Fidélité créative La mise en prose de Flore und Blanscheflur dans le Zürcher Buch vom Heiligen Karl du XVe siècle
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
2019 – 2, n° 38. varia - Auteur : Putzo (Christine)
- Pages : 285 à 298
- Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
FIDÉLITÉ CRÉATIVE
La mise en prose de Flore und Blanscheflur
dans le Zürcher Buch vom Heiligen Karl du xve siècle
Und gebar die küngin ein sun, den nampt man Florus, und gebar die cristen frow ein tochter, die touff sy in dem namen der helgen trivaltikeit, und nampt sich nach Franczöser sprach Pantschiflur. Und was uf dem tag der cristenheit der balmtag, do dü kind geborn wurdent1.
C’est par ces mots qu’un auteur anonyme du xve siècle décrit la naissance d’un couple d’amants, qui compte parmi les plus illustres du Moyen Âge européen : Floire et Blancheflor, évoqués pour la première fois vers 1150 dans Le Conte de Floire et Blancheflor, dit Version I ou version aristocratique. Le Conte raconte l’histoire de deux enfants nés le même jour, le fils du couple royal espagnol, musulman, et la fille d’une esclave française, chrétienne, dont le mari a été tué dans un massacre dirigé par le roi d’Espagne. Enfants déjà, ils s’aiment, sont séparés par les parents de Floire, qui vendent Blancheflor à des marchands orientaux, et se retrouvent à Babylone, où Blancheflor est détenue dans une tour et destinée à devenir l’épouse de l’émir. Floire, qui a suivi ses traces, réussit à entrer dans la tour, mais il est découvert par l’émir dans les bras de son amante. Après de nombreuses péripéties, ils recouvrent leur liberté, finissent par s’épouser et deviennent les parents de Berthe, future mère de Charlemagne.
La réécriture de cette célèbre histoire dans le Zürcher Buch est une mise en prose de Flore und Blanscheflur de Konrad Fleck (vers 1200), un 286roman en moyen haut allemand qui adapte, en l’amplifiant, le Conte de Floire et Blancheflor2. Le nom de l’héroïne de la mise en prose – Pantschiflur, déformation involontaire, par des phonèmes allemands, de la « blansche flur » – démontre de manière symptomatique que le Zürcher Buch vom heiligen Karl auquel ce dérimage appartient n’est plus lié au transfert culturel de la France vers les pays germanophones, si important pour la littérature en langue allemande du haut Moyen Âge. En effet, dans ce témoin tardif, la matière de France s’inscrit dans un cadre fondamentalement différent, dont les enjeux – nous allons le voir – sont régionaux.
Le Buch vom heiligen Karl, désigné sous ce nom par ses éditeurs modernes, est une compilation de sources allemandes et latines sur Charlemagne, mises en prose et assemblées dans le but de raconter une vie exhaustive du saint. Cette compilation s’ouvre sur l’histoire des grands-parents présumés de Charlemagne : Florus et Pantschiflur – Floire et Blancheflor. L’une des raisons pour lesquelles le prosateur les a choisis parmi d’autres ancêtres fictifs potentiels évoqués par la littérature en moyen haut allemand (par exemple dans Die gute Frau ou König Rother), est probablement la référence aux Sarrasins en Espagne, un motif récurrent dans la vie de l’empereur3. Le passage sur Florus et Pantschiflur offre une version radicalement abrégée du roman de Konrad Fleck, où disparaissent systématiquement tous les éléments non-narratifs si caractéristiques du roman courtois, comme les ekphraseis, les monologues, les dialogues sophistiqués ou les digressions du narrateur, mais aussi certains éléments de l’intrigue. L’histoire des célèbres amants ne constitue ainsi qu’un bref segment, tout au début du Zürcher Buch4, qui sert de préambule à la vie de Charlemagne. Occupant la majeure partie de la compilation, celle-ci est racontée dans une prosification du Karl du Stricker (composé vers 1220 d’après le Rolandslied, une 287adaptation de la Chanson de Roland), mais aussi selon l’Historia Karoli Magni et Rotholandi du Pseudo-Turpin et d’autres sources, dont toutes n’ont pas été identifiées5. Cette « somme légendaire6 » a été conçue au plus tard en 1475, date de la plus ancienne copie préservée, celle de Jörg Hochmut, vicaire de l’église de Fraumünster à Zurich7. Compte tenu de la datation de ce manuscrit et de sa provenance, la copie semble avoir suivi de peu la composition du Zürcher Buch et avoir été produite dans les mêmes cercles, ce qui est corroboré par le fait qu’elle contient encore deux autres prosifications de textes narratifs en moyen haut allemand que l’on peut attribuer au même auteur anonyme8, sans doute un clerc zurichois. Rappelons qu’au Moyen Âge tardif, Zurich était, avec Aix-la-Chapelle et Francfort-sur-le-Main, l’un des principaux lieux de vénération dans les pays germanophones de Charlemagne, fondateur présumé du Großmünster, la « grande cathédrale », à Zurich9. C’est dans le contexte 288de ce culte, auquel le prosateur se réfère explicitement10, que s’inscrivent le Zürcher Buch vom heiligen Karl ainsi qu’un autre poème appartenant à la matière carolingienne attribué au même auteur, la mise en prose du Willehalm, qui est une adaptation allemande de la Chanson d’Aliscans.
