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Classiques Garnier

Gloses et glanes

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Cahiers Lautréamont
    2023, n° 5
    . varia
  • Résumé : Dans cette rubrique collective, les Cahiers Lautréamont compilent les traces d’Isidore Ducasse dans l’actualité culturelle.
  • Pages : 333 à 346
  • Revue : Cahiers Lautréamont
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406159957
  • ISBN : 978-2-406-15995-7
  • ISSN : 2607-754X
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-15995-7.p.0333
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 22/11/2023
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Lautréamont, Isidore Ducasse, Maldoror, Gloses et glanes, Poésies, actualités
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Gloses et glanes

Dans Le Confort intellectuel de Marcel Aymé : « Dans le genre cauchemardesque, la poésie des Chants de Maldoror est allée beaucoup plus loin [que Baudelaire] avec beaucoup plus de tenue et a délivré toute une région du rêve et de la fantasmagorie la plus douloureuse, la plus hagarde, qui aurait dû faire oublier Les Fleurs du Mal. Pourtant, Lautréamont est très peu lu, presque inconnu à lheure actuelle. Le surréalisme, qui la hautement revendiqué comme précurseur, ne lui devait rien et ne pouvait rien devoir à un poète chez lequel le rêve, la fantaisie, linvention, vont toujours de pair avec le souci de la construction et du métier rigoureux. Lautréamont a pu fournir des sujets à quelques peintres surréalistes. Il na pas eu de postérité poétique. Et si vous voulez savoir pourquoi il na obtenu de notre époque que quelques marques extérieures de respect, relisez-le. Vous verrez quil écrit honnêtement et quil donne aux mots leur valeur exacte. Il nen faut pas plus… »

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Dans la nuit du 23 au 24 novembre 2022, la plaque funèbre dédiée à Isidore Ducasse et posée dans la cour du restaurant Chartier, rue du Faubourg-Montmartre, est mystérieusement réapparue. Les détectives de lAAPPFID mènent actuellement lenquête pour identifier les auteurs de cet acte.

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Le 16 septembre 1919, Friedrich Glauser, médecin suisse et écrivain, évoquait dans sa correspondance, publiée aux Éditions den bas en 2021 par Christa Baumberger et Lionel Felchlin, dans une lettre à son père, son amour de la littérature. Il projette alors de donner un cours 334de littérature française en allemand et sélectionne, parmi les auteurs prévus au programme, Lautréamont, quil range parmi les symbolistes.

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Le 4 juillet 2022, chez Sothebys, lexemplaire G. L. M. 1938 des Œuvres complètes de Lautréamont ayant appartenu à Paul Éluard est passé en vente. Provenant de la bibliothèque dHubert Heilbronn et estimé à 6000-8000 €, ce volume est décrit comme tel : bradel de papier imitation bois, pièce de titre de maroquin brun, tête dorée, couverture et dos, reliure de lépoque. Il sagit de lexemplaire no 32 des 100 exemplaires numérotés sur vergé Hollande Pannekoek, avec les illustrations collectives des artistes surréalistes. Lintérêt principal de ce volume, outre sa dimension historique, réside dans les lettres et manuscrits autographes qui laccompagnent : une lettre dÉluard à Valentine Hugo datée du 29 avril 1940, où il annonce son intention de relire Le Problème du Mal de Naville pour un « travail sur Lautréamont » (il ajoute : « Jai un véritable culte pour Lautréamont. »), un portrait écrit de Maldoror par André Breton, qui décrit Ducasse comme « lunique enchanteur moderne » lancé à la conquête érotique de lUnivers quil a décidé de débarrasser une fois pour toutes de Dieu, à laide de sa bague enchantée, un thème astral analysé par Breton, qui pourrait être celui de Ducasse, le portrait paranoïaque-critique de Lautréamont par Dali, un manuscrit de deux pages de la main dÉluard qui retranscrit une analyse graphologique de Lautréamont, recueillie oralement auprès de Raymond Trillat, un poème de Breton daté de 1932, « Le Grand Secours meurtrier », poème de 24 vers libres adressé à Valentine Hugo, et dont on a ici le seul manuscrit, qui souvre sur les vers suivants : « La statue de Lautréamont / Dont le socle est fait de cachets de quinine / En rase campagne / Lauteur des Poésies est couché à plat ventre. »

