« E mutando sempre paese non mi mancava materia di che pascere la mia curiosità » Mobilité et myopies dans les voyages de Montaigne – Équivoques de la curiosité
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
2021, n° 73. varia - Auteur : Martic (Rebekka)
- Pages : 151 à 178
- Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
« E mutando sempre paese non
mi mancava materia di che pascere
la mia curiosità »
M obilité et myopies dans les voyages de Montaigne –
Équivoques de la curiosité
Les enquêtes lexicales sur le mot curiosité dans les Essais ont souvent mis en exergue la condamnation de cette notion : elle est à la fois une indiscrète « passion avide et gourmande de nouvelles1 » qui est « vicieuse par tout2 », un « soing de s’augmenter en sagesse et en science3 » dont « les Chrestiens ont une particuliere cognoissance combien [il] est un mal naturel et originel en l’homme4 », « la premiere ruine du genre humain5 », ou comme le « dict la saincte parole6 » dont l’autorité est à plusieurs reprises invoquée, un « fleau7 » qui se rapproche par sa nature hubristique de l’orgueil, de la gloire et de l’outrecuidance. Mais si Montaigne s’accommode souvent avec les vitupérations traditionnelles contre la curiosité, il ne crée pas moins son propre lexique et sa propre sémantique par rapport aux normes fixées par la doxa philosophique et patristique, et propose une perspective plus personnelle et apologétique sur la curiosité, à partir de laquelle il va jusqu’à louer ses vertus curatives. Son œuvre témoigne donc aussi d’une « jubilation devant la vitalité de la curiosité humaine8 » qu’il considère comme une propension 152aussi naturelle que la faim et la soif, un instinct sain et une qualité indispensable de l’esprit humain9.
Dans mon projet actuel, j’entends interroger sur un plan sémantique, axiologique, poétique, viatique et anthropologique, les équivoques et les tensions dont la notion de « curiosité » est porteuse à la fin du xvie siècle et mettre à jour le rôle complexe et bifrons qu’elle joue dans l’ensemble de la production montaignienne, en portant une attention particulière aux articulations entre curiosité(s), soin et souci de soi. Si on a déjà beaucoup et utilement écrit sur la curiosité à la Renaissance10 et chez Montaigne11, l’ambiguïté sémantique de cette notion n’a que 153trop souvent été escamotée par les critiques qui ont privilégié le sens dérivé et moderne, comme s’il allait de soi12 et parfois même sans autre examen, au détriment du sens étymologique qui est de loin le plus fréquent dans les Essais. La « curiosité » n’est pas seulement un désir ou une envie, qui peut être démesurée, indiscrète et malsaine, de connaître des choses nouvelles, ni ne se laisse-t-elle réduire à son acception métonymique d’« objet curieux », de « chose digne d’être vue13 », qui apparaît au xve siècle, mais jamais chez Montaigne. Elle est d’abord liée au mot latin cura (soin, souci, attention14), dont les sens se reflètent dans des acceptions qui ont pratiquement disparu à présent15, comme celle d’application, de diligence, de minutie, de prévoyance, de sollicitude, d’inquiétude et de préoccupation, mais aussi de subtilité, de fine recherche, de délicatesse ou de raffinement16. Étant donné que Montaigne joue librement avec les « variations chromatiques [qu’]affect[e]nt les connotations d’un même mot17 », la curiosité subit sous sa plume souvent des extensions sémantiques qui méritent notre attention. Mais la curiosité est plus qu’un mot, qui doit être situé dans son rapport à toute une pléthore de parasynonymes, généralement partiels, car relatifs à des contextes discursifs particuliers. Et elle est plus qu’un concept protéiforme qui doit être envisagé sur le fond du discours dominant dont Montaigne hérite les idéologèmes philosophiques et patristiques18, tout en se les appropriant, les gauchissant, voire les subvertissant. Afin de dégager les spécificités de l’approche montaignienne de la « curiosité », nous associons à l’analyse interne des textes une étude des dynamiques culturelles au sein desquelles elles participent à l’élaboration de nos représentations, et l’abordons aussi bien comme un thème littéraire, que 154comme une pratique et une modalité concrète du modus scribendi, peregrinandi, legendi et vivendi de l’auteur.
En vertu du rebond réflexif qui le caractérise, Montaigne est curieux d’histoires ou d’objets « étranges », « rares », « mémorables », « singuliers » ou « monstrueux », comme il en est un lui-même, il est curieux de la curiosité comme topos littéraire, et curieux de sa propre curiosité, qui serait, avec l’étonnement et l’admiration, en tant que « passion cognitive19 », condition de possibilité de la philosophie, mais aussi son plus intime danger. La curiosité peut contrecarrer la connaissance et la cure de soi, ou au contraire, la favoriser : si elle est à la fois une ressource pour se « penser » dans sa singularité et son universalité et pour se « panser20 » en tant que sujet malade, elle a aussi le potentiel de le divertir de lui-même et de renforcer la souffrance. Elle se manifeste donc aussi bien à travers les objets spécifiques qui la suscitent ou qu’elle découvre, voire fabrique, qu’à travers les affects que ces objets mêmes provoquent. Certains objets seraient-ils privilégiés du fait de leur pouvoir à susciter certaines émotions ? Et ces affects ne contribuent-ils pas en retour à l’identité d’un auteur singulier et d’un livre « seul […] au monde de son espece21 » qui tient à bien des égards du « cabinet de curiosité » renaissant22 ? Comment se croisent la poétique de la collection d’objets « curieux » avec celle de l’accumulation de pensées, de faits, d’anecdotes, comme, dans le Journal de voyage, avec la structure cataloguante de choses vues, choisies au gré du chemin, sans autre but fixé que de voir et de découvrir ? Comment Montaigne pense-t-il le rôle de la « curiosité » dans la création de diagnostics et de pronostics ? Et comment ses textes sont-ils « troublés », c’est-à-dire influencés d’une manière ou d’une 155autre, dans leur déroulement, leurs arrêts, leurs accélérations et leurs choix formels, par l’expérience de la curiosité ? Recoupant des enjeux aussi bien linguistiques, littéraires, socio-culturels, épistémologiques, médicaux qu’éthiques, ce projet s’inscrit méthodologiquement à la croisée de l’histoire des émotions, de l’histoire littéraire et de l’histoire intellectuelle de la Première Modernité, cette époque qui voit avec l’apogée des célèbres cabinets d’art et de merveilles l’émergence d’une véritable « culture de la curiosité23 », où sont plus que jamais éprouvées les limites, mais aussi les possibilités de la connaissance humaine.
Défis de la myopie cognitive
Étudier l’ambiguïté de la métaphore de la myopie peut apporter un éclairage nouveau sur l’ambivalence axiologique de la curiosité chez Montaigne. Dans un passage du chapitre « Des coches » qui illustre de manière emblématique les enjeux gnoséologiques liés au principe de la mouvance universelle dont est saturé l’œuvre montaignienne24, l’auteur postule qu’au cours de l’histoire, la connaissance humaine n’avance ni ne recule, mais se voit condamnée à errer sans cesse :
Nous n’allons point, nous rodons plustost, et tournoions çà et là. Nous nous promenons sur nos pas. Je crains que nostre connoissance soit foible en tous sens, nous ne voyons gueres loin, ny guere arriere (III, 6, p. 907 B).
L’histoire de l’humanité n’obéit pas à un mouvement linéaire qui laisserait supposer un progrès, mais à un mouvement que l’on n’ose même pas appeler cyclique tant il est irrégulier, car l’homme est atteint d’une myopie cognitive qui n’autorise qu’une vision du monde à portée de main. Nous piétinons et divaguons, mais surtout, nous « tournoions » çà et là, comme les vers à soye que Montaigne compare 156dans son tout dernier chapitre25 à notre esprit « insatiable, vagabont, et versatile26 » qui nous pousse inlassablement à « fureter et quester27 » on ne sait quelle « apparence de clarté et de verité imaginaire28 » qu’il « pense remarquer de loing29 ». Mais la myopie n’est pas qu’une forgeuse d’illusions heuristiques, de mirages trompeurs et d’« images estranges, qui s’esvanouissent en s’approchant30 ». Le Bordelais médite encore sur d’autres implications épistémologiques de la métaphore, lorsqu’il observe par rapport à la marche tâtonnante et chancelante de ses propres cogitations : « et, quand je suis allé le plus avant que je puis, si ne me suis-je aucunement satisfaict : je voy encore du païs au delà, mais d’une veue trouble et en nuage, que je ne puis desmeler31 ». Apparemment démuni de tout instrument susceptible de clarifier sa vue brouillée ou de rapprocher cet arrière-pays qui échappe à l’analyse rationelle, Montaigne doit se rendre à l’évidence de l’insuffisance de sa vue partielle, sans pour autant s’en contenter, car se contenter de ce qu’on a trouvé, serait selon une autre leçon du chapitre « De l’experience », « signe de racourciment d’esperit32 ». Comme prophylaxie contre une telle myopie mentale, il épouse le principe de la générosité qui consiste en ce que l’esprit « ne s’arreste en soy : [mais] pretend tousjours et va outre ses forces33 », alors même que l’ardeur de sa chasse l’emporte sur la prise34 et marque ainsi « le primat du mouvement sur toute autre considération35 ».