Contrairement au Willehalm en prose, sur lequel il y a quelques études11, il existe peu de recherches sur le Zürcher Buch, encore moins de publications récentes. Hormis la thèse de Kletzin qui adopte le point de vue de l’histoire textuelle12, on ne peut citer que des extraits de manuels13 et des passages dans des études sur Charlemagne. Parmi celles-ci, il faut mentionner les recherches de Bastert qui, en mettant en lumière le travail de reconfiguration du prosateur, offre des pistes analytiques importantes14. Précisons encore qu’à la fin du xixe siècle 289et au début du xxe siècle, le récit consacré à Florus et Pantschiflur a quand même bénéficié d’une certaine attention des médiévistes, mais celle-ci s’est concentrée sur la question de sa relation textuelle à Flore und Blanscheflur15. En effet, la mise en prose témoigne de différences qui ne relèvent pas toutes des tendances à l’abrégement décrites ci-dessus. Il s’agit de petites modifications de l’intrigue ou d’ajouts, dans certains cas par analogie avec d’autres versions européennes du récit, dont la Version II dite populaire16. Les ajouts en particulier ont conduit à se demander si le clerc zurichois connaissait d’autres versions à côté de celle de Konrad Fleck17 ou si, au contraire, il avait inventé les ajouts de façon créative18. Une troisième explication n’est cependant pas à exclure : notre auteur a pu utiliser un état de texte de Flore und Blanscheflur qui s’écartait de celui transmis par les manuscrits tardifs, les seuls témoins à offrir une version complète du roman19. Comme je l’ai montré ailleurs, cette troisième explication est probable pour certains éléments additionnels, ce qui fait que le Zürcher Buch permet de tirer des conclusions sur des parties perdues du roman de Konrad Fleck20.
Cependant, j’estime que la majorité des différences résulte d’un remaniement conscient du rédacteur zurichois. Le présent article se propose d’analyser les divergences entre la mise en prose et Flore und Blanscheflur – qui relèvent, à mon avis, de modifications intentionnelles du remanieur – et d’identifier les tendances qui ont guidé son travail. Cette enquête permettra de mesurer les infléchissements que l’intégration dans la compilation textuelle qu’est le Zürcher Buch fait subir à l’histoire de Floire et Blancheflor.
290REMANIEMENT STRUCTUREL
Les caractéristiques les plus évidentes du texte reflètent le souci du prosateur d’augmenter la cohérence de l’intrigue et de la rendre plus lisible. Dans ce but, il ajoute fréquemment des passages qui certes n’existent pas dans sa source, mais qui néanmoins ne changent pas l’histoire. Il s’agit d’éléments implicites dans Flore und Blanscheflur que le prosateur rend explicites afin de compléter son récit. Par exemple, il dépeint le voyage de Pantschiflur en compagnie des marchands à Babylone :
Nun pflagent sie ir ouch schön und wol. Und wo sy ze herbrig mit ir kament, und do nam yderman wunder ir schöni und ir guoten kleyder und irs adenliches wandels, der wol zögt, daz sy edel was. Si baret sich ouch so betrüeplich, daz man wol sach, daz kein fröd in ir hercz was21.
Bien que cette partie de l’intrigue ne soit pas du tout racontée dans la source, les précisions apportées par le remanieur découlent directement de la narration du voyage de Flore sur les traces de Blanscheflur : durant ce voyage en effet, tous les hôtes de Flore, qui sont des personnages omis dans le Zürcher Buch, à l’exception du dernier, se souviennent en le voyant d’une jeune fille qu’ils avaient hébergée quelque temps auparavant et qui était, selon eux, aussi triste et d’une apparence aussi belle et noble que le jeune homme22. L’innovation du prosateur est donc de déplacer ces informations à leur juste place chronologique et de les narrativiser.
Ce type de modification est aussi illustré par le passage où Pantschiflur est enfermée dans la tour de l’émir : elle ne se contente pas de se lamenter sur son destin, comme dans Flore und Blanscheflur, elle raconte également son histoire à Clarit, sa dame de compagnie23. Cet ajout a conduit les chercheurs de la fin du xixe et du début du xxe siècle à se demander si le prosateur avait connaissance de Flos vnde Blankeflos, une version 291en moyen bas allemand du xive siècle, qui, contrairement à celle de Konrad Fleck, raconte une conversation analogue entre Blankeflos et sa dame de compagnie Clarissa24. Or, il est à noter que cette conversation est présente de manière implicite dans le roman de Konrad Fleck, bien qu’il ne la raconte à aucun moment : quand Claris, ainsi nommée chez Konrad Fleck, découvre Flore dans la corbeille des fleurs, dans lequel il s’est caché pour entrer dans la tour, elle sait immédiatement de qui il s’agit, parce que « ir Blanscheflûr dâ von / dicke hâte geseit / waz sî nâch Flôren erleit, / und wie sî durch in wart versant. / dar an gedâhte sî zehant25 ». Dans ce cas aussi, le prosateur, dans un effort pour présenter l’histoire de façon complète, a déduit une information d’un passage postérieur et l’a insérée minutieusement à la bonne place. De manière remarquable, il reste fidèle à sa source, tout en la modifiant.