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Passé en vente chez Christies le 5 juillet 2023, un tarot de Marseille de 1941 illustré par des dessins originaux de Frédéric Delanglade. Le jeu a été conçu par les surréalistes réunis à Marseille alors quils sapprêtaient à quitter la France de Vichy. Lautréamont fait lobjet dune carte dans 335la série des « étoiles noires du rêve ». Le Père Ubu fait office de joker. Le lot était estimé à 4000-5000€.

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Lexemplaire de 1874 relié en 1925 en cuir et peau de grenouille est repassé en vente à lHôtel Drouot le 14 février 2018. Il sest vendu à 4762€.

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Vidéaste amateur, Georges Sammut nous a fait parvenir un film vidéo intitulé Chants et contre-chants dIsidore D.. Réalisé en 2019 et dune durée de 59 minutes, il sagit dun montage à partir de deux films précédents, Traversée de Maldoror (2004), sorte de collage dimages sur des passages lus des Chants dans la plus pure tradition surréaliste expérimentale, et Laissez tout désespoir (2019), récitation de fragments des Poésies par Marius-Marc Roux. Les deux œuvres sentremêlent désormais comme les deux faces qui nen sont quune du ruban de Möbius.

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Le no 91 dHistoires littéraires propose un excellent article du brillant Sylvain-Christian David, dont les travaux sur Isidore Ducasse se font désormais rares. Intitulé « Ducasse prend le train », il livre les conclusions dune enquête sur ce que sont devenus les restes du poète après son inhumation précipitée dans le cimetière de Montmartre. Nous revivons les années troublées de lactivité du cimetière entre novembre 1870 et 1901, ainsi que les déambulations post-mortem dIsidore Ducasse. Cest loccasion de tordre le cou à un mythe tenace : lauteur des Chants de Maldoror na jamais fini dans un ossuaire de la porte de Pantin.

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Dans le numéro 92 dHistoires littéraires toujours, Kevin Saliou propose un article sur ladmiration inconditionnelle que vouait à Isidore Ducasse le peintre Amedeo Modigliani. Il a incarné, peut-être mieux 336que nul autre, la bohème montmartroise puis montparnassienne du début du siècle, mais on ignore trop souvent quil avait toujours dans sa poche un exemplaire des Chants de Maldoror, dont il pouvait déclamer des passages entiers de mémoire.

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À paraître, dans un futur proche mais indéterminé : Kevin Saliou, « Sublimation du crime et métaphysique de la violence chez Lautréamont. Pour une approche criminologique des Chants de Maldoror. »

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Passée en vente à Lyon, une affiche de lexposition Chants de Maldoror et jardins sacrés, qui sest tenue à la Galerie Alphonse Chave, à Vence, du 16 avril au 13 mai 1977. Laffiche était signée Karina Raeck.

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Dans son numéro 2, paru le 11 mai 1946, la revue surréaliste belge Les Deux Sœurs, fondée par Christian Dotremont, donne un texte en prose de Louis Scutenaire intitulé « La Vie et les œuvres dAlfred Jarry et dIsidore Ducasse ». En voici un extrait :

Alfred Jarry naquit à Laval, chef-lieu du département de la Mayenne, sous la Troisième république, le 8 septembre exactement. Son père, qui était faiseur de haies et de fossés, lavait formé à ce dur métier ; mais, goûtant peu ce travail et aimant la dissipation, il quitta son pays avec un compagnon disposé comme lui qui sappelait Isidore Ducasse ; ils se retirèrent ensemble dans les déserts. Ils y établirent leur demeure sur le bord de la mer, dans une caverne, denviron un mille de long et dune remarquable largeur, qui était si rapprochée des flots que souvent elle était inondée par le flux sur une profondeur de plus de cent verges.

