Du Narrenschiff aux nefs françaises Traduction et prédication
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
2019 – 2, n° 38. varia - Auteur : Duhl (Olga Anna)
- Pages : 397 à 414
- Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
DU NARRENSCHIFF AUX NEFS FRANÇAISES
Traduction et prédication
INTRODUCTION
Composé en haut moyen allemand par le docteur strasbourgeois Sébastien Brant (1457-1521), le Narrenschiff (La Nef des fous) (Bâle, 1494) n’est pas seulement un miroir déformant où se reflètent les tares de la société alsacienne de la fin du xve siècle ; c’est aussi le point culminant de la littérature didactique du Moyen Âge tardif qui exerce une influence non négligeable au-delà de son époque et des frontières de son pays d’origine. Porte-parole du stoïcisme chrétien1 qui anime alors un cercle d’humanistes allemands célèbres, tels que Jakob Wimpfeling et Johannes Geiler de Kaysersberg2, engagés à entreprendre un renouvellement profond des savoirs par le biais d’une réforme morale, Brant inaugure une tradition littéraire consacrée à dénoncer les péchés et les vices de ses contemporains comme des folies incarnées dans des personnages représentatifs de chacune d’entre elles, qui s’apprêtent à embarquer un vaisseau imaginaire à destination de « Narragonie », « terre des fous » symbolique d’exclusion et de perdition. Si la première cible du réquisitoire de Brant est un bibliomane grotesque, c’est parce que ce personnage incarne à ses yeux une nouvelle forme de folie qui menace d’envahir le monde depuis l’invention de l’imprimerie au milieu du xve siècle. Tout en facilitant l’épanouissement des connaissances, la nouvelle technologie de reproduction des textes mène inévitablement à leur marchandisation, 398suggère l’auteur par la bouche de ce collectionneur caricatural, dès les premiers vers du chapitre inaugural de l’ouvrage, intitulé de manière suggestive « Des livres inutiles » :
Ce n’est pas sans raison
Que je sois le premier
à monter en bateau :
pour moi le livre est tout
et vaut plus que de l’or ;
j’en ai de grands trésors
sans en comprendre un mot,
je leur rends des honneurs
en en chassant les mouches. (v. 1-9)3
Si la satire de la marchandisation des connaissances annonce d’emblée le conservatisme moral et religieux de Brant, le Narrenschiff se révèle cependant comme un objet d’une vigoureuse exploitation commerciale : éditions, traductions, imitations et adaptations vers plusieurs langues vernaculaires, sans oublier les plagiats, se succèdent en effet rapidement suivant la publication du Narrenschiff en 1494, d’abord en Allemagne, ensuite dans d’autres pays de l’Europe où l’imprimerie aura gagné du terrain ; leur nombre n’est alors inférieur qu’aux éditions de la Bible4. Pour saisir l’enjeu d’une telle diffusion sans égale avant cette date sur sol allemand, il faut tenir compte d’une adaptation latine réalisée par un disciple de Brant, l’humaniste Jakob Locher surnommé « Philomusus » (« ami des Muses »). Muni des nouvelles contributions de ce dernier qui cherche à attribuer à La Nef allemande les caractéristiques d’une œuvre humaniste inspirée de l’Antiquité classique, cet ouvrage sort de la presse en 1497 sous le titre de Stultifera navis, pour devenir la source de la plupart des éditions et adaptations du Narrenschiff. Le succès de cette « nef » classicisante auprès des imprimeurs et des traducteurs semble lié au statut du latin comme langue dominante du marché du 399livre : entre 1500 et 1505, à Paris et à Lyon, on publie six ou sept livres en latin pour un livre en français5.
Cependant, le français s’impose bientôt comme la deuxième langue des traductions du Narrenschiff, faisant le pont entre la Stultifera navis et les autres aires linguistiques et littéraires vernaculaires que le bestseller de Brant finit par conquérir grâce à la traduction de Locher6. Au sein de cette mouvance, La Nef des folles, adaptation française libre des Stultiferae naves (1501), ouvrage humaniste de Jodocus Badius Ascensius ou Josse Bade (1462-1535), occupe une place à part tout entière : publiée entre 1498 et 1500, c’est-à-dire avant même le texte-source, elle jouit par la suite d’une popularité qui va éclipser celle de son modèle. En effet, La Nef des folles fait l’objet de six éditions s’échelonnant entre 1500 à 1583, période qui va bien au-delà du premier humanisme, alors que les Stultiferae naves n’en connaissent que trois, publiées, quant à elles, entre 1501 et 1505, à peu de distance les unes des autres7.
Que La Nef des folles française bénéficie d’un tel statut au sein de ce vaste corpus plurilingue n’est pas seulement le fait de l’avènement du français comme langue vernaculaire privilégiée. Œuvre moralisatrice visant à instruire les femmes, elle témoigne en particulier du renouveau de la piété personnelle imbue de l’esprit de la prédication populaire qui se développe dans les années 1490, faisant écho aux tentatives de réforme menées auparavant, à presque un siècle de distance par Jean Gerson8. Si le Narrenschiff est lui-même tributaire, toute proportion gardée, de 400l’art de la prédication9, cependant, La Nef des folles se distingue de son homologue grâce à sa manière propre à aborder une thématique qui agite alors les esprits, suscitant de nouvelles interprétations, à savoir le statut et les fonctions du sensible dans la vie sociale et religieuse. Il s’agit pour le translateur notamment de moraliser le discours sur les cinq sens, en faisant le point sur le pouvoir de séduction fatale qui leur est traditionnellement attribué au Moyen Âge. Or cet argument fait directement écho à l’enseignement moral procuré par l’auteur d’un manuel de pastorale intitulé le Doctrinal aux simples gens, connu aussi sous le nom de Doctrinal de sapience, qui date de la fin du xive siècle. Une analyse comparative des stratégies mises en œuvre, respectivement, par Josse Bade dans les Stultiferae naves, et les adaptateurs de La Nef des folles pour développer ce sujet, nous permettra de mettre en évidence le rôle prépondérant qui revient à l’art du prêche dans le corpus des « nefs des fous », y compris l’influence que ce type d’art du discours exerce sur l’humanisme de la deuxième moitié du xve siècle et du début du xvie siècle.