Les yeux toujours fixés vers l’horizon, Montaigne essaie sans arrêt d’aiguiser son regard pour cerner les confins incertains de toutes ces conceptions troubles qui se présentent à son imagination, et pour mieux scruter cette énigme si séduisante qu’est « l’homme […], de qui [il] cherche la cognoissance36 », en s’étudiant soi-même bien « plus 157qu’autre subject37 ». Afin de discerner plus clairement ce territoire encore inexploré qui fait écho à l’image du « vague champ des imaginations38 » du chapitre « De l’Oisiveté », il sonde les profondeurs de son entendement erratique39, et suit les allures extravagantes de son esprit gambadant, en les traduisant le plus fidèlement possible dans un style d’écriture vagabond40 qui va, conformément au sens étymologique du verbe vagari, « ça et là41 ». De même que l’humanité s’est lancée dans une interminable « chasse de cognoissance42 », où « [i]l y a toujours […] route par ailleurs43 », l’auteur est pris dans l’élan insatiable de l’esprit et s’est acheminé sur « une route par laquelle, sans cesse et sans travail, [il] ira[] autant qu’il y aura d’ancre et de papier au monde44 », afin de s’explorer dans les infinis méandres de son écriture. Or, s’il est commun de retenir de ce célèbre constat du chapitre « De la vanité » l’idée du caractère indéterminé, débordant et sinueux d’une écriture en perpétuelle expansion que l’auteur ne puisse jamais arrêter, on insiste rarement sur le caractère équivoque de l’incise de faire profession d’écrivain « sans cesse et sans travail ». Est-elle liée à l’ardeur de l’esprit généreux qui est « une force qui fonce sans réfléchir45 », en tant qu’il s’engage dans une quête infinie dans l’espace ouvert et se distingue par son « mouvement irregulier, perpetuel, sans patron et sans but46 », c’est-à-dire 158une course effrénée, sans principe directeur ni dessein quelconque ? Faut-il entendre par « sans cesse et sans travail » : « sans relâche et sans effort » ? Ou « sans fin et sans peine » ? Juliette Morice a observé que « ce serait là une manière de refuser, en deux mots, la double méthode de l’apodémique47, [qui consiste à][…] assigner un terme à son chemin et à soumettre, dans le voyage, le loisir (otium) à l’effort (labor) et au travail (negotium)48 ». Montaigne ne fait-il pas l’apologie des chemins serpentins et de l’ordo neglectus49en laissant libre cours à son esprit oisif, sans chercher à le brider en le soumettant à un principe directeur, mais pour enregistrer ses productions chimériques et monstrueuses et en « contempler à [s]on aise l’ineptie et l’estrangeté50 » ? En assumant une dimension spatiale, l’écriture devient elle-même une terre infinie invitant et l’auteur et nous à la découverte de bien des curiosités51. Par sa tentative continue d’approximation, l’écriture de l’essai se présente donc non seulement comme un défi relevé contre la myopie humaine, mais aussi comme une expérience viatique qui est anti-méthodique, dans la mesure où le concept de vagabondage met en crise les valeurs propres à l’ars apodemica qui, dans l’ambition de systématiser l’art du voyage, disqualifiait les déambulations capricieuses selon l’opposition topique entre peregrinari et vagari52.
159Certes, la métaphore de la plume et de l’esprit vagabonds « questionne la prétendue supériorité axiologique du “véritable voyage” (la peregrinatio) sur le vagabondage53 », et suggère non seulement que le propre de l’aventure est de se lancer à la quête de l’encore inconnu, mais aussi que ce désir est une propension fructueuse de l’homme. Il n’empêche que selon l’extrait du chapitre « Des coches » susmentionné, le sujet curieux semble être condamné à devoir vivre dans une insatisfaction permanente et rester l’éternel prisonnier d’une perspective qui se situe dans l’intervalle du « ny guere loin, ny gueres arriere », voyant sa marge de manœuvre ainsi réduite à un écart qui est « doublement ressenti comme limité et mouvant54 ». Or, si la conscience des limites et de la relativité des connaissances dans un monde conçu comme une « branloire perenne55 » s’y annonce d’abord comme une simple crainte, prête à être dissipée (« Je crains que nostre connoissance soit foible »), la tonalité devient de plus en plus assurée : la connaissance « embrasse peu et vit peu, [est] courte et en estandue de temps et en estandue de matiere56 ». Le fil de l’argumentation débouche même bientôt sur un pessimisme gnoséologique prononcé, lorsque Montaigne finit par s’exclamer que dans ce « monde qui coule pendant que nous y sommes57 », même « la cognoissance des plus curieux58 », n’est que « chetive et racourcie59 » ! Ici, comme dans son autre chapitre consacré au Nouveau Monde (« Des cannibales »), la métaphore de la myopie congénitale, qui est cette fois-ci plus sous-jacente qu’explicite, est pensée dans un intime rapport avec la curiosité. Son avidité apparaît particulièrement préoccupante dans le contexte de l’exploration du continent américain : « J’ay peur que nous avons les yeux plus grands que le ventre60, et plus de curiosité que 160nous n’avons de capacité61 ». Encore une fois, l’argument est placé sous le signe d’une crainte, avant que Montaigne n’en relativise le caractère incertain, en préférant l’indicatif « nous avons » au subjonctif « ayons » qui serait grammaticalement exigé. À travers une double comparaison, l’auteur trace les contours de cette inépuisable libido sciendi dont le corrélat se trouve dans l’infinité d’un autre « païs au-delà », celui au-delà de l’Océan atlantique, auquel « nous », hommes curieux de l’Ancien Monde qui représentons sous forme de synecdoque généralisante les explorateurs du Nouveau Monde, sommes confrontés.
Ce n’est donc pas tant la vision ébranlée du monde connu62 qui inquiète Montaigne que les conséquences éthiques qui ressortissent du décalage entre la « curiosité » et la « capacité »de l’homme. La méconnaissance du décalage entre ces termes rapprochés par homéotéleute s’avère être une source intarissable d’erreurs et d’errances humaines, pour autant que la curiosité semble comme fatalement accompagnée de la démesure et d’une vanité croissante de l’homme qui embrasse tout, mais n’étreint en réalité « que du vent63 ». Si le « vent » est ici synonyme de « rien », 161Montaigne reconsidéra plus tard la valeur rattachée à ce trope, quand il précise dans un ajout manuscrit tardif que le vent accepte en vérité plus sagement que l’homme le sort de sa mouvance perpétuelle, « sans desirer la stabilité, la solidité, qualitez non siennes64 ». Tout en se fondant sur une vision héraclitéenne du monde dont la mutabilité éternelle empêche l’homme de jamais accéder à une connaissance ou science positives et durables, la critique montaignienne s’inscrit par son assimilation entre curiosité et cupidité des yeux dans la perspective d’Augustin, qui situait celle-là entre le « plaisir de la vue » (voluptas oculorum) et la « tentation de l’orgueil » (superbia)65. Plus particulièrement, l’inquiétude de Montaigne à l’égard de l’insatiabilité de la curiosité humaine fait résonner la condamnation augustinienne de la curiositas, qui se distingue des plaisirs sensuels naïfs, en ce qu’elle ne se délecte pas des choses en tant que telles, mais d’elle-même, en n’y cherchant qu’une confirmation de la capacité de savoir66. En la rapprochant en même temps du péché de la gloutonnerie (« les yeux plus grands que le ventre »), le Bordelais appuie son argument selon lequel la curiosité de savoir prouve que l’homme est « incapable de moderation67 », et fait encore une fois ressentir le poids de l’héritage de l’évêque d’Hippone, pour lequel la curiositas possédait une parenté ontologique avec la voluptas. Tandis que la première est une concupiscentia oculorum, une convoitise des yeux68 dont le caractère pulsionnel trahit la morbidité de l’âme humaine69 et un attachement exagéré au contingent70, la deuxième est une concupiscentia carnis,qui subsume les plaisirs charnels que l’homme cherche de manière tout 162aussi illicite71. Mais alors qu’Augustin réprouvait le curieux dans la mesure où il oubliait l’essentiel, la connaissance de Dieu, Montaigne, qui ne s’intéresse ni à la dimension sotériologique de la curiosité ni ne se soucie de corriger l’homme, le discrédite parce qu’il méconnaît les limites de sa capacité en s’aveuglant sur la condition intrinsèquement myope de l’homme.
Désapprendre le mal de la myopie
Dans cette perspective, c’est un deuxième type de myopie, celle qui est acquise par habitude, qui sera au cœur de la deuxième partie de notre propos, car c’est contre elle que Montaigne lutte avec ses textes, pour dépasser l’erreur d’être « tous contraints et amoncellez en nous, et [d’]avo[ir] la veue racourcie à la longueur de nostre nez72 ». Comme la myopie gnoséologique congénitale, celle-ci est donc associée à la notion d’erreur : la première l’est dès lors qu’elle est déguisée par l’espoir vaporeux d’une curiosité démesurée surestimant la capacité de l’homme et qui, selon l’intertexte biblique, s’est initialement confondue avec l’orgueil, cette Erreur originelle qui a jeté le genre humain sur les voies néfastes de l’errance éternelle73. En revanche, la myopie qui ressortit de la coutume est elle-même une « erreur de grande suite et prejudice74 », car elle est signe d’un manque de curiosité75. Pour remédier à cette 163myopie de l’esprit et du cœur de l’homme qui confond encore trop souvent la curiosité avec « l’opinion de science76 », l’auteur recommande « la frequentation du monde77 » et promeut une curiosité dont la vertu consiste à élargir l’horizon scopique de l’homme, en lui faisant goûter le spectacle de la varietas mundi.