Outre ces compléments « neutres » de l’intrigue – dont on trouve d’autres exemples –, le prosateur a manifestement tendance à simplifier le récit. Or, même là, il y a visiblement une volonté de ne pas toucher à l’intrigue de manière significative. Encore une fois, le prosateur fait preuve d’une compétence conceptuelle certaine. Il renonce à tous les épisodes qui ne sont pas forcément nécessaires pour la suite, comme le récit du trajet en mer de Flore à la recherche de Blanscheflur, les séjours chez les deux premiers hôtes, les rencontres avec le marinier et le pontonnier, qui, chez Konrad Fleck, guident Flore sur la voie, ou la partie d’échecs en plusieurs étapes avec le gardien de la tour26. De plus, il fusionne certains personnages de sa source, notamment le chambellan qui découvre les amants dans la tour avec le roi qui, après la découverte, plaide pour que soit accordé à Flore et Blanscheflur un procès ordinaire (plutôt que d’être exécutés sur-le-champ), et enfin avec un comte qui, en conduisant les 292captifs au bûcher, est témoin de leur conflit pour l’anneau magique27. Ces différents personnages sont fusionnés en un seul, curieusement nommé « herczog von Nubia », nom porté dans l’hypotexte par un comte qui plaide pour que les amants soient exécutés sans procès28. Le même comte de Nubie entre également en scène quand l’émir, dans sa rage, s’apprête à tuer les amants spontanément, après qu’il les a découverts. Sans modèle dans la source, il est présenté ici comme l’instrument de Dieu, qui empêche la tentative de meurtre, en enlevant l’épée des mains de l’émir29. Autre innovation significative : le comte de Nubie devient le frère de Clarit30, ce qui est une manière pour le prosateur de singulariser encore plus son personnage.
C’est à la même volonté d’augmenter la cohérence du récit, que contribue l’effort du prosateur pour mieux motiver les événements. À titre d’exemple, on peut citer la justification approfondie du roi espagnol pour expliquer à Florus la nécessité de l’envoyer étudier à Mentowe ou bien la préparation soigneuse du rôle de Clarit : lors de l’arrivée de Pantschiflur à Babylone, le narrateur explique expressément que la fonction de l’une des demoiselles de la tour est d’être la dame de compagnie de l’épouse de l’émir. De même, le prosateur précise que l’attente d’une année avant la célébration du mariage de l’émir avec Pantschiflur sert à ce que les autres dames puissent lui expliquer les coutumes de son futur mari. Finalement, dans le Zürcher Buch, le plan du gardien qui consiste à infiltrer Florus dans la tour dans une corbeille de fleurs est modifié afin d’inclure un détail : seule la destinataire de la corbeille a le droit de savoir ce qui se trouve à l’intérieur et, plus précisément, Clarit et Pantschiflur ne doivent laisser personne voir le contenu de leur corbeille31.
293Le prosateur ajoute en outre des informations qui aident à générer un cadre temporel, soit en vue de la chronologie interne, comme, par exemple en mentionnant que les enfants ont treize ans quand leur amour est découvert32, soit en vue de l’histoire universelle. Il situe notamment le début du récit, l’expédition du roi espagnol, en l’an 700 apr. J.-C., ce qui le rend compatible avec la date de naissance de Charlemagne33.
RÉINTERPRÉTATION HAGIOGRAPHIQUE
Les modifications décrites jusqu’ici sont de nature plutôt structurelle. Leur caractéristique la plus remarquable est la façon par laquelle le prosateur parvient à réajuster l’intrigue sans véritablement en altérer la portée. Il n’en reste pas moins qu’à certains égards, son remaniement implique une réinterprétation de fond, même si les enjeux de celle-ci sont déjà présents dans Flore und Blanscheflur. Le remanieur zurichois parsème en effet systématiquement l’histoire de Florus et Pantschiflur, les ancêtres de Charlemagne, de motifs religieux, instaurant ainsi une référence continuelle au cadre hagiographique du Zürcher Buch. Par exemple, quand la mère de Pantschiflur arrive à la cour espagnole et devient la dame de compagnie de la reine, le narrateur souligne que la chrétienne est autorisée à pratiquer sa religion34. Il s’agit là d’un détail déjà mentionné par Konrad Fleck, mais renforcé par l’auteur zurichois, tandis qu’une autre scène, la lamentation de Pantschiflur enfermée dans la tour, est modifiée en profondeur35. Chez Konrad Fleck, le point crucial de ce long monologue est que l’amour est plus fort que la différence de foi. Son héroïne souligne à plusieurs reprises que le fait que 294Flore soit païen et qu’elle-même soit chrétienne n’a aucune importance. En revanche, dans le Zürcher Buch, la scène est régie par la crainte de Pantschiflur de devenir la femme d’un païen, l’émir. Elle supplie Dieu de la laisser mourir, pour lui éviter l’obligation de se marier en dehors de sa foi. Sa liaison avec Florus, qui lui l’aimait comme un « getrüwes geschwistergit36 », n’est pas expressément affectée par ce problème, parce que, selon Pantschiflur, celui-ci lui avait promis de se convertir pour elle. Le prosateur ajoute que Pantschiflur est par ailleurs peinée que sa mère reste seule parmi les Païens en Espagne.
Dans le même ordre d’idées, des rebondissements décisifs de l’intrigue sont présentés comme des interventions divines. Par exemple, le fait que la reine espagnole parvienne à convaincre son mari de ne pas tuer Pantschiflur, mais de la vendre, est justifié par la volonté de Dieu, « [w]an er hat in siner ewikeit fürsechen, daz noch von ir sölt komen, daz der helgen cristenheit nücz und guot sölt sin37 ». De manière similaire, quand le comte de Nubie empêche l’émir de tuer les amants découverts, c’est expressément parce que Dieu « hat ein anders mit inen gedacht ze tuon, der gab dem herczogen gnad, daz er gadacht, wie er inen des lebes gehulff38 ».