LE NARRENSCHIFF : ÉDITIONS ET TRADUCTIONS
L’itinéraire complexe du Narrenschiff commence à Bâle, où Brant devient doyen de la Faculté de droit en 1492. L’ouvrage paraît en 1494, par les soins de Bergmann von Olpe, imprimeur-libraire qui vient d’établir son officine dans cette ville. Six éditions autorisées par Brant, ainsi que sept éditions pirates sont publiées du vivant de l’auteur, suivies de quatorze éditions qui paraissent entre 1521 et 1574. Locher procure, on l’a vu, une adaptation en latin, imprimée pour la première fois en 1497 à Bâle par le même Bergmann von Olpe, dont Brant surveille de près la publication10. Cependant, les frères de Marnef, membres d’une famille d’imprimeurs liégeoise installée à Paris, font réimprimer la même année la version originale, suivie 401d’une traduction française de la Stultifera navis de Locher, exécutée en vers. Intitulée La Nef des folz du monde, cette dernière semble avoir été réalisée par Pierre Rivière, du moins selon le témoignage du rhétoriqueur poitevin Jean Bouchet, qui avait lui-même entrepris de traduire la Nef latine en français11. La Nef des folz du monde n’est pas seulement la première traduction de la Stultifera navis en français ; c’est aussi la source des mises en prose françaises ultérieures, ainsi que l’un des modèles des traductions vers l’anglais12. Quant à la ville de Lyon, elle n’est que légèrement en retard par rapport à Paris en ce qui concerne la publication des éditions de la Nef des fous. En effet, l’imprimeur Guillaume Balsarin fait paraître dès 1498 une seconde réimpression de l’original, ainsi qu’une mise en prose française de La Nef des folz du monde, due à Jehan Drouyn13. Néanmoins, il semble qu’en France, la diffusion du Narrenschiff soit liée de manière systématique au nom des frères de Marnef. Connue, en général, pour la diffusion des œuvres de dévotion, cette maison fait imprimer plusieurs textes représentatifs du renouveau de la spiritualité chrétienne imbue de la doctrine de l’imitation du Christ. De plus, en 1493, elle fait imprimer le Liber de vita spirituali anime, ouvrage influent de Jean Gerson, dont la composition remonte aux années 1398-140214.
LES STULTIFERAE NAVES DE JOSSE BADE
Humaniste, pédagogue, grammairien, éditeur et imprimeur parisien célèbre de la première moitié du xvie siècle, admirateur de Brant, 402Josse Bade15 va consacrer deux ouvrages au thème de la nef des fous. Si la Navis stultifera, publiée en 1505, ne semble qu’un commentaire de la version latine de Locher, où sont repris gravures et chapitres des éditions originales, les Stultiferae naves, texte composé en 1498 qui ne sera pourtant publié qu’en 1501, inaugurent en revanche une nouvelle tendance au sein de ce corpus.
L’idée de procurer une version féminine de La Nef des fous semble avoir été inspirée à Bade lors d’un voyage d’affaires effectué en 1497 à Paris, à la demande de son patron, l’imprimeur lyonnais Jean Treschel. C’est lors de ce séjour parisien que l’humaniste entre en contact avec les frères de Marnef qui préparaient alors la Stultifera navis pour la publication. Une gravure sur bois illustrant le chapitre 106 de cet ouvrage (Omissio bonorum operum) semble avoir en particulier retenu l’attention de Bade. Attribuée à Albrecht Dürer, cette gravure sert d’illustration pour les versets 11-13 de la parabole des cinq Vierges sages et des cinq Vierges folles (Mathieu 25 : 1-13) qui évoque notamment l’exclusion de ces dernières du paradis : ayant oublié de mettre de l’huile dans leurs lampes pour aller à la rencontre de l’Époux céleste, les Vierges folles arrivent en retard et elles trouvent les portes du paradis fermées. Contrairement aux Vierges sages qui personnifient la prévoyance des élus, les vierges folles incarnent, elles, l’imprudence des pécheurs qui ignorent la vie de l’esprit, ne vivant que celle de la chair16. La composition est d’autant plus suggestive qu’au dernier plan le graveur a fait figurer un monstre menaçant les Vierges folles de les engloutir17. Cependant, malgré l’influence qu’elle a vraisemblablement exercée sur Bade, cette illustration ne fait pas partie du programme iconographique des Stultiferae naves. Si l’humaniste évoque le volet de la parabole consacré aux Vierges folles, c’est au sein du texte proprement dit, comme base d’une analogie qui se fonde sur la mise en série numérique18 : comme tient à le préciser 403Bade dans la préface des Stultiferae naves, à chacune des cinq Vierges folles correspond un sens externe particulier, c’est-à-dire la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût et le toucher, symbolisant les tentations de la chair19.
En effet, la question du statut et des fonctions des organes de la perception ne cesse d’agiter les érudits tout au long du Moyen Âge20. Suivant Aristote qui établit une hiérarchie durable entre les sens supérieurs, vue et ouïe, et inférieurs, goût et toucher, avec l’odorat occupant une position médiane (De Anima, II, 6-12), les auteurs médiévaux penchent vers des interprétations allégoriques qui soulignent, d’une part, l’utilité épistémologique, d’autre part, le danger moral des sens. Cette dernière approche alimente de nombreuses mises en garde contre la tentation du plaisir associée dans la tradition patristique, notamment chez Saint Augustin, avec les cinq sens. À la fin du Moyen Âge, les prédicateurs et, en général, les textes didactiques insistent souvent sur les liens qui unissent le péché originel, les sens externes et la mort21.
LES CINQ SENS DANS LA PRÉDICATION
L’un des manuels de pastorale les plus révélateurs à cet égard, le Doctrinal aux simples gens évoqué au préalable, fut composé en français en 1388. Attribué à Guy de Roy, archevêque de Sens (1345-1409), y compris par la suite Jean Gerson, cet ouvrage a exercé une influence non négligeable sur la littérature du xve siècle, à commencer par les œuvres de Charles d’Orléans, Olivier de la Marche et François Villon22.