Or, si à la Renaissance il s’établit une relation étroite entre voyage et curiosité, la question de savoir si celle-ci est une qualité positive du voyageur n’est pas sans échauffer les esprits. Tandis qu’elle est soigneusement mise en examen dans les livres de pèlerinage, où elle fait l’objet d’une « réhabilitation contrastée78 », les auteurs qu’on peut rattacher à la littérature morale voient dans le mouvement irrépressible et désordonné engendré par la curiosité une dangereuse errance qui favorise la dispersion des intérêts et interdit toute poursuite fructueuse du savoir. En suscitant une forme de fébrilité qui appelle à goûter toujours plus de nouveauté, la curiosité serait ainsi nuisible au corps et à l’âme du voyageur79. Puisque le désir de parcourir le monde s’associe volontiers à une curiosité coupable et nécessite une justification, Montaigne défend le voyage comme une bonne occasion de suspendre un moment le « culte de l’intériorité », de dépasser l’étroitesse de la perspective de l’homme qui se replie et se resserre en soi-même80, et un moyen qui nous saura apprendre à ne pas refuser comme barbare, miraculeux ou contre nature ce qui ne nous ressemble pas81. La célèbre école de la diversité que le chapitre « De la vanité » présente comme la meilleure école de vie, enseigne à partir d’une triade en « proposant », c’est-à-dire en mettant incessamment « devant les yeux82 » du voyageur désireux d’apprendre, les trois composantes de la « perpetuelle varieté de formes 164de nostre nature83 » que sont « [B] la diversité de tant d’autres vies, [C] fantaisies et usances84 ». Mais quel rôle joue la mobilité du voyageur dans la réévaluation de la curiosité comme remède contre la myopie de l’homme ? Quels sont les modi videndi privilégiés et quels sont les modi peregrinandi les plus favorables au déploiement d’une curiosité qui n’est plus vaine, mais saine85 ?
Devenir panòptês
Dans une première partie du chapitre « De l’institution des enfants86 », rédigé à un point où Montaigne n’avait pas encore franchi les frontières de la France, mais où il était plutôt un « voyageur en fauteuil », 165voyageant jusqu’au fin fond de ses entrailles ou via des livres vers les colonies et civilisations du Nouveau Monde ou de l’Antiquité, il écrit qu’il « voudroi[t] qu’on commençast à promener [l’homme] des sa tendre enfance87 » dans le monde, et esquisse un programme pédagogique où « tout ce qui se presente à nos yeux sert de livre suffisant88 ». Comme dans l’instutio principis89, le rôle du voyage est devenu primordial dans l’éducation de « l’honnête homme » qui est encouragé à s’intéresser à tout ce que le monde peut lui offrir : « la malice d’un page, la sottise d’un valet, un propos de table90 » lui sont autant de matières à exercer son jugement. À cette fin, « la visite des pays estrangers91 » est aux yeux de l’auteur un exercice particulièrement propice, mais
non pour en rapporter seulement, à la mode de nostre noblesse Françoise, combien de pas à Santa rotonda92, ou la richesse des calessons de la Signora Livia, ou comme d’autres, combien le visage de Neron, de quelque vieille ruyne de là, est plus long ou plus large, que celuy de quelque pareille medaille, mais pour en raporter principalement les humeurs de ces nations et leurs façons, et pour frotter et limer nostre cervelle contre celle d’autruy (I, 26, p. 153 A).
Montaigne aurait-il pu différencier plus nettement entre une vaine et une saine curiosité ? La première, qui se caractérise par la mesure des vestiges prestigieux de la Rome antique et qui manifeste même, par l’appréciation des dessous d’une courtisane, un goût pour la frivolité, se trouve disqualifiée, d’autant qu’elle participe d’une approche quantitative et matérielle qui « ne s’attache qu’à l’apparence93 ». À la simple accumulation de faits futiles qui n’alimente que le psittacisme de l’homme, l’auteur oppose une curiosité qui se plonge concrètement dans l’expérience de la diversité en s’appliquant à l’étude des différents caractères et manières de vivre, et qui privilégie la qualité, pour ne pas 166dire l’intensité des rencontres humaines. Au lieu de nourrir l’« opinion de sçavoir94 » de l’homme, comme le fait trop souvent cette « suffisance purement livresque95 » que Montaigne trouve si fâcheuse lorsqu’elle ne nous bourre le crâne que d’un savoir stérile, la curiosité devrait être une occasion pour enrichir, épanouir et façonner notre personnalité au contact de mœurs et de mentalités étrangères, selon un principe que Frédéric Tinguely a appelé « tribologie anthropologique96 » (du grec τρίβος, « frottement »). La métaphore de la cervelle frottée et limée implique l’idée d’une « friction97 » qui nettoie98, polit et perfectionne99 l’esprit, et suggère que le voyage offre à l’homme l’occasion de s’amender, d’opérer un travail sur soi. Plutôt que de se « troubl[er] du cerveau, comme font tous hommes qui perscrutent immodereemant les cognoissances [des choses celestes et divines] qui ne sont de leur appartenance100 », le voyageur qui expose son âme à la variété des choses mortelles se purifie l’esprit et aiguise sa perspicacité. L’image du « frottement » cérébral introduit une dimension nouvelle, en supposant que ce n’est plus un seul individu qui se « heurte[] rudement [s]a teste101 » à celles des autres, mais deux sujets qui interagissent et forment ainsi un « cercle anthropologique ». Ce concept proposé par Tinguely rend compte du « mouvement par lequel une conscience qui observe l’altérité culturelle se trouve en retour modifiée par elle102 ». Par sa nature circulaire, cette curiosité constitue le contre-modèle du pédantisme qui se fonde non pas sur un échange, mais sur une relation unidirectionnelle, en ne demandant aux enfants que de mettre en œuvre un savoir qui « nage en la superficie de leur cervelle103 », avec la conséquence néfaste d’étouffer l’ardeur de leur esprit. Avoir la tête bien faite plutôt que bien remplie conditionne donc une certaine disposition à se laisser transformer par le 167contact, le refus de tout préjugé104 sur « [l]a diversité des façons d’une nation à autre105 », et une curiosité qui se laisse flotter en l’expérience, en « s’ouvr[ant] à l’altérité, sans pour autant se dissoudre en elle par un processus d’aliénation incontrôlé106 ».
Il va sans dire que cette attitude d’ouverture, ce goût de la découverte personnelle et ce désir de s’immerger dans des cultures étrangères, font également l’intérêt du Journal de voyage, où l’envie d’« essayer107 » l’altérité se reflète jusque dans l’adoption de la langue italienne. On en trouve aussi des traces dans de nombreux passages du chapitre « De la vanité » qui représentent des moments de réflexion, coordonnés à l’auto-analyse, au retour de soi sur soi-même et sur les souvenirs des voyages effectués. Il en est ainsi lorsque Montaigne confie qu’il a
honte de voir noz hommes, enyvrez de cette sotte humeur de s’effaroucher des formes contraires aux leurs : il leur semble estre hors de leur element quand ils sont hors de leur vilage. Où qu’ils aillent, ils se tiennent à leurs façons, et abominent les estrangeres […] (III, 9, p. 985 B).
En critiquant le sentiment de fierté nationale de certains de ses compatriotes et leur refus d’essayer des coutumes étrangères, l’auteur ébauche une théorie du mauvais voyageur108 qui laisse entendre qu’une telle attitude xénophobe est le signe d’un manque de curiosité et une manifestation de vanité. Il s’en distancie explicitement en déclarant solennellement qu’il « estime tous les hommes [s]es compatriotes et embrasse un Polonois109168comme un François, postposant cette lyaison nationale à l’universelle et commune110 ». En se limitant au familier, ces hommes se privent de l’occasion de savourer l’étrangeté des cultures inconnues et font preuve de la myopie de leur esprit : « Ils voyagent couverts et resserrez d’une prudence taciturne et incommunicable, se defendans de la contagion d’un air incogneu111 ». En revanche, le voyage est moins un véhicule de prétendues maladies que d’apprentissage, si on parcourt le monde avec un esprit ouvert, comme le fait Montaigne qui prétend « peregrine[r] tressaoul de nos façons, non pour cercher des Gascons en Sicile112[…] », mais « des Grecs plustost, et des Persans113 ». Pour maximiser le gain tiré de l’expérience viatique, il invite son enfant de maison à
avoir les yeux par tout ; car je trouve que les premiers sieges sont communément saisis par les hommes moins capables, et que les grandeurs de fortune ne se trouvent guieres meslées à la suffisance. […] Il sondera la portée d’un chacun : un bouvier, un masson, un passant : […] car tout sert en mesnage ; la sottise mesmes, et foiblesse d’autruy luy sera instruction. A contreroller les graces et façons d’un chacun, il s’engendrera envie des bonnes, et mespris des mauvaises (Nous soulignons. I, 26, p. 155sq. A).
L’enfant est encouragé à devenir panòptês, à porter son regard, à la manière d’Argus, ce géant aux cent yeux, sur tout114, et notamment sur ce qui pourrait lui sembler en dessous de la dignité d’un gentilhomme. Montaigne veut qu’il apprenne à regarder au-delà de ce à quoi il est habitué, à ne pas réserver son attention qu’aux gens de son rang, mais à faire l’expérience que les capacités et les valeurs des hommes ne dépendent ni de la couche sociale ni de la nation auxquelles ils appartiennent. L’importance du regard est décisive :
169Qu’on luy mette en fantasie une honeste curiosité de s’enquerir de toutes choses : tout ce qu’il y aura de singulier autour de luy, il le verra : un bastiment, une fontaine, un homme, le lieu d’une bataille ancienne, le passage de Caesar ou de Charlemaigne […]. Il s’enquerra des meurs, des moyens et des alliances de ce Prince, et de celuy-là ; Ce sont choses tres-plaisantes à apprendre et tres-utiles à sçavoir (I, 26, p. 156A).
