Gloses et glanes
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Cahiers Lautréamont
2023, n° 5. varia - Pages : 333 à 346
- Revue : Cahiers Lautréamont
Gloses et glanes
Dans Le Confort intellectuel de Marcel Aymé : « Dans le genre cauchemardesque, la poésie des Chants de Maldoror est allée beaucoup plus loin [que Baudelaire] avec beaucoup plus de tenue et a délivré toute une région du rêve et de la fantasmagorie la plus douloureuse, la plus hagarde, qui aurait dû faire oublier Les Fleurs du Mal. Pourtant, Lautréamont est très peu lu, presque inconnu à l’heure actuelle. Le surréalisme, qui l’a hautement revendiqué comme précurseur, ne lui devait rien et ne pouvait rien devoir à un poète chez lequel le rêve, la fantaisie, l’invention, vont toujours de pair avec le souci de la construction et du métier rigoureux. Lautréamont a pu fournir des sujets à quelques peintres surréalistes. Il n’a pas eu de postérité poétique. Et si vous voulez savoir pourquoi il n’a obtenu de notre époque que quelques marques extérieures de respect, relisez-le. Vous verrez qu’il écrit honnêtement et qu’il donne aux mots leur valeur exacte. Il n’en faut pas plus… »
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Dans la nuit du 23 au 24 novembre 2022, la plaque funèbre dédiée à Isidore Ducasse et posée dans la cour du restaurant Chartier, rue du Faubourg-Montmartre, est mystérieusement réapparue. Les détectives de l’AAPPFID mènent actuellement l’enquête pour identifier les auteurs de cet acte.
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Le 16 septembre 1919, Friedrich Glauser, médecin suisse et écrivain, évoquait dans sa correspondance, publiée aux Éditions d’en bas en 2021 par Christa Baumberger et Lionel Felchlin, dans une lettre à son père, son amour de la littérature. Il projette alors de donner un cours 334de littérature française en allemand et sélectionne, parmi les auteurs prévus au programme, Lautréamont, qu’il range parmi les symbolistes.
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Le 4 juillet 2022, chez Sotheby’s, l’exemplaire G. L. M. 1938 des Œuvres complètes de Lautréamont ayant appartenu à Paul Éluard est passé en vente. Provenant de la bibliothèque d’Hubert Heilbronn et estimé à 6000-8000 €, ce volume est décrit comme tel : bradel de papier imitation bois, pièce de titre de maroquin brun, tête dorée, couverture et dos, reliure de l’époque. Il s’agit de l’exemplaire no 32 des 100 exemplaires numérotés sur vergé Hollande Pannekoek, avec les illustrations collectives des artistes surréalistes. L’intérêt principal de ce volume, outre sa dimension historique, réside dans les lettres et manuscrits autographes qui l’accompagnent : une lettre d’Éluard à Valentine Hugo datée du 29 avril 1940, où il annonce son intention de relire Le Problème du Mal de Naville pour un « travail sur Lautréamont » (il ajoute : « J’ai un véritable culte pour Lautréamont. »), un portrait écrit de Maldoror par André Breton, qui décrit Ducasse comme « l’unique enchanteur moderne » lancé à la conquête érotique de l’Univers qu’il a décidé de débarrasser une fois pour toutes de Dieu, à l’aide de sa bague enchantée, un thème astral analysé par Breton, qui pourrait être celui de Ducasse, le portrait paranoïaque-critique de Lautréamont par Dali, un manuscrit de deux pages de la main d’Éluard qui retranscrit une analyse graphologique de Lautréamont, recueillie oralement auprès de Raymond Trillat, un poème de Breton daté de 1932, « Le Grand Secours meurtrier », poème de 24 vers libres adressé à Valentine Hugo, et dont on a ici le seul manuscrit, qui s’ouvre sur les vers suivants : « La statue de Lautréamont / Dont le socle est fait de cachets de quinine / En rase campagne / L’auteur des Poésies est couché à plat ventre. »
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Passé en vente chez Christie’s le 5 juillet 2023, un tarot de Marseille de 1941 illustré par des dessins originaux de Frédéric Delanglade. Le jeu a été conçu par les surréalistes réunis à Marseille alors qu’ils s’apprêtaient à quitter la France de Vichy. Lautréamont fait l’objet d’une carte dans 335la série des « étoiles noires du rêve ». Le Père Ubu fait office de joker. Le lot était estimé à 4000-5000€.