404Conformément au programme des sermons23, l’auteur déclare avoir « fait et transcript » ce manuel « pour le salut de son ame et des ames de tout son peuple et par especial pour les simples gens laiz ». Il joint à cela un but didactique précis : l’ouvrage devrait apporter « grant prouffit et edification » aux chrétiens. De « bons exemples » tirés d’une liste d’auctoritates, entre autres, Saint Augustin, Bède le Vénérable, Jacques de Vitry, commentés et « mis en francoys », servent à illustrer ce but éducatif. Quant aux destinataires, le Doctrinal s’adresse notamment à des individus qui ne possèdent qu’une faible ou aucune maîtrise du latin : « paroichiens », « simples prestres qui n’entendent pas bien les Escritures », et, en général, des « simples gens » (fol. aiv-aiiir)24. Ainsi, ce but instructif va-t-il de pair avec un but rhétorique adapté à ce type d’auditoire, qui consiste à mobiliser les talents du prêcheur pour « mieulx esmouvoir les simples gens à devotion » (fol. aiiir-v) : docere et movere, selon les prescriptions de Saint Augustin (De doctrina christiana IV, XVII-34). Sources de vie et de mort, les cinq sens semblent bien adaptés pour fournir des arguments au service de cette double tâche. D’une part, ils permettent d’exhorter les chrétiens à contrôler leurs impulsions sensorielles, en les tournant en outils d’apprentissage d’un modèle de comportement adapté à une vie exemplaire :
Si comme dit sainct Gregoire, Dieu t’a donné les yeux pour toy conduire et pour autruy regarder en pitié et pour veoir les œuvres merveilleuses qu’il a faictes et especiallement au ciel, au soleil, à la lune et aux estoilles lesquelles se mouvent jour et nuyt sans cesser et sans faillir d’ung seul point. […] Et pour ce il nous a fait le visaige devers le ciel tu ne dois point regarder si affichement es choses esquelles tu ne dois convoiter comme fol, aucuneffois les femmes qui regardent si affichement les hommes et les hommes ces femmes qui donnent l’ung à l’autre plusieurs fois l’occasion de pecher. […] Après il t’a donné les oreilles pour ouyr les sermons et toutes bonnes parolles […] non pas pour ouyr mauvaises parolles deshonnestes qui tournent à peché, ne mauvais rapors […] ; Tu dois noter que Dieu t’a donné que une bouche et t’a donné deux oreilles affin que tu soyes plus près d’escouter que de parler, si comme dit saint Jaques. […] Après Dieu t’a donné le nez pour gouster comme nostre 405Seigneur est doux et debonnaire, si comme dit David le prophete, et non pas pour toy delecter es ordures de ce monde. Après il t’a donné ta bouche et ta langue pour le servir, louer et luy rendre louenges que t’a fait non pas pour dire mauvaises parolles pour autruy diffamer […] Après Dieu t’a donné les mains pour faire aulmones et bonnes œuvres et t’a donné les piedz pour toy porter au moustier et en tous bons lieux. Et tout le corps pour luy servir et toy sauver (fol. xxviiiv)25.
D’autre part, les cinq sens sont convoqués pour illustrer les effets nocifs des passions dont ils semblent constituer les sources, selon le système analogique qui inspire l’auteur du Doctrinal, menant l’individu à succomber aux péchés mortels. Pour mettre en garde contre de tels comportements, le prêtre va mobiliser tout un arsenal d’arguments adaptés à susciter la peur, comme le montre notamment le commentaire sur un topos tiré de l’Apocalypse de Saint Jean (20 : 11-15) :
L’horrible beste signifie le dyable qui yssit de la mer d’enfer, les sept testes signifient les sept pechés mortelz, cest assavoir orgueil, envie, ire, avarice, paresse, gloutonnie et luxure […] Les dix cornes signifient les trespassemens des dix commandemens de la loy. Et les dix couronnes signifient les dix victoires que l’ennemy d’enfer en ayant pour le deffault de bien garder les dix commandemens de la loy, par les cinq sens dessusdictz le diable si faict encheoir la personne en peché mortel (fol. xxviiiv).
Les arguments concernant les liens qui unissent les cinq sens et les péchés, développés à la lumière de la morale chrétienne au sein du Doctrinal, reviennent sous la plume de Jean Gerson (1363-1429), chancelier de l’Université de Paris et l’un des prédicateurs les plus célèbres des xive et xve siècles. Cependant, Jean Gerson va adopter une stratégie didactique qui consiste à moraliser les cinq sens par le biais d’une métaphore scolaire accessible aux laïques26. Dans le sermon Tu discipuli prononcé en 1401, par exemple, on retrouve les cinq sens « corporels » en compagnie du « cuer qui est dedans ». Représentant des sens internes qui occupent une place supérieure dans la hiérarchie des facultés sensorielles, le cœur, siège 406des passions, des désirs et du libre arbitre, est responsable notamment du contrôle des sens extérieurs27. Pris ensemble, les cinq sens et le cœur se manifestent en revanche comme « six disciples de vraye doctrine et bonnes meurs », c’est-à-dire comme des élèves dans une école dont le maître est Jésus Christ avec, comme maîtresse et sous-maîtresse, « la Raison la sage » et « la Conscience la véritable ». Insoumis et rebelles, les cinq sens seront finalement punis. L’efficacité de la démarche éducative qui vise à maîtriser les tentations de la chair ressort ainsi avec force : grâce au parcours initiatique d’une forte allure dramatique orchestré par le sermonneur, en effet, l’œil sera instruit à « bien regarder sans disolution », l’oreille à bien « écouter sans destraction », la bouche à « bien parler sans mensonger et […] bien gouster sans excessive replecion », le nez à « bien odorer sans fourfaire », le toucher à « bien labourer sans paresse et sans vilaine ordure » ; le cœur, enfin, à « bien penser sans dommaigeuse cure28 ». Littérature didactique et prédication se rejoignent ainsi dans le but commun de mettre en garde contre les tentations des sens29.