Mais la modification la plus importante du prosateur dans ce cadre est l’insertion de deux scènes entièrement nouvelles. La première se passe juste avant la réunion de Florus et Pantschiflur dans la tour, qui est présentée par le Zurichois comme le résultat immédiat de la volonté divine. Pantschiflur raconte la vision qu’elle a eue la nuit précédente ; une voix l’a appelée trois fois, puis a annoncé :
Pantschiflur, got het din gebet erhörtt : und soltt wissen, daz du dem heiden nit ze teil wirst, und daz Florus und du zesament koment in kurczer zit, und solt du in bekeren ze cristem glouben. Und werdent lang leben mit ein andern in gocz willen und git üch got ze kind ein tochter. Von der tochter wirt ein sun geborn, der wirt der cristenheit als nücz, daz vil landen durch in bekert werdent. Aber ir müessent noch vil liden, e daz geschicht39.
295La vision – une référence évidente à l’Annonciation biblique – se révèle être une apparition véritable, puisque Clarit raconte avoir également entendu la voix et vu la lumière40. Cette scène en particulier a conduit la critique à penser que le prosateur devait connaître d’autres versions, étant donné que celle de Boccace, Il Filocolo, contient un motif similaire exactement à ce moment de l’intrigue41. Cependant, il ne s’agit que d’une similarité vague : en premier lieu, chez Boccace, ce n’est pas Biancifiore, mais bien Glorizia, l’équivalent de Clarit, qui fait le rêve ; en second lieu, il ne faut pas négliger que ce rêve n’est que simulé par la jeune femme, afin de préparer prudemment Biancifiore au choc des retrouvailles42. Aucune autre version ne connaît une telle scène. Tout semble indiquer qu’elle a en effet été ajoutée par le prosateur de manière créative, même si elle ne fait que prolonger le motif de la direction divine qui est déjà un thème sous-jacent de Flore und Blanscheflur.
La seconde scène inventée par le prosateur est la réalisation du rêve. Elle se déroule après la découverte des amants, qui sont jetés au cachot au pain et à l’eau, attendant leur exécution. Face à la mort, Pantschiflur pense à la vie dans l’au-delà. Étant donné que Florus n’a pas encore été baptisé et qu’il n’est pas en droit d’espérer l’éternité dans cet état, elle décide d’intervenir. Tout d’abord, elle enseigne à son amant les principes de la foi chrétienne. Puis, elle entend sa confession, pour ensuite pratiquer, avec l’eau potable du cachot, un ondoiement au nom de la Sainte Trinité. Après lui avoir fait réciter trois fois le Credo, le rite est formellement accompli43. En baptisant son amant, Pantschiflur agit en conformité avec le droit ecclésiastique : en cas de danger imminent 296de mort, n’importe quelle personne chrétienne a le droit d’effectuer l’ondoiement dans n’importe quel endroit, à condition qu’il n’y ait ni prêtre ni église à disposition.
Même si des motifs comparables sont présents dans des versions espagnoles ainsi que chez Boccace44, la scène de l’ondoiement est, selon toute probabilité, également une innovation du rédacteur zurichois. En ajoutant ce passage, en effet, il provoque une situation théologique précaire, puisque conformément à Flore und Blanscheflur et à la plupart des versions européennes, Florus est baptisé une seconde fois tout à la fin de l’intrigue, cette fois en même temps que tout le peuple espagnol45. Encore une fois, il s’agit d’une scène considérablement amplifiée par le prosateur qui met dans la bouche de Florus, comme il l’avait fait avec Pantschiflur auparavant, un discours sur Dieu et la foi à l’intention de ses sujets. Reste qu’un baptême répété, comme il se produit ici, est exclu d’un point de vue théologique et interdit selon le droit canon46. Le prosateur n’avait probablement pas initialement remarqué le baptême final dans sa source, auquel ne sont consacrés que quelques vers, et il s’est finalement accommodé de cette répétition non planifiée.
Les deux scènes religieuses sont reprises plus tard dans l’histoire, quand les amants sont sortis du cachot. Au début, Pantschiflur exprime sa confiance dans le salut accordé par Dieu, puisque, après tout, la première 297partie de son rêve s’est réalisée. Quand elle voit le bûcher et comprend qu’elle n’a donc plus d’espoir d’échapper à la mort, elle se réjouit que Florus soit baptisé : ils pourront ainsi accéder ensemble au royaume céleste47. Le schéma hagiographique aurait pu être convoqué à ce stade du récit : une sainte brûlant sur le bûcher, pleine de confiance et dans l’abandon complet à Dieu – sauf que Dieu, comme le narrateur nous l’a rappelé à plusieurs reprises, a d’autres plans pour Florus et Pantschiflur. Leur fonction ici n’est que d’établir le cadre hagiographique dans lequel, conformément au projet du Zürcher Buch, l’histoire de Charlemagne, deux générations avant sa naissance, va s’ancrer.
Tous ces éléments montrent que l’adaptation de Flore und Blanscheflur dans le Zürcher Buch vom heiligen Karl est un remaniement soigneux et concerté, régi par des critères bien identifiables. Si certains écarts entre la réécriture et sa source s’expliquent probablement par l’état incomplet du roman moyen haut allemand qui est parvenu jusqu’à nous, la majorité des différences sont à mettre au crédit du prosateur. Celles-ci s’inscrivent non seulement dans le cadre d’une révision systématique de l’intrigue qui a pour but d’augmenter la cohérence et de rationaliser l’histoire, mais elles sont également dues à une réinterprétation de l’histoire de Floire et Blancheflor.