Être honnêtement curieux, c’est avant tout apprendre à promener son œil sur la diversité des manifestations de la vie et à « regarder le monde en l’interrogeant115 ». Comme la philosophie, l’« honeste curiosité » a le privilège de se « mesler par tout116 », tant qu’elle permet à l’homme de « forger [s]on ame117 » et de former ses mœurs. La prétention de cette curiosité à l’inclusion totale et à l’extension maximale de sa portée scopique suggère que ce n’est pas tant la matière qui détermine la valeur rattachée à la curiosité, mais la manière dont le curieux examine ses objets. L’homme honnêtement curieux est avide d’aller au fond des choses – il « sonde » la capacité de chacun –, a l’œil attentif et un esprit critique toujours en éveil – il « contrerolle » les attitudes de chacun, les épie en détail –, et adopte une posture qui est intimement liée à l’attitude « enquesteuse, non resolutive118 » que Montaigne préconise dans « Des Boiteux ». Puiqu’elle ne semble s’orienter que sur deux critères fondamentaux – le plaisir de l’apprentissage et l’utilité du savoir119 –, elle porte sur le présent et le passé, mais jamais sur les choses futures, s’intéresse aux biens matériels et immatériels, et notamment à la marque de l’homme, qu’elle soit dans les artéfacts ou dans les paysages. Cette curiosité ne semble aller et venir entre le tout, l’exemple générique (« un bouvier, un masson, un passant », « un bastiment ») et le particulier (« ce Prince ») que pour constater que tout mérite d’être considéré comme « singulier ». Elle se reflète dans la démarche des auteurs du Journal de voyage, où et le secrétaire et Montaigne font preuve d’avoir voulu rester à l’écart des considérations généralisantes, et de n’avoir soin que de ce qui 170les frappait par sa « singularité120 » : non pas ce qu’ils auraient dû voir, mais ce qu’ils ont effectivement vu eux-mêmes le long de leur parcours – un bastiment, une fontaine, un homme, qu’il soit duc ou serviteur, noble ou paysan, malade ou médecin, courtisane ou religieux, juif ou cardinal… –, au risque de manquer certains monuments, places ou choses « dignes de mémoire », comme la Piazza del Duomo de Milan qui n’est pas mentionnée. Aux faits objectifs (historiques, géographiques, politiques, économiques), que les théoriciens de la méthode apodémique estimaient nécessaires à retenir121, le Bordelais et son scribe préfèrent les petites curiosités anecdotiques, se montrant plus soucieux d’absorber les singularités et les « choses rares et remarquables de chaque lieu122 » pour leur propre goût que d’organiser dans un journal une description exhaustive de ce qu’ils ont vu. L’écriture fragmentaire de ce Journal rédigé au fil des étapes, sans recul ni projet, est une saisie du moment, de l’immédiat et du présent et obéit à une « esthétique du discontinu123 » qui inscrit l’allure de Montaigne non seulement contre l’esprit méthodique de ces ramistes124, mais encore contre celui des cosmographes de l’époque qui, selon Frank Lestringant, aspiraient à avoir une vue 171ubiquiste sur le monde proche de celle de Dieu125. Par contre, le regard montaignien est une topographie située dans un « temps étroit » qui fait disparaître « la petite échelle de la mappemonde […] en même temps que la perspective chronologique à long terme126 », ou comme le suggère encore Lestringant, une « “myopie” délibérée » et fructueuse, « qui constitue l’un des aspects méthodologiques fondamentaux du doute montaignien127 ».
Sous cette optique, l’adjectif « honeste », que le Bordelais est le premier à utiliser comme épithète de la curiosité128, peut être interprétée au moins de deux manières : elle rappelle d’abord qu’il est question de la formation de gentilhommes, de l’honnêteté comme attribut fondamental de la noblesse ; dans ce sens, l’homme honnêtement curieux est « irréprochable dans sa conduite129 ». Mais ce qui est encore plus important, c’est que cette curiosité est honnête par rapport à la myopie cognitive de l’homme : en renonçant à la tentation de vouloir déduire des règles ou principes généralisants de l’expérience, ce curieux accepte que la raison humaine soit un instrument trop faible pour comprendre la diversité des phénomènes dans un monde où « et nous, et nostre jugement, et toutes choses mortelles vont coulant et roulant sans cesse130 », et qu’il ne puisse que s’en approcher par l’étude de cas « singuliers131 ». Dans cette perspective, la curiosité devient donc une véritable manière de vivre avec des conséquences éthiques importantes.
172Métamorphoses spéculaires – mouvements salutaires
Puisqu’« un honneste homme []est un homme meslé132 », c’est-à-dire un homme qui, selon le lieu commun homérique, a vu de nombreuses villes, se qualifie par une diversité d’intérêts et peut s’adapter à différentes situations, Montaigne fonde l’éducation de la curiosité viatique sur la leçon de Socrate133, ce « citoyen du monde134 » qui « embrassoit l’univers, comme sa ville135 », « non pas comme nous, qui ne regardons que sous nous136 ». Un coup d’œil sur les ajouts manuscrits effectués sur l’Exemplaire de Bordeaux découvre que l’auteur avait d’abord écrit « qui ne regardons qu’à nos pieds137 » avant de substituer cette formulation par « sous nous ». Cette correction s’explique peut-être par le fait que le premier énoncé est en contradiction avec la leçon tirée de l’anecdote de Thalès dans l’« Apologie de Raimond Sebond », où Montaigne critique la curiosité de l’homme qui, à force de regarder au ciel, oublie de regarder sur ce qui est à ses pieds : « Car, comme dict Democritus par la bouche de Cicero, Quod est ante pedes, nemo spectat ; coeli scrutantur plagias138 ». Afin de remédier à cette négligence, l’invitation au voyage s’accompagne de la promesse d’une relation spéculaire : 173« Ce grand monde […], c’est le mirouer où il nous faut regarder pour nous connoistre de bon biais139 », car la diversité réelle « d’humeurs, de sectes, de jugemens, d’opinions, de loix et de coutumes140 » est plus vaste que notre science, qui semble « merveilleusement raccourcie141 », pour autant que les hommes pensent trop souvent que ce qu’il n’ont pas vu, n’existe pas. Regarder le monde comme un miroir ne signifie donc pas cultiver la myopie en n’y cherchant que ce qui nous ressemble, ni de nous plier à un relativisme indifférent qui s’interdirait de juger, ni de ne promener sur le monde qu’un regard vide. Au contraire, ce modus videndi devrait stimuler notre esprit critique et autocritique, enseigner à notre jugement à reconnaître son imperfection et sa faiblesse, et favoriser une attitude attentive et tolérante à l’égard de cette « si generale et constante varieté142 » qui se trouve dans la « grande image de nostre mere nature143 ». Ce n’est qu’en y reconnaissant sa propre petitesse que l’homme apprend à accueillir humblement la diversité, qu’il renonce à s’enfermer dans une solitude distante et à vouloir se distinguer ou se singulariser144 : « Toute estrangeté et particularité en nos meurs et conditions est evitable comme ennemie de communication et de société145 ». Si la métaphore du monde comme miroir est ancienne et se trouve particulièrement souvent chez des théologiens médiévaux pour désigner la fugacité et la vanité de la vie humaine146, elle se charge sous la plume de Montaigne d’une fonction nouvelle : « sans cesser de donner à voir la relativité des mœurs, [le miroir] renvoie maintenant au voyageur sa propre image mouvante, celle de ses multiples réactions métamorphiques face à l’alterité147 ». En effet, le Bordelais ne se contente pas de décrire dans le Journal l’extériorité observée dans son environnement, ou l’intériorité physique et psychologique de son propre corps malade, mais il crée une osmose continue, en cherchant 174dans le paysage les signes de l’homme, et en lui-même les signes de son environnement et des rencontres qu’il a faites148.
Une de ces réactions métamorphiques les plus saillantes est qu’au cours de ses pérégrinations, il arrive peu à peu à s’italianiser linguistiquement, non dans le but simplement de se faire comprendre, mais jusque dans l’intimité du journal dont 29 pour cent sont rédigés en italien149. Il se révèle ainsi comme un « homme meslé » exemplaire qui se caractérise par un goût prononcé pour l’immersion culturelle : « e quando voleva uscire », écrit-il pendant son séjour à Lucca,
aveva per tutto conversazione di donne, o d ’ uomini, co i quali poteva star a diporto qualche ora del giorno : e poi botteghe, Chiese, piazze. E mutando sempre paese non mi mancava materia di che pascere la mia curiosità.
« et quand je voulais sortir, je trouvais partout pour faire la conversation des femmes et des hommes, avec lesquels je pouvais me distraire quelques heures dans la journée ; et puis des ateliers, des églises, des places. Et comme je changeais toujours d’endroit, je ne manquai jamais de matière pour ma curiosité » (Journal de voyage, éd. Schneikert et Vendrame, op. cit., p. 158-161).
Tout lui « sert en mesnage150 ». Le désir d’expérimenter la différence dans le « commerce des hommes et des femmes », ce « frottement cérébral » que Montaigne décrit ici, relève d’une honnête curiosité qui trouve « partout » des occasions à se repaître, et surtout « aux tables les plus espesses d’estrangers151 ». Alors même qu’un de ses motifs est la distraction et son ressort le mouvement continuel du corps, cette curiosité n’est plus placée sous l’anathème de la vana curiositas ni considérée comme nuisible, mais s’avère même avoir un effet salutaire sur sa santé mentale :
Fra questo godeva un animo quieto secondo che comportano le mie infermità, e la vecchiaia : offrendosi pochissime occasioni per turba lordi fuora.
« Pendant ce temps, je jouissais d’une tranquillité d’esprit telle que me le permettent mes maladies et ma vieillesse, car il ne se présentait de l’extérieur 175que très peu de la troubler » (Journal de voyage, éd. Schneikert et Vendrame, op. cit., p. 160sq).