LE STATUT DES CINQ SENS DANS LES STULTIFERAE NAVES : LITTÉRATURE ET PRÉDICATION
En revanche, c’est à la lumière d’un jeu allégorique subtil qui permet de faire alterner vers et prose que Josse Bade aborde la question du statut des sens extérieurs dans les Stultiferae naves. Ce procédé conduit à 407développer l’enseignement moral chrétien à l’encontre du sensible non seulement par le biais d’exempla traditionnels, rappelant le programme du Doctrinal, mais en faisant appel aux qualités sensorielles mêmes de la poésie : d’une part, Bade insiste sur le rapport entre les plaisirs des sens et les péchés, grâce à l’analogie traditionnelle entre ces derniers et les Vierges folles qu’il évoque, on l’a vu, dans la préface de son ouvrage ; d’autre part, l’humaniste se plaît à situer le sensorium au cœur même de la création poétique, en tissant un nouveau réseau d’analogies, cette fois entre les cinq sens et cinq nefs personnifiées, conduites par une sixième, celle d’Ève, d’où le pluriel naves dans le titre de l’ouvrage. Métaphore de l’écriture, la navigation avait d’ailleurs inspiré Bade dans les Sylvae morales, anthologie de poésie humaniste qui date de 1492. Au sein des Stultiferae naves, elle donne lieu à de véritables scènes de séduction dans la mesure où les cinq nefs parlantes invitent le lecteur à s’adonner aux charmes sonores des hexamètres que Bade ne s’empêche pas d’emprunter, parfois tels quels, à des auteurs classiques et humanistes célèbres, Virgile, Horace ou Béroalde l’Ancien :
Gratia cum nimphis, geminisque sororibus, audet.
Consociato viris ducere nuda choros,
Cypria bistonio venus optat brachia marti
Tendere, dum questus fert philomena suos.
Collige virgo rosas dum flos nouuset noua pubes
Et memor esto aeuum sic properare tuum
Iam subrepet iners aetas nec amare licebit30.
L’apologie des sens qui vise ici à séduire le lecteur en faisant parade des procédés poétiques classiques en vogue chez les humanistes, selon le principe du delectare du discours, n’est pas l’invention de Bade. Elle se trouve, entre autres sources, dans le De Voluptate (1431), ouvrage controversé de l’italien Laurent Valla (1407-1457), dont Bade publiera des parties en 1512, en laissant certes de côté celles qui portaient selon lui atteinte à l’enseignement de l’Église. Ouvrage controversé en effet dans la mesure où Valla cherche à montrer que le bien suprême est la 408volupté, promouvant notamment les cinq sens comme sources de la vie et de la création, contrairement à l’enseignement chrétien stoïque alors en vogue qui prône la modération31.
Bade n’ignore pas en effet que le procédé qui consiste à glorifier les plaisirs sensoriels, ne fût-ce que pour en faire l’objet d’un argument moral, est bien problématique au sein d’un ouvrage tel que les Stultiferae naves, qui se prétend le couronnement du Narrenschiff. Ainsi, au lieu de reprendre le topos du miroir utilisé par Brant pour faire inscrire La Nef dans la tradition didactique médiévale, choisit-il l’apologue comme genre de son ouvrage. Narration brève qui cherche à instruire en faisant plaisir, l’apologue, qui vient justement de récupérer ses lettres de noblesse au début de la Renaissance, semble un déguisement efficace pour les vers séduisants des nefs. Il permet notamment que le sensualisme qui les caractérise suscite chez le lecteur un rire libérateur, le prédisposant à accepter allégrement le message didactique qui se dégage par la suite des exemples moralisés. Cloisonnés dans les chapitres en prose, ces derniers proviennent d’une riche palette de sources classiques, Virgile, Juvénal, Horace, et surtout des Nuits attiques d’Aulu-Gelle, sans oublier la Bible.
Cette structure duelle qui permet à l’humaniste d’alterner la voix du poète avec celle du moraliste, les vers avec la prose, de marier le docere au delectare, se maintient jusqu’à la fin de l’ouvrage. Moraliste intransigeant, Bade, qui n’ignore pourtant pas l’ambiguïté de sa démarche, va enfin abandonner ce modèle pour adopter la voix univoque d’un sermonneur, ainsi que le suggère le terme même de dehortatio qui sert d’épilogue aux Stultiferae naves : Jodici Badii ascensii a voluptatum illecebris stultorumquem sensuum oblectamentis dehortatio32. L’éloge des plaisirs des sens comme sources de beauté prononcé par les nefs séductrices cède la place aux invectives du sermonneur qui dénonce avec véhémence les plaisirs, montrant qu’ils tirent l’homme inéluctablement vers le péché de Luxure, évoquant des thèmes, tels que le memento mori et le contemptus mundi, chers aux prédicateurs, qui se trouvent par ailleurs au Livre III du De Miseria Humane Conditionis du Pape Innocent III33 :
409[…] formosa Venus, venerisque sodales
Ah fluxa incautas captant dulcedine mentes
Quid citharae crepitus : quid mollis risus, de oris
Carmina lasciui quid verba salesque iuuabunt
Qui strepitu horrifico sub tartara dira trahentur,
Quid iuuat vnguenti preciosi spiritus illum
Cuius terra putri commissa cadauera terrae
Ad graue sulphurei miserunt virus auerni,
Ah nunquam redituram animam, nec odore iuuandam
Quid gula dulce parit, quae mentem effoeminat atque
Corporis eneruat vires de ventris obesi
Quid pecunia lues tactus prurigo nefandi
Quid veneris plausus, lasciua quid oscula prosunt
Quos eterna premunt diris tormenta flagellis
Quosque cremat iugis flammis crepitantibus ignis34.