Dans ce texte horrifique et hallucinant, Jarry et Ducasse sont décrits comme de terribles brigands assassins et cannibales. Ils sont condamnés à mort, démembrés, puis ressuscitent. La revue a été republiée en 1985 aux éditions Jean-Michel Place. (signalé par Alain Chevrier)

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Hervé Vilard est lauteur dune chanson intitulée « À Maldoror », face B de son single de 1981 « Va pour lamour ». En mars 2023, Siméon Lerouge a eu loccasion de le rencontrer et de linterroger. Le chanteur lui a fait parvenir ce texte inédit :

La lecture de Maldoror est pour moi chaque fois une épreuve, jai dû le lire trois fois avec le même désir de vaincre le texte dIsidore Ducasse. Enfant, avant que le livre ne souvre, je pensais quil sagissait des champs de blé et non du chant des blés dont me parlait linstituteur. Quest-ce qui sapproche et va à la rencontre de Maldoror ? Comme il est grand le dragon, plus quun chêne ! Son corps commence par un buste de tigre et se termine par une queue de serpent. Je lisais dans une langue symbolique que je ne pouvais déchiffrer. Sen est dégagé une fascination pour le comte de Lautréamont qui bien plus tard ma amené à écrire une chanson.

À Maldoror, les champs de blé sont nus daccord, lamour ny reviendra plus. 

À Maldoror, les châteaux se souviennent encore, illusions perdues quand lamour est mort. 

Quil est glorieux à un homme de ma modeste condition dêtre nourri grâce à la littérature, ne doutons pas quelle nous élève et nous soutienne !

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Frédéric Medrano est lauteur dune adaptation en bande-dessinée des Chants de Maldoror. Une première partie du projet était parue il y a une dizaine dannées : lensemble paraît aujourdhui aux éditions AzArt atelier éditions. Lalbum fait 158 pages en couleur et raconte la vie adolescente dIsidore Ducasse, hanté par des créatures cauchemardesques et des forces destructrices.

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Bertrand Combaldieu sest replongé dans la comédie satirique de William Klein, Qui êtes vous Polly Maggoo, sortie en 1966. Il nous signale que le créateur de mode sappelle Isidore Ducasse !

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Le Vocatif est une revue belge composée de plus de 200 numéros, parus entre octobre 1972 et octobre 1993 et dirigée par Tom Gutt. Elle a publié des textes de tous les membres de la galaxie surréaliste. Un numéro arbore, sur sa couverture, linscription « Hommage à François 338Ducasse ». On y voit un vagin grand ouvert à lorée duquel un pénis sapprête à pénétrer, sur lequel avance un rhinocéros miniature. Le dessin est signé Marcel Mariën. Hormis cet hommage visuel, la revue contient des poèmes mais aucune étude critique.

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Passé en vente le 10 février 2023 et estimé à 1700-2000€, une lettre autographe de Dimitri Varbanesco à André Breton envoyée de Grenoble le 22 janvier 1947 pour lui proposer de collaborer à un numéro spécial de la revue Variété sur la notion de coïncidence. En post-scriptum : « Je me fais le plaisir de vous envoyer quelques planches extraites dun travail actuellement en cours pour Les Chants de Maldoror que je prépare pour les éditions Bordas. » Le tout est accompagné de sept estampes dont six épreuves dartistes inédites pour Les Chants de Maldoror.

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Dans son nouvel ouvrage, Poésie pure et société au xixe siècle, Pascal Durand reprend une contribution quil avait donnée dans un précédent colloque de lAAPPFID, en 2004. Ducasse est en fait omniprésent dans sa traversée du siècle, non moins important quun Victor Hugo par exemple. À partir de close readings très érudits, Durand montre Ducasse au cœur dune littérature volant en éclat et marchant, à grands pas, vers la modernité poétique.

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Les Commissaires anonymes publient Copiez ce livre dÉric Schrijver, un « manuel sur le droit dauteur et les communs culturels par et pour les artistes » qui affichent, sur sa couverture, le portrait de Ducasse par Vallotton. Le plagiat est au cœur de la réflexion proposée à destination des artistes, qui réfléchit à subvertir la notion de droit dauteur pour une poétique du recyclage.

