Actualité de l’œuvre de Camille Claudel Le Comité Camille Claudel et son Catalogue critique
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Bulletin de la Société Paul Claudel
2023 – 2, n° 240. Deux Annonce faite à Marie : un opéra et un film restauré - Auteurs : Rivière (Anne), Turbat (Ève)
- Pages : 127 à 131
- Revue : Bulletin de la Société Paul Claudel
ACTUALITÉ DE L ’ ŒUVRE
DE CAMILLE CLAUDEL
Le Comité Camille Claudel et son Catalogue critique
La redécouverte de la vie et l’œuvre de Camille Claudel au début des années 1980 a entraîné deux courants majeurs d’études consacrées à l’artiste : les biographies, parfois romanesques, qui permettent une meilleure connaissance de l’artiste et de son milieu culturel et les monographies et expositions par des historiens de l’art qui tentent de valoriser son œuvre et d’en faire connaître et reconnaître son immense valeur.
Si, aujourd’hui, le premier courant, a permis aussi à quelques auteurs de muer, de manière parfois outrancière, Camille Claudel en l’archétype de l’artiste femme empêchée dans une société patriarcale hostile, le second courant, quant à lui, a entraîné, dans la sphère du marché de l’art, une valorisation importante de la cote de l’artiste et, inévitablement, la sculpture étant par essence un art du multiple, l’apparition de fontes en grand nombre ou même d’œuvres attribuées à tort à C. Claudel.
Nous avons rencontré Ève Turbat qui, avec Jean-Baptiste Auffret au sein de la galerie Malaquais, est à l’origine de la création d’un Comité Camille Claudel dont la mission est de faire le point sur chacune des œuvres et chacun des exemplaires rencontrés, qu’ils soient conservés dans les musées nationaux ou les collections privées.
Anne Rivière : Ève Turbat, vous travaillez depuis plus de quinze ans au sein de la galerie Malaquais, vous êtes une spécialiste de la sculpture figurative indépendante du xxe siècle. Pourquoi en êtes-vous venue à vous intéresser particulièrement à l’œuvre de Camille Claudel ?
Ève Turbat : C’est tout d’abord pour l’attrait que son œuvre a exercé sur moi lorsque j’enseignais dans les salles du musée Rodin en tant que chargée de travaux dirigés à l’École du Louvre. La variété de ses créations, leur puissance, tout comme leur subtilité, ou encore leurs mystères, n’ont eu de cesse de me faire vibrer. Ensuite, je me suis aperçue que si le mythe qui entourait sa vie commençait à être connu et apprécié d’un 128large public, en revanche, l’étude de son œuvre n’en était encore qu’à ses débuts. Pour rappel : l’œuvre de Camille Claudel a été oublié jusqu’à la fin des années 1970 et ce n’est qu’au début des années 1980 que le travail de quelques spécialistes a permis de le remettre en lumière. Donc, 40 ans pour l’étudier, même si le corpus n’est très pas étendu, c’est encore court ! Enfin, j’ai constaté que peu d’opérateurs du marché de l’art connaissaient bien ses œuvres et qu’il y avait un travail utile et passionnant à réaliser. C’est ce qui a conduit à la création du Comité Camille Claudel au sein de la galerie Malaquais. Le Comité, qui prépare la publication du Catalogue critique de l’œuvre de Camille Claudel, travaille dans le but qu’il puisse être une référence scientifique fiable, vers laquelle pourront se tourner aussi bien des chercheurs que les acteurs du marché de l’art.
A. R. : Comment ce Catalogue critique se situe-t-il par rapport aux catalogues raisonnés existants – Anne Rivière et Bruno Gaudichon, dont la dernière édition date de 2001 ; Reine-Marie Paris, dont la dernière édition date de 2019 – ou aux recherches et découvertes nouvelles à l ’ occasion d ’ expositions comme la dernière grande rétrospective au musée de Roubaix en 2014 ?
È. T. : La recherche sur l’œuvre de Camille Claudel est un sujet extrêmement vivant, où les découvertes vont bon train, tant pour les œuvres, que pour les documents d’archives. Le catalogue critique va s’appuyer sur les deux catalogues raisonnés existants, tout en les complétant grâce aux découvertes effectuées ces dernières années, ou même en rectifiant certaines erreurs grâce à de nouvelles données.
Un catalogue critique est organisé comme un catalogue raisonné, mais il prend ce nom de catalogue critique quand il arrive après la parution d’un ou de plusieurs catalogues raisonnés sur l’œuvre du même artiste. Chaque modèle et chaque œuvre auront donc une notice enrichie. Pour l’instant, je reprends la numérotation choisie par Anne Rivière et Bruno Gaudichon pour leur catalogue, tout en y apportant des modifications. Quant à la publication du corpus, je ne l’envisage pas avant trois ou quatre ans et je ne sais pas quel format sera alors privilégié : l’impression papier ou l’accès en ligne.
