Le tonnerre et les cloches Voix d’hommes et voix de femmes dans les épîtres de Jean Marot à François Ier et Claude de France
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
2020 – 2, n° 40. varia - Auteur : Dorio (Pauline)
- Pages : 101 à 128
- Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
Le tonnerre et les cloches
Voix d’hommes et voix de femmes dans les épîtres
de Jean Marot à François ier et Claude de France
Publiées par Clément Marot dans Le Recueil Jehan Marot1, les épîtres « des dames de Paris au Roy Françoys », « des Dames de Paris aux Courtisans de France » et « de Jehan Marot à la Royne Claude » forment, avec le rondeau xlix « De la deffaicte des Suisses », les disjecta membra d’un Voyage de Milan que la mort de Jean Marot l’a vraisemblablement empêché d’écrire2. Outre qu’elles s’inscrivent dans le même contexte historique – à savoir la campagne d’Italie de 1515 à laquelle Jean Marot participe aux côtés de François ier –, ces pièces se font explicitement écho, leur matière commune occasionnant en effet de multiples répétitions et autres allusions intertextuelles. Ainsi, les v. 16-22 de l’« Epistre des dames de Paris au Roy de France » évoquent la tradition du débat des dames que renouvelle l’épître « Aux courtisans de France » ; les « bateurs » « batu[s] » du v. 63 rappellent quant à eux ceux du rondeau xlix (« En combatant & batant les bateurs3 »).
Entre les deux épîtres à François ier et à Claude de France, les liens paraissent encore plus étroits : comme l’ont signalé Gérard Defaux et Thierry Mantovani, « tout se passe comme si le poète s’était fixé pour tâche de raconter deux fois plus ou moins la même chose, d’abord au roi, puis à son épouse4 ». Ces deux pièces retracent en effet des événements communs, depuis la traversée estivale des Alpes au col de Larche jusqu’à la prise de Novare, en passant par la défaite des Suisses et la capture de Prosper Colonna. Eût-elle été achevée, tout porte à croire que l’épître 102à Claude de France eût rapporté en détail la reconquête de Milan et l’entrevue papale du 11 décembre, que le poète mentionne aux v. 61-68 de l’épître à François ier.
Jean Marot décrit la campagne militaire en des termes identiques, qu’il insère en outre dans des contextes syntaxiques proches, allant jusqu’à réemployer certaines rimes voire certains vers : pour percer un chemin à travers le col de Larche – entreprise « merveilleuse5 » –, l’armée française a employé une force balistique comprenant « Faucons », « Coulevrines », « Doubles canons et longues serpentines6 » ; elle « vint arriver » ensuite dans la « plaine » du « Marquisat de Saluce » où elle a « campegé » malgré ses « ennemis7 ». D’autres épisodes se font écho : dans chacun des textes, le poète s’attarde notamment à relater les manifestations de joie collective provoquées par deux bonnes nouvelles, la naissance de Louise d’une part et la victoire de Marignan de l’autre.
Au-delà de cette proximité de matière, les épîtres présentent une situation d’énonciation similaire, inspirée par le modèle de l’héroïde : dans un cas, le poète s’adresse à une interlocutrice inquiète, qu’il rassure quant au sort de son époux ; dans l’autre, des dames restées en arrière déplorent l’absence de celui qui apparaît comme un amant parfait. Destinées à une figure royale dont elles magnifient les vertus, les deux épîtres reposent enfin sur un rapport d’interlocution déséquilibré, au contraire de l’épître « aux Courtisans de France » qui met en scène des interlocuteurs de statut égal et recèle en outre une intention satirique.
Toutefois, loin d’être un simple décalque l’une de l’autre, les deux épîtres se complètent selon un mouvement d’inversion quasi symétrique : la première présente les événements depuis un point de vue féminin et destiné au roi ; la seconde offre un point de vue masculin à destination de la reine. Tandis que les femmes ne rapportent les événements militaires que de loin, via la parole médiatrice d’un héraut, 103l’épître à Claude de France plonge le lecteur au cœur de l’action. Selon d’où provient le discours épistolaire, les exploits de François ier sont l’occasion soit d’une amplification épique, soit d’une déploration lyrique. En enchâssant, dans chacune des deux épîtres, des discours hétérogènes venant réfléchir la sphère associée au genre opposé, Jean Marot s’appuie en outre sur la dimension échoïque du discours épistolaire pour engager une réflexion sur la complémentarité des genres masculin et féminin. Dans les pages qui suivent, nous nous proposons dès lors de comparer les deux épîtres à François ier et Claude de France afin d’interroger les représentations de genre qu’elles mettent en scène ainsi que la réalisation spécifique du discours épistolaire que ces représentations occasionnent.
S’appuyant sur les remaniements apportés à l’épître « Aux Courtisans de France » entre le manuscrit Gueffier, où elle était initialement adressée au roi, et le Recueil Jehan Marot édité par Clément Marot en 1533, Gérard Defaux et Thierry Mantovani ont émis l’hypothèse que c’est ce dernier, et non son père, qui pourrait être l’auteur de l’épître à François ier : pourquoi en effet Jean Marot aurait-il conçu le projet « de faire parvenir pour ainsi dire en même temps deux épîtres au même destinataire8 » ? Une intervention massive de Clément Marot n’invaliderait pas néanmoins la pertinence du rapprochement que nous nous proposons d’établir : en modifiant la situation d’énonciation de l’épître « Aux Courtisans de France », Clément n’a fait qu’accentuer le contraste entre les deux épîtres des Dames, et renforcer par contrecoup le parallèle entre les épîtres à François ier et Claude de France. Sur le plan matériel, une telle réception est programmée par la disposition des trois poèmes dans le recueil : la symétrie des épîtres à François ier et Claude de France ressort d’autant plus nettement que celles-ci sont séparées par une pièce satirique créant un effet d’attente. Signalons enfin que, dans le célèbre avis au lecteur suivant l’interruption de l’épître à la reine, Clément Marot réemploie habilement l’une des oppositions majeures qui parcourent les deux poèmes, celle de l’activité et du repos. À l’image du roi François ier, infatigable conquérant, Jean n’a cessé d’écrire durant sa longue carrière9 : 104tandis qu’il convient aux femmes d’attendre le retour de leurs époux, seule la mort interrompt l’activité des hommes.
Sur ces bases, notre analyse comparée des deux épîtres à François ier et Claude de France se centrera donc sur la polarisation du discours épistolaire, qui s’actualise dans ces textes en fonction du genre du locuteur et de celui du destinataire, mais aussi de la matière mise en scène ou rapportée dans un discours second. L’inversion du point de vue sur la campagne de 1515 occasionne tout d’abord de profonds changements dans la mise en œuvre du genre de l’épître versifiée : s’appuyant sur le continuum de l’écriture épistolaire, qui s’étend de la contentio orationis jusqu’au sermo10, Jean Marot adapte le type rhétorique, la dispositio de la lettre et les preuves qui la soutiennent pour coller au plus près de la situation qu’il choisit de représenter. Parce qu’elle suppose la fragmentation du point de vue, l’épître versifiée constitue un lieu tout indiqué 105pour interroger l’incomplétude et la partialité des discours masculin et féminin : dans une deuxième partie, nous étudierons par conséquent les jeux d’inversion, de miniaturisation et d’interpénétration qui font de chaque épître le miroir réfléchissant de l’autre. Le contraste ainsi mis en scène reposant principalement sur l’opposition entre tension masculine et relâchement féminin du style, du corps et de l’activité, la communication épistolaire exprime, en définitive, la nécessaire complémentarité entre le tonnerre de la guerre et les cloches de la paix.
Une mise en œuvre contrastée du genre épistolaire
Dans le débat sur la date de rédaction de l’épître adressée à Claude, l’hypothèse qui nous paraît la plus satisfaisante est celle avancée par Gérard Defaux et Thierry Mantovani dans leur édition des Deux Recueils. Un poème de circonstance ne valant que parce qu’il est d’actualité, ceux-ci estiment que le poète entreprend de la rédiger peu de temps après son retour d’Italie11. Quoique qu’une composition plus tardive eût pu expliquer la maîtrise de l’art épistolaire dont Jean Marot fait indéniablement preuve dans ce texte ainsi que dans l’épître à François ier – ce n’est qu’en 1521 en effet que paraît le premier traité d’épistolographie en français12 –, il disposait déjà, au cours des années 1510, de modèles susceptibles de nourrir sa propre pratique épistolaire.
La querelle des Dames des villes, qui naît à la fin du xve siècle et connaît plusieurs rebondissements pendant la première moitié du xvie siècle, constitue le premier d’entre eux. Ce débat satirique mené par voie épistolaire se présente comme une version collective et comique de l’héroïde d’actualité, en vogue à la cour de Louis xii13. Parmi les pièces les plus connues de la querelle, se trouvent sans aucun doute les deux contributions 106de Guillaume Cretin, à savoir l’épître « Au nom des dames de Paris au roy Charles Huytiesme14 » et la « Rescription des femmes de Paris aux femmes de Lyon15 ». Si cet intertexte est évidemment convoqué dans l’« Epistre des Dames de Paris aux Courtisans de France » (les locutrices dressent en effet un portrait peu flatteur des Italiennes, auprès desquelles leurs propres charmes seraient incomparables), l’« Epistre des dames de Paris au Roy Françoys » s’adosse de manière plus précise à l’épître « au roy Charles Huytiesme », notamment parce que Jean Marot développe la même relation spéculaire entre les correspondants. Dans les deux textes, c’est à un échange de regards qu’aspirent les dames, qui non seulement pleurent de ne plus voir le roi mais l’implorent également de les regarder avec pitié16 :
Est il regret de piteuse pensee
Est il douleur par pitié dispensee,
Qui le regard de ton gracieux œil
Sceussent tourner venir à nostre vueil ?
[…] S’il faut que de la vendes
L’eau de ta grace, et que leur cueurs pres mortz
Soyent arrousez icy d’eau de remors.
Faut il que ainsi l’eau de pleurs assocye
Leurs piteux yeulx17 ?
Soustenu as noz honneurs, bruitz et fames
Par motz exquis, disant Parisiennes
Estre l’honneur des dames terriennes.
Mais de ce loz, o tresnoble seigneur,
107Redonde à toy le bien, grace, et honneur,
Car les haulx biens, et graces que nous donnes,
Viennent de toy, non pas de noz personnes : […]
Si te prions que ancienne amytié
Veuille tourner le tien cueur à pitié,
Et ne souffrir que soyons si long temps
Sans te reveoir : car tu scez et entens
Que des dampnez la grant confusion
C’est qu’ont perdu de Dieu la vision.
Regarde donc Paris ton Royal estre
D’œil de pitié : tu es son Dieu terrestre.
Et si jadis Dieu par compassion
Plora dessus les filles de Syon,
Plore le mal qui sur nous doit courir
S’il ne te plaist de brief nous secourir18.
Le modèle théologique du créateur dont la grâce se reflète dans la créature est convoqué par Jean Marot de façon plus explicite encore que chez Cretin. Le poète accentue la contiguïté qui existe entre les pôles de l’interlocution, entre lesquels circulent à la fois le regard, les pleurs et la grâce. L’imitation de la « Rescription des femmes de Paris aux femmes de Lyon » est toutefois atténuée par le caractère allusif de la référence au débat des Dames, au début de l’extrait cité. Jean Marot le signale sans s’y arrêter, comme pour souligner la voie singulière dans laquelle s’engage sa propre épître : plutôt que de développer un débat satirique, celle-ci visera en effet à émouvoir le roi en déclenchant ses pleurs.
Tandis que l’épître à François ier s’offre comme un discours à visée de supplication, l’épître à Claude de France se déploie sur un mode principalement narratif : le modèle convoqué est celui des « épîtres élyséennes » composées par Jean d’Auton et Jean Lemaire de Belges au tournant des années 151019. Comme le fait Jean d’Auton dans l’« Epistre d’Hector à Louis xii », le poète encense les qualités militaires de François ier en 108convoquant par manière de comparaison des figures historiques et des épisodes connus de l’histoire militaire. Pour prouver l’héroïsme de François ier, qui s’empare de Novare en trois jours seulement, Jean Marot rappelle par exemple que Louis xii y a résisté plus de huit mois au siège de Ludovic Sforza20. À l’image de ses prédécesseurs, Jean Marot fait donc servir le discours épistolaire à des narrations épiques renforçant l’éloge du roi21. Le caractère exceptionnel de l’entreprise de François ier, qui décide de faire passer ses armées par les cols de l’Argentière, de Maurin et de Larche, ce qui n’avait jamais été tenté auparavant, est souligné par l’adjectif « merveilleux22 » : ce dernier inscrit le poème dans l’intertexte de la chanson de geste23 et renforce en outre la dimension légendaire du récit, et donc son rattachement à la tradition de l’héroïde.
L’épître à la reine Claude se distingue pourtant des épîtres élyséennes de Lemaire de Belges ou Jean d’Auton en ce qu’elle ne met pas en scène le cadre fictif qui détermine ses dernières. Le poète parle en son nom et s’adresse non à une figure masculine légendaire mais à l’épouse du roi, qu’il présente comme désireuse de connaître le sort de ce dernier24. L’appartenance du discours épistolaire au type de l’epistula nunciatione est d’ailleurs rendue explicite lorsque, au début de la lettre, Marot évoque le « bon rapport » qu’il s’apprête à délivrer à son interlocutrice. De ce point de vue, on se rapproche davantage de l’épître du Camp d’Attigny, que Clément compose en 1521 à l’adresse de Marguerite d’Alençon25.
On remarque que les actes de langage mis en scène dans les textes se complètent en correspondance avec le genre des interlocuteurs : tandis 109que les dames de Paris adressent une lettre de supplique à François ier, dont elles espèrent un mouvement de pitié qui le ramènera vers elles, le locuteur masculin de la seconde épître écrit une lettre d’information, dans laquelle il offre à Claude de France de nombreux détails sur la campagne menée par son époux. Requête d’une part, don de l’autre : ce sont les hommes qui sont en charge de l’action, même lorsqu’ils n’initient pas l’échange épistolaire.
Cette disparité s’observe également dans le déploiement du schéma épistolaire. Les exordes des deux épîtres, quoique comparables dans leur mise en scène d’une interlocution inégale, mobilisent ainsi des lieux visiblement adaptés au genre de l’expéditeur :
Si langue et sens savoient bien proferer
Ce que noz cueurs desirent refferer
Dire pourroys qu’onques Prince ne leut
De ses subgectz ung tant humble salut
Comme cestuy : mais faulte de savoir
Nous clost la bouche, et tout bon concevoir.
Dont supplions que ta benivolence
N’en preigne fors ce que le cueur en pense26.
Tige d’honneur, Hermine lylialle,
Chapeau Ducal soubz couronne Royalle
Resplendissant par ung celeste lustre
Inextinguible. O Dame tresillustre,
Ne t’esbahy si moy simple orateur,
De ta maison le moindre serviteur,
Ay osé prendre audace de t’escrire :
Car le subgect que je pretens inscrire
En ceste carte, est si tresfavorable
Doulx et plaisant, que l’auras aggreable,
Comme je croy, et que n’auras esgard
Si l’escript vient de basse et simple part27.
Présent dans les deux épîtres, comme le veut la tradition épistolaire de la protestation d’humilité, le lexique de la bassesse ne renvoie pourtant pas aux mêmes réalités. Dans le cas de Jean Marot, il désigne en particulier l’extraction modeste du poète, « moindre serviteur » qui ose s’adresser à la reine. L’« humble salut » de la première épître 110souligne plutôt l’ignorance des locutrices, qui avouent leur incapacité à exprimer par écrit l’amour qu’elles ressentent pour le roi. Le topos de « la petite plume », que l’on retrouve fréquemment dans les épîtres des Rhétoriqueurs comme dans celles de la génération suivante, n’est en aucun cas réservé aux femmes28. Dans ce contexte, il semble toutefois contribuer à la mise en place d’un èthos féminin défini par une simplicité et une naïveté se répercutant sur le style de l’épître : la prétérition employée au début du texte fonctionne en effet comme un procédé d’atténuation, marqueur du genus humile. À l’extrême opposé du texte, le dernier vers désigne l’ensemble de l’épître comme le « doulx prier de tes humbles subgectes29 » et associe plus nettement encore l’humilité des locutrices au choix d’un style modéré. Le modèle d’écriture convoqué par les dames relève assez clairement de la « douce persuasion » associée depuis la rhétorique antique à la preuve par l’èthos30, elle-même liée au sermo, style conversationnel que l’on retrouve dans la lettre31.
Si, au début de son épître à la reine Claude, Jean Marot ne met pas l’accent sur la grossièreté de son talent, c’est peut-être parce que celle-ci démarre de façon si éclatante qu’une telle captatio aurait semblé trop artificielle : la succession des appositions, les hyperboles, l’emploi d’un lexique emphatique sont des procédés classiques de l’amplification signalant d’emblée le choix d’un style élevé. Dans les épîtres à François ier et 111Claude de France se met ainsi en place, à la faveur de la première partie rhétorique de la lettre, une hiérarchie des styles entrant en correspondance avec la hiérarchie des sexes.
En accord avec les préceptes de la rhétorique, la fin de l’exorde est tournée vers la personne du destinataire, dont les qualités constituent une autre preuve motivant l’écriture de l’épître :
Autre raison, souveraine Princesse,
Me donne cueur, c’est que plus grand’ lyesse
Ne pourroit Dame en son cueur recevoir,
Que bon rapport du sien espoux avoir.
Mais qui plus est, je te sens par droicture
Doulce et humaine, ensuyvant la nature
D’Anne ta mere, à la quelle les Dieux
Avoient donné le mantel radieux
D’humanité enrichy de vertus,
Dont ores sont tes espritz revestuz,
Comme heritiere en droict de tous ses biens,
Meus, los, honneurs, sans y delaisser riens.
Ainsi n’ay peur que tu me soys amere,
Puys qu’en vertu la fille ensuyt la mere32.
Car il [le coeur] est tel, que tout le sien desir
Est de te faire en tout honneur plaisir,
Comme celluy qui te doit en tout estre
Obeissance et foy, comme à son maistre.
Aussy nous doys (en ce) de recompance
Fervente Amour, et Royalle Deffence,
Laquelle chose as faict, bien le savons,
Dont gloire et grace et honneurs t’en devons33.
Chez le destinataire féminin, ce sont les caractéristiques liées aux statuts d’épouse et de fille qui sont mises en avant. Dans la mesure où elle vise à soulager l’inquiétude qu’une dame ressent inévitablement lorsque son mari est loin d’elle, la matière de l’épître est une cause suffisante pour légitimer l’entreprise du poète. Les qualités supplémentaires auxquelles il fait appel sont la douceur et l’humanité, que Jean Marot associe à son ancienne protectrice Anne de Bretagne, dont Claude de France tirerait sa vertu. « Tige royalle », la reine succède à sa mère pour perpétuer la lignée 112des Valois : en mettant l’accent sur la généalogie de Claude ainsi que sur la transmission des vertus, le poète prépare discrètement la nouvelle de la naissance de Louise, qu’il évoquera dans la suite du texte34.
C’est également par référence à la fonction royale que les dames de la seconde épître sollicitent l’attention bienveillante de François ier. La répétition du verbe « devoir », associé de façon alternative aux deux pôles de l’énonciation, souligne la réciprocité de la relation entre le roi et ses sujets ainsi que l’obligation dans laquelle celui-ci se trouve, s’il veut agir en bon monarque, de récompenser la loyauté des dames. On constate ainsi que la mise en œuvre spécifique de la rhétorique épistolaire sert non seulement à établir un èthos masculin ou féminin, mais encore à réfléchir les rôles dévolus au roi et à la reine.
Les deux épîtres s’opposent aussi du point de vue de la dispositio. Longue de 198 vers, l’épître des dames de France reproduit assez visiblement les cinq parties rhétoriques de la lettre35 : après avoir sollicité la bienveillance de François ier, les locutrices annoncent le motif de leur épître, à savoir le supplier de rentrer, petitio qui sera réitérée à partir du v. 177 (« Si te prions humblement derechef »). Au centre de l’épître, la narratio accumule les preuves de loyauté apportées par les dames : toutes leurs actions et leurs pensées sont tournées vers l’Italie, qu’il s’agisse d’anticiper le retour du roi (v. 71-80), d’attendre dans l’angoisse des nouvelles du front (v. 81-100), d’exprimer leur confiance en prononçant des vœux (v. 100-112), de célébrer la nouvelle de la victoire (v. 112-136) ou d’écouter le récit d’un héraut (v. 137-176). Pour preuve de leur dévouement, on constate que le passage le plus développé de la narratio est le discours narrativisé de l’envoyé du roi contant les exploits de l’armée française. Le corps de la lettre est donc entièrement déterminé par la personne et les agissements du destinataire ainsi que par les sentiments qu’il provoque chez les locutrices. Ainsi se manifeste le projet annoncé au début de la lettre : comme l’indiquait déjà le type de l’épître de supplication, les dames de Paris ne peuvent 113avancer comme cause de l’écriture qu’un mouvement du « cueur », un désir qui les pousse à solliciter leur correspondant, auquel elles n’ont rien à offrir sinon une parfaite loyauté.
Bien différent est le schéma privilégié dans l’épître à Claude de France. Bien qu’incomplète, celle-ci comporte 250 vers. Ceux-ci sont majoritairement dédiés à la narratio, lancée au vers 27 par la formule emphatique : « Or est ainsi36 ». Le texte s’arrête en plein milieu du récit, avant même que ne débute la reconquête de Milan : selon toute vraisemblance, l’épître aurait donc dû prendre des proportions bien plus importantes, et le schéma épistolaire subir un processus d’anamorphose centré sur la narration de la campagne militaire. En conséquence, la personne du destinataire y aurait été bien moins présente qu’elle ne l’est dans l’épître des dames, et la situation d’énonciation sans doute peu mise en relief. Dans la mesure où cette copia s’ajoute à une amplificatio dont nous avons déjà mentionné certains procédés, il est possible d’affirmer que, malgré le « gros style » dont se réclame le poète au v. 165 – seule concession visible à la posture d’humilité topique de l’épistolier –, le texte constitue une épître oratoire, c’est-à-dire se rattachant à la contentio orationis davantage qu’au sermo.
À nouveau, la différenciation des genres masculin et féminin s’exprime donc par le déploiement contrasté des potentialités du discours épistolaire, lequel se divise, dans les premières décennies du xvie siècle, entre héroïdes de style élevé et lettres adressées à des familiers. Paradoxalement, l’épître que Jean Marot compose au nom de néophytes se révèle la plus proche du paradigme épistolaire qui s’impose dans le champ poétique français par imitation de l’art épistolaire humaniste37, à la fin des années 1520 : la lettre des dames de Paris est en effet modelée pour coller au 114plus près à l’objet de la lettre ainsi qu’au temperamentum et au talent des locutrices ; elle s’appuie sur la preuve éthique, se rapproche du sermo par sa simplicité affichée et repose sur un ordo naturalis tirant parti du schéma épistolaire sans le détourner ni l’appliquer avec rigidité38. Dans la mesure où Clément Marot est le poète qui, dès la première édition de L’Adolescence clémentine, propulse l’épître familière sur le devant de la scène littéraire39, on peut envisager qu’il soit intervenu sur le texte afin d’en accentuer les particularités stylistiques et typologiques. En associant ce modèle d’écriture à des voix féminines, le poète anticipe enfin l’un des stéréotypes qui sera associé à l’art épistolaire tout au long du xviie siècle, à savoir que les femmes, possédant un style moins « labouré » que celui des hommes, seraient « naturellement » douées pour écrire des lettres40.
Esthétique du miroir et jeux d’échos
Quoique les modèles d’écriture mis en scène dans les deux épîtres à François ier et Claude de France représentent des pôles opposés de l’éloquence, ils sont loin d’être imperméables l’un à l’autre, chacun ne 115cessant en effet d’être suggéré à l’intérieur du texte qui devrait a priori l’exclure. Cette intrication passe en premier lieu par l’effet de polyphonie engendré par la présence, à l’intérieur du discours épistolaire, de discours seconds émanant de l’autre sexe.
Ainsi, sur la demande pressante des dames, le messager arrivant d’Italie relate l’ensemble de la campagne de 1515. Rapporté au style direct, son récit est une mise en abyme de l’épître à Claude de France et donne au poète l’occasion d’enchâsser un discours épique à l’intérieur du discours épistolaire. L’élévation soudaine du style est annoncée par la transfiguration du messager en héraut, voire en héros réactualisant la geste de François ier :
Ung jour après nous arriva ung poste
Tresbien parlant, et devisant à poste,
Lequel apres plusieurs humbles requestes
Facites par nous, nous dist de tes conquestes
Si amplement, qu’à bien noter ces termes,
Il en parloit non point comme clerc d’armes :
Car telle geste avoit en racomptant
Que bien sembloit que encor’ fust combatant41.
L’adverbe « amplement » renvoie ici à l’amplification, procédé essentiel du style élevé ; les participes présents « racomptant » et « combatant » traduisent pour leur part la vivacité du récit, qui donne aux dames l’impression d’assister en direct aux événements. Enfin, la mise en parallèle des « requestes » des dames et des « conquestes » narrées par le messager fait écho à l’opposition typologique entre lettre de supplication et chronique militaire. Dès lors ici, c’est le fonctionnement en diptyque des deux épîtres à Claude de France et François ier qui se trouve tout entier réfléchi.
Quoique ce discours de première main ne puisse être assumé que par un locuteur masculin, il ne s’ensuit pas toutefois que les voix féminines soient incapables de rapporter une matière épique. Les v. 61 à 70 de l’épître témoignent ainsi de l’assimilation, par les dames, du récit dont elles ont été auditrices :
Toy donc qui as tes guydons et enseignes
Conduict par Rocs et incogneues montaignes,
Batu bateurs, eulx disans si terribles
Que puys Cesar ont esté invincibles,
116Faict retirer Espaignolz et Rommains,
Prospe Coulonne avoir mis en tes mains,
Le More prins, ta terre, et au surplus
Veu le Sainct Père, helas que veulx tu plus42 ?
La médiation féminine a pour effet de miniaturiser l’épopée, réduite aux limites d’une seule phrase. Cette dernière n’en donne pas moins à voir une maîtrise en raccourci des procédés de l’amplification : extraction syntaxique (« Toy donc qui as »), accumulation des propositions, doublet synonymique (« tes guydons et enseignes »), antithèse (« batu bateurs ») et comparaison historique contribuent à rehausser le résumé des exploits de François ier, dont la vigueur guerrière est soulignée en outre par l’anaphore des verbes d’action. Comme l’indique cependant l’apodose, qui brise l’emphase épique par le retour soudain de la lamentation (« helas que veulx tu plus ? »), l’activité guerrière ne peut se prolonger indéfiniment et doit nécessairement s’accompagner d’un retour à la paix.
Si la présence d’une voix féminine est moins évidente dans l’épître à la reine Claude, on en trouve toutefois un écho indirect à travers le discours du « peuple », le terme désignant ici les sujets du marquis de Saluces, sur les terres duquel l’armée française établit son camp après la traversée des Alpes :
Les autres sont en grande reverence
Attendans veoir la digne preference
Du tien espoux, qui bruyt eut en la ronde
D’estre le plus beau prince de ce monde.
Lequel puys veu, fut de tous estimé
Mille fois plus que n’estoit renommé.
Lors ouyssiez par ung ardant desir
France cryer : bref, c’estoit ung plaisir
D’ouy les motz que ce peuple disoit.
L’ung le louoit, l’autre le benissoit,
Disans, s’il est accomply en vertu
Autant qu’il est de beaulté revestu,
C’est le chef d’œuvre à nature et des Dieux43.
C’est avant tout pour sa beauté, qui dépasse « mille fois » sa réputation « d’estre le plus beau prince de ce monde », que la population admire 117le roi. Le charisme qu’il dégage donne la sensation de se trouver face à « un être supérieur jouissant de liens privilégiés avec le monde surnaturel44 ». Sa présence corporelle intensifie le sentiment d’estime dont il fait l’objet, le rejet « Lors ouyssiez par ung ardant desir/ France cryer » entretenant habilement la confusion entre cet engouement collectif et un désir amoureux. Ce discours rapporté semble donc fonctionner comme un écho de la voix féminine développée dans l’épître des dames. S’il est topique de représenter le rapport entre le roi et ses sujets comme une relation d’amour idéalisée, l’attention portée au peuple peut aussi s’expliquer par le fait qu’il s’agit d’une épître adressée à la reine, laquelle compte la charité parmi ses devoirs de souveraine45.
Outre ces effets de polyphonie démontrant la complexité énonciative et structurelle des deux épîtres, l’interpénétration des voix masculines et féminines se manifeste via des jeux d’inversion et de répétition qui établissent une symétrie invitant à dépasser une simple logique d’opposition. On remarque tout d’abord que les hommes et les femmes se différencient non par les sentiments qu’ils et elles ressentent, ni par les actions que de tels sentiments mettent en branle, mais par le périmètre et les modalités d’application que leur genre détermine pour ces actions et pour ces sentiments. La crainte, le désir et la résolution qui caractérisent à la fois les dames parisiennes et le roi François ier peuvent ainsi être tournés vers l’intérieur, c’est-à-dire vers la sphère de l’intime et du quotidien, ou bien vers l’extérieur, c’est-à-dire vers la sphère publique et politique :
O preux des preux. O vainqueur des vainqueurs,
Te dirons nous comme noz povres cueurs
Estoient en crainte a lors que ton charroy
Eut trespercé par merveilleux arroy
Alpes et rocs […] ?
[…] Soubz une crainte honneste
T’advertissons qu’alors jeux et esbatz,
118Robbes de pris et joyaulx mismes bas
Pour prandre noir la dolente couleur,
Guydon d’ennuy, et mortelle douleur.
Que te dirons ? fors que processions
Ung chascun jour faire nous ne cessions,
Les ungs piedz nudz, et les autres en langes46.
Or est ainsi, Royne treschretienne,
Qu’au departir de la presence tienne
Le tien mary cacha par beau semblant
Mille douleurs soubz ung acces tremblant
De durs regretz, voyant la departie
De sa tant bonne et loyalle partie,
En delaissant (non sans cause) en grant crainte
Sa mere triste, et son espouse ensaincte.
Mais ung desir de venger l’impropere
Faicte jadis au Roy Loys ton père,
Avec ung hault et magnanime cueur
D’acquerir gloire, et tiltre de vainqueur,
Vouant aussi, comme enfant vertueux
De son feu père acomplir les haulx veuz,
Mist en arriere, oultre loy naturelle
Femme, pays, et amour maternelle,
En tresperçant, sans doubter les estocs
Dame Fortune, inaccessibles rocz47.
Dans ces deux passages, le retour de la préposition « sous » (« soubz une crainte honneste » ; « soubz un acces tremblant de durs regrets ») souligne que les actions du roi et des dames sont annexées à la crainte qu’ils éprouvent. Celle-ci a trait à la sphère opposée : les femmes ressentent de la terreur à l’idée des dangers affrontés par le roi et son armée ; le souci du roi au moment de quitter la France n’est pas moins vif (« mille douleurs »), mais vient de ce qu’il laisse en arrière sa mère et son épouse enceinte. La manière dont les deux genres contrôlent et expriment ce sentiment est, en outre, diamétralement opposée. En plus de s’appesantir sur leur souffrance en renonçant aux divertissements et aux parures, les femmes l’exhibent en portant du noir et en organisant des processions. Au contraire, le roi présente au monde un « beau semblant » et intériorise sa douleur : en tant que chef de l’armée, il se doit d’offrir un exemple de retenue virile. L’opposition entre intérieur et extérieur s’inverse 119donc pour correspondre aux attentes liées au genre et à la fonction du sujet éprouvant. On commence à percevoir ici la complémentarité des deux genres, laquelle s’avèrera nécessaire au bon fonctionnement du royaume. Signalons à cet égard que, dans le passage relatant le départ du roi, les rimes masculines sont réservées à l’éloge de la figure royale, tandis que les rimes féminines désignent au contraire tout ce que le roi laisse derrière lui : non seulement sa peur mais également « loy naturelle », « femme, pays, et amour maternelle ». En partant pour l’Italie, François ier engendrerait une dissociation du féminin et du masculin périlleuse pour l’équilibre du « pays » et appelant donc nécessairement une réparation symétrique.
Les résolutions du roi et des dames se font elles aussi un écho inversé. Les vœux auxquels s’engagent les dames de Paris sont motivés par l’absence du roi et limités à leur propre corps : l’une promet ainsi de serrer une chaîne d’or sous sa chemise, une autre de ne plus peigner « ses blonds et longs cheveulx » jusqu’au retour du roi48. Outre qu’ils renvoient à un imaginaire antique et médiéval soulignant à quel point la relation entre le roi et les dames du royaume se rapproche d’un amour héroïque ou courtois49, ces vœux accentuent la polarisation des sexes, dans la mesure où ils sont mis en parallèle, au sein de la même épître, avec le vœu formulé par François ier de ne pas rentrer en France tant que la guerre ne serait pas gagnée :
Si te prions humblement de rechef
Puys que es venu de ton emprise à chef,
Mis ordre à tout, faict d’ennemys amys,
De Chambery le tien veu à fin mys,
Vien à Paris : car certes si tu veulx,
Impossible est mectre fin à noz veux.
La chaine d’or jà commence approcher
Aupres des os, en macerant la chair :
Et les cheveulx dorez avec la tresse
Sont à tous plains de vermine et de gresse.
L’autre qui jeune, à la mort jà estrive :
Car elle semble autant morte que vive50.
120Renforcée par le glissement de la rime (« le tien veu à fin mys/ si tu veulx/ à noz veux »), la reprise lexicale du mot « vœu » souligne la similarité des situations des interlocuteurs en même temps qu’elle exprime l’incompatibilité de leurs désirs. Le parallélisme des v. 183-186 et le paradoxe du v. 188 opposent la beauté initiale des femmes à l’état de délabrement dans lequel elles se trouvent désormais : plus qu’un dérèglement, la distance séparant les dames de l’armée masculine se donne donc à voir comme un danger mortifère que seul le retour du roi pourrait combler.
L’univers féminin mis en scène dans l’épître des dames ne reprend vie que lorsque lui parviennent des nouvelles d’Italie :
Mais tout ainsi qu’apres grande fumiere
Vient le Soleil, tantost vint la lumiere
De ta victoire, où prismes telle joye
Que jusqu’aux cieulx en touchoit la montjoie.
Car oraisons montaient plustost es cieulx
Qu’eaue ne descend par ung temps pluvieux.
Tabours sonnoient, et fiffres resonnerent.
Prestes chantoient, et les cloches sonnerent
Si haultement qu’à tous estoit notoire
Qu’ilz rendoient grace à Dieu de ta victoire.
[…]
Faire bancquetz, chanter, rire, baller,
C’estoit plaisir : car l’une en cotte simple
Lors se despoille, et l’autre mect sa guymple
Dessus son chief pour avoir meilleur’ grace
De bien dancer courante ou rouergasse.
Que te dirons ? fors que toute tristesse
Se convertit lors en joye et lyesse51.
L’annonce de la victoire de Marignan provoque des éclats de joie dans tout Paris. La ville déborde d’activités et la nature reprend ses droits. Chants, musique, danse et célébrations religieuses créent une atmosphère musicale dont la puissance annonce le discours épique qui sera développé par le messager dans les vers suivants : les « tabours et les fifres » appartiennent en effet à la famille des instruments sonores, en opposition aux instruments « doux » qui auraient plus naturellement concordé avec le style de l’épître52. Les « cloches » sonnent elles aussi 121« haultement », si bien que les oraisons des habitants de Paris montent jusqu’au ciel. Le mouvement vertical imprimé à la célébration pourrait s’expliquer par la présence d’un écho héroïque et masculin s’ajoutant aux voix des locutrices : grâce à cette superposition, la communication entre le ciel et la terre se voit en effet rétablie.
De manière significative, c’est au moment où il relate les célébrations de joie accueillant l’annonce de la naissance de Louise que le compte rendu de Jean Marot se rapproche le plus du récit des dames :
Car tant de joye il [François ier] eut de ce propos
Que tout travail convertit en repos,
Et tout ce jour ne tint autre devise
Que de toy dame, et sa fille Loyse.
Heraulx adonc leurs cottes d’armes prindrent,
Et la nouvelle au peuple anuncer vindrent.
Trompes, tabours, et clerons à plaisance
Sonnoient alors, le peuple crioit France,
En tous cartiers furent faictz feux de joye.
L’ung chante et dance, et l’autre se resjoye,
Faisant beaulx ditz en treseloquent stille
En decorant la mere avec la fille.
Musiciens en leurs voix argentines
Rendoient louenge aux haulx cours celestines
[…]
Que diray plus ? doulcines et haultboys
Sonnoient si haut que rochers et haulx boys
En resonnoient si tresdoulx qu’il sembloit
Que leur soulas au nostre resembloit53.
Entre les deux scènes, les parallèles sont nombreux. Tout d’abord, la nouvelle enjoint le roi et son armée à prendre un jour de repos, en plein milieu de leur expédition alpine. Le renversement « tout travail convertit en repos » souligne le caractère exceptionnel de l’événement, qui transforme radicalement l’atmosphère du récit, tout comme à Paris, « toute tristesse/ Se convertit lors en joye et lyesse ». Une fois ce cadre mis en place, les manifestations prennent une tournure similaire : les soldats chantent, dansent et allument des feux de joie. La « cotte simple » de 122l’une des Parisiennes devient la « cotte d’armes » des hérauts. Alors qu’il s’agit d’instruments « bas », la « doucine » et le « hautbois » sonnent « si haut » qu’ils font vibrer la nature alentour ; de leurs « voix argentines », les musiciens adressent des prières au ciel ; les « trompes », « tabours » et « clerons » complètent l’environnement sonore, lequel se matérialise également, comme dans l’épître des dames, par le retour des verbes « sonner » et « résonner ».
De nouveau, on note l’association du bas et du haut, comme si l’annonce de la naissance de Louise amenait, dans le camp militaire, un écho de l’univers féminin que les soldats ont laissé derrière eux ; de nouveau, c’est cette alliance qui paraît renouveler la circulation entre les dimensions terrestre et céleste. Dans cet épisode, la complétude entre le masculin et le féminin est d’autant plus évidente que l’on célèbre la naissance d’une enfant : l’interpénétration des voix « douces » et des instruments héroïques redouble donc, sur le plan poétique, l’acte de la reproduction.
Entre tension et relâchement,
la quête de « Loyalle amour »
À la faveur de ces scènes symétriques, s’éclaire sous un jour nouveau la tension qui s’installe, au sein des deux épîtres, entre le relâchement et l’activité : métaphore sexuelle et principe ordonnateur du monde, elle prouve plus que jamais la nécessaire complémentarité des genres, tout en réfléchissant la mobilité du discours épistolaire.
À travers le déploiement des voix de femmes mises en scène dans l’épître à François ier, le poète construit tout d’abord un èthos féminin en accord avec le rôle social singulier qu’il alloue à ses personnages. Reprenant la tradition de l’héroïde, Jean Marot réoriente le motif topique des larmes de l’épouse inquiète pour l’associer aux habitantes de Paris, aux yeux de qui le roi représente un amant parfait. Sujettes vertueuses, les dames déplorent l’absence de François ier dans un état d’abandon malheureux. Ayant cessé de se divertir et de se soucier de leur toilette, elles n’ont plus d’autre occupation que d’espérer, aimer, se 123lamenter et prier. Aussi leur attente n’est-elle pas désœuvrement oisif mais persévérance dans l’amour qu’elles portent au roi :
Tant que l’ame est grefvée
Par durs regretz procedans de l’actente
De toy […]
Mais nonobstant la longue demourée,
Loyalle amour n’est point desesperée
Saichans que cueur d’amye ou vray amant
Est aceré trop plus que Dyamant
Contre infortune, attendant tousjours l’heure
De recompense à la longue demeure. (v. 28-38, p. 21)
Voy là comment il n’y avoit aucune
Qui ne doubtast la muable Fortune. (v. 113-114, p. 23)
En tel estat actendons ta venue,
Soubz ung espoir qui tousjours continue
En bon vouloir. […] (v. 189-191, p. 25)
La résilience des dames en fait un modèle de vertu au même titre que Claude de France, « doulce et humaine ». La « Loyalle amour » que les épistolières avancent comme barrage au désespoir ressemble à s’y méprendre au motif de Ferme Amour que Clément Marot développera dans ses épîtres : chez lui également, la constance dans l’attente est placée sous une égide féminine et partagée entre une locutrice fictive – Maguelonne s’adressant à son ami Pierre de Provence – et sa protectrice espérant des nouvelles de son époux – Marguerite à qui il envoie des nouvelles du duc d’Alençon durant la campagne de 152154. Dans l’épître des dames de Paris comme dans L’Adolescence clémentine, la quête de Ferme Amour est spirituelle et ouvre la voie vers Dieu, que le roi représente sur terre. Les dames adressent des vœux au ciel, accomplissent des actes de pénitence et, à l’annonce de bonnes nouvelles, se hâtent vers l’église pour en sonner les cloches. Entre le cœur de l’amante fidèle et l’âme 124qui au purgatoire espère la gloire divine, elles établissent en outre une comparaison directe ne laissant aucun doute sur la portée religieuse de leur discours. Sous cet éclairage chrétien, le choix typologique de l’épître de prière prend tout son sens ; quant à la situation d’énonciation héritée du modèle de Cretin, elle pourrait bien exprimer l’idée de communauté, celle des croyantes unies dans l’espoir de la paix.
À l’opposé, il est évident que l’univers masculin se détermine par sa violence et son activité constantes. Dans l’épître à Claude de France, le récit se déroule ainsi sur un rythme effréné, le poète ne manquant jamais de souligner, au moyen de la subordination inverse, d’une tournure exclusive ou d’un adverbe exprimant la soudaineté, le brusque enchaînement des étapes :
[…] saichez, noble Princesse,
Que le sien corps ung seul jour ne print cesse (v. 91-92, p. 38)
En ces propos, fut conduyt et mené
Jusqu’à Conny : où il a séjourné
Ung jour sans plus (v. 192-193, p. 41)
Mais tant y a, que l’espace d’une heure
Il n’avoit faict en la ville demeure,
Que adverty fut, comme ung tas de cohortes
Lansequenetz rompoient maisons et portes (v. 235-238, p. 42)
[…] Affin que plus ne vinssent
Dedans la ville, ou que propos n’en tinssent,
Incontinent s’en voulut desloger,
Pour s’en aller avec eulx campeger (v. 249-252, p. 42)
Véritable force de la nature, François ier est toujours disposé à l’action : il s’arrache à la douceur familiale pour partir en campagne, poursuit ses ennemis sans relâche (« Car trop plus il luy tardoit que contre/ Ses ennemys, eust bataille ou rencontre », v. 147-149, p. 39 ; « De leur depart desplaisant et marry/ Les poursuyvoit, ardant de les trouver », v. 158-159, p. 40), et s’enflamme en entendant parler des pillages commis par certaines de ses cohortes (« Car tout esmeu […]/ L’espée au poing […]/ Parmy les rues, à peu de compaignie, / Vint dechassant la mutine mesgnie », v. 241-244, p. 42). Même lorsque le roi s’accorde un jour de repos, les circonstances de la guerre le rattrapent : ainsi la nouvelle de la naissance de Louise est-elle promptement supplantée par l’annonce 125de l’arrestation de Prosper Colonna (« Semblablement oncques ung bien ne vint / Que tost apres ung autre ne survint. / Qu’il soit ainsi, tantost eust la notice… », v. 129-131, p. 39).
La vigueur propre à l’univers guerrier est métaphorisée par le fracas du tonnerre, auquel le poète compare d’une part le bruit propagé par les tambours et les canons, de l’autre la percée d’une voie à travers les montagnes :
Adonc veissiez deffences canonnieres,
Rampars, carneaulx, tumber par telz manieres
Que l’on eust dit proprement que la fouldre
Partoit du ciel pour les reduyre en pouldre (v. 199-202, p. 41)
[…] Petre de Navarre […]
Mect feu en pouldre, et faict ung tel tonnere
Qu’il n’y a mur qui ne vienne par terre (v. 207-210, p. 41)
Ton pere apres […]
Fist detrancher plutost que bruyant fouldre
Les lieux estroictz (v. 49-51, p. 37)
Fréquemment employé dans les chansons de geste, ce motif donne à la traversée des Alpes une dimension épique. Associée à l’étroitesse du passage et au mouvement de percée qui en résulte, la « décharge » provoquée par la foudre ne laisse aucun doute quant à la signification symbolique de cette traversée, qui exalte la virilité de François ier et doit être lue par conséquent comme une métaphore de l’acte amoureux. La tension associée au pôle masculin représente donc aussi le raidissement du membre viril ; la vaillance guerrière se comprend également comme l’expression sublimée de l’ardeur sexuelle du roi. L’organisation du récit, où se succèdent immédiatement la traversée des cols et l’annonce de la naissance de Louise, prend dès lors une signification nouvelle, le premier événement semblant en effet avoir entraîné et annoncé le second. Le mouvement de tension qui animait l’entreprise royale se résout ainsi en un relâchement de joie, soulagement d’autant plus explicable que, comme le précise le poète, « cette fille apportoit paix en France55 ».
Sur le plan politique, cette allusion est peu claire : Jean Marot pourrait faire référence au contentieux entre la France et le duché de Bretagne ou bien au mariage que le traité de Noyon du 13 août 1516 prévoit entre 126Louise et le roi d’Espagne56. Du point de vue symbolique, elle semble plus compréhensible, dans la mesure en effet où elle nourrit l’opposition, filée dans les deux épîtres à Claude de France et François ier, entre d’un côté la guerre, l’ardeur, l’activité et la virilité, de l’autre la féminité, l’espérance et la paix.
La même logique narrative se répète plus loin dans le texte, à ceci près que l’apaisement vient cette fois-ci non d’une irruption du féminin à l’intérieur de l’univers guerrier, mais de François ier lui-même. En décidant de mettre un terme au désordre des pillages, le roi prouve sa magnanimité envers les vaincus ainsi que son sens de la justice. Dans l’épître des dames, il met de même « Ordre par tout » et, inspiré par un « vraye amour » chrétien, accorde la paix au duc de Savoie57. Tout en étant valeureux au combat, le roi n’est donc pas oublieux de « Loyalle Amour ». Bien au contraire, il est celui qui le rend possible à l’échelle du royaume, en se réconciliant avec ses ennemis bien sûr, mais aussi en rassemblant le peuple, par sa seule présence physique, en une admiration enthousiaste et unanime. Rien d’étonnant dès lors à ce que, dans l’exorde de leur lettre de supplication, les dames soient en mesure d’en appeler à son humanité et à sa pitié pour le persuader de leur porter consolation.
Nous en revenons ainsi au motif des larmes, par lequel nous avions débuté notre analyse. Dans une perspective chrétienne, celles-ci ne sont pas seulement la manifestation féminine de la plainte et du deuil mais ouvrent une voie spirituelle vers la miséricorde58. Si les dames tirent leurs vertus du roi, dont elles espèrent la grâce, elles représentent donc également un modèle d’espérance, une douceur compatissante et porteuse de paix, que, dans une logique spéculaire, le roi est invité à imiter en retour. En temps de guerre, nous enjoint le poète, il est nécessaire de prêter l’oreille aux voix féminines, dont l’écho se répercute, porté par le haut son des cloches, jusque parmi le tonnerre des armes.
127Conclusion
Bien au-delà d’une simple similarité de sujet, le rapprochement des deux épîtres adressées à François ier et Claude de France a ainsi mis au jour un mode de fonctionnement en diptyque. Chacun de ces deux textes se présente tout d’abord comme l’envers de l’autre : s’opposent ainsi, dans un mouvement d’inversion quasi-symétrique, la lettre de supplique et la lettre d’information, le style simple et le style élevé, la guerre et la paix, l’attente et l’activité. Par le jeu des discours seconds et des motifs répétés, chaque texte porte également l’image de l’autre en négatif : l’épître des dames miniaturise l’épopée ; dans l’épître à Claude de France, l’admiration du peuple s’exprime sur un mode amoureux. Il n’est guère qu’à l’annonce de bonnes nouvelles, naissance d’un côté, victoire de l’autre, que les univers masculin et féminin se superposent, la perspective d’une paix à venir soudant en effet la communauté autour d’une joie et d’un espoir partagés. Si l’union des deux pôles s’avère nécessaire pour rétablir l’équilibre du royaume, menacé par le départ et par la guerre, ce sont les voix féminines qui maintiennent, par leur fermeté et leur douceur, la quête spirituelle de « Loyalle Amour ».
Quoique l’identité de la matière traitée puisse expliquer certaines résonnances entre les deux textes, il semble improbable qu’un tel niveau de spécularité et d’interpénétration soit fortuit : bien plutôt, il paraît avoir été calculé de manière à illustrer les potentialités de l’écriture épistolaire – notamment sa capacité à exprimer au plus près l’èthos de l’épistolier – mais aussi réfléchir les rôles dévolus au roi et à la reine et promouvoir l’idéal évangélique d’une communauté espérant la paix. Or, ces préoccupations sont aussi celles qui animent la section d’épîtres de L’Adolescence clémentine, laquelle non seulement dénote une prédilection pour le genre épistolaire et une grande maîtrise des codes épistolographiques, mais se construit également autour de l’idée de « Ferme Amour », dans son association spécifique avec des figures féminines de l’attente. Dès lors, bien qu’elle n’apporte aucune preuve permettant d’affirmer que Clément Marot ait créé l’épître des dames de toutes pièces, du moins l’analyse qui précède peut-elle fournir des pistes quant à la nature des changements qu’il apporte au texte de son père lorsqu’il le publie. A-t-il 128accentué le caractère familier de l’épître ? A-t-il forgé l’expression de « Loyalle amour » ? Ce faisant, il aurait renforcé les liens unissant sa propre poétique épistolaire à celle de Jean Marot, créant ainsi, d’un recueil et d’une génération à l’autre, un persistant phénomène d’écho.
Pauline Dorio
Sorbonne Nouvelle
FIRL - Formes et Idées de la Renaissance aux Lumières (EA 174)
1 Jean Marot, Le Recueil Jehan Marot de Caen, Paris, [Louis Blaubloom] pour la Veuve Pierre Roffet, s.d. [fin 1533-début 1534] (1e éd.), USTC 84118.
2 Voir la note de G. Defaux et T. Mantovani dans Jean Marot, Les deux Recueils, éd. G. Defaux et T. Mantovani, Paris, Droz, 1999, p. 276.
3 Les deux Recueils, p. 280.
4 Les deux Recueils, p. 276.
5 « Epistre des dames de Paris au Roy Françoys premier de ce nom estant delà les monts, et ayant deffaict les Suisses », v. 84, p. 23 ; « Commencement d’une Epistre de Jehan Marot à la Royne Claude, en laquelle epistre (si mort luy eust donné le loisir) il avoit deliberé de descrire entierement la deffaicte des Suisses au Camp saincte Brigide », v. 145, p. 39. Pour toutes les notes et les citations concernant ces deux épîtres, nous utilisons comme ouvrage de référence l’édition fournie par G. Defaux et T. Mantovani.
6 « Epistre des dames de Paris au Roy Françoys premier », v. 147-148, p. 24 ; « Epistre de Jehan Marot à la Royne Claude », v. 117-118, p. 39.
7 « Epistre des dames de Paris au Roy Françoys premier », v. 149-150, p. 24 ; « Epistre de Jehan Marot à la Royne Claude », v. 150, p. 39 et v. 169-170, p. 40.
8 Marot, Les deux Recueils, p. 291.
9 Les deux Recueils, p. 43, « Clement Marot filz de l’Autheur Aux Lecteurs » : « […] Ton esprit par deça/ De travailler (soixante ans) ne cessa : / Temps est qu’ailleurs repos il voyse prendre ».
10 Tandis que la contentio désigne le style élevé du débat public se développant dans les discours oratoires, le sermo, qui participe de la sphère privée, renvoie au style relâché de la conversation quotidienne. Dans les traités de rhétorique antiques, l’écriture épistolaire est associée au sermo, dont elle constituerait une imitation à l’écrit. C’est ce que souligne notamment la définition de la lettre comme « conversation avec un absent » (Cicéron, De Republica, II 3). Quintilien précise toutefois que la lettre peut s’élever vers le style plus serré de la contentio lorsqu’elle traite de sujets philosophiques ou politiques : « Donc, avant tout, il y a une prose à contexture liée et serrée, et une autre libre, comme celle de la conversation et de la correspondance, à moins qu’elles ne traitent un sujet au-dessus de leur niveau naturel, philosophie, politique ou matières analogues » (« Est igitur ante omnia oratio alia vincta atque contexta, soluta alia, qualis in sermone et epistulis, nisi cum aliquid supra naturam suam tractant, ut de philosophia, de re publica similibusque », Institutio Oratoria, IX iv 19, trad. J. Cousin, Paris, Les Belles Lettres, 1978, t. V, p. 236). Dans les premières décennies du xvie siècle, les Rhétoriqueurs font servir l’épître versifiée au sermo aussi bien qu’à la contentio orationis, selon qu’ils mettent en scène une situation d’énonciation personnelle ou héroïque. Dans la préface de sa traduction à l’Épître de Saint Eucher, Barthélémy Aneau propose ainsi une distinction entre les épîtres familières, destinées à un seul destinataire et mettant en œuvre une « négligence diligente », et les épîtres « oratoires », c’est-à-dire « déterminément adressées à un, mais soubz le nom d’icelluy à tous », qui sont des « ouvrages de toute artifice Rhetoric, accomplies de toutes parties : et escriptes en hault style » (Saint Euchier à Valerian, trad. B. Aneau, Lyon, Macé Bonhomme, 1552, réf. USTC 27373, p. 8). Voir C. La Charité, « Le stile et la manière de composer, dicter, et escrire toutes sortes d’epistres, ou lettres missives (1553). De la dispositio tripartite de Pierre Fabri au poulpe épistolaire d’Érasme », Cahiers V. L. Saulnier, 18, « L’épistolaire au xvie siècle », 2001, [p. 17-32], p. 29. C’est seulement au cours des années 1520, et plus particulièrement après 1532, que l’épître versifiée de langue française devient quasi systématiquement associée à la familiarité et au style simple du sermo. Sur cette évolution du genre, nous nous permettons de renvoyer à notre ouvrage : « La plume en l’absence », Le devenir familier de l’épître en vers dans les recueils imprimés de poésie française (1527-1555), Genève, Droz, 2020.
11 J. Marot, Les deux Recueils, p. clviii-clix et p. clxxxiv.
12 Pierre Fabri, Cy ensuyt le grant et vray art de pleine Rhetorique, Rouen, S. Gruel, 1521, réf. USTC 34683 ; reproduction en fac-similé : Genève, Slatkine, 1972.
13 Sur cette querelle, voir É. Picot, La querelle des Dames de Paris, de Rouen, de Milan et de Lyon au commencement du xvie siècle, Paris, P. Renouard, 1917 ; extrait de Mémoires de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île-de-France, t. XLIV, 1917, p. 107-162. Voir également, pour les développements ultérieurs du débat, É. Rajchenbach-Teller, « Une querelle poétique : la querelle des Dames parisiennes et des Dames lyonnaises », Cahiers V. L. Saulnier, 29, « La poésie à la cour de François ier », éd. J.-E. Girot, 2012, p. 101-120.
14 Cette épître est publiée pour la première fois dans l’ouvrage posthume : G. Cretin, Chantz royaulx, oraisons et aultres petitz traictez, éd. F. Charbonnier, Paris, S. Du Bois pour G. Du Pré, 1527, réf. USTC 60875, f. D vi ro.
15 La « Rescription des femmes de Paris aux femmes de Lyon », qui n’apparaît pas dans l’édition de François Charbonnier, a été diffusée sous forme manuscrite (Paris, BnF, fr. 1721 et fr. 12490) et publiée dès 1501 à l’intérieur du Jardin de Plaisance d’Antoine de Vérard, sous le titre « Ung dictié adressant aux bourgeoises de Lyon » (fac-similé éd. par E. Droz et A. Piaget, Paris, 1910-1925, t. I, f. 102 vo) puis imprimée en plaquette (s.l, s.d [Paris, vers 1512] ; ex. BM Lyon, Rés Inc 767 ; USTC 70644).
16 Nous nous appuyons ici sur l’analyse de L. Tabard dans son article « Le roi, la ville et les dames : épîtres querelleuses et jeux de miroir dans le débat des Dames de Paris, de Lyon et de Rouen », La Lettre-Miroir dans l’Occident latin et vernaculaire du ve au xve siècle, éd. C. Cosme, D. Demartini et S. Simahara, Paris, Études Augustiniennes, 2018, p. 305-321.
17 Guillaume Cretin, Œuvres poétiques, éd. K. Chesney, Paris, Librairie Firmin Didot, 1932 / Genève, Slatkine, 1977, « Dudit Cretin au nom des dames de Paris au roy Charles Huytiesme », v. 15-32, p. 217-218.
18 « Epistre des dames de Paris au Roy Françoys premier », v. 20-50, p. 21-22.
19 Sur la vogue des épîtres élyséennes lancées à la cour de Louis xii par l’« Epistre faicte et composée aux Champs Elisées par le preux Hector de Troye » de Jean d’Auton, on pourra consulter entre autres J. Beard, « Letters from the Elysian fields : a group of poems for Louis xii », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance 21-1, 1969, p. 27-38 ; G. Tournoy-Thoen, « Fausto Andrelini et la Cour de France », L’Humanisme français au début de la Renaissance, Paris, Vrin, 1973, p. 65-79 ; P. Chiron, « Courriers Élyséens », L’imaginaire de la communication, 1, éd. Cl.-G. Dubois, 1995, p. 25-34 ; J. Britnell, « L’Épître héroïque à la cour de Louis xii et d’Anne de Bretagne », L’Analisi Linguistica e Letteraria, 1-2, 2000, p. 459-484.
20 « Epistre de Jehan Marot à la Royne Claude », p. 215-225, p. 41-42.
21 L’amplification per comparationem constitue en effet l’un des moyens traditionnels de prouver la grandeur du sujet traité. Voir S. Macé, « L’amplification, ou l’âme de la rhétorique. Présentation générale », Sur l’amplification, revue en ligne Exercices de rhétorique, 4, 2014, § 49-50.
22 « Epistre de Jehan Marot à la Royne Claude », v. 145, p. 39.
23 Au-delà de ce seul terme, c’est tout un lexique chevaleresque que Jean Marot emploie pour faire entrer dans la légende la campagne de 1515 : le seigneur de la Palice est un « preux » (v. 132) qu’accompagne le « vaillant Ymbercourt » (v. 133), leurs exploits militaires sont une « proesse » (v. 136) ; quant aux soldats de l’armée suisse, ils sont décrits comme de vaillants ennemis, des traîtres (v.77-78) et, dans l’« Epistre des dames de Paris au roy Françoys premier », comme de « fiers villains » (v. 152).
24 Cette situation est bien évidemment fictive, dans la mesure où il est très improbable que Marot ait commencé à rédiger son épître avant d’être rentré d’Italie : la chronique qu’il adresse à la reine ne la renseigne pas véritablement sur ce qui est arrivé à son époux mais participe à la construction de la légende royale. Voir J. Marot, Les deux Recueils, p. clviii.
25 Sur le lien entre ces deux épîtres, voir ci-dessous.
26 « Epistre des dames de Paris au Roy Françoys premier », v. 1-8, p. 20.
27 « Epistre de Jehan Marot à la Royne Claude », v. 1-12, p. 35-36.
28 Sur la posture topique de l’humble poète, voir J. Cerquiglini-Toulet, « L’écriture louche. La voie oblique chez les Grands Rhétoriqueurs », Les Grands Rhétoriqueurs, Milan, Vita e pensiero, 1985, t. I, p. 21-31.
29 « Epistre des dames de Paris au Roy Françoys premier », v. 198, p. 26.
30 Quintilien, Inst. Or., VI, ii, 9 ; Cicéron, De Oratore, II, xliii, 183-184. La « douce persuasion », qui se développe dans la poésie française à partir des années 1520, a notamment était maniée par Marot, qui atteint son destinataire sans recourir aux ressorts voyants du movere ni à la violence trop forte de l’indignatio. Voir F. Goyet, Le Sublime du « lieu commun » : l’invention rhétorique dans l’Antiquité et à la Renaissance, Paris, Champion, 1995, p. 436-438. Sur la douceur comme critère du style moyen dans les traités théoriques français du xvie siècle, voir M. Huchon, « Le doux dans les rhétoriques et poétiques françaises du xvie siècle », Le doux aux xvie et xviie siècles. Écriture, esthétique, politique, spiritualité, éd. M.-H. Pra et P. Servet, Cahiers du Gadges, 1, 2003, [p. 9-28], p. 20-23.
31 L’èthos, cette représentation du caractère garantissant la valeur morale d’un discours, constitue d’après Cicéron le meilleur moyen de s’assurer le conciliare, préalable nécessaire à l’écoute attentive de l’auditoire (De Oratore, II, xliii, 182). Le conciliare requiert un ton modeste, que l’on associe traditionnellement au style humble (Cicéron, De Oratore II, xliii) ou au style moyen (Quintilien, Inst. Or. VI, ii, 19). Par ailleurs, l’èthos est d’autant plus susceptible d’emporter l’adhésion de l’auditeur qu’il paraît dériver de la nature même de l’orateur (Quintilien, Inst. Or. VI, ii, 13). Or la conception antique de l’épître comme miroir de l’âme en fait le genre le plus apte à refléter le caractère de celui qui s’exprime.
32 « Epistre de Jehan Marot à la Royne Claude », v. 13-26, p. 36.
33 « Epistre des dames de Paris au Roy Françoys premier », v. 9-16, p. 20-21.
34 Sur l’ascendance royale et la « mystique de la maternité », dont les vertus légitimatrices sont largement exploitées dans les œuvres littéraires commandées ou reçues par les reines de France, voir A. David-Chapy, Anne de France, Louise de Savoie, inventions d’un pouvoir au féminin, Paris, Garnier, 2016, p. 664-672.
35 Les manuels d’épistolographie médiévaux, reprenant le schéma du discours cicéronien, traditionnellement composé de cinq parties, divisent la lettre en salutatio, exordium, narratio, petitio et conclusio. Ce schéma est calibré en fonction du statut du destinataire et des circonstances entourant l’écriture de la lettre ; il est orienté par l’exigence d’efficacité que suppose sa visée pragmatique.
36 Cette formule est reprise au v. 45 pour lancer l’analepse par laquelle Jean Marot établit une amplificatio per comparationem. Clément Marot l’emploie également au moment de débuter la narratio de son épître du camp d’Attigny, nouvelle preuve de l’étroitesse des liens qui unissent les deux textes.
37 Érasme définit la lettre par une souplesse fondamentale, laquelle autorise toutes les variétés de style et trouve à s’incarner particulièrement dans le genre familier. Prolongeant le discours érasmien, Juan Luis Vives et Juste Lipse font de la lettre familière le modèle idéal du genre épistolaire. Sur la place de plus en plus importante accordée à la lettre familière dans les manuels d’épistolographie humanistes, voir J. Rice-Henderson, « Erasmus on the Art of Letter-Writing », Renaissance Eloquence : Studies in the Theory and Practice of Renaissance Rhetoric, éd. J. Murphy, Berkeley-Los Angeles-Londres, University of California Press, 1983, p. 331-355 ; L. Vaillancourt, La lettre familière au xvie siècle : rhétorique humaniste de l’épistolaire, Paris, Champion, 2003, p. 155-168 et G. Gueudet, L’art de la lettre humaniste, Paris, Champion, 2004, notamment p. 547-555.
38 La variété des sujets qu’il est possible d’aborder dans une lettre et l’impression de naturel qu’il est important de produire lorsqu’on compose une épître sont les deux principaux motifs pour lesquels Érasme affirme préférer un ordre naturel, qui ne correspondra pas nécessairement au schéma en cinq parties. Voir notamment les chapitres xxix (« De ordine epistolari ») et xxi (« Epistularum genera ») de l’Opus de conscribendis epistolis (éd. J.-Cl. Margolin dans Opera Omnia Desiderii Erasmi Roterodami, Amsterdam, North-Holland Publishing Company, vii, 1971, p. 301 et p. 309-315).
39 En 1532, Clément Marot est ainsi le premier poète de langue française à faire le choix de rassembler des épîtres majoritairement personnelles dans une section entièrement dédiée au genre épistolaire. Cette série se trouvant placée juste après les traductions et les poèmes de forme longue qui inaugurent le volume de L’Adolescence clémentine, l’épître constitue le premier genre à être mis en vedette dans l’économie du recueil, au détriment des formes mieux établies ou plus prestigieuses du rondeau, de la ballade et du chant royal. Sur l’entreprise marotique d’illustration de genre épistolaire, voir notre article « Les épîtres de L’Adolescence clémentine : le parti-pris du familier », Babel, Hors-série Agrégation, 2019, p. 123-144.
40 Sur ce stéréotype du xviie siècle et ses antécédents dans la théorie épistolaire du xvie siècle, voir C. La Charité, « Les femmes et la théorie épistolaire à la Renaissance », Femmes, rhétorique et éloquence sous l’Ancien Régime, éd. C. La Charité et R. Roy, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2012, p. 63-74.
41 « Epistre des dames de Paris au Roy Françoys premier », v. 137-144, p. 24.
42 « Epistre des dames de Paris au Roy Françoys premier », v. 61-68, p. 22.
43 « Epistre de Jehan Marot à la Royne Claude », v. 173-185, p. 40.
44 C. Stephen Jaeger, « L’amour des rois : structure sociale d’une forme de sensibilité aristocratique », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 46/3, 1991, [p. 547-571], p. 553 : Stephen Jaeger évoque ici les réactions collectives suscitées par le corps du roi.
45 Nous renvoyons aux articles d’Ellen Delvallée et Sandra Provini publiés dans ce dossier. Voir également C. Martin-Ulrich, La persona de la princesse au xvie siècle : personnage littéraire et personnage politique, Paris, Champion, 2004 et N. Hochner, Louis xii. Les dérèglements de l’image royale (1498-1515), Paris, Champ Vallon, 2013, p. 245-278.
46 « Epistre des dames de Paris au Roy Françoys premier », v. 81-97, p. 22-23.
47 « Epistre de Jehan Marot à la Royne Claude », v. 27-44, p. 36.
48 « Epistre des dames de Paris au Roy Françoys premier », v. 101-112, p. 23.
49 Sur la blondeur topique des héroïnes médiévales, voir A. Richard, « Le fil d’or de Blonde Esmerée », La chevelure dans la littérature et l’art du Moyen Âge, éd. C. Connochie-Bourgne, Senefiance, 50, 2004, [p. 325-237], p. 225-226.
50 « Epistre des dames de Paris au Roy Françoys premier », v. 177-188, p. 25.
51 « Epistre des dames de Paris au Roy Françoys premier », v. 115-136, p. 23-24.
52 Les instruments « doux » et « bas » sont les instruments à cordes et certains instruments à vent ; la plupart des instruments à vent et toutes les percussions sont « sonores » et « hauts ». Sur cette division qui se met en place au Moyen Âge, voir E. A. Bowles, « Haut and Bas. The Grouping of Musical Instruments in the Middle Ages », Musica Disciplina, 8, 1954, p. 115-140.
53 « Epistre de Jehan Marot à la Royne Claude », v. 97-116, p. 38.
54 Nous nous référons ici à la belle analyse proposée par F. Goyet sur l’agencement des épîtres de L’Adolescence clémentine de 1532 (F. Goyet, « Sur l’ordre de L’Adolescence clémentine », Clément Marot « Prince des poëtes françois » 1496-1996, éd. G. Defaux et M. Simonin, Paris, Champion, 1997, [p. 593-613], p. 597-602). L’ordre des pièces de L’Adolescence clémentine, et particulièrement celui de sa section d’épîtres, n’est pas seulement dicté par une chronologie personnelle ni par un classement générique : il est également déterminé par la thématique de « Ferme amour, » qui s’exprime sous la forme d’une quête poétique de la paix.
55 « Epistre de Jehan Marot à la Royne Claude », v. 120, p. 39.
56 Voir Marot, Les deux Recueils, note 10 p. 299.
57 « Epistre des dames de Paris au Roy Françoys premier », v. 162-167, p. 25.
58 Sur la dimension chrétienne des larmes, qui transcende leur association au sexe féminin, voir H. Merlin-Kajman, « Les larmes au xviie siècle : entre pathos et logos, féminin et masculin, public et privé », Le langage des larmes aux siècles classiques, éd. A. Cron et C. Lignereux, Littératures classiques, 62, 2007/1, [p. 203-221], p. 206-210.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-11263-1
- EAN : 9782406112631
- ISSN : 2273-0893
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-11263-1.p.0101
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 04/01/2021
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : écriture épistolaire, héroïde, sermo, paix, genres