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En 2014, Fabio Ferreira de Almeida publiait, aux éditions Ricochete de Goiânia, au Brésil, un ouvrage intitulé Tempo de Lautréamont, rassemblant des essais en langue portugaise : « Bestiario do sertao : o principio animal em Guimaraes Rosa » par Mariza Werneck ; « Lautréamont, IAcaeitor de Baudelaire » par Claudio Willer ; « Bachelard e Lautréamont » par José Ternes ; « Bachelard diante do onirismo dinâmico e visceral de Lautréamont » par Marly Bulcao ; « A experiência de Lautréamont por Maurice Blanchot » par Eclair Almeida Filho ; « Ducasse-Lautréamont, a escrita como fratura » par Nilson Oliveira et « Lautréamont anacrônico » par Contador Borges.

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Une pétition, à linitiative dAlma Bolon et de Kevin Saliou, a été lancée en ligne en 2022 pour faire inscrire la tombe de François Ducasse au cimetière central de Montevideo au patrimoine national de lUruguay. Les démarches sont en cours.

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Bernard Lavilliers, dans son dernier album Sous un soleil énorme, livre une chanson intitulée « Le Piéton de Buenos Aires ». Le chanteur, infatigable baroudeur, déclame :

Je marche seul dans Buenos Aires

Je sais que je nai rien compris

Mais cette odeur mest familière

Comme un secret jamais écrit

Buenos Aires, un port à lenvers

Où les marins restent à leur bord

Des Argentins rêvent dhier

Et puis des Chants de Maldoror [sic]

En 2004, dans lalbum Carnets de bord, Lavilliers faisait déjà référence à Maldoror dans la chanson « Voyageur » :

Pas moi qui ai fait les voyages

Cest les voyages qui mont fait

Entre passeur et passage

Cest le métier qui me plaît

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Alors jouons sur la rime

Entre le fleuve et la mer

Un voyageur anonyme

Mattendra pour prendre un verre

Trafiquant de métaphores

Insurgé de lunivers

Passager du Maldoror

Entre la mort et la mer

Grand amoureux de lAmérique du Sud, Lavilliers a sans doute très tôt glissé Maldoror dans ses bagages.

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Dans La Féline, Agnès Gayraud revit son adolescence pyrénéenne : « Je suis lycéenne, jai une robe trapèze orange, achetée dix francs aux fripes du marché Marcadieu. Au Lycée Théophile Gautier, je frime en lisant Isidore Ducasse. Je suis née à Tarbes et je nai pas prévu dy mourir. Lannée prochaine, je partirai. »

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Publié à New York, chez Kernpunkt Press, en 2021, The Celestial Bandit : a tribute to Isidore Ducasse, the Comte de Lautréamont, upon the 175th Anniversary of his Birth. Il sagit dune série dhommages sous forme de nouvelles, pastiches, illustrations et poèmes, textes non-universitaires et très contemporains. À noter, parmi les auteurs, Alexander Dickow, Jeremy Reed et Alexis Lykiard, qui ont marqué la réception anglophone de lœuvre ducassienne.

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Dans son album Bohemian Rap Story, le rappeur Dooz Kawa cite Lautréamont dans le morceau « Si les anges nont pas de sexe » : « Jveux Les Chants de Maldoror comme seule oraison funèbre ! »

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Bertrand Combaldieu nous a fait parvenir le sommaire du Panthéon du roman, lune des nombreuses publications de linégalable Évariste Carrance :

Évariste Carrance, Les Dames de Bretagne, roman, p. 1-4.

Frédéric Soulié, Le Lion amoureux, feuilleton, p. 5.

Alexandre Dumas, Fosse le sauveteur, feuilleton, p. 6.

Jean Chapelot, « À nos lecteurs » et publicité pour un photographe, p. 7.

Le Livre d or de l Humanité, dédié à Jacques Fosse, et appel aux poètes pour un concours futur, p. 8.

