Avant-propos
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Calvin en polémique. Une maïeutique du verbe
- Pages : 13 à 15
- Collection : Bibliothèque d’histoire de la Renaissance, n° 10
Avant-propos
Le livre de Nathalie Szczech traite simultanément de deux questions essentielles pour la compréhension du phénomène Calvin. Le premier, qui a obsédé les historiens de la crise religieuse de la Réforme, se formule de la façon suivante : comment Jean Calvin est-il devenu le réformateur que l’on sait ? Les réponses apportées à cette question ont été grevées, dès les origines, par des perspectives confessionnelles (selon que l’on a affaire à l’hérétique ou au héros de la seconde Réformation), puis idéologiques (celles de la biographie et de l’autobiographie) et méthodologiques (à travers la quête de nouvelles sources ou l’hypothèse de nouvelles datations). On suppose le plus souvent que Calvin est un théologien, on cherche le moment exact de sa « conversion » à la Réforme conçue comme rupture et l’on essaie de mesurer la part des influences et de l’originalité chez le penseur religieux issu de cette « conversion ». Le second problème s’intéresse plutôt à la manière du réformateur genevois comme publiciste et écrivain. On peut constater en effet que Calvin s’est progressivement détaché de certaines conventions qui régulent, à la Renaissance, les rapports d’un auteur avec son public : de plus en plus, se présenter comme « Jean Calvin » sans autre titre lui a semblé suffisant. La cohérence intellectuelle de son œuvre et la figure du théologien qu’elle installe garantissent finalement l’autorité de l’auteur (essentiellement un théologien et un exégète) et signalent l’authenticité d’une conscience d’écrivain-prédicateur à la fois humble et absolument sûr de lui-même, et profondément original comme écrivain. Dans le prolongement de cette seconde question et au vu des incessantes polémiques dans lesquelles Calvin s’est engagé, on se demande (en reprenant ainsi une question aussi ancienne que la première réception, au xvie siècle, de l’œuvre du réformateur), pourquoi et comment sa parole est si marquée par une tension agonistique.
Nathalie Szczech traite ensemble ces deux questions classiques, pour ne pas dire obsédantes, en en renouvelant la fonction heuristique et la 14pertinence historiographique ; du même coup, elle fédère avec bonheur les points de vue de l’historien et du littéraire. Ce n’est pas là le moindre intérêt de sa contribution, sur la démarche historienne de laquelle la préface de Denis Crouzet insiste à juste titre. En adoptant le point de vue de l’èthos et des postures successives adoptées par Calvin dans son exercice public de la parole, elle déjoue constamment les schémas biographiques, les interprétations anachroniques (en général rétrospectives), en tenant compte d’un maximum de paramètres (historiques, éditoriaux, rhétorico-littéraires, théologiques, etc.). Elle signale aussi régulièrement les parts d’hypothèse qui fondent ses interprétations, par prudence, bien sûr, mais surtout parce que ces hypothèses servent à déjouer ce que l’on croit savoir et à décaper les vieux vernis qui masquent la fraîcheur dynamique d’un phénomène en mouvement, déterminé par l’invention constante par Calvin de ce qu’il est et de qu’il fait sous le regard de son Dieu.
Le passage des lettres profanes aux lettres sacrées s’opère dans les années 1530 à travers un glissement significatif mais sans rupture, selon le processus paradoxal magnifiquement souligné par le titre de la première partie, « L’autorité des Lettres », là où les historiens de Calvin décrivent au contraire pour cette étape-là un passage de la figure du lettré à celle du réformateur. Cette chronologie résulte non pas de la datation de faits jusque-là inconnus, mais de l’analyse contextualisée de la façon dont Calvin prend la parole (orale, manuscrite, imprimée), en interaction avec un milieu mouvant et en déployant des postures polémiques chaque fois inédites. À l’arrivée (dans les années 1540-1560), on constate l’intérêt heuristique de l’hypothèse qui anime la thèse, celle d’une « sédimentation » des strates successives qui ont contribué finalement à la morphologie diversifiée mais cohérente des postures calviniennes : la posture lettrée (profane, puis sacrée, toujours experte et latine, et qui ressortit à la République des lettres humaniste), celle inspirée des expériences littéraires et éditoriales neuchâteloises en langue française (à la marge desquelles Calvin s’est d’abord tenu en 1535-1536), la pastorale enfin, avec l’exercice inventif d’un ministère ecclésiastique ancré dans Genève, à partir de 1537, mais « déterritorialisé » vers l’ensemble de l’Europe et surtout vers la France. Chaque fois, Calvin intervient dans le champ de débats en cours en les faisant siens sur un mode original, de façon à acquérir une autorité qui ne reposait au départ (jusqu’en 1537) que 15sur le fait qu’il osait y participer. Quant à la dimension polémique du théologien-pasteur, au lieu d’y voir, comme le fait généralement la tradition, une sorte de faiblesse plus ou moins excusable, Nathalie Szczech montre comment cette violence fait partie de l’idée même que Calvin se fait positivement de l’édification : l’arme de la tension polémique est une forme du ministère exercé à distance auprès des absents et même du discours pastoral exercé dans Genève. L’excès polémique est construit et il a un sens qui n’est pas que psychologique (littéraire) ; il relève d’une véritable herméneutique, en fonction d’un paradigme prophétique, et il a une fonction didactique.
Le livre que l’on a en main appelle des études qu’il rend possibles et qui devront tenir compte de la vision féconde qu’il installe. Nous pensons notamment aux relations de Calvin à la figure et à l’œuvre d’Érasme, ainsi qu’à l’examen des publications calviniennes comme production d’un atelier littéraire genevois collectif et plurilingue. C’est dire que cette thèse fait date et que l’on est heureux d’exprimer aujourd’hui son admiration pour le courage, la méthode et le bonheur de l’entreprise dont on a les résultats en main.
Olivier Millet
- Thème CLIL : 3387 -- HISTOIRE -- Renaissance
- ISBN : 978-2-406-05698-0
- EAN : 9782406056980
- ISSN : 2264-4296
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-05698-0.p.0013
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 31/03/2017
- Langue : Français