Paradoxalement, l’amour du mouvement et le plaisir procuré par son « humeur avide des choses nouvelles et inconnues152 » tranquillisent l’esprit du voyageur plutôt que de le troubler ou exciter. Cet effet surprenant apparaît moins contradictoire, lorsqu’on lit ce passage sur le fond de la polarité que l’auteur instaure entre deux modes du « philosopher153 » : le « bandé », autrement dit la pensée rassise, tendue et contenue d’une part, et de l’autre le « branle », c’est-à-dire la vraie pensée philosophique, qui naît dans le mouvement et « se laisse voluptueusement emporter154 » par le branle de la vie. Si Montaigne est bien conscient que le plaisir de voyager « porte tesmoignage d’inquietude et d’irresolution155 », ce sont justement ces mouvements qui définissent notre nature : elles sont « nos maistresses qualitez, et praedominantes156 », et non plus symptômatiques de la maladie de la stultitia propre à tout homme curieux de voyager, comme dans le De Constantia de Juste Lipse157 et les Lettres à Lucilius ou le De tranquillitate animi de Sénèque, textes dont les diatribes contre la vanité du désir de voyager ont la vocation d’exhorter à la prudence celui dont l’âme est soumise aux violents dérèglements des passions158. L’inquiétude et l’irrésolution159 du voyageur deviennent des qualités, dans la mesure où elles sont une adaptation logique et bénéfique à un monde où « [i]l ny a aucune constante existence, ny de nostre estre, ny de celuy des objects160 », et où « il ne se peut establir rien de certain de l’un à l’autre, et le jugeant et le jugé estans en continuelle mutation et 176branle161 ». Le branle de l’esprit curieux étant associé à au mouvement antiméthodique et à la marche irrésolue d’un auteur qui ne « trace aucune ligne certaine, ny droicte ny courbe162 », la notion de « tranquillité » se voit ainsi foncièrement redéfinie : il ne s’agit plus d’une vertu générale, telle qu’elle a été définie notamment par les penseurs du néo-stoïcisme163, mais d’une tranquillité que chaque homme doit « cherche[r] en son particulier164 ».
Dans la « physiologie odéporique165 » de Montaigne, le plaisir et le désir de l’instruction vont de pair, l’homme étant un être dont la soif de connaissances ne s’arrête ni avec l’âge ni avec la maladie : il a, comme le remarque le secrétaire, « une faim extrême de voir166 », un « plaisir […] si doux167 » à poursuivre sa découverte des « pays inconnus […] que d’en oublier la faiblesse de son âge et de sa santé168 ». Mais la vertu thérapeutique du plaisir de la curiosité n’est pas reconnue par le reste de la troupe, « chacun ne demandant que la retraite169 ». Encore moins l’est son goût des milles détours, des cheminements capricieux et des arrêts imprévisibles :
Quand on se plaignait à lui de ce qu’il conduisait souvent la troupe par chemins divers et contrées, revenant souvent bien près d’où il était parti (ce qu’il faisait ou recevant l’avertissement de quelque chose digne de voir, ou changeant d’avis selon les occasions), il répondait qu’il n’allait, quant à lui, en nul lieu que là où il se trouvait, et qu’il ne pouvait faillir ni tordre sa voie, n’ayant nul projet que de se promener par des lieux inconnus […] (Journal de voyage, éd. Garavini, p. 153sq).
Marqué par l’absence d’un telos spécifique170, le voyage est présenté comme une errance, avant d’être, dans « De la Vanité », ex post réduit à 177une promenade pour la promenade un « branle pour le branle » dont la durée ne dépend que du plaisir171. Le plaisir de la variété, par ceci qu’il ne s’alimente que de la pluralité et en féconde incessamment le désir, sans jamais atteindre la saturation, est même la seule chose qui « [l]e paye […], aumoins si aucune [1595 : quelque] chose [l]e paye172 ». Mais ce n’est pas seulement parce que « [l]’ame y a une continuele exercitation à remarquer les choses incogneues et nouvelles173 » que le voyager lui semble « un exercice profitable174 ». Car si la quête de choses inconnues et nouvelles n’est plus considérée comme le signe d’une curiosité vicieuse et délétère, comme ailleurs dans les Essais175, mais devient essentielle à la formation de l’éthique du sujet – formation qui se comprend comme une lutte continuelle contre la myopie de l’esprit –, c’est aussi parce que la curiosité du voyageur est tempérée par le mouvement du corps qui est « n’y est ny oisif ny travaillé176 ». Le voyage, tel que le pratique Montaigne, offre à l’esprit et aux corps une condition idéale, car plutôt qu’à l’impossible ataraxie, l’auteur aspire à la modération. Associée à une « moderée agitation » qui met le corps en marche ou à cheval « en haleine177 », l’esprit curieux trouve sa juste assiette entre l’oisiveté (otium) et le travail (labor), un état propice à la vitalité de la pensée. Alors que selon Juliette Morice, la « continuele exercitation178 » offerte au corps et à l’âme du voyageur possède « une valeur thérapeutique liée au fait 178que le mouvement du voyage épouse le mouvement de notre nature179 », Virginia Green nuance cette lecture en insistant sur l’ambiguïté significative du mot « haleine ». Associé au vent, au souffle de la vie et à l’inspiration180, le mot suggère aussi fortement l’idée de la vanité puisqu’il est l’une des traductions possibles du mot hébreu ruach, de l’expression « poursuivre le vent181 », que l’on trouve dans l’Ecclésiaste. Ainsi, tout en faisant état de la connaissance que l’on peut acquérir par le voyage, le Bordelais revient en même temps sur le topos de la vanité de la connaissance, suggérant par ce mot que voyager pour acquérir la connaissance peut aussi être une entreprise vaine182. Toujours est-il que, quand elle est jointe à une irrésolution bénéfique, la curiosité du voyage est un moyen idéal de s’accorder à la « fluxion, muance et variation perpetuelle183 » du monde et, comme le dit encore Montaigne, de « servir [la vie] selon elle184 », cette dernière étant définie comme un « mouvement materiel et corporel, action imparfaicte de sa propre essence, et desreglée185 », et comme un grand « humain voyage186 ».
Rebekka Martic
Séminaire d’études françaises, Université de Bâle
1 Michel de Montaigne, Essais, éd. Pierre Villey, Paris, PUF, “Quadrige”, 1992 [1924 ; 1965], II, 4, p. 364 A.
2 III, 5, p. 869 B ; cf. aussi : II, 4, p. 364 A : « Le vice contraire à la curiosité, c’est la nonchalance ».
3 I, 12, p. 498 A.
4 Ibid.
5 Ibid.
6 II, 17,p. 635 A.
7 Ibid. ; I, 27, p. 182 A.
8 Françoise Charpentier, « Les Essais de Montaigne : curiosité/incuriosité », La Curiosité à la Renaissance, J. Céard (dir.), Paris, CDU et SEDES, 1986 p. 111-121, ici p. 120.
9 II, 12, p. 512 A et III, 13, p. 1065 B.
10 On se limite à nommer les ouvrages collectifs et monographiques relevant d’une perspective philologique : Jean Céard (dir.), op. cit. ; id., La Nature et les prodiges. L’insolite au xvie siècle en France, Genve, Droz, 1977 ; Gérard Defaux, Le curieux, le glorieux et la sagesse du monde dans la première moitié du xvie siècle : l’exemple de Panurge, (Ulysse, Démonsthène, Empédocle), Lexington, French Forum, 1982 ; Nicole Jacques-Chaquin et Sophie Houdard (dir.), Curiosité et « Libido Sciendi » de la Renaissance aux Lumières (2 vol.), Fontenay-aux-Roses, ENS éditions, 1998 ; Neil Kenny, The Uses of Curiosity in Early Modern France and Germany, Oxford, Oxford University Press, 2004 ; Robert J. W. Evans et Alexander Marr (dir.), Curiosity and Wonder from the Renaissance to the Enlightenment, Aldershot, Ashgate 2007 ; Frank Lestringant (dir.), Le Théâtre de la curiosité,Paris, PUPS, 2008 ; Myriam Marrache-Gouraud, La légende des objets. Le cabinet de curiosités réfléchi par son catalogue (Europe, xvie-xviie siècles), Genève, Droz, 2020.
11 Charpentier,art. cité ; Gaudenzio Boccazzi, « La curiosité du voyageur au xvie siècle, ou l’art d’apprendre et de se parfaire par les voyages », La Curiosité à la Renaissance, op. cit., p. 49-64 ; Alexander Roose, « Le remède est dans le mal : Montaigne lecteur de l’essai Sur la curiosité de Plutarque », NBSIAM, Ière série, no 1, 2007, p. 83-96 ; Gabriel-André Pérouse, En Filigrane des Essais, Paris, Champion, 2008, p. 101-116 ; WolfgangMüller-Funk, « Neugierde und literarisches Selbstexperiment im Essayismus der Frühen Neuzeit : Montaigne und die Folgen », « Es ist nun einmal zum Versuch gekommen » : Experiment und Literatur, I : 1580-1790, M. Gamper et al. (dir.), Göttingen, Wallstein, 2009, p. 112-130 ; François Rigolot, « Curiosity, Contingency, and Cultural Diversity. Montaignes Readings at the Vatican Library », Renaissance Quarterly, no 44, 2011, p. 847-874 (article paru sous forme remaniée dans Montaigne à l’étranger, op. cit., p. 157-180) ; Bénédicte Boudou et Nadia Cernogora, « Montaigne et la curiosité nonchalante », Carmenae, no 15, 2013, p. 1-15 ; Daniel Ménager, « Curiosité et erreur religieuse chez Montaigne », BSAM, no 62, Juillet-Décembre 2015, p. 87-99 ; Alexander Roose, La Curiosité de Montaigne. « Regardez dans vous, reconnoissez vous, tenez vous à vous », Paris, Champion, 2015 ; Zahi Zalloua, « Montaigne on Curiosity », The Oxford Handbook of Montaigne, Ph. Desan (dir.), New York, Oxford University Press, 2016, p. 663-678 ; une série d’études parues dans Gianni Paganini (dir.), Curiosity and the Passions of Knowledge From Montaigne to Hobbes, Actes du colloque de Rome, 7-8 octobre 2015, Rome, Bardi Edizione, 2018 ; ainsi que notre article « Entre “maladie naturelle de [l’]esprit” et “passion studieuse” curative : la polysémie de la curiosité dans les Essais », Éthique, politique, religions, vol. 2, no 19, 2021 (à paraître).
12 C’est notamment un des « défauts » de la monographie de Roose.
13 Walther von Wartburg, « curiositas », Französisches Etymologisches Wörterbuch (FEW), t. II, Basel, Helbing und Lichtenhahn, 1946, p. 1564.
14 Edmond Huguet, « curiosité », Dictionnaire de la langue française du seizième siècle, t. II, Paris, Didier, 1932, p. 688.
