Sur un volcan
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Cahiers Tristan Corbière
2021, n° 4. Repolitiqué - Auteur : Lebesgue (Octave)
- Pages : 409 à 411
- Revue : Cahiers Tristan Corbière
Sur un volcan
Benoît Dufau, qui a déniché au cours de ses recherches l’article suivant, inconnu des bibliographies corbiériennes, nous en offre le plaisir de lecture. Voilà ce qu’il en écrit : « Au-delà de la référence à Corbière, je trouve remarquable et très spirituelle la manière dont l’auteur s’approprie le poème, le déforme, le développe et le réinvente pour en faire, pourrait-on dire, un quatrième Vésuve… Octave Lebesque, alias Georges Montorgueil, alias Cariber, cite Corbière dans d’autres articles qu’il a écrits pour Paris : j’en ai trouvé cinq en tout, dont un parle encore de “Vésuve et Cie” et un autre cite “Idylle coupée” en épigraphe. Comme l’auteur aime les pseudonymes, peut-être y en a-t-il d’autres ! »
Vendredi, 19 septembre
Les Napolitains qui n’ont qu’un volcan ne sont pas si bêtes que de le laisser éteindre. Le consul de Naples a même fait savoir à l’Académie des sciences, à Paris, que le Vésuve préparait sa réouverture, qui coïncidera avec celle des spectacles. Il paraît que la mise en scène sera particulièrement soignée. Par les répétitions générales qui durent depuis deux ans, on peut se rendre compte de l’effet. C’est très beau. La lave descend lentement le sommet de la montagne. La nuit, la réverbération de ce torrent incandescent éclaire le ciel. Un orchestre souterrain accompagne, en sourdine, avec une discrétion de bon goût, ces phénomènes grandioses.
Tristan Corbière, un étrange poète disparu, racontait qu’il avait vu trois fois le Vésuve. La première fois c’était chez sa grand’mère, sur un paravent, en papier peint et verni. Au premier plan la mer, toute bleue ; à l’horizon, le ciel aussi, bleu, d’un bleu à faire pleurer les petits enfants et, s’élevant en pain de sucre, la montagne, ardente. Le Vésuve se comportait dans cette première image avec une certaine modestie ; il se contentait de fumer abominablement, la cheminée aussi d’ailleurs. 410Mais une montagne qui fume, c’est drôle à voir tout de même, quand on est petit.
Il restait planté devant, ne pouvant rassasier ses yeux du spectacle ; gravement assis sur le carreau, il le contemplait des journées entières. D’abord respectueux, puis s’enhardissant, il fit ce que plus tard devait préconiser M. Laur, il fit des trous dans le Vésuve, beaucoup de petits cratères avec un clou, d’où, sortit, bouillonnante comme la lave, la colère de la grand’mère qui le gifla de la belle façon, pour avoir saccagé son paravent. Le gamin n’en continua pas moins ses familiarités : « Tiens, se dit-il un jour, puisqu’il fume, si je lui donnais une pipe. » Et avec n’importe quoi, crayon, charbon de bois, ou son doigt trempé dans des confitures, il dota le Vésuve, qui ne broncha pas, d’une Gambier superbe.
La seconde fois qu’il vit le Vésuve, c’était dans la chambre de sa maîtresse. Ah ! l’heureux coquin, dites-vous, c’était sans doute quelque voluptueuse fille du Midi dont les flancs, comme ceux du Vésuve… Vous n’y êtes point. C’était sur un abat-jour découpé. Le soir, quand on allumait la lampe, le volcan s’allumait… Un volcan admirable qui faisait sur la nuit napolitaine une tache de pourpre violente. Il jetait feu et flemme la lave s’échappait du cratère turgescent, dans un fracas de tonnerre. C’était vraiment très beau. Puis, l’huile épuisée, la lampe s’éteignait, et le volcan avec elle.
La troisième fois que Corbière fit le Vésuve ce fut à Naples, assis sous une tonnelle à Torre dell Anminziata. Il éprouva une profonde déception. Il se souvint du paravent et de l’abat-jour, et dédaigneusement tourna le dos au Vésuve pour tout de bon. Son guide s’étonna : « C’est que des trois que j’ai vus, lui dit Corbière, le vrai Vésuve est le moins ressemblant ! »
La réflexion était d’un original. Mais il faut convenir toutefois que les Italiens ont gâté leur Vésuve : ils l’ont hérissé de barrières et de tourniquets. Ils l’ont mis sous clef. Ils en ont fait un objet de curiosité truqué comme une simple Suisse. On ne le voit plus, on ne voit plus que ceux qui vivent du colosse, qui l’ont accaparé, qui l’exploitent. Vraiment, il y a de quoi se fâcher. Le Vésuve gronde : on gronderait à moins… « C’est la jalousie qui vous fait parler », nous disait l’autre jour un Italien.
Nous aurions pu répondre que nous avons des curiosités merveilleuses et que, jusqu’à présent, les étrangers les visitent pour rien. Bien mieux, nous mettons à leur disposition des cartes spéciales que les 411Français n’obtiennent point. Nous aimons mieux l’avouer : oui, c’est la jalousie. Nous n’avons pas de volcan, et ça nous ennuie. Aussi – mais sous le sceau du secret, n’est-ce pas ? – une société vient-elle de se fonder pour installer un volcan à Montmartre. Il fumerait le dimanche et il cracherait les jours de fête.
Caribert [pseudonyme de Octave Lebesgue, dit Georges Montorgueil], « Sur un volcan », rubrique « À travers Paris », Paris, 20 septembre 1890, p. 2
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-13252-3
- EAN : 9782406132523
- ISSN : 2608-5895
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-13252-3.p.0409
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 22/06/2022
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français