LES CINQ SENS ET L’ART DE LA PRÉDICATION
DANS LA NEF DES FOLLES
Au sein de La Nef des folles des cinq sens de nature, en revanche, les thèmes et les formules empruntés à la prédication, mobilisée par Bade dans l’épilogue de son ouvrage, tendent à acquérir une valeur englobante. Alors que Bade maintient l’ambiguïté sur les fonctions poétiques attribuées aux sens jusqu’à la fin des Stultiferae naves, les adaptateurs, 410partisans d’un type de traduction selon la sentence35, développent d’emblée l’analogie entre les sens et les péchés pour en faire le fil rouge de l’ouvrage. En témoigne tout une série de modifications qui affectent plusieurs strates du texte, à commencer par le titre, le point de vue, le genre, la structure, ainsi que des éléments microtextuels.
Dans une lettre adressée à Angelbert (ou Enguilbert) de Marnef qui figure à la fin des Stultiferae naves, Bade recommande à l’imprimeur que l’opuscule soit traduit en français. La tâche est confiée à Jehan Drouyn, prêtre, « bachelier en loix et en decret », traducteur et versificateur, né à Amiens36. Ce prêtre-translateur ne se prive pas de modifier le texte à son gré, aux dépens des caractéristiques humanistes de son modèle.
Au lieu de respecter le pluriel du titre des Stultiferae naves, le translateur préfère retourner au texte original auquel il emprunte le singulier, La Nef. En outre, il va évoquer, dès le titre de la traduction, les versets de la parabole des Vierges sages et des Vierges folles consacrés à ces dernières, alors que Bade n’y fait référence, on l’a vu, que dans la préface de son ouvrage : La nef des folles selon les cinq sens de nature composés selon l’Evangille de Monseigneur saint Mathieu des cinq vierges qui ne prindrent point d’uylle avecques eulx pour mectre en leurs lampes.
Lorsqu’il adopte la posture d’un « petit orateur » au sein de son ouvrage, Drouyn assume en outre une tâche plus complexe que celle à laquelle fait penser la clause de modestie. En effet, le « simple translateur » cherche à transformer les Stultiferae naves dans une sorte de manuel de pastorale dont plusieurs aspects rappellent de près le Doctrinal aux simples gens. Par exemple, comme l’auteur de ce livre qui s’adresse principalement « aux simples gens », ou encore Jean Gerson qui se propose d’« ecrire en français plus qu’en latin et plus aux femmes que aux hommes37 », Drouyn déclare avoir « tourné [l’opuscule de Bade] en français afin que les femmes le lisent plus a leur aise ». Mais ce n’est guère pour faire goûter aux femmes les belles tournures poétiques et les allusions livresques du texte de l’humaniste mais « pour leurs disciplines 411salutaires et enseignement de pure vie38 », qu’il poursuit cette tâche, en toute conformité avec le message du Doctrinal.
Sur le plan structurel, La Nef n’est pas seulement une adaptation des Stultiferae naves. En dehors de la traduction de cet ouvrage, largement amplifiée par Jean Drouyn, elle comporte également douze chapitres tirés d’une version en prose de La Nef des folz du monde que l’on a tendance à attribuer à un traducteur inconnu, désigné par convention comme l’Anonyme de Marnef. Ces derniers chapitres sont consacrés notamment aux péchés capitaux, avec la gloutonnerie et la luxure comme cibles principales, que les prédicateurs, y compris l’auteur du Doctrinal et Jean Gerson, ne cessent de fustiger comme les résultats néfastes de la séduction qu’exercent sur l’individu les sens dépourvus de garde. Il n’est pas sans intérêt non plus que les chapitres en prose de la Nef des folz du monde qui figurent dans la traduction portent le nom de « doctrinal ». Pour faire le lien entre la traduction de Drouyn et les chapitres tirés de la Nef des folz, l’imprimeur a rebaptisé la dehortatio de Bade « De la Mort », en conformité avec la thématique du memento mori située, on l’a vu, au cœur de l’épilogue des Stultiferae naves. Ce morceau prend ainsi la forme d’un avertissement contre les conséquences fatales des tentations de la chair, faisant le pont entre les développements sur le statut des sens et les dérèglements qu’ils sont susceptibles de produire dans la vie sociale. Il en est ainsi, par exemple, pour les péchés de la langue et les excès de gourmandise qui menacent l’individu prisonnier des plaisirs de l’ouïe et du goût « fous » ; pour la paresse et les danses lascives qui sont mises en rapport avec le toucher « fou » ; pour l’« omission des bonnes œuvres », comportement répréhensible dû à des péchés commis sous l’impulsion de la folie des sens inférieurs, notamment le toucher. Que la langue, organe de la parole et véhicule de discours, soit considérée elle-même comme une source de péché, c’est parce qu’elle entretient des liens étroits avec des registres sensoriels différents, que ce soit un sens supérieur comme l’ouïe, ou le goût, même le toucher, qui font partie, quant à eux, de la catégorie des sens inférieurs. On pourrait évoquer comme exemples les chapitres consacrés au bavardage et à la détraction, péchés de la langue susceptibles de « contaminer » le destinataire : « Et n’a aprins le monde aucune chose : ce n’est parler choses vaines et sotes paroles par lesquelles il a acoustumé de contaminer et blasmer les justes39 ».