Aucune trace de Ducasse dans cette publication, mais il y a sans doute encore un grand travail à mener sur le réseau bordelais dIsidore, via Carrance qui tissait activement une toile décrivains régionalistes.

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Carrance toujours : nous apprenons lexistence dune lettre non datée de lui adressée à lauteur du Chemin de la lune, sil vous plaît, dans laquelle linfatigable bordelais invite son correspondant à figurer dans une future publication qui deviendra Le Panthéon du roman. Ce destinataire est Eugène De Jacob De la Cottière, homme de lettres qui produisit, en 1864, cette nouvelle danticipation matinée de psychiatrie et de spiritisme. Le correspondant ne participera finalement pas à la revue, dont la publication fut annoncée sous une forme hebdomadaire en septembre 1869 dans La Revue dAquitaine et du Languedoc. La lettre date donc de cette année 1869, soit peu après ses échanges avec Isidore Ducasse puisque le Chant premier parut en février 1869 dans les Parfums de lÂme. Avec sa flagornerie usuelle et dans son style caractéristique, Carrance loue les qualités littéraires et spirituelles de son correspondant, et noublie pas de mentionner le prix de labonnement, dix francs par an. La Revue dAquitaine et du Languedoc précise quà ses mille premiers abonnés, Carrance promet un « splendide groupe photographique de nos principales célébrités littéraires ». Le numéro spécimen du Panthéon du roman, consulté à la Bibliothèque nationale de France, confirme cette assertion : modestement, Carrance côtoie Hugo, Dumas, Lamartine, Gautier et Balzac. Quant à Ducasse, on sait ce que le Panthéon lui inspira… Coïncidence ou non, De la Cottière avait fait réimprimer son Chemin de la Lune chez Lacroix et Verboeckhoven en 1867.

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Le Grand Prix combiné de Traduction et de Culture généraleest décerné à lunanimité à Jacques Michaut-Paterno qui, dans sa traduction du Monde que jai vu de Mario Praz, évoque « la fameuse rencontre imaginée par Lautréamont entre une ombrelle et une machine à coudre sur une table danatomie » (Julliard, 1993). Un bel accessit pour Constance Thompson Pasquali également, qui écrit : « laccouplement dune machine à coudre avec un parapluie sur une table dautopsie semblait une hardiesse admirable » (Mario Praz, Le Pacte avec le serpent, Christian Bourgois, 1991, tome III). (signalé par Jean-Paul Goujon)

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Une lettre inédite dAndré Breton à René Gaffé, écrite à Paris le 3 novembre 1932 :

Cher Monsieur et ami,

Cest, je crois, sur la foi de larticle de Remy de Gourmont dans Le Livre des Masques quon suppose quil existe cinq ou six exemplaires de lédition de 1869 des Chants de Maldoror. Rien ne me paraît moins sûr, si lon songe que M. François Alicot, auteur dune très importante note (passée inaperçue) sur Isidore Ducasse dans le Mercure de France du 1er janvier 1928, note qui remet quantité de détails biographiques au point, se montre incapable de préciser sil reçut, dailleurs sans dédicace, un exemplaire de la première édition (quil date incorrectement de 68) ou de la seconde. La bibliothèque nationale, à Paris, nest en possession que de lédition de 74. Lexemplaire de Poulet-Malassis, que jai eu entre les mains lorsque jétais bibliothécaire de Jacques Doucet et dans lequel jai pris copie des trois lettres inédites parues dans Littérature, était un volume relié sans couverture. Je sais que Doucet, durant des années, a fait chercher lédition de 69 sans limite de prix et na pu réussir à se la procurer. Le volume que je vous ai adressé a été acheté naguère à Bruxelles, ce qui me donne à penser que cest celui dont vous a été signalée lexistence. Toujours est-il que je nen ai jamais connu dautre et que ce nest pas faute davoir cherché.

