des oiseaux à Paris puis part pour un poste à Berkeley. Elle y rencontre un Français quelle épouse et suit à Strasbourg avant denseigner à lUniversité de Tours. Cest pourtant aux États-Unis quelle porte lœuvre de Cendrars jusquà Boulder et Denver, Université du Colorado, tout en entretenant des liens étroits avec la France. Cest ce pays quelle choisit lorsquelle quitte lAmérique. Elle séjourne dabord à Aix-en-Provence où son père Henry Morton Colvile, artiste peintre, avait installé son atelier. Là, dans ce qui est toujours resté sa ville, avec une autre pionnière, Monique Chefdor, lune des fondatrices de la première association cendrarsienne créée outre-Atlantique, elle organise en juin 1992 un colloque consacré à la période provençale de lécrivain. Blaise Cendrars, la Provence et la séduction du Sud : le titre est séduisant, le colloque réussi. Les quatre journées se déroulent à lancienne bibliothèque Méjanes. Le dernier jour, en fin daprès-midi, quelques-uns des participants partent visiter latelier de son père dans un quartier de la campagne aixoise. Georgiana clôture 20ainsi ces quatre jours de conférences sur une note personnelle et avec une grande émotion. Les actes seront recueillis en 1996 chez Minard dans la série « Blaise Cendrars » de La Revue des lettres modernes.

De 1991 à 1994, Georgiana Colvile est élue à la présidence de lAssociation Internationale Blaise Cendrars. Elle quitte ses fonctions en organisant à Londres (avec Livio Hürzeler) une Journée Blaise Cendrars, Les Patries palimpsestes dun écrivain suisse, dont les actes seront publiés en plaquette par lambassade de Suisse. Durant quelques années, elle demeure très active dans lAIBC, tout en restant sur des positions internationales, notamment aux éditions Rodopi (Pays-Bas et États-Unis), où elle publie en 1994 Blaise Cendrars, écrivain protéiforme. Préfacé par Michael Bishop, un directeur de collection canadien, cet ouvrage recueille plusieurs essais sur le poète, le romancier et le journaliste.

Néanmoins, pour des raisons personnelles, Georgiana séloigne de lAssociation et sinstalle à Paris, du côté de Montmartre, au-dessus du fameux Bateau-Lavoir, où Picasso, Picabia et bien dautres célébrités ont trouvé inspiration et refuge. Elle disparaît du panorama cendrarsien pour renaître sur le versant surréaliste. Elle a tourné la page. Co-fondatrice avec Anne-Marie Richard de lAssociation Femmes Monde, elle regarde dès lors vers dautres centres dintérêt, sengage dans de belles causes quelle porte et représente avec efficacité : celle des femmes restées dans lombre, celle des jeunes intellectuelles quelle encourage et soutient tant idéologiquement que matériellement. Elle se rapproche, en effet, des chercheurs pour létude du surréalisme et écrit de nombreux articles, donne sa place au cinéma, publie des ouvrages, notamment chez Jean-Michel Place un livre magnifique sur les femmes créatrices : Scandaleusement delles – 34 femmes surréalistes. Dans « la première anthologie littéraire en français décrits de “femmes surréalistes” », elle réunit des écrits et des œuvres plastiques dun certain nombre de femmes écrivains et artistes, dEilen Agar à Unica Zürn, les accompagnant de leur portrait, dun fac-similé de leur écriture, dune chronologie, dune bibliographie, de notes critiques.

Quand elle épouse Gabriel du Rivau, rayonnante, Georgiana fait partager sa joie et son bonheur à ses amis « du monde entier ». Sa vie avec lagréable et généreux « Gaby », artiste-peintre, costumier de théâtre et accessoirement scénariste, est très heureuse. Peu de temps après, hélas, une terrible maladie la terrasse. Elle lutte. Le traitement la sauve, 21mais elle a perdu la vue. Soutenue par laffection de son compagnon, elle reprend goût à la vie, se montre gaie et souriante en dépit de son infirmité. Par commodité, le couple quitte le nid montmartrois pour le midi de la France. Le mal reprend le dessus. Georgiana séteint dans la nuit du 4 juin 2019, « tout amour mais épuisée par tant defforts pour survivre » écrira son époux pour annoncer la triste nouvelle à leurs proches. Grâce à ses soins, elle aura été jusquau bout lobjet dattentions et dun accompagnement indéfectibles. Cétait une belle personne, courageuse, intègre et juste, et celles et ceux qui lont connue – même du bout du monde – ne pourront oublier ses qualités si humaines. Une journée dhommage lui sera consacrée au Bateau-Lavoir, tandis que les cendrarsiens ne manqueront pas dévoquer son souvenir lors de la prochaine assemblée générale.

Selon son souhait, ses cendres seront dispersées en Crête, à Lendas, au sud dHéraklion, le 17 juin 2020… une trace cendrarsienne sil en est. Ne se déprend pas qui veut de lHomme foudroyé, chère Georgiana. Et ce rapprochement dans le cœur de celle qui lécrit est encore un hommage.

Annie Lachaise