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L’exemplaire de 1874 relié en 1925 en cuir et peau de grenouille est repassé en vente à l’Hôtel Drouot le 14 février 2018. Il s’est vendu à 4762€.
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Vidéaste amateur, Georges Sammut nous a fait parvenir un film vidéo intitulé Chants et contre-chants d’Isidore D.. Réalisé en 2019 et d’une durée de 59 minutes, il s’agit d’un montage à partir de deux films précédents, Traversée de Maldoror (2004), sorte de collage d’images sur des passages lus des Chants dans la plus pure tradition surréaliste expérimentale, et Laissez tout désespoir (2019), récitation de fragments des Poésies par Marius-Marc Roux. Les deux œuvres s’entremêlent désormais comme les deux faces qui n’en sont qu’une du ruban de Möbius.
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Le no 91 d’Histoires littéraires propose un excellent article du brillant Sylvain-Christian David, dont les travaux sur Isidore Ducasse se font désormais rares. Intitulé « Ducasse prend le train », il livre les conclusions d’une enquête sur ce que sont devenus les restes du poète après son inhumation précipitée dans le cimetière de Montmartre. Nous revivons les années troublées de l’activité du cimetière entre novembre 1870 et 1901, ainsi que les déambulations post-mortem d’Isidore Ducasse. C’est l’occasion de tordre le cou à un mythe tenace : l’auteur des Chants de Maldoror n’a jamais fini dans un ossuaire de la porte de Pantin.
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Dans le numéro 92 d’Histoires littéraires toujours, Kevin Saliou propose un article sur l’admiration inconditionnelle que vouait à Isidore Ducasse le peintre Amedeo Modigliani. Il a incarné, peut-être mieux 336que nul autre, la bohème montmartroise puis montparnassienne du début du siècle, mais on ignore trop souvent qu’il avait toujours dans sa poche un exemplaire des Chants de Maldoror, dont il pouvait déclamer des passages entiers de mémoire.
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À paraître, dans un futur proche mais indéterminé : Kevin Saliou, « Sublimation du crime et métaphysique de la violence chez Lautréamont. Pour une approche criminologique des Chants de Maldoror. »
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Passée en vente à Lyon, une affiche de l’exposition Chants de Maldoror et jardins sacrés, qui s’est tenue à la Galerie Alphonse Chave, à Vence, du 16 avril au 13 mai 1977. L’affiche était signée Karina Raeck.
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Dans son numéro 2, paru le 11 mai 1946, la revue surréaliste belge Les Deux Sœurs, fondée par Christian Dotremont, donne un texte en prose de Louis Scutenaire intitulé « La Vie et les œuvres d’Alfred Jarry et d’Isidore Ducasse ». En voici un extrait :
Alfred Jarry naquit à Laval, chef-lieu du département de la Mayenne, sous la Troisième république, le 8 septembre exactement. Son père, qui était faiseur de haies et de fossés, l’avait formé à ce dur métier ; mais, goûtant peu ce travail et aimant la dissipation, il quitta son pays avec un compagnon disposé comme lui qui s’appelait Isidore Ducasse ; ils se retirèrent ensemble dans les déserts. Ils y établirent leur demeure sur le bord de la mer, dans une caverne, d’environ un mille de long et d’une remarquable largeur, qui était si rapprochée des flots que souvent elle était inondée par le flux sur une profondeur de plus de cent verges.