L’adaptation du roman médiéval dans le Zürcher Buch comporte donc deux tendances, qui sont en quelque sorte contraires : une tendance à l’ajustement de l’intrigue, qui se traduit par des interventions scrupuleusement « neutres » sans incidence profonde sur la portée du texte, ainsi qu’une tendance de stylisation hagiographique, plus innovante de la part du prosateur. Néanmoins, dans ce cas également, il ne fait que mettre au jour l’un des possibles du roman de Konrad Fleck48. L’oxymore d’une « fidélité créative » (ou bien d’une « créativité fidèle » ?) me semble parfaitement résumer le travail du prosateur zurichois qu’il s’agisse de sa réélaboration de l’intrigue ou de sa relecture hagiographique49. S’il 298n’est pas à exclure de manière certaine qu’il connaissait d’autres versions du récit, rien ne confirme une telle hypothèse. Ses modifications et ses ajouts sont l’expression d’un projet bien défini. Ils découlent naturellement de l’intrigue principale de Floire et Blancheflor et/ou participent de la coloration religieuse et hagiographique que le prosateur a choisi de donner à sa réécriture.
Christine Putzo
Université de Lausanne
1 « Et la reine accoucha d’un fils, on le nomma Florus. Et la chrétienne accoucha d’une fille, elle la baptisa au nom la Sainte Trinité : elle fut nommée, en langue française, Pantschiflur. Et c’était le jour de la fête chrétienne des Rameaux ; c’est alors que les enfants furent nés » (Das Buch vom heiligen Karl, dans Deutsche Volksbücher. Aus einer Zürcher Handschrift des fünfzehnten Jahrhunderts, éd. A. Bachmann et S. Singer, Bibliothek des Litterarischen Vereins in Stuttgart, t. 185, Tübingen, Litterarischer Verein in Stuttgart, 1889, p. 1-114, ici p. 4, l. 15-19. La traduction est de l’auteur de l’article).
2 Le Conte de Floire et Blancheflor, éd. J.-L. Leclanche, dans Contribution à l’étude de la transmission des plus anciennes œuvres romanesques françaises. Un cas privilégié : Floire et Blancheflor, 2 vols, thèse de doctorat, Université de Paris IV, Lille, 1980, ici vol. 1, p. 1-457 ; Konrad Fleck, Flore und Blanscheflur, éd. C. Putzo, dans Konrad Fleck, Flore und Blanscheflur. Text und Untersuchungen, Münchener Texte und Untersuchungen, t. 143, Berlin/Boston, De Gruyter, 2015, p. 209-637.
3 B. Bastert, Helden als Heilige. Chanson de geste-Rezeption im deutschsprachigen Raum, Bibliotheca Germanica, t. 54, Tübingen, A. Francke, 2010, p. 225, n. 130.
4 P. 1-15 dans l’édition de Bachmann et Singer, qui comporte 114 pages en tout. Pour une traduction partielle en français, voir Floire et Blancheflor en Europe : anthologie, éd. S. Lodén et V. Obry, Grenoble, UGA Éditions, Le Moyen Âge européen, [à paraître].
5 Voir U. Kletzin, « Das buch vom heiligen Karl, eine Züricher prosa. Untersuchung über seine entstehung », Beiträge zur Geschichte der deutschen Sprache und Literatur, 55, 1931, p. 1-73 ; R. Folz, Le Souvenir et la légende de Charlemagne dans l’empire germanique médiéval, Publications de l’Université de Dijon, t. 7, Paris, Les Belles Lettres, 1950, p. 469-471, 476-478.
6 Folz, Souvenir, p. 469.
7 Zurich, Zentralbibliothek, Ms. Car. C 28, fol. 1r-47r ; sur Jörg Hochmut, voir K. Graf, « Hochmut, Jörg », Die deutsche Literatur des Mittelalters. Verfasserlexikon, t. 11 : Nachträge und Korrekturen, éd. B. Wachinger, Berlin/New York, De Gruyter, 2004, col. 683 sq. Il s’agit d’un manuscrit collectif de textes religieux et didactiques qui a été copié par différentes mains entre 1474 et 1478 sur ordre d’un certain Hans Rüeger, que l’on peut probablement identifier avec le procurateur du Fraumünster à Zurich, qui porte le même nom. La copie du Zürcher Buch y est datée de 1475 (fol. 47r). Voir B. M. von Scarpatetti, R. Gamper, M. Stähli, Katalog der datierten Handschriften in der Schweiz in lateinischer Schrift vom Anfang des Mittelalters bis 1550, t. 3 : Die Handschriften der Bibliotheken St. Gallen–Zürich, 2 vols, Dietikon-Zurich, U. Graf, 1991, ici vol. 1, p. 204 sq. (no 589).