A. R. : Votre démarche est-elle différente de celle d’un historien de l’art ?
È. T. : Je fais tout ce que fait un historien de l’art consciencieux : recherches pour établir l’historique de la création du modèle d’une 129œuvre, pour connaître ses expositions, sa réception critique, sa diffusion par l’édition, sa présence dans les institutions publiques, etc. J’ajoute à ce travail une étude matérielle de chaque exemplaire connu d’une même édition, lorsqu’il apparaît sur le marché de l’art. Je le compare alors autant que possible à d’autres exemplaires déjà vus dans ce cadre, dans des collections privées ou dans des musées. La connaissance fine de la matérialité des œuvres est une partie exaltante du travail : chaque exemplaire possède des caractéristiques qui lui sont propres dans sa ciselure, sa patine, son état de conservation…
A. R. : Dans le cadre du Comité Camille Claudel , vous délivrez des avis d ’ inclusion, à quoi sert un tel avis ?
È. T. : L’avis d’inclusion est un document qui atteste de l’intention des auteurs du catalogue critique d’intégrer l’œuvre mentionnée ou l’exemplaire examiné à leur publication en tant qu’œuvre originale de l’auteur. Ce document est délivré après un examen approfondi de l’œuvre et il restitue l’argumentaire qui détermine la décision des auteurs. Il va se révéler un atout précieux, voir un préalable indispensable, si les propriétaires de l’œuvre veulent s’en défaire auprès d’un marchand ou dans une vente publique aux enchères, car il va pouvoir rassurer de futurs acquéreurs.
A. R. : Quelle est votre méthode de travail ? Qui peut vous consulter et comment ?
È. T. : Toute personne qui possède une œuvre de Camille Claudel et cherche à se renseigner à son sujet est invitée à entrer en contact avec le Comité Camille Claudel. Ou toute personne qui pense peut-être avoir une œuvre de cette artiste, sans en être tout à fait sûr !
Le Comité Camille Claudel bénéficie des compétences de quatre personnes et est dirigé par Jean-Baptiste Auffret, directeur de la galerie Malaquais et moi-même. Notre méthode de travail reste très classique puisqu’elle adhère toujours aux principes fondateurs de l’histoire de l’art édictés par J.-J. Winckelmann à la fin du xviiie siècle : il s’agit d’allers et retours constants entre l’observation de l’œuvre et les informations trouvées dans les sources d’archives et les livres, pour construire un savoir. Et nous organisons notre savoir dans une base de données dédiée. Nous n’hésitons pas à nous déplacer à travers le monde entier pour voir et examiner si possible un maximum d’œuvres et ne pas travailler à partir de photographies.
130A. R. : Ainsi, vous constituez une importante documentation et une somme raisonnée d’informations concernant Camille Claudel, sa vie et son œuvre. Qui sont vos interlocuteurs ?
È. T. : La constitution de la documentation du Comité Camille Claudel se développe grâce à une quête sans relâche de l’information : dans les expositions, les publications, les collections publiques et privées, sur les réseaux sociaux, le marché de l’art. Nos interlocuteurs récurrents sont les historiens de l’art et commissaires d’expositions, les acteurs du marché de l’art et les institutions, ainsi que les collectionneurs.
A. R. : En tant qu’actrice du marché de l’art, quelles sont vos observations sur le marché des sculptures de Camille Claudel ?
È. T. : Camille Claudel ayant peu produit, la circulation de ses œuvres est assez restreinte. Jusqu’à sa redécouverte au début des années 1980, ses œuvres n’étaient évidemment pas recherchées, mais maintenant, elles commencent à l’être vraiment et sa cote a augmenté considérablement. Il me semble qu’un tournant important s’est opéré en 2008 avec l’acquisition par la Ville de Nogent-sur-Seine de la collection de madame Paris devenu noyau du musée Camille-Claudel suivi de la dispersion de la collection Massary chez Artcurial en novembre 2017, où j’étais expert de la vente. Il s’agissait du dernier grand ensemble d’œuvres de l’artiste, resté dans les mains de sa famille. Sur les 17 sculptures qu’il comprenait, 12 ont été préemptées par les musées français.
Il est à noter que les fontes d’époque restant extrêmement rares, le marché propose de plus en plus de fontes posthumes. Malheureusement, l’engouement suscité par Camille Claudel est la porte ouverte à la circulation de faux. Pour lutter contre leur présence dans les ventes publiques aux enchères, dès que le Comité Camille Claudel s’aperçoit d’une irrégularité, il la signale aux commissaires-priseurs et aux ayants-droit de l’artiste. Si besoin, ces derniers viennent soutenir l’action du Comité auprès des commissaires-priseurs.
A. R. : Actuellement nous assistons à une réhabilitation des femmes artistes dans tous les domaines. Il s’agit de leur donner une place qu’elles n’ont pu obtenir dans la société de leur époque. Camille Claudel apparaît comme une figure emblématique de ce mouvement notamment en raison de ses rapports avec les hommes de son entourage : Paul Claudel et Auguste Rodin. Quel est votre sentiment à ce sujet ?
131È. T. : Ce mouvement social est important et légitime. En ce qui concerne Camille Claudel, il me semble que les influences qu’ont exercé son frère et son mentor en sculpture ont déjà été largement relevées. Ce qui m’intéresse à présent, c’est d’aller vers une vision plus large de l’action de ces deux hommes vis-à-vis d’elle : en effet, elle en a souffert de diverses façons, mais comment cela s’articule-t-il avec l’aide indéniable qu’ils lui ont apportée ? Les travaux menés par la psychanalyste Danielle Arnoux1 sur les mécanismes de la paranoïa de Camille Claudel, dans laquelle Rodin occupe la place du bouc-émissaire, sont passionnants. Tout comme ceux de Marie-Victoire Nantet2 sur les liens de création entre le frère et la sœur.
Ève Turbat,
entretien avec Anne Rivière
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-15587-4
- EAN : 9782406155874
- ISSN : 2262-3108
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-15587-4.p.0127
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 30/08/2023
- Périodicité : Quadrimestrielle
- Langue : Français