15 Cf. Kenny, Curiosity in Early Modern Europe. Word Histories, Wiesbaden, Harrassowitz, 1998, p. 38 sqq.
16 Wartburg, « curiositas », et « curiosus », FEW, op. cit., t. II, p. 1564-1565 ; Robert Martin, « curieux », Dictionnaire du Moyen Français, ATILF,CNRS et Université de Lorraine, 2015.
17 Pérouse, op. cit., p. 105.
18 Notion introduite par Bakhtine et développée par Julia Kristeva, l’idéologème, unité minimale d’une idéologie, traduit un système d’idées émises par un locuteur à travers une proposition.
19 Lorraine Daston ; Katharine Park, Wonders and the Order of Nature 1150-1750, New York, Zone Books, 2001, p. 305sq.
20 Sur cette instabilité orthographique que nous chercherons à exploiter voir : Dominique Brancher, « “Pierre qui roule amasse mousse…”. Les pérégrinations médicales de Montaigne dans le BSAM », BSIAM, no 55, Janvier-Juin 2012, p. 159-176, ici p. 176 ; Julie Robert, « Pa/enser bien le corps : Cognitive and Curative Language in Montaigne’s Essais », Journal of Medical Humanities, vol. 36, no 3, 2015, p. 241-250.
21 II, 8, p. 385 C.
22 Gilles Banderier, « Cabinets de curiosité », Dictionnaire Montaigne, Ph. Desan (dir.), Paris, Classiques Garnier, 2018, p. 133 ; Renzo Ragghianti, « Dal cabinet de curiosité alla biblioteca : la scoperta della “diversità” in Montaigne », Curiosity and the Passions of Knowledge, op. cit., p. 97-114 ; Dominique Brancher, « Les maladies de Chronos. Temps et pathologie chez Montaigne », Revue d’Histoire littéraire de la France, vol. 120, no 4, 2020, p. 809-830, ici p. 824-830.
23 Katie Whitaker, « The Culture of Curiosity », Cultures of Natural History, N. Jardine et al. (dir.), Cambridge, Cambridge University Press, 1996, p. 75-90.
24 Michel Jeanneret, « Montaigne et l’œuvre mobile », Carrefour Montaigne, J. Brody (éd.), Pisa, Genève, Éd. ETS, Slatkine, 1994, p. 37-62, ici p. 46-53 ; Jean Starobinski, Montaigne en mouvement [1982], Paris, Gallimard, coll. « folio essais », 1993, p. 162-173 ; 186sq.
25 III, 13, p. 1068 B.
26 Ibid., p. 1106 C.
27 Ibid., p. 1068 B.
28 Ibid.
29 Ibid.
30 III, 11, p. 1029 B.
31 I, 26, p. 146 A.
32 III, 13, p. 1068 C.
33 Ibid.
34 « [I]l a des eslans au delà de ses effects ». Ibid.
35 Bernard Sève, Montaigne. Des règles pour l’esprit, Paris, PUF, 2007, p. 59.
36 III, 10, p. 416 C.
37 III, 13, p. 1072 B. On se souvient aussi du passage du chapitre « De l’exercitation », où il précise dans un ajout tardif que « si j’estudie autre chose que moy, c’est pour soudain le coucher sur moy, ou en moy » (II, 6, p. 378 C).
38 I, 8, p. 32 A.
39 III, 13, p. 1034 B.
40 III, 9, p. 994 C : « Mon stile et mon esprit vont vagabondant de mesmes. »
41 Mary McKinley, « Le Vagabond : Montaigne à cheval et les errances romanesques des Essais », Montaigne. Espace, voyage, écriture. Actes du Congrès international de Thessalonique 23-25 septembre 1992, Z. Samaras, R. Aulotte (éds.), Paris, Champion, 1995, p. 113-124, ici p. 114. Dans son livre Les Terrains vagues des Essais. Itinéraires et intertextes, Paris, Genève, Honoré Champion, Slatkine, 1996, p. 146, McKinley suit quant à elle les itinéraires étymologiques des mots « vagabondage » et « vague », qui se rencontrent à la Renaissance : alors que le mot vagabond, rare avant le xive siècle, vient du verbe « vagari », l’adjectif « vague » vient du latin « vagus » et signifie « errant, vagabond », ainsi qu’« inconstant, frivole », avant qu’il ne prenne au xvie siècle le sens d’« imprécis » et d’« indeterminé ».
42 III, 13, p. 1068 B.
43 Ibid.
44 III, 9, p. 945 B.
45 Sève, op. cit., p. 59.
46 Ibid., p. 1068 B.
47 Du grec apodéméô, « partir en voyage à l’étranger ». Fleurissant à partir de la seconde moitié du xvie siècle, ces arts ou méthodes du « bien voyager » avaient pour but de définir les normes d’un voyage utilement entrepris et n’étaient certainement pas ignorées par Montaigne qui connaissait bien les travaux apodémiques de Theodor Zwinger. Cf. Justin Stagl,« Die Apodemik oder “Reisekunst” als Methodik der Sozialforschung vom Humanismus bis zur Aufklärung », Statistik und Staatsbeschreibung in der Neuzeit […], M. Rassem et J. Stagl (éds.), Paderborn München, etc., F. Schöningh, 1980, p. 131-202.
48 « Le vagabondage montanien, entre poétique et socio-histoire », Publije,no 2, 2015, p. 1-16, ici p. 12.
49 Hugo Friedrich, Montaigne [1949], Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1968, p. 350.
50 I, 8, p. 33 A.
51 Zoé Samaras, « Le sens comme reflet. Lecture platonicienne des Essais », Lire les Essais de Montaigne. Actes du Colloque de Glasgow 1997, N. Peacock, J. J. Supple (dir.), Paris, Honoré Champion, 2001, p. 63-74, ici p. 69.
52 Cf. Frédéric Tinguely, « Moments apodémiques dans le Journal de voyage », Montaigne à l’étranger. Voyages avérés, possibles et imaginés, Ph. Desan (dir.), Paris, Classiques Garnier, 2016, p. 31-40, ici p. 33sq. L’opposition est héritée du stoïcisme et se trouve par exemple dans un texte fondateur de Juste Lipse publié en latin en 1586 (De ratione cum fructa peregrinandi […],Lettre à Philippe de Lannoy du 3 avril 1578, Les Epistres de Lipse traduites de Latin en François, trad. A. Brun, Lyon, chez Iean Radisson, 1650, p. 17-33, ici p. 18) : « Chacun peur roder, aller & courir, mais peu contempler & apprendre, c’est à dire, vrayment voyager […]. [Vagari, lustrare, discurrere, quivis potest : pauci indagare, discere ; id est, vere peregrinari […].] », phrase qui s’appuie sur Sénéque : « En fait, tu ne voyages pas, tu te fais errant et passif, et d’un lieu tu passes à un autre, […]. [Nunc non peregrinaris, sed erras et ageris ac locum ex loco mutas […].] » Lettres à Lucilius,t. II, trad. J. Baillard, Paris, Hachette, 1914, XXVIII « Inutilité des voyages pour guérir l’esprit », p. 68.
53 Morice, art. cité, p. 10.
54 Élisabeth Schneikert, Montaigne dans le labyrinthe. De l’imaginaire du Journal de voyage à l’écriture des Essais, Paris, Honoré Champion, 2006, p. 314.
55 III, 2, p. 804 B.
56 III, 6, p. 907 B.
57 Ibid., p. 908 B.
58 Ibid.
59 Ibid.
60 Le proverbe « avoir les yeux plus gros (ou grands) que la panse » ou « avoir plus grands yeux que grand’panse », est attesté depuis la fin du xve siècle, et a notamment été popularisé par Rabelais qui, dans son Quart Livre, décrit « la ridicule statue appelée Manduce » comme « ayant des oeilz plus grands que le ventre, et la teste plus grosse que tout le reste du corps » (dans Les Cinq Livres, éd. critique de J. Céard, G. Defaux et M. Simonin, Paris, La Pochotèque, 1994, p. 1169). Si l’expression est notamment appliquée aux gourmands qui, en voyant un bon repas, espèrent manger plus que leur estomac ne peut contenir, elle signifie chez Montaigne aussi bien un appétit vorace qui se voit bientôt rassasié que l’idée d’« avoir plus d’ambition que de capacité ». Cf. Wartburg,« oculus », FEW, op. cit., t. VII, p. 312.
61 I, 31, p. 203 A. L’Exemplaire de Bordeaux montre que Montaigne corrige son texte pour condenser la phrase et la rendre plus assertive, car il avait d’abord écrit : « J’ay peur que nous avons les yeux plus grands que le ventre, comme on dict, & le dit on de ceux, ausquels l’appetit & la faim font plus desirer de viande, qu’ils n’en peuvent empocher. Je crains aussi que nous avons beaucoup et plus de curiosité, que nous n’avons de capacité » (Paris, Chez Abel l’Angelier, 1588, fo 84ro). Susanne Schmarje (Das sprichwörtliche Material in den « Essais » von Montaigne, vol. 1, Berlin/ New York, Walter de Gruyter, 1973, p. 124) a observé que ce raccourciment correspond à la tendance de Montaigne à intégrer les énoncés proverbiaux comme des éléments de construction linguistique dans la structure des phrases.
62 Michel Jeanneret, Perpetuum mobile. Métamorphoses des corps et des œuvres, de Vinci à Montaigne, Paris, Macula, 1997, p. 69-103.
63 Encore une fois, l’EB montre que texte le évolue vers une tonalité moins modalisée : « Nous embrassons tout, mais je crains que nous n’étreignons rien que du vent » devient après la relecture de Montaigne : « Nous embrassons tout, mais nous n’étreignons que du vent » (op. cit., fo 84ro). L’auteur renonce donc exprèssement à un de ces mots qu’il chérit tant, parce qui’ils « amollissent et moderent la temerité de nos propositions » (III, 11, p. 1030 B). La paronomase « vent » - « ventre » fait écho au « ventre » du pédant, cette incarnation par excellence du mauvais curieux qui, à force d’accumuler des connaissances, empêche son « estomac » de faire son « opération », de sorte que le savoir est seulement « dégorgé […] et m[is] au vent » (I, 25, p. 136 A et I, 26, p. 151 A).