La suite de la lettre névoque plus Ducasse. (signalé par Éric Walbecq)

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Lettre de Paul Léautaud à un correspondant inconnu (sans doute Léon Pierre-Quint), le 23 février 1930, sur papier à en-tête du Mercure de France :

Monsieur,

Je viens de lire votre très intéressant ouvrage sur Lautréamont. Vous indiquez comme édition des Chants de Maldoror :

Une édition pour le successeur de Lacroix 1879 [sic]

Une édition chez Genonceaux, 1890

Or, jai une édition :

Les Chants de Maldoror

Par

Le Comte de Lautréamont

(Chants I, II, III, IV, V, VI)

Paris et Bruxelles

En vente chez tous les libraires

1874

sans rien de la dédicace à des amis dont vous parlez.

Elle ne doit pas être très inconnue, car il marrive de la voir chez des libraires doccasion. Son cours moyen est 300 francs.

Page 30 de votre livre, on a imprimé Léopold Fargue pour Léon-Paul Fargue. Vous avez certainement dû voir cela.

Avec mes sentiments distingués.

Paul Léautaud

Lédition en question est dailleurs mentionnée dans Le Livre des masques de Gourmont.

La lettre est reproduite dans la Correspondance générale de Léautaud (Flammarion, 1972), mais le correspondant est identifié comme Jacques Ruff.

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Pessoa, lecteur méconnu de Lautréamont ? « Tout ce qui nous entoure devient partie de nous-mêmes, sinfiltre dans les sensations mêmes de la chair et de la vie, et la bave de la grande Araignée nous lie subtilement à ce qui est près de nous, nous berçant dans ce lit léger dune mort lente qui nous balance au vent. Tout est nous, et nous sommes tout ; mais à quoi cela sert-il, puisque tout est rien ? » (Le Livre de lintranquilité, Paris, Christian Bourgois, 1999, p. 200) Il nest pas certain que Pessoa avait lu Ducasse, quil ne mentionne pas explicitement, mais il connaissait les surréalistes parisiens. Ce fragment date de 1931.

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Vente Interenchères du 29 septembre 2022 à Tarbes : sept manuscrits autographes de jeunesse de Geoges Dazet, parmi lesquels un poème en patois bigourdan, une comédie en cinq actes intitulée Supplice dune mère, une lettre à sa mère écrite de Paris alors quil est au lycée Charlemagne et à lInstitution Massin, et une photographie de Dazet à 20 ans prise par le photographe Blanchard de la place Maubourguet de Tarbes. Lot estimé à 1000-1500€. Dans la même vente, un autre lot, estimé à 400-600€, constitué de quatre livres de prix des années 1866-1869.

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Dans un numéro de la revue Pierre à feu consacrée au peintre provençal André Marchand, une minuscule référence à Lautréamont que lon doit à Émile Benveniste :

Melville retrouve intuitivement la plus profonde et sans doute la plus nécessaire figuration de la mer. Elle nest que superficiellement féminine ; même dans ses rares moments trompeurs de calme, sa puissance insondable et sa violence latente la montrent virile. On lincarne toujours en un dieu immémorial, élusif et solitaire, le Vieux de la Mer. Lautréamont linvoquait justement : « Vieil Océan, ô grand célibataire ! »

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Dans le catalogue de la Librairie Faustroll de septembre 2022, une annonce de parution de lédition Au Sans Pareil de 1925 des Chants de Maldoror : affichette en papier fin gris vert imprimé en noir, estimée à 100€.

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Je nai pour vous, Monsieur, quune estime limitée, et je ne lis guère la NRf. Cependant il me paraît bien regrettable quà linstant où vous prenez la défense de Rimbaud vous croyiez bon daccréditer encore la légende qui fait de Lautréamont un fou. Je vous prie de bien considérer avec quelle légèreté ceux de qui vous tenez cette certitude vous ont assuré dune démence, au moins discutée ; sur quels textes sappuyaient leurs dires ; et quels secrets motifs vous les font si facilement accepter. Je ne pense pas que savoir le cas que je fais dIsidore Ducasse soit pour vous loccasion de réviser un procès []. Mais 345sachez cependant, que pour moi et pour quelques autres, aucun poète ne tient devant Rimbaud, si ce nest Lautréamont même, qui le dépasse de la tête.

Il sagit dune lettre adressée par Louis Aragon à Albert Thibaudet, qui lajouta à la fin de ses « Réflexions sur la littérature », dans la NRf davril 1922, p. 470-471. Thibaudet répondit :

Je serais heureux de voir M. Louis Aragon « discuter » cette démence dans la NRf., qui ce jour-là au moins méritera dêtre lue. Mon opinion était à peu près celle de Remy de Gourmont, qui dans une étude sur Maldoror écrivait : « La folie est indubitable. » Les seuls textes sur lesquels me paraissent sappuyer ces dires, ce sont Les Chants de Maldoror et les Poésies, qui ressemblent dune façon frappante aux écrits daliénés, publiés par des médecins. Que ces pages soient souvent plus intéressantes et plus littéraires que la prose médicale qui les entoure, je le reconnais.

Il ajoute, plus loin :

La littérature des Illuminations est celle dun homme qui marche ; celle de Maldoror (où le génie ne manque pas) est celle dun homme qui rêve. Et peut-être bien que le rêve cest la littérature intégrale ! auquel cas M. Aragon aurait raison. Mais si Lautréamont dépasse tous les poètes de la longueur de sa tête, plus la longueur de Rimbaud, M. Aragon tient-il absolument à nous faire avouer que cette tête fumante est en outre une tête solide ? Avouons seulement que, placée si haut, elle voyait peut-être loin. Que diable peut-elle apercevoir quand Maldoror sécrie : « O dadas de bagne ! Bulles de savon ! Pantins en baudruche ! Ficelles usées ! »

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La revue uruguayenne Jaque, dans son numéro 198 du 14 octobre 1987, contient un article de Raul Zaffaroni, « De ir y venir ». Nous en traduisons la fin :

La délégation qua envoyée la France à la rencontre que lUnesco a organisée à Montevideo (1954) sest donnée, entre autres, une mission bien définie : placer, en collaboration avec lambassade en Uruguay, une plaque de bronze rappelant la naissance de deux grands poètes que lUruguay a donné aux lettres françaises : Isidore Ducasse, comte de Lautréamont, et Jules Laforgue (Jules Supervielle vivait encore). Les plaques devaient être placées sur les maisons natales des poètes.

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Les difficultés se succédèrent : méconnaissance de la vie des poètes, difficulté à localiser les lieux en question, très faible notoriété en Uruguay de Laforgue et de Lautréamont. Enfin, concernant Lautréamont, il apparut que son quartier natal était désormais peuplé de bordels et de maisons de passe, peu propices pour un hommage culturel décent pouvant satisfaire les autorités uruguayennes et françaises. Finalement, on installa, Plaza Independencia, une plaque indiquant vaguement : « Près dici naquirent… » Après quelques années, la maison, choisie au hasard, seffondra et le lieu devint un terrain vague peuplé de détritus, de grenouilles et de rats. Nest-ce pas, finalement, le meilleur hommage possible à rendre aux Complaintes et aux Chants de Maldoror ?

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Le 6 juillet 2023, Franck Ferrand, lanimateur du Tour de France, évoquait Isidore Ducasse à loccasion de létape du jour dont le départ avait lieu à Tarbes. À une heure de grande écoute sur France 3, les français ont ainsi pu en apprendre plus sur Lautréamont, « un poète du Parnasse ».

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Samedi 22 février

Je lis un volume sur Lautréamont par Léon Pierre-Quint, fort intéressant. Jy trouve rappelés ces vers de Musset, que je ne connaissais pas, dans Les Marrons du feu.

L esturgeons monstrueux soulève de son dos

Le manteau bleu des mers et regarde en silence

L astre des nuits…

Très curieux. Très intéressant. Cest presque du Rimbaud avant Rimbaud.

Il sagit du seul passage où Paul Léautaud cite Lautréamont dans son JournalLittéraire, tome II, Mercure de France, 1986, Paris, p. 530-531.