Dans ce texte horrifique et hallucinant, Jarry et Ducasse sont décrits comme de terribles brigands assassins et cannibales. Ils sont condamnés à mort, démembrés, puis ressuscitent. La revue a été republiée en 1985 aux éditions Jean-Michel Place. (signalé par Alain Chevrier)
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337Hervé Vilard est l’auteur d’une chanson intitulée « À Maldoror », face B de son single de 1981 « Va pour l’amour ». En mars 2023, Siméon Lerouge a eu l’occasion de le rencontrer et de l’interroger. Le chanteur lui a fait parvenir ce texte inédit :
La lecture de Maldoror est pour moi chaque fois une épreuve, j’ai dû le lire trois fois avec le même désir de vaincre le texte d’Isidore Ducasse. Enfant, avant que le livre ne s’ouvre, je pensais qu’il s’agissait des champs de blé et non du chant des blés dont me parlait l’instituteur. Qu’est-ce qui s’approche et va à la rencontre de Maldoror ? Comme il est grand le dragon, plus qu’un chêne ! Son corps commence par un buste de tigre et se termine par une queue de serpent. Je lisais dans une langue symbolique que je ne pouvais déchiffrer. S’en est dégagé une fascination pour le comte de Lautréamont qui bien plus tard m’a amené à écrire une chanson.
À Maldoror, les champs de blé sont nus d’accord, l’amour n’y reviendra plus.
À Maldoror, les châteaux se souviennent encore, illusions perdues quand l’amour est mort.
Qu’il est glorieux à un homme de ma modeste condition d’être nourri grâce à la littérature, ne doutons pas qu’elle nous élève et nous soutienne !
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Frédéric Medrano est l’auteur d’une adaptation en bande-dessinée des Chants de Maldoror. Une première partie du projet était parue il y a une dizaine d’années : l’ensemble paraît aujourd’hui aux éditions Az’Art atelier éditions. L’album fait 158 pages en couleur et raconte la vie adolescente d’Isidore Ducasse, hanté par des créatures cauchemardesques et des forces destructrices.
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Bertrand Combaldieu s’est replongé dans la comédie satirique de William Klein, Qui êtes vous Polly Maggoo, sortie en 1966. Il nous signale que le créateur de mode s’appelle Isidore Ducasse !
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Le Vocatif est une revue belge composée de plus de 200 numéros, parus entre octobre 1972 et octobre 1993 et dirigée par Tom Gutt. Elle a publié des textes de tous les membres de la galaxie surréaliste. Un numéro arbore, sur sa couverture, l’inscription « Hommage à François 338Ducasse ». On y voit un vagin grand ouvert à l’orée duquel un pénis s’apprête à pénétrer, sur lequel avance un rhinocéros miniature. Le dessin est signé Marcel Mariën. Hormis cet hommage visuel, la revue contient des poèmes mais aucune étude critique.
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Passé en vente le 10 février 2023 et estimé à 1700-2000€, une lettre autographe de Dimitri Varbanesco à André Breton envoyée de Grenoble le 22 janvier 1947 pour lui proposer de collaborer à un numéro spécial de la revue Variété sur la notion de coïncidence. En post-scriptum : « Je me fais le plaisir de vous envoyer quelques planches extraites d’un travail actuellement en cours pour Les Chants de Maldoror que je prépare pour les éditions Bordas. » Le tout est accompagné de sept estampes dont six épreuves d’artistes inédites pour Les Chants de Maldoror.
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Dans son nouvel ouvrage, Poésie pure et société au xixe siècle, Pascal Durand reprend une contribution qu’il avait donnée dans un précédent colloque de l’AAPPFID, en 2004. Ducasse est en fait omniprésent dans sa traversée du siècle, non moins important qu’un Victor Hugo par exemple. À partir de close readings très érudits, Durand montre Ducasse au cœur d’une littérature volant en éclat et marchant, à grands pas, vers la modernité poétique.
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Les Commissaires anonymes publient Copiez ce livre d’Éric Schrijver, un « manuel sur le droit d’auteur et les communs culturels par et pour les artistes » qui affichent, sur sa couverture, le portrait de Ducasse par Vallotton. Le plagiat est au cœur de la réflexion proposée à destination des artistes, qui réfléchit à subvertir la notion de droit d’auteur pour une poétique du recyclage.