64 III, 13, p. 1107 C.
65 Voir l’ordre des chapitres XXXIV (« Des plaisirs de la vue »), XXXV (« De la seconde tentation qui est la curiosité ») et XXXVI (« De la troisième tentation qui est l’orgueil […] ») dans le dixième livre des Confessions, trad. d’A. d’Andilly, éd. de Ph. Sellier et O. Barenne, Paris, Gallimard, 1993, p. 383-392.
66 Hans Blumenberg, Die Legitimitätder Neuzeit [1966], Frankfurt a. M., Suhrkamp, 1988, p. 361.
67 III, 12, p. 1038 B.
68 Augustin différencie la concupiscence des yeux corporels, qui incite l’homme à chercher la lumière et à voir la beauté, des concupiscence des yeux de l’âme, qui est associée à la malice et jugée beaucoup plus dangereuse. Confessions, op. cit., X, XXXIV, p. 383-385.
69 Ibid., X, XXXV, p. 387.
70 Id., De mendacio, Problèmes moraux, prés., trad. et notes de G. Combès, Paris, Desclée de Brouwer, 1948, VII, 10.
71 Id., Psaumes, Œuvres complètes, t. VIII, éd. M. Poujoulat, M. Raulx, Bar-le-Duc, L. Guérin & Cie, 1869, 8, 13, p. 161.
72 I, 26, p. 157 A.
73 C’est dans un des passages de l’« Apologie » qui dialogue le plus explicitement avec la discours théologique sur la curiosité, que Montaigne ne cesse de tisser les liens entre curiosité, orgueil, erreur et errance, en se fondant sur la métaphore filée de la « voie » (nous soulignons) : la curiosité « fut la premiere ruine du genre humain ; c’est la voye par où il s’est precipité à la damnation eternelle. L’orgueil est sa perte et sa corruption : c’est l’orgueil qui jette l’homme à quartier des voyescommunes, qui luy fait embrasser les nouvelletez, et aimer mieux estre chef d’une trouppe errante et desvoyée au sentierde perdition, aymer mieux estre regent et precepteur d’erreur et de mensonge, que d’estre disciple en l’eschole de verité, se laissant mener et conduire par la main d’autruy, à la voye batue et droicturiere » (II, 12, p. 498 A).
74 I, 26, p. 157 C.
75 Nous n’aborderons donc pas la question de l’acuité visuelle de Montaigne qui a été traitée par René Bernoulli, « Les yeux de Montaigne. Étude pathographique », BSAM, IVe série, no 10, 1967, p. 10-15, et plus récemment, par Yves Louagie, « Le Duomo di Prato et la vision artistique de Montaigne », BSAM, no 69, Janvier-Juin 2019, p. 65-86.
76 II, 12, p. 498 C.
77 I, 26, p. 157 A.
78 Marie-Christine Gomez-Geraud, « La curiosité, qualité du voyageur ? Succincte enquête sur la littérature viatique du xvie siècle », Carmenae, no 15, 2013, p. 1-10, ici p. 1.
79 Ibid.
80 En utilisant le verbe « amonceler » dans ce sens, Montaigne tient sa promesse de se « forger un dictionnaire à part [s]oy » (III, 13, p. 111 B), les sens propres du verbe (« entasser », « s’agglomérer », « élever, bâtir en hauteur » « amasser, mettre ensemble ») étant largement dépassés. Wartburg, « monticellus », FEW, t. VI/3, Bâle, Helbing & Lichtenhahn, 1966-1969, p. 119.
81 Cf. III, 9, p. 985 B.
82 Wartburg, « pausare », t. VIII, op. cit., p. 70.
83 III, 9, p. 974 B.
84 Ibid., p. 973.
85 Puisque nous nous focalisons sur les passages où Montaigne travaille, d’une manière ou d’une autre, la notion de curiosité, nous n’étudions pas, comme Olivier Pot, le rapport entre les variations de la marche des voyageurs et la déformation de la perspective topographique dans le Journal de voyage. Nous nous limitons à signaler que Pot propose d’interpréter la vision du voyageur comme une accommodation (au sens des opticiens de « mise au point de la vision de façon à former une image claire et nette sur la rétine »), « qui règle sans discontinuité les plans divergents du proche et du lointain, du local et du général, du concret et de l’abstrait », en oscillant incessamment entre le visible et le lisible, entre l’autopsie et l’intelligible (« Lieux, espaces et géographie dans le Journal de voyage », Montaigne Studies, vol. 15, no 1-2, 2003, p. 63-104, ici p. 78). Nous ne reviendrons pas non plus sur la question, largement débattue, du silence de Montaigne sur les œuvres d’art de la Renaissance en Italie, qui a souvent été expliqué par un manque d’intérêt ou de curiosité, et donc été associée à l’idée de « myopie ». (Cf. Stendhal, Promenades dans Rome, Paris, Delaunay, 1829, II, p. 381 ; Meunier de Querlon, « Discours préliminaire », Journal de voyage, éd. de F. Garavini, Paris, Gallimard, « folio classique », 1983, p. 47 ; Dr A. Armingaud, Œuvres complètes de Michel de Montaigne, t. VII, Paris, L. Conard, 1924, XXI-XXIX ; Michel Bideaux, « La description dans le Journal de Voyage de Montaigne », Études seiziémistes offertes à M. le Prof. V.-L. Saulnier par plusieurs de ses anciens doctorants, Genève, Droz, 1980, p. 130-154 ; Lino Pertile, « Montaigne in Italia : Arte, tecnica e scienza dal Journal agli Essais », Saggi e Ricerche di letteratura francese, no 12, 1973, p. 47-92 ; Richard Sayce, « The Visual Arts in Montaigne’s Journal du Voyage », O un amy ! Essays on Montaigne in Honor of Donald M. Frame, R. C. La Charité (éd.), Lexington, Ky., French Forum, 1977, p. 219-241 ; Schneikert, op. cit., p. 215-240).
86 Ce chapitre tient un rang spécial parmi les Essais : conçu comme une lettre destinée à Diane de Foix, la Comtesse de Gurson, il conseille à une future mère de choisir le meilleur enseignement pour son enfant.
87 I, 26, p. 153 A.
88 Ibid., p. 152 A.
89 Cf. Luigi Monga, Discours viatique de Paris à Rome et de Rome à Naples et Sicile (1588-1589), Genève, Slatkine, 1983, p. 10 sq.
90 I, 26, p. 152 A.
91 Ibid. 153 A.
92 Le Panthéon circulaire érigé par Agrippa sous Auguste, refait par Hadrien et devenu l’église Sainte-Marie-aux-Martyrs (Santa Maria Rotonda), est mentionné dans le Journal de voyage, éd. Garavini, p. 228.
93 Jean-Marie Paisse, « Montaigne et la Pédagogie », BSAM,IVe série, no 22-23, 1970, p. 7-15, ici p. 12.
94 II, 12, p. 488 A.
95 I, 26, p. 152 C.
96 Frédéric Tinguely, « Montaigne et le cercle anthropologique : réflexions sur l’adaptation culturelle dans le Journal de voyage », Montaigne Studies, vol. 15, no 1-2, 2003, p. 21-30, ici p. 23.
97 Wartburg, « frictare », FEW, t. III, p. 784.
98 Ibid., p. 786.
99 Id., « limare », FEW, t. V, p. 338.
100 II, 12, p. 535 C.
101 III, 8, p. 928 B.
102 Tinguely, « Montaigne et le cercle anthropologique », art. cité, p. 23.
103 I, 25, p. 139 A.
104 Ibid.
105 III, 9, p. 985 B.
106 Tinguely, « Montaigne et le cercle anthropologique », art. cité, p. 29.
107 L’auteur joue avec cette idée de « goûter » l’étrangeté en la « parlant », lorsqu’il commence à rédiger son Journal en italien : « Assaggiamodi parlar un poco questa altra lingua, massime essendo in queste contrade dove mi pare sentire il più perfetto favellare della Toscana […]. » [Essayons de parler un peu cette autre langue, précisément alors que je me trouve dans ces contrées où il me semble entendre le parler le plus parfait de la Toscane[…]]. Journal de voyage, éd. d’É. Schneikert et L. Vendrame, Paris, Classiques Garnier, 2012, p. 62sq. Cf. Chiara Nifosi, « Une langue de voyage. Étude quantitative sur l’italien de Montaigne », Montaigne à l’étranger, op. cit., p. 226-241, ici p. 227.
108 Cf. chap. iv de Jean-Didier Urbain, L’Idiot du voyage. Histoire de touristes, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1993.
109 Si l’idée de nationalité universelle se trouve dans les Œuvres morales de Plutarque (voir n. 133), le choix du Polonais est de Montaigne. Selon Jean Balsamo, cette référence « prend sens en relation à l’aventure polonaise du duc d’Anjou, à laquelle Montaigne avait peut-être participé ». (« Montaigne, aux origines de la tradition cosmopolite », Entre Pologne et France, le cosmopolitisme des Lumières[…], Rome, Accademia Polacca, 2018, p. 26-39, ici p. 32 ; sur cette questionvoir : Catherine Magnien, « Montaigne historien de l’“expédition” de Henri d’Anjou en Pologne (1573-1574) ? Hypothèses », Histoire et littérature au siècle de Montaigne. Mélanges offerts à Claude Gilbert Dubois, F. Argot-Dutard (dir.), Genève, Droz, 2001, p. 195-206 et Élisabeth Schneikert, « Montaigne et l’appel de la Pologne. Pourquoi Montaigne désirait-il aller à Cracovie ? », Montaigne à l’étranger, op. cit., p. 115-132).