412On ne s’étonnera donc pas que la langue acquière ici le statut d’un sens indépendant, le sixième, à ceci près qu’il est la prérogative des femmes. L’argument se trouve déjà dans le Doctrinal où la langue se manifeste comme le sixième sens lié au goût, à la parole et aux excès qui sont associés avec ce sens : « Gloutonnie de langue est parler au moustier, au service de Dieu […] Item de parler aux excommuniés […], aucuns secretz reveler ; aucunes flateries ou mauvais raportz ; soy mocque et mal dire d’aultruy », etc. (fol. liir)
Mais ce n’est guère en faisant rire comme Bade mais en inculquant la peur que le translateur entend instruire ses lectrices. Il est significatif que les références au genre humaniste de la satire qui servent d’introduction aux chapitres de La Nef des folz du monde40, y compris ceux consacrés aux péchés mortels, soient rayées de manière systématique au sein de La Nef des folles. Ainsi, la formule « s’ensuyt une aultre satyre » sur laquelle s’ouvre, par exemple, le chapitre consacré au péché d’orgueil41, disparaît-elle de l’introduction au chapitre correspondant de La Nef des folles intitulé Exhortation des Folles qui en bombances de vestemens se parent et aournent trop pompeusement donc procede orgueil. Au lieu d’une « satyre » on dispose ici d’une « exhortation », mot intégré non seulement au titre du chapitre mais aussi à l’introduction au développement sur le thème de l’orgueil (« en ceste presente exhortation »)42. Il est significatif par ailleurs qu’à partir de ce chapitre, le terme « exhortation » figure dans tous les titres des parties tirées de La Nef des folz, comme des mises en garde contre les péchés auxquels font succomber les plaisirs des sens. L’exhortation, type de discours inspiré de la prédication, semble en effet mieux adapté au vocabulaire du translateur que le genre de la satire. Alors que le prédicateur jouit a priori d’une supériorité morale au sein du groupe auquel il s’adresse, le satiriste n’aura pas encore acquis un statut sûr dans le paysage littéraire de la première Renaissance43.
Plusieurs techniques contribuent également à créer une situation d’énonciation orale adaptée au genre de l’exhortation : discours direct, interventions extradiégétiques, déictiques (en italique), elles sont 413susceptibles de signaler la présence d’une voix qui ressemble à celle d’un sermonneur, comme l’illustre le passage suivant :
La quinte (étape de l’amour) e[s]t cohïr et acomplir le desir charnel, laquelle chose doibvent bien sçavoir les dames et bourgoises de ceste ville, et toutes les autres en general si ces cinq lignes ne sont pas vraies, et croy qu’il en parleroient mieulx que moy, car ilz n’en sont pas ignorantes44.
Par ailleurs, La Grant Nef des folles, version amplifiée de La Nef de « plusieurs additions nouvellement adjoustees par le translateur », publiée vers 1515 à Lyon, comporte un nouveau passage intitulé « Exhortation des folles a venir a la nef divine », qui développe non seulement le topos du memento mori mais aussi le thème du salut, faisant écho à la dehortatio des Stultiferae naves. La « nef divine », métaphore du corps de l’Église, sert ici de contrepartie idéologique à la nef des fous, lieu de perdition, étant donné qu’elle promet le salut à toutes celles qui se seraient laissé persuader par les invectives du prédicateur45.
CONCLUSION
Rendu célèbre dans l’Occident grâce à l’imprimerie, le Narrenschiff est cependant largement tributaire de l’art de la prédication qui connaît un regain d’intérêt à la fin du xve siècle, sous l’impulsion des tentatives de réforme pastorale de Jean Gerson. Mais si cette influence s’exerce visiblement au-delà des frontières de la France pour atteindre les cercles humanistes de l’Alsace du xve siècle46, il faut prendre en compte les contributions des Nefs françaises qui en portent explicitement les marques. On pourrait dire que l’art de la prédication, ainsi qu’il se révèle dans les deux avatars féminins du Narrenschiff que nous avons analysés, représente une source importante non seulement des Stultiferae naves acclimatées sur le sol français sous le titre de La Nef 414des folles, mais aussi de la sodalitas littéraire qui réunit des humanistes alsaciens, à commencer par Sébastien Brant lui-même, mais aussi Jakob Wimpfeling, qui la fonde en 1512, et qui est aussi l’auteur de la préface à la Navis stultifera de Bade, et surtout Johannes Geiler von Kaysersberg, premier prédicateur de la cathédrale de Strasbourg à partir de 1478. Si ce personnage célèbre s’inspire de manière explicite du Narrenschiff dans ses sermons, ce n’est pas seulement pour rendre hommage à son collègue humaniste ; c’est aussi parce qu’il aura saisi l’importance de l’art de la prédication, et notamment celle de l’héritage de Jean Gerson, dont il se charge de promouvoir l’œuvre auprès des érudits allemands47, pour mettre en place une réforme morale proche de celle envisagée par son illustre prédécesseur. Geiler contribue ainsi à la consolidation d’un type d’humanisme du Nord plus proche de l’enseignement de l’Église que sa contrepartie italienne48. Peut-être avons-nous également ouvert une nouvelle piste qui conduirait vers l’étude de l’influence de l’art de la prédication sur l’humanisme français, ne fût-ce, en ce qui concerne la présente étude, que par le biais des « nefs des folles ».
Olga Anna Duhl
Lafayette College
1 W. J. Bouwsma, « The Two Faces of Humanism : Stoicism and Augustinianism in Renaissance Thought », éd. H. A. Oberman et T. A. Brady Jr., Leiden, Brill, 1975, p. 3-60, repris dans W. J. Bouwsma, A Usable Past : Essays in European Cultural History, Berkeley-Los Angeles-Oxford, University of California Press, 1990, p. 19-64.
2 A. Renaudet, Préréforme et humanisme à Paris pendant les premières guerres d’Italie (1494-1517), Paris, Librairie d’Argences, 1953, p. 94.
3 Sébastien Brant, La Nef des fous, trad. M. Horst, Strasbourg, Éditions La Nuée Bleue, 1977, p. 10. Toutes nos citations en français sont tirées de cette édition. Pour une bio-bibliographie mise à jour, voir l’ouvrage monumental de J. Knape et Th. Wilhelmi, Sebastian Brant Bibliographie, Werke und Überlieferungen, Harrassowitz Verlag, 2015 (Gratia, vol. 53).
4 Sur ce point, voir surtout A.-L. Metzger-Rambach, « Le texte emprunté ». Étude comparée du Narrenschiff de Sebastian Brant et de ses adaptations (1494-1509), Paris, Champion, 2008, p. 21-36.
5 P. Chavy, « Les traductions humanistes au début de la Renaissance : traductions médiévales, traductions modernes », Canadian Review of Comparative Literature, Special Issue, Printemps 1981 (2), p. 284-306.
6 Pour la place de choix de la culture française au sein de la Renaissance de la deuxième moitié du xve siècle, voir A. Pompen, The English Versions of the ‘Ship of Fools’. A Contribution to the History of the Early French Renaissance in England, New York, Octagon Books, 1967 (éd. orig. 1925), p. 312.