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339En 2014, Fabio Ferreira de Almeida publiait, aux éditions Ricochete de Goiânia, au Brésil, un ouvrage intitulé Tempo de Lautréamont, rassemblant des essais en langue portugaise : « Bestiario do sertao : o principio animal em Guimaraes Rosa » par Mariza Werneck ; « Lautréamont, IAcaeitor de Baudelaire » par Claudio Willer ; « Bachelard e Lautréamont » par José Ternes ; « Bachelard diante do onirismo dinâmico e visceral de Lautréamont » par Marly Bulcao ; « A experiência de Lautréamont por Maurice Blanchot » par Eclair Almeida Filho ; « Ducasse-Lautréamont, a escrita como fratura » par Nilson Oliveira et « Lautréamont anacrônico » par Contador Borges.
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Une pétition, à l’initiative d’Alma Bolon et de Kevin Saliou, a été lancée en ligne en 2022 pour faire inscrire la tombe de François Ducasse au cimetière central de Montevideo au patrimoine national de l’Uruguay. Les démarches sont en cours.
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Bernard Lavilliers, dans son dernier album Sous un soleil énorme, livre une chanson intitulée « Le Piéton de Buenos Aires ». Le chanteur, infatigable baroudeur, déclame :
Je marche seul dans Buenos Aires
Je sais que je n’ai rien compris
Mais cette odeur m’est familière
Comme un secret jamais écrit
Buenos Aires, un port à l’envers
Où les marins restent à leur bord
Des Argentins rêvent d’hier
Et puis des Chants de Maldoror [sic]
En 2004, dans l’album Carnets de bord, Lavilliers faisait déjà référence à Maldoror dans la chanson « Voyageur » :
Pas moi qui ai fait les voyages
C’est les voyages qui m’ont fait
Entre passeur et passage
C’est le métier qui me plaît
340Alors jouons sur la rime
Entre le fleuve et la mer
Un voyageur anonyme
M’attendra pour prendre un verre
Trafiquant de métaphores
Insurgé de l’univers
Passager du Maldoror
Entre la mort et la mer
Grand amoureux de l’Amérique du Sud, Lavilliers a sans doute très tôt glissé Maldoror dans ses bagages.
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Dans La Féline, Agnès Gayraud revit son adolescence pyrénéenne : « Je suis lycéenne, j’ai une robe trapèze orange, achetée dix francs aux fripes du marché Marcadieu. Au Lycée Théophile Gautier, je frime en lisant Isidore Ducasse. Je suis née à Tarbes et je n’ai pas prévu d’y mourir. L’année prochaine, je partirai. »
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Publié à New York, chez Kernpunkt Press, en 2021, The Celestial Bandit : a tribute to Isidore Ducasse, the Comte de Lautréamont, upon the 175th Anniversary of his Birth. Il s’agit d’une série d’hommages sous forme de nouvelles, pastiches, illustrations et poèmes, textes non-universitaires et très contemporains. À noter, parmi les auteurs, Alexander Dickow, Jeremy Reed et Alexis Lykiard, qui ont marqué la réception anglophone de l’œuvre ducassienne.
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Dans son album Bohemian Rap Story, le rappeur Dooz Kawa cite Lautréamont dans le morceau « Si les anges n’ont pas de sexe » : « J’veux Les Chants de Maldoror comme seule oraison funèbre ! »
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341Bertrand Combaldieu nous a fait parvenir le sommaire du Panthéon du roman, l’une des nombreuses publications de l’inégalable Évariste Carrance :
Évariste Carrance, Les Dames de Bretagne, roman, p. 1-4.
Frédéric Soulié, Le Lion amoureux, feuilleton, p. 5.
Alexandre Dumas, Fosse le sauveteur, feuilleton, p. 6.
Jean Chapelot, « À nos lecteurs » et publicité pour un photographe, p. 7.
Le Livre d ’ or de l ’ Humanité, dédié à Jacques Fosse, et appel aux poètes pour un concours futur, p. 8.
Aucune trace de Ducasse dans cette publication, mais il y a sans doute encore un grand travail à mener sur le réseau bordelais d’Isidore, via Carrance qui tissait activement une toile d’écrivains régionalistes.