110 III, 9, p. 973 B.
111 Ibid., p. 986 B.
112 Montaigne se fâchait « de rencontrer à Rome si grand nombre de Français, qu’il ne trouvait en la rue quasi personne qui ne le saluât en sa langue », Journal de voyage, éd. Garavini, p. 189.
113 III, 9, p. 986 B.
114 Boudou et Cernogora, art. cité, p. 10.
115 Nous soulignons. Ibid.
116 I, 26, p. 164 A.
117 III, 3, p. 819 C.
118 III, 11, p. 1030 C.
119 Montaigne s’appuie ici sur Plutarque qui, dans son essai « De la Curiosité », écrit qu’il est absolument nécessaire de dresser le curieux à « veoir & ouïr seulement ce qui est utile ». Les Œuvres morales et meslees, translatees du Grec en François, par messire Iacques Amyot […], t. I, Paris, De l’Imprimerie de Michel de Vascosan, 1572, p. 66G.
120 Cette correspondance entre les démarches a amené Raimond Esclapez à considerer le chapitre i, 26 comme un « prétexte à [un] autoportrait à peine déguisé » et une occasion de « reproduire un autre Montaigne » (« “De l’institution des enfans”. Autoportrait de l’écrivain en “enfant de maison” », Le livre I des Essais de Montaigne. Actes de la Journée d’étude « Montaigne » du 6 novembre 1992, F. Charpentier, (dir.), Paris, U.F.R. « Sciences de textes et documents », 1993, p. 75-93, ici p. 79, 86). Cette interprétation est problématique à deux égards : d’une part, parce que ce passage a été écrit avant que Montaigne n’ait mis son pied sur le territoire étranger, et de l’autre, parce que le critique suggère que l’auteur cherchait à douer l’enfant de ses propres goûts et à lui imposer sa propre manière de voir le monde. Cette idée contredit pourtant l’intention de l’auteur d’éduquer l’enfant de manière à ce qu’il développe une « vigueur et liberté » à exercer son jugement pour se faire « meillur et plus sage » par lui-même. (I, 26, p. 151 B et 152 A).
121 Leur but était d’aider le voyageur à ne rien perdre de ses observations sur place, ainsi que de l’encourager, « avant de mettre sur papier son compte-rendu, à se renseigner auprès de ceux qui l’avaient précédé et à lire tout ce qui avait été écrit sur le sujet ». Luigi Monga, « Itinéraires de Français en Italie à l’époque de Montaigne », Montaigne e l’Italia : atti del Congresso internazionale di studi di Milano-Lecco, 26-30 ottobre 1988,Genève, Slatkine 1991, p. 437-452, ici p. 440.
122 Journal de voyage, éd. Garavini, p. 114.
123 Michel Bideaux, « Le Journal de voyage de Montaigne : un “Essai” sur l’Italie ? », Montaigne e l’Italia, op. cit., p. 453-467, ici p. 455.
124 Cf. Paul J. Smith, « Montaigne, Juste Lipse et l’art du voyage », Romanic Review, vol. 94, no 1, 2003, p. 73-91, ici p. 91.
125 « Montaigne topographe et la description de l’Italie », Montaigne e l’Italia, op. cit., p. 623-642, ici p. 624.
126 Ibid., p. 628.
127 Ibid.
128 On pourrait pourtant considérer l’« honeste curiosité » comme une version sécularisée de la pia curiositas érasmienne. André Godin, « Erasme : “Pia/Impia curiositas” », La Curiosité à la Renaissance, op. cit., p. 25-36. La notion sera réinterprétée par Pierre Charron ; l’étude d’Emiliano Ferrari, « A Passion for Free Minds. The “honneste” curiosité in Montaigne and Charron », Curiosity and the Passions of Knowledge, op. cit.,p. 77-96 a été consacrée à ce rapport de filiation.
129 Wartburg, « honestus », FEW, t. IV, p. 461.
130 II, 12, p. 601 A.
131 Cf. Irma S. Majer, The Notion of Singularity. The Travel Journals of Michel de Montaigne and Jean de Léry, Ann Arbour, UMI Dissertations, 1994.
132 III, 9, p. 986 B.
133 Montaigne fait allusion à un apophtegme qu’il trouve chez Plutarque : « Mais Socrate disoit encore mieux qu’il ne pensoit estre ny d’Athenes ny de la Grece, mais du monde. » Plutarque, De l’exil, IV (5, 601a), in Œuvres morales, op. cit., fo 125. Cette sentence avait été transmise par Diogène Laërce (VI, 63) qui l’attribuait alors à Diogène le cynique, où elle avait un sens négatif : en se pensant citoyens du monde, ces philosophes voulaient en vérité imposer au monde une citoyenneté grecque, sans reconnaître aux autres hommes une égale dignité. Le Bordelais, par contre, interprète ce concept dans un sens positif et universaliste.
134 Sur l’ambivalence du cosmopolitisme de Socrate qui, selon Montaigne, « jugeoit le monde sa ville » (III, p. 973 C) voir : Grégoire Holtz, « “Cosmopolite” ? La redécouverte d’un concept antique dans la France du xvie siècle », La Renaissance au grand large. Mélanges en l’honneur de Frank Lestringant, Genève, Droz, 2019, p. 279-294 ; Balsamo, art. cité, et DorineRouiller, « Le caméléon et le hérisson : Cosmopolitisme et élargissement des horizons géographiques à la Renaissance (Montaigne, Charron) », BHR,vol. 77, no 3, 2015, p. 559-572.
135 I, 26, p. 157 A.
136 Ibid.
137 I, 26, fo 58ro dans l’éd. citée.
138 II, 12, p. 536 C.
139 Montaigne confère donc au lieu commun de l’homme-microcosme, petit monde à l’image du grand, une portée pédagogique. I, 26, p. 157 sq. A.
140 Ibid., p. 158 A.
141 I, 12, p. 452 C.
142 I, 26, p. 157 A.
143 Ibid.
144 Céard, La nature et les prodiges, op. cit., p. 421.
145 I, 26, p. 166 A.
146 Hans Blumenberg, Die Lesbarkeit der Welt,Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1981, p. 9-21.
147 Tinguely, « Montaigne et le cercle anthropologique », art. cité, p. 29.
148 Concetta Cavallini, « Montaigne et le terme durante il viaggio in Italia. 1580-1581 », Michel de Montaigne e il termalismo. Atti del convegno internazionale di Battaglia Terme, Castello del Catajo, Villa Selvatico-Sartori, 20-21 aprile 2007, Firenze, Olschki, 2010, p. 47-59, ici p. 53sq.
149 Melinda A. Cro, « Montaigne’s Italian Voyage : Alterity and Linguistic Appropriation in the Journal de voyage », South Atlantic Review, vol. 78, no 3, 2013, p. 150-166, ici p. 156.
150 I, 26, p. 155A.
151 III, 9, p. 985 C.
152 Ibid., p. 947 A.
153 Antoine Compagnon, « Penser en marchant », Montaigne. Scepticisme, métaphysique, théologie, op. cit., p. 197-209, ici p. 199, 208.
154 Albert Thibaudet, Montaigne [1963], éd. F. Gray, Paris, Gallimard, 1997, p. 96sq.
155 III, 9, p. 988 B.
156 Ibid.
157 Smith, art. cité, p. 77, 80 sq. ; Michel Magnien, « Aut sapiens, aut peregrinator : Montaigne vs. Lipse », The World of Justus Lipsius : A Contribution towards his Intellectual Biography : Proceedings of a Colloquium […], M. Laureys et al. (éd.), Turnhout, Brepols, 1998, p. 209-232.
158 Juliette Morice, « Mouvement de l’âme et mouvement cosmique : L’éthique des voyages chez Sénèque », Fabula / Les colloques, Penser le mouvement, p. 1-12, ici p. 2sq., mis en ligne le 10 / 06/ 2016, consulté le 21 / 04/ 2021. URL : http://www.fabula.org/colloques/document2559.php#.
159 Autre concept ambigu, étudié brillamment par Sylvia Giocanti, dans Penser l’irrésolution. Montaigne, Pascal, La Mothe Le Vayer, Paris, Honoré Champion, 2001.
160 II, 12, p. 601 A.
161 Ibid.
162 III, 9, p. 985 B.
163 Juliette Morice, « Le voyage “homéopathique” dans les Essais de Montaigne (“De la vanité”) », Littérature et voyages de santé, C. de Buzon, O. Richard-Pauchet (dir.), Paris, Classiques Garnier, 2017, p. 163-179.
164 II, 16, p. 622 A.
165 Monga, art. cité, p. 438.
166 Journal de voyage, éd. Garavini, p. 165.
167 Ibid., p. 153.
168 Ibid.
169 Ibid.
170 « Je respons ordinairement à ceux qui me demandent raison de mes voyages :que je sçay bien ce que je fuis, mais non pas ce que je cerche. » III, 9, p. 972 B.
171 Ibid., p. 977 sq.Cf. Françoise Charpentier, « L’écriture de l’errance », Montaigne. Espace, voyage, écriture, op. cit., p. 243-252.
172 Ibid., p. 988 B.
173 Ibid., p. 974 B.
174 Ibid.
175 II, 12, p. 498 A ; Ibid., p. 503 A ; II, 30, p. 713 C ; II, 4, p. 364 A.
176 III, 9, p. 973 B.
177 Ibid. Cf. Platon : « tous les corps gagnent à être nus, sans fatigues, de toutes sortes de secousses et de mouvements, soit qu’ils se les donnent eux-mêmes ou qu’ils reçoivent d’un transport en voiture, sur mer, à cheval ou de toute motion communiquée, grâce à quoi ils s’assimilent les aliments et les boissons et deviennent capables de nous transmettre à nous-mêmes la santé, la beauté, la vigueur sous toutes ses formes », Lois, VII, 789c-d. Pline, Histoire naturelle, XXVIII