7 Pour la tradition textuelle, La Nef des folles, Adaptation de Jean Drouyn ‘et alii’, éd. O. A. Duhl, Paris, Classiques Garnier, 2013, p. 77-85. Pour les Stultiferae naves, voir La Nef des folles. Stultiferae naves de Josse Bade, présentée par Ch. Béné, trad. et ann. par O. Sauvage, Grenoble, Publications de l’Université des langues et lettres de Grenoble, 1979. Toutes nos citations se référant à La Nef des folles et aux Stultiferae naves sont tirées de ces éditions. Pour la Stultifera navis, nous citons l’édition critique de Nina Hartl, Die « Stultifera navis ». Jakob Lochers Übertragung von Sebastian Brants : Narrenschiff, 2 vol., Münster, Waxmann, 2000.
8 Renaudet, Préréforme et humanisme à Paris, p. 111-114. Nos références à la traduction en prose de cet ouvrage sont tirées de La gra[n]t nef des folz du mo[n]de (Paris, Geoffroy de Marnef, vers 1499, exemplaire numérisé).
9 Parmi les sources d’inspiration de Brant on trouve notamment un sermon qui date des années 1460 ou 1470, montre E. H. Zeydel, traducteur du Narrenschiff vers l’anglais (The Ship of Fools by Sebastian Brant, trad. E. H. Zeydel, New York, Dover Publications, 1944, p. 13).
10 Metzger-Rambach, « Le texte emprunté », p. 21-27.
11 J. Bouchet, Epitaphe XLIX, in Généalogies, effigies et épitaphes des Rois de France, Poitiers, Marnef, 1545. Voir à cet égard Pompen, The English Versions of the ‘Ship of Fools’, p. 9-10 ; Metzger-Rambach, « Le texte emprunté », p. 30-31.
12 Imprimée pour Jean-Philippes Manstener et Angelbert de Marnef, Paris, 1497. Voir A. Claudin, Histoire de l’imprimerie en France au xve et au xvie siècle, 5 vol., Paris, Imprimerie Nationale, 1904, Nendeln, Kraus Reprint, 1976, t. 3, p. 227-231.
13 La Nef des folles, éd. citée, p. 15-17.
14 Pour l’activité de libraires-imprimeurs des frères de Marnef, voir Claudin, Histoire de l’imprimerie en France au xve et au xvie siècles, vol. 2, p. 517 ; R. A. Tibbetts, « The Cover Design », The Library Quarterly, 48, no. 2, Avril 1978, p. 208-209 (https://doi.org/10.1086/630057), consulté le 17/09/2019).
15 Sur Josse Bade, voir Ph. Renouard, Bibliographie des impressions et des œuvres de Josse Badius Ascensius, imprimeur et humaniste (1462-1535), 3 vol., Paris (New York, Burt Franklin), 1908 ; P. White, Jodocus Badius Ascensius, Commentary, Commerce, and Print in the Renaissance, Oxford University Press-The British Academy, 2013.
16 Pour l’association entre la parabole des Vierges sages et des Vierges folles et le Jugement dernier, voir É. Mâle, L’Art religieux du xiie siècle en France, Paris, Armand Colin, 1922, p. 180-182.
17 La gravure se retrouve dans la plupart des éditions et traductions de la La Nef des fous, ainsi, par exemple, la traduction française de M. Horst (éd. citée, p. 424).
18 J.-Y. Tilliette, « Le symbolisme des cinq sens dans la littérature morale et spirituelle des xie et xiie siècles », Micrologus, 10, 2002, p. 15-32.
19 Stultiferae naves, éd. citée, p. 26.
20 Pour les mutations survenues dans les interprétations littéraires et artistiques des cinq sens aux xve et xvie siècles, voir Les Cinq sens entre Moyen Age et Renaissance : Enjeux épistémologiques et esthétiques, éd. O. A. Duhl et J.-M. Fritz, Dijon, Éditions Universitaires de Dijon, 2016.
21 J.-M. Fritz, « Les cinq sens au prisme de la littérature : allégorie et sérialité », Les Cinq sens entre Moyen Âge et Renaissance, p. 7-18.
22 Le Doctrinal est connu en deux versions, l’une plus courte, l’autre enrichie d’exempla et commentaires, sources de nombreuses éditions imprimées. Voir Jean Gerson, Doctrinal aux simples gens, dans Œuvres complètes, 10 vol., (Suppléments au numéro 532, p. 259-321) ; Chantal Amalvi-Mizzi, « Le Doctrinal aux simples gens ou Doctrinal de sapience. Édition critique », Positions des thèses, École des chartes, 1978, p. 71-74 ; J.-P. Boudet, « La Dame à la licorne et ses sources médiévales d’inspiration », Bulletin de la Société nationale des antiquaires de France, février 1999, p. 61-78.
23 H. Martin, Le Métier de prédicateur en France septentrionale à la fin du Moyen Âge (1350-1520), Paris, Cerf, 1988, p. 236-251.
24 Nos citations proviennent de l’édition de 1550 réimprimée pour Jean Bonfons (Bnf RES P-D-157, consultée le 17/09/2019 sur Gallica intramuros).
25 Pour faciliter la compréhension de ce texte, nous avons légèrement modernisé les citations en plaçant l’accent aigu sur le e final tonique ; l’accent grave sur le a pour distinguer la préposition à de la 3e personne du singulier de l’indicatif présent du verbe avoir, et sur le e pour marquer la différence entre l’adverbe après et l’adjectif apres. Nous avons introduit la virgule, là où elle s’impose.
26 E. Doudet, Recueil général de moralités d’expression française, Paris, Classiques Garnier, 2012, t. I, p. 187-251.
27 Sur le cœur comme sixième sens, voir J.-P. Boudet, « Jean Gerson et la Dame à la licorne », Religion et société urbaine au Moyen Age. Études offertes à Jean-Louis Biget, éd. P. Boucheron et J. Chiffoleau, Paris, Publications de la Sorbonne, 2000, p. 551-563.
28 Œuvres complètes, éd. P. Glorieux, Paris-Tournai, 1960-1973, vol. VII, L’œuvre française, t. II, p. 1081-1082 (cité par Boudet, « La Dame à la licorne et ses sources médiévales d’inspiration »).
29 Le thème de l’éducation des sens constitue également l’argument principal d’une pièce attribuée pendant longtemps à Jean Gerson. Si, comme l’a bien montré E. Doudet, cette paternité ne peut plus se vérifier, il est cependant vraisemblable que le chancelier ou son entourage ait contribué à la composition du Jeu du cœur et des cinq sens écoliers, connu au préalable sous le nom de Moralité du cœur et des cinq sens de l’homme (Recueil général de moralités, éd. citée, p. 258-301). Une variante facétieuse de ce type d’instruction constitue la matière de la Farce des cinq sens composée également à la fin du Moyen Âge (Fritz, « Les cinq sens au prisme de la littérature », Les Cinq sens, p. 16-17).
30 « Une Grâce et ses sœurs, les Nymphes, ses jumelles, nue et mêlée aux hommes, ose mener des chœurs. Vénus la Chyprienne, à Mars le Bistonien voudrait tendre les bras », « Vierge, cueille la rose, tant que la fleur est neuve et neuve ta jeunesse », « n’oublie pas que ta vie, comme elle, hâte son cours. Bientôt se glissera la vieillese inactive ; on ne pourra aimer », Stultiferae naves, éd. citée, p. 85.
31 Voir à ce sujet, O. A. Duhl, « Vers une esthétique du sensible », Les Cinq sens, p. 19-27.
32 « De conseil de Josse Bade d’Asche pour nous détourner des attraits des plaisirs et des divertissements de sens fous », Stultiferae naves, p. 116.
33 Pour les positions éthiques assumées par Bade dans les Stultiferae naves, voir O. A. Duhl, « Poetic Theory and Sense Perception in Jodocus Badius Ascensius’s Stultiferae naues (1501) : from Subitus Calor to Vituperatio », The Art of Arguing in the World of Renaissance Humanism, Supplementa Humanistica Lovaniensia, XXXIV, éd. M. Laureys et R. Simons, Leuven University Press, 2013, p. 51-68.
34 « La belle Vénus et les compagnons de Vénus séduisent, hélas ! les esprits imprudents d’une éphémère volupté. À quoi servira le son de la cithare, à quoi, les rires sensuels et les chants d’une bouche lascive », « à quoi serviront les mots et les traits d’esprit à ceux qui seront emportés dans un horrible fracas au fond du sinistre Tartare ? À quoi servent les effluves d’un parfum précieux à celui dont le hideux cadavre uni à la terre pourrissante a laissé partir vers la lourde puanteur de l’Averne sulfureux une âme qui hélas ! ne reviendra jamais et qu’aucune odeur ne charmera plus ? » ; « Quel agrément procure la gourmandise qui amollit l’esprit et affaiblit le corps et provoque le poids terrible d’un ventre obèse ? », Stultiferae naves, p. 116. « À quoi servent la corruption bestiale, les attouchements honteux des caresses, à quoi sert d’applaudir Vénus, à quoi servent les baisers lascifs » [?], « à ceux que harcèlent de leurs fouets redoutables les supplices éternels et à ceux que le feu brûle sans fin de ses flammes crépitantes ? », Stultiferae naves, p. 117.
35 O. A. Duhl, « La Grant nef des folles de Jehan Drouyn (1498) : traduction, imitation, innovation », Le Moyen Français, 51-52-53, Montréal, CERES, 2002-2003, p. 193-210.
36 Sur la carrière professionnelle de Jean Drouyn, voir Dictionnaire de biographie française, 20 vol., Paris, Letouzey et Ané, 1932-, vol. 11, p. 833 ; H. Guy, Histoire de la poésie française au xvie siècle. L’école des rhétoriqueurs, t. I, Paris, Champion, 1901, p. 367.
37 Œuvres complètes, éd. citée, 7.1.16.
38 La Nef des folles, éd. citée, p. 244.
39 La Nef des folles, p. 206.
40 B. Renner, « Juvénal et les Nefs des folz : rhétorique et translatio studii », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, 72/2, 2010, p. 283-300.
41 De la grant ostentation d’orgueil (La Nef des folz, fol. lxiiv), traduction de la Superbiae ostentatio de la Stultifera navis de Brant-Locher (92).
42 La Nef des folles, p. 200-211.
43 Duhl, « Poetic Theory ».
44 La Nef des folles, p. 180.
45 La Nef des folles, p. 259-262.
46 Histoire du Christianisme : de la Réforme à la Réformation : 1450-1530, dir. J.-M. Mayeur, M. Vénard, L. Pietri, A. Vauchez, Paris, Desclée, 1994, p. 639 ; Jean Gerson, Œuvres complètes, t. I, p. 71 et suivantes.
47 J. F. Lichtenberger, Histoire de l’invention de l’imprimerie, Strasbourg-Paris, 1825, p. 78 ; Un réformateur catholique à la fin du xve siècle : Jean Geiler de Kaysersberg, prédicateur de la cathédrale de Strasbourg, 1478-1510, étude sur sa vie et son temps par l’abbé L. Dacheux, 1876 (pour Geiler et Wimpfeling, voir la p. 428) ; B. P. McGuire, Jean Gerson and the Last Medieval Reformation, Pennsylvania State University Press, 2005 ; et Jean Gerson : Early Works, New York, Paulist Press, 1998.
48 L. Mourin, Six sermons français inédits de Jean Gerson, Paris, Vrin, 1946 (Compte-rendu de Lucine Luypaert, Revue Philosophique de Louvain, 49, 23, 1951, p. 469-471).
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-10454-4
- EAN : 9782406104544
- ISSN : 2273-0893
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10454-4.p.0397
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 01/04/2020
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Les cinq sens, femmes, folie, humanisme, imprimerie, prédication, traduction, Nef des Fous, Sebastian Brant