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Carrance toujours : nous apprenons l’existence d’une lettre non datée de lui adressée à l’auteur du Chemin de la lune, s’il vous plaît, dans laquelle l’infatigable bordelais invite son correspondant à figurer dans une future publication qui deviendra Le Panthéon du roman. Ce destinataire est Eugène De Jacob De la Cottière, homme de lettres qui produisit, en 1864, cette nouvelle d’anticipation matinée de psychiatrie et de spiritisme. Le correspondant ne participera finalement pas à la revue, dont la publication fut annoncée sous une forme hebdomadaire en septembre 1869 dans La Revue d’Aquitaine et du Languedoc. La lettre date donc de cette année 1869, soit peu après ses échanges avec Isidore Ducasse puisque le Chant premier parut en février 1869 dans les Parfums de l’Âme. Avec sa flagornerie usuelle et dans son style caractéristique, Carrance loue les qualités littéraires et spirituelles de son correspondant, et n’oublie pas de mentionner le prix de l’abonnement, dix francs par an. La Revue d’Aquitaine et du Languedoc précise qu’à ses mille premiers abonnés, Carrance promet un « splendide groupe photographique de nos principales célébrités littéraires ». Le numéro spécimen du Panthéon du roman, consulté à la Bibliothèque nationale de France, confirme cette assertion : modestement, Carrance côtoie Hugo, Dumas, Lamartine, Gautier et Balzac. Quant à Ducasse, on sait ce que le Panthéon lui inspira… Coïncidence ou non, De la Cottière avait fait réimprimer son Chemin de la Lune chez Lacroix et Verboeckhoven en 1867.
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Le Grand Prix combiné de Traduction et de Culture généraleest décerné à l’unanimité à Jacques Michaut-Paterno qui, dans sa traduction du Monde que j’ai vu de Mario Praz, évoque « la fameuse rencontre imaginée par Lautréamont entre une ombrelle et une machine à coudre sur une table d’anatomie » (Julliard, 1993). Un bel accessit pour Constance Thompson Pasquali également, qui écrit : « l’accouplement d’une machine à coudre avec un parapluie sur une table d’autopsie semblait une hardiesse admirable » (Mario Praz, Le Pacte avec le serpent, Christian Bourgois, 1991, tome III). (signalé par Jean-Paul Goujon)
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Une lettre inédite d’André Breton à René Gaffé, écrite à Paris le 3 novembre 1932 :
Cher Monsieur et ami,
C’est, je crois, sur la foi de l’article de Remy de Gourmont dans Le Livre des Masques qu’on suppose qu’il existe cinq ou six exemplaires de l’édition de 1869 des Chants de Maldoror. Rien ne me paraît moins sûr, si l’on songe que M. François Alicot, auteur d’une très importante note (passée inaperçue) sur Isidore Ducasse dans le Mercure de France du 1er janvier 1928, note qui remet quantité de détails biographiques au point, se montre incapable de préciser s’il reçut, d’ailleurs sans dédicace, un exemplaire de la première édition (qu’il date incorrectement de 68) ou de la seconde. La bibliothèque nationale, à Paris, n’est en possession que de l’édition de 74. L’exemplaire de Poulet-Malassis, que j’ai eu entre les mains lorsque j’étais bibliothécaire de Jacques Doucet et dans lequel j’ai pris copie des trois lettres inédites parues dans Littérature, était un volume relié sans couverture. Je sais que Doucet, durant des années, a fait chercher l’édition de 69 sans limite de prix et n’a pu réussir à se la procurer. Le volume que je vous ai adressé a été acheté naguère à Bruxelles, ce qui me donne à penser que c’est celui dont vous a été signalée l’existence. Toujours est-il que je n’en ai jamais connu d’autre et que ce n’est pas faute d’avoir cherché.
La suite de la lettre n’évoque plus Ducasse. (signalé par Éric Walbecq)
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343Lettre de Paul Léautaud à un correspondant inconnu (sans doute Léon Pierre-Quint), le 23 février 1930, sur papier à en-tête du Mercure de France :
Monsieur,
Je viens de lire votre très intéressant ouvrage sur Lautréamont. Vous indiquez comme édition des Chants de Maldoror :
Une édition pour le successeur de Lacroix 1879 [sic]
Une édition chez Genonceaux, 1890
Or, j’ai une édition :
Les Chants de Maldoror
Par
Le Comte de Lautréamont
(Chants I, II, III, IV, V, VI)
Paris et Bruxelles
En vente chez tous les libraires
1874
sans rien de la dédicace à des amis dont vous parlez.