8 Voir Bastert, Helden, p. 115, 224, 230 sq. Il s’agit du Buch vom heiligen Willehalm, une mise en prose du Willehalm de Wolfram von Eschenbach, de l’Arabel et du Rennewart d’Ulrich von Türheim, ainsi que du Buch vom heiligen Georg selon le Georg de Reinbot von Durne. Tous les deux ont récemment été édités : H. Deifuß, Hystoria von dem wirdigen ritter sant Wilhelm. Kritische Edition und Untersuchung einer frühneuhochdeutschen Prosaauflösung, Germanistische Arbeiten zur Sprache und Kulturgeschichte, t. 45, Francfort-sur-le-Main, P. Lang, 2005 ; M. Schmitz, Die legent vnd dz leben des hochgelopten manlichen ritters sant joergen. Kritische Neuedition und Interpretation einer alemannischen Prosalegende des heiligen Georg aus dem 15. Jahrhundert, Texte des späten Mittelalters und der frühen Neuzeit, t. 49, Berlin, E. Schmidt, 2013. Le Zürcher Buch est également transmis, avec l’Hystoria von dem wirdigen ritter sant Wihelm, dans un second manuscrit haut alémanique, qui est daté de 1483 : Schaffhouse, Stadtbibl., Cod. Gen. 16. Une version abrégée se trouve dans Zurich, Zentralbibl., Ms. A 121, daté 1551.
9 Voir Folz, Souvenir, p. 344-347 ; R. Folz, Études sur le culte liturgique de Charlemagne dans les églises de l’Empire, Publications de la Faculté des lettres de l’Université de Strasbourg, t. 115, Paris, Les Belles Lettres, 1951, p. 44-49 ; K.-E. Geith, « Karl der Große », Herrscher, Helden, Heilige, éd. U. Müller et W. Wunderlich, Mittelalter-Mythen, t. 1, Saint-Gall, UVK, 1996, p. 87-100, ici p. 97-99.
10 Das Buch vom heiligen Karl, p. 113, l. 31 à 114, l. 3.
11 Outre Deifuß, Hystoria, voir les références chez Bastert, Helden, p. 114 sq.
12 Kletzin, Buch. Voir aussi le chapitre sur le Zürcher Buch dans la thèse de Schneider sur les prosifications des romans moyen haut allemands : F. Schneider, Die höfische Epik im frühneuhochdeutschen Prosaroman, Greifswald, H. Ludwig, 1915, p. 49-65.
13 K.-E. Geith, « Zürcher Buch vom heiligen Karl », Die deutsche Literatur des Mittelalters. Verfasserlexikon, t. 10, éd. B. Wachinger, Berlin/New York, De Gruyter, 1999, col. 1598-1600 ; E. Feistner, « Zürcher Buch vom heiligen Karl », Killy Literaturlexikon. Autoren und Werke des deutschsprachigen Kulturraums, éd. W. Kühlmann, vol. 12, Berlin/New York, De Gruyter, 2011, p. 713 sq. ; C. Stridde, « Zürcher Buch vom heiligen Karl », Deutsches Literatur-Lexikon. Das Mittelalter : Autoren und Werke nach Themenkreisen und Gattungen, vol. 5 : Epik (Vers – Strophe – Prosa), Kleinformen, éd. W. Achnitz, Berlin/New York, De Gruyter, 2013, p. 1781-1783.
14 Bastert, Helden, p. 113 sq., 224-233 ; Folz, Souvenir, p. 469-479. Voir également B. Bastert, « Heros und Heiliger. Literarische Karlbilder im mittelalterlichen Frankreich und Deutschland », Karl der Große und das Erbe der Kulturen : Akten des 8. Symposiums des Mediävistenverbandes, Leipzig, 15.-18. März 1999, éd. F.-R. Erkens, Berlin, Akademie Verlag, 2001, p. 197-220, ici p. 214 sq. ; B. Bastert, « Der Cristenheyt als nücz als kein czelffbot. Karl der Große in der deutschen erzählenden Literatur des Mittelalters », Karl der Große in den europäischen Literaturen des Mittelalters. Konstruktion eines Mythos, éd. B. Bastert, Tubingue, M. Niemeyer, 2004, p. 127-147, ici p. 139 sq. ; M. Horn, « Zum Traditionsverständnis in der deutschsprachigen Legendarik. Ein Beitrag unter besonderer Berücksichtigung zweier Legenden aus dem Züricher Buch vom heiligen Karl », Zum Traditionsverständnis in der mittelalterlichen Literatur. Funktion und Wertung. Actes du Colloque Greifswald 30 et 31 Mai 1989, éd. D. Buschinger et W. Spiewok, Wodan, t. 4/3/3, Amiens, Centre d’études médiévales Université de Picardie, 1991, p. 91-99 ; B. Lundt, « Der Mythos vom Kaiser Karl. Die narrative Konstruktion europäischer Männlichkeit im Mittelalter am Beispiel von Karl dem Großen », Männer-Macht-Körper. Hegemoniale Männlichkeiten vom Mittelalter bis heute, éd. M. Dinges, Francfort-sur-le-Main, Campus, 2005, p. 37-51.
15 H. Herzog, « Die beiden Sagenkreise von Flore und Blanscheflur. Eine litterar-historische Studie », Germania, 29, 1884, p. 137-228, ici p. 149 sq. ; L. Ernst, Floire und Blantscheflur. Studie zur vergleichenden Literaturwissenschaft, Quellen und Forschungen zur Sprach- und Culturgeschichte der Germanischen Völker, t. 118, Strasbourg, K. J. Trübner, 1912 ; Kletzin, Buch, p. 50-52 ; H. Samson, Beiträge zum deutschen Märchen im ausgehenden Mittelalter, Düren, M. Danielewski, 1931, p. 58-67.
16 Voir les synopsis chez Ernst, Floire, p. 26-28, et Schneider, Die höfische Epik, p. 50-55.
17 Proposé par Herzog, « Die beiden Sagenkreise » p. 149 sq. ; J. Reinhold, « Über die verschiedenen Fassungen der Bertasage », Zeitschrift für romanische Philologie, 35, 1911, p. 1-30, 129-152, ici p. 19-21 ; Samson, Beiträge, p. 58 ; Kletzin, Buch, p. 51, 66.
18 Argumenté par Ernst, Floire, p. 25-34.
19 Tristan und Isolde und Flore und Blanscheflur, éd. W. Golther, 2 vols, Deutsche National-Litteratur, t. 4,2, Berlin-Stuttgart, Union Deutsche Verlagsgesellschaft, [1888/1889], ici vol. 2, p. 244 ; Schneider, Die höfische Epik, p. 50, 55. Sur la diffusion du roman moyen haut allemand, voir C. Putzo, Konrad Fleck, p. 90-112, 129-157.
20 Putzo, Konrad Fleck, p. 141-153.
21 « Et ils la traitaient bien, et chaque fois qu’ils arrivaient à une auberge avec elle, tout le monde s’étonnait de sa beauté, de ses beaux vêtements et de la noblesse de son comportement qui montrait bien qu’elle était noble. Elle manifestait de tels signes de tristesse qu’on voyait qu’il n’y avait pas de joie dans son cœur » (Das Buch vom Heiligen Karl, p. 7, l. 14-19).
22 Konrad Fleck, Flore und Blanscheflur, v. 3065-3100, 3436-3452, 3551-3567, 4026-4039.
23 Das Buch vom Heiligen Karl, p. 8, l. 28 sq.
24 Flos vnde Blankeflos. Kritische Ausgabe des mittelniederdeutschen Gedichtes, éd. O. Decker, Rostock, Kaufungen, 1913, v. 293-336. Voir Herzog, « Die beiden Sagenkreise », p. 221 ; Ernst, Floire, p. 27.
25 Parce que « Blanscheflur lui avait souvent raconté ce qu’elle avait souffert pour Flore, et comment elle a été envoyée [dans un pays lointain] à cause de lui. Elle s’en souvint tout de suite » (Konrad Fleck, Flore und Blanscheflur, v. 5636-5640).
26 Voir Das Buch vom Heiligen Karl, p. 9, l. 5, où la narration saute directement du départ de Florus d’Espagne à son arrivée à Babylone, et p. 9, l. 31 à p. 10, l. 5, où Florus s’assure le soutien du gardien de la tour en instaurant une ambiance amicale, mais aussi en le corrompant. Ce dernier élément a soulevé la question d’une éventuelle filiation entre le Zürcher Buch et le Trierer Floyris, une version fragmentaire bas rhénane (vers 1160/1170) qui comporte également ce détail. Voir n. 17 ci-dessus.
27 Voir Das Buch vom Heiligen Karl, p. 11, l. 20-27 – Konrad Fleck, Flore und Blanscheflur, v. 6310-6371 ; p. 11, l. 32 à p. 12, l. 2 – v. 6601-6627 ; p. 13, l. 9-25 – v. 6782-6789, 7008-7042.
28 Konrad Fleck, Flore und Blanscheflur, v. 6628-6658. Voir le nom dans « Das Buch vom Heiligen Karl », p. 11, l. 21.
29 Das Buch vom Heiligen Karl, p. 11, l. 27-32. Voir Konrad Fleck, Flore und Blanscheflur, v. 6402-6409, où c’est l’émir lui-même qui, malgré son impulsion, s’abstient de tuer les amants sur-le-champ.
30 Das Buch vom Heiligen Karl, p. 11, l. 26 ; p. 14, l. 22.
31 Das Buch vom Heiligen Karl, p. 5, l. 32 à p. 6, l. 4 ; p. 7, l. 26-28 ; p. 7, l. 34-36 et p. 9, l. 15 ; p. 10, l. 9-12. La justification de l’attente d’une année se trouve, de manière presque similaire, également dans Flos vnde Blankeflos, v. 271-284, ce qui a soulevé la question de la filiation entre les deux textes ; voir n. 17 et 24 ci-dessus.
32 Das Buch vom Heiligen Karl, p. 5, l. 9.
33 Das Buch vom Heiligen Karl, p. 3, l. 1 sq. Une datation analogue, quoique pas tout à fait exacte ni du point de vue de la chronologie interne ni de la réalité, se trouve à la fin du Zürcher Buch, quand le prosateur note que Charlemagne meure le 5 février 814, à l’âge de 72 ans, après avoir été roi de France pendant 47 ans, d’Italie pendant 39 ans et empereur pendant 14 ans (ibid., p. 110, l. 28-36).
34 Das Buch vom Heiligen Karl, p. 4, l. 10-12. Voir Konrad Fleck, Flore und Blanscheflur, v. 521-525.
35 Das Buch vom Heiligen Karl, p. 8, l. 2-18. Voir Konrad Fleck, Flore und Blanscheflur, v. 1731-1859.
36 « Comme un frère ou sœur fidèle » (Das Buch vom Heiligen Karl, p. 8, l. 7 sq.).
37 « Parce qu’Il avait prévu, dans son éternité, que quelque chose viendrait d’elle qui serait avantageux et bon pour la Sainte Chrétienté » (Das Buch vom Heiligen Karl, p. 6, l. 19-21).
38 « Parce que Dieu avait des plans différents pour eux. Il accorda la grâce au comte, afin qu’il réfléchisse à la façon dont il pourrait leur sauver la vie » (Das Buch vom Heiligen Karl, p. 11, l. 30 sq.).
39 « Pantschiflur, Dieu a exaucé ta prière. Sache que tu ne deviendras pas la femme du païen et que Florus et toi vous retrouverez bientôt ensemble et que tu le convertiras au christianisme. Et vous vivrez ensemble longtemps, selon la volonté de Dieu, et Dieu vous donnera une fille. Cette fille donnera naissance à un fils ; celui-ci sera tellement important pour la chrétienté que beaucoup de pays seront convertis par lui. Mais vous aurez à endurer encore de nombreuses souffrances avant que cela n’advienne » (Das Buch vom Heiligen Karl, p. 10, l. 26-33). Voir ibid., p. 16, l. 21-24, où la naissance de Charlemagne est prophétisée à Pépin de manière similaire par des astrologues. Dans ce cas, la prophétie devait en effet être présente dans la source (inconnue) de la légende de Berthe, étant donné qu’elle apparaît également dans la Weihenstephaner Chronik, une chronique universelle contemporaine ; voir Kletzin, Buch, p. 38.
40 Das Buch vom Heiligen Karl, p. 10, l. 19-33.
41 Herzog, « Die beiden Sagenkreise », p. 223 (critiqué par Ernst, Floire, p. 30 sq.) et surtout Kletzin, Buch, p. 51. Voir G. Boccaccio, Filocolo, éd. A. E. Quaglio, Tutte le opere, t. 1, Milan, Mondadori, 1967, IV, 113.
42 Une vision de Biancifiore, mais dans un contexte entièrement différent, se trouve chez Boccaccio, Filocolo, V, 90.
43 Das Buch vom Heiligen Karl, p. 12, l. 5-38.
44 Dans La Historia de los dos enamorados, transmise depuis 1512, Flores est formellement converti au christianisme par Blancaflor avant qu’ils ne consomment leur amour dans la tour (« La Historia de los dos enamorados Flores y Blancaflor », Narrativa popular de la edad media, éd. N. Baranda, V. Infantes, Madrid, Akal, 1995, p. 84-127, ici p. 120). Dans Il Filocolo et dans La Crónica Carolingia du xiiie siècle, à ce stade du récit, les deux amants effectuent une cérémonie de mariage clandestin (Boccaccio, Il Filocolo, IV, 120 sq. ; « Crónica carolingia », F. Bautista, La materia de Francia en la literatura medieval española, Instituto Biblioteca Hispánica, Serie mayor, t. 1, San Millán de la Cogolla, Cilengua, 2008, p. 123-339, ici p. 190). Étant donné sa proximité avec La Historia de los dos enamorados, Herzog (« Die beiden Sagenkreise », p. 224) et Kletzin (Buch, p. 51, 66) estiment que la scène de l’ondoiement du Zürcher Buch remonte à d’autres versions du récit. Pour un avis contraire, voir Ernst, Floire, p. 32 sq.
45 Das Buch vom Heiligen Karl, p. 15, l. 6-18. Voir Konrad Fleck, Flore und Blanscheflur, v. 7802-7811.
46 Voir le Corpus iuris canonici III, distinctio IV, can. 32 de cons. (Decretum magistri Gratiani, ed. Lipsiensis secunda post Aemilii Ludovici Richteri curas ad librorum manu scriptorum et editionis Romanae fidem recognovit et adnotatione critica instruxit Aemilius Friedberg, Corpus iuris canonici, t. 1, Leipzig, B. Tauchnitz, 1879, col. 1371 sq.). Pour la doctrine théologique, voir notamment la Somme théologique de Thomas d’Aquin, III, quaestio 66, art. 9 (Sancti Thomae Aquinatis […] opera omnia iussu impensaque Leoni XIII P.M. edita, t. 12, Rome, Typographia Polyglotta, 1906, p. 75).
47 Das Buch vom Heiligen Karl, p. 13, l. 28-34.
48 Voir la préfiguration hagiographique dans l’épilogue de Flore und Blanscheflur, qui est sans modèle dans la version française (Konrad Fleck, Flore und Blanscheflur, v. 7858-7885).
49 Voir Schmitz, Die legent, p. 258-386 (surtout p. 370-386), et Bachmann/Singer, Deutsche Volksbücher, p. xxx-xxxvi, qui décrivent des principes d’adaptation similaires dans le Buch vom heiligen Georg et le Buch vom heiligen Wilhelm, deux mises en prose qui sont probablement l’œuvre de notre clerc zurichois (voir n. 8 ci-dessus). Kletzin, Buch, p. 66-68, a également identifié des tendances analogues dans les autres parties du Buch vom heiligen Karl. C’est pour cette raison, entre autres, que sa proposition d’un dérimage intermédiaire, auquel le Zurichois aurait recouru plutôt qu’au roman moyen haut allemand (ibid., p. 51, 62, 66), me semble peu probable, d’autant qu’elle se fonde uniquement sur le constat que Flore und Blanscheflur est adapté de façon plus libre que le Karl du Stricker et que seule l’adaptation du dernier contient des rimes en prose. Mais comme Kletzin le remarque elle-même (ibid., p. 51, n. 1), cette divergence s’explique par la nature de l’histoire de Florus et Pantschiflur destinée à être le préambule de l’histoire principale, ce qui implique une adaptation beaucoup plus abrégée.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-10454-4
- EAN : 9782406104544
- ISSN : 2273-0893
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10454-4.p.0285
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 01/04/2020
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Zürcher Buch vom heiligen Karl, adaptation, Konrad Fleck, compilation, hagiographie