Elle ne doit pas être très inconnue, car il m’arrive de la voir chez des libraires d’occasion. Son cours moyen est 300 francs.
Page 30 de votre livre, on a imprimé Léopold Fargue pour Léon-Paul Fargue. Vous avez certainement dû voir cela.
Avec mes sentiments distingués.
Paul Léautaud
L’édition en question est d’ailleurs mentionnée dans Le Livre des masques de Gourmont.
La lettre est reproduite dans la Correspondance générale de Léautaud (Flammarion, 1972), mais le correspondant est identifié comme Jacques Ruff.
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Pessoa, lecteur méconnu de Lautréamont ? « Tout ce qui nous entoure devient partie de nous-mêmes, s’infiltre dans les sensations mêmes de la chair et de la vie, et la bave de la grande Araignée nous lie subtilement à ce qui est près de nous, nous berçant dans ce lit léger d’une mort lente qui nous balance au vent. Tout est nous, et nous sommes tout ; mais à quoi cela sert-il, puisque tout est rien ? » (Le Livre de l’intranquilité, Paris, Christian Bourgois, 1999, p. 200) Il n’est pas certain que Pessoa avait lu Ducasse, qu’il ne mentionne pas explicitement, mais il connaissait les surréalistes parisiens. Ce fragment date de 1931.
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Vente Interenchères du 29 septembre 2022 à Tarbes : sept manuscrits autographes de jeunesse de Geoges Dazet, parmi lesquels un poème en patois bigourdan, une comédie en cinq actes intitulée Supplice d’une mère, une lettre à sa mère écrite de Paris alors qu’il est au lycée Charlemagne et à l’Institution Massin, et une photographie de Dazet à 20 ans prise par le photographe Blanchard de la place Maubourguet de Tarbes. Lot estimé à 1000-1500€. Dans la même vente, un autre lot, estimé à 400-600€, constitué de quatre livres de prix des années 1866-1869.
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Dans un numéro de la revue Pierre à feu consacrée au peintre provençal André Marchand, une minuscule référence à Lautréamont que l’on doit à Émile Benveniste :
Melville retrouve intuitivement la plus profonde et sans doute la plus nécessaire figuration de la mer. Elle n’est que superficiellement féminine ; même dans ses rares moments trompeurs de calme, sa puissance insondable et sa violence latente la montrent virile. On l’incarne toujours en un dieu immémorial, élusif et solitaire, le Vieux de la Mer. Lautréamont l’invoquait justement : « Vieil Océan, ô grand célibataire ! »
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Dans le catalogue de la Librairie Faustroll de septembre 2022, une annonce de parution de l’édition Au Sans Pareil de 1925 des Chants de Maldoror : affichette en papier fin gris vert imprimé en noir, estimée à 100€.
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Je n’ai pour vous, Monsieur, qu’une estime limitée, et je ne lis guère la NRf. Cependant il me paraît bien regrettable qu’à l’instant où vous prenez la défense de Rimbaud vous croyiez bon d’accréditer encore la légende qui fait de Lautréamont un fou. Je vous prie de bien considérer avec quelle légèreté ceux de qui vous tenez cette certitude vous ont assuré d’une démence, au moins discutée ; sur quels textes s’appuyaient leurs dires ; et quels secrets motifs vous les font si facilement accepter. Je ne pense pas que savoir le cas que je fais d’Isidore Ducasse soit pour vous l’occasion de réviser un procès […]. Mais 345sachez cependant, que pour moi et pour quelques autres, aucun poète ne tient devant Rimbaud, si ce n’est Lautréamont même, qui le dépasse de la tête.
Il s’agit d’une lettre adressée par Louis Aragon à Albert Thibaudet, qui l’ajouta à la fin de ses « Réflexions sur la littérature », dans la NRf d’avril 1922, p. 470-471. Thibaudet répondit :
Je serais heureux de voir M. Louis Aragon « discuter » cette démence dans la NRf., qui ce jour-là au moins méritera d’être lue. Mon opinion était à peu près celle de Remy de Gourmont, qui dans une étude sur Maldoror écrivait : « La folie est indubitable. » Les seuls textes sur lesquels me paraissent s’appuyer ces dires, ce sont Les Chants de Maldoror et les Poésies, qui ressemblent d’une façon frappante aux écrits d’aliénés, publiés par des médecins. Que ces pages soient souvent plus intéressantes et plus littéraires que la prose médicale qui les entoure, je le reconnais.
Il ajoute, plus loin :
La littérature des Illuminations est celle d’un homme qui marche ; celle de Maldoror (où le génie ne manque pas) est celle d’un homme qui rêve. Et peut-être bien que le rêve c’est la littérature intégrale ! auquel cas M. Aragon aurait raison. Mais si Lautréamont dépasse tous les poètes de la longueur de sa tête, plus la longueur de Rimbaud, M. Aragon tient-il absolument à nous faire avouer que cette tête fumante est en outre une tête solide ? Avouons seulement que, placée si haut, elle voyait peut-être loin. Que diable peut-elle apercevoir quand Maldoror s’écrie : « O dadas de bagne ! Bulles de savon ! Pantins en baudruche ! Ficelles usées ! »
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La revue uruguayenne Jaque, dans son numéro 198 du 14 octobre 1987, contient un article de Raul Zaffaroni, « De ir y venir ». Nous en traduisons la fin :
La délégation qu’a envoyée la France à la rencontre que l’Unesco a organisée à Montevideo (1954) s’est donnée, entre autres, une mission bien définie : placer, en collaboration avec l’ambassade en Uruguay, une plaque de bronze rappelant la naissance de deux grands poètes que l’Uruguay a donné aux lettres françaises : Isidore Ducasse, comte de Lautréamont, et Jules Laforgue (Jules Supervielle vivait encore). Les plaques devaient être placées sur les maisons natales des poètes.
346Les difficultés se succédèrent : méconnaissance de la vie des poètes, difficulté à localiser les lieux en question, très faible notoriété en Uruguay de Laforgue et de Lautréamont. Enfin, concernant Lautréamont, il apparut que son quartier natal était désormais peuplé de bordels et de maisons de passe, peu propices pour un hommage culturel décent pouvant satisfaire les autorités uruguayennes et françaises. Finalement, on installa, Plaza Independencia, une plaque indiquant vaguement : « Près d’ici naquirent… » Après quelques années, la maison, choisie au hasard, s’effondra et le lieu devint un terrain vague peuplé de détritus, de grenouilles et de rats. N’est-ce pas, finalement, le meilleur hommage possible à rendre aux Complaintes et aux Chants de Maldoror ?
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Le 6 juillet 2023, Franck Ferrand, l’animateur du Tour de France, évoquait Isidore Ducasse à l’occasion de l’étape du jour dont le départ avait lieu à Tarbes. À une heure de grande écoute sur France 3, les français ont ainsi pu en apprendre plus sur Lautréamont, « un poète du Parnasse ».
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Samedi 22 février
Je lis un volume sur Lautréamont par Léon Pierre-Quint, fort intéressant. J’y trouve rappelés ces vers de Musset, que je ne connaissais pas, dans Les Marrons du feu.
L ’ esturgeons monstrueux soulève de son dos
Le manteau bleu des mers et regarde en silence
L ’ astre des nuits…
Très curieux. Très intéressant. C’est presque du Rimbaud avant Rimbaud.
Il s’agit du seul passage où Paul Léautaud cite Lautréamont dans son JournalLittéraire, tome II, Mercure de France, 1986, Paris, p. 530-531.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-15995-7
- EAN : 9782406159957
- ISSN : 2607-754X
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-15995-7.p.0333
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 22/11/2023
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français
- Mots-clés : Lautréamont, Isidore Ducasse, Maldoror, Gloses et glanes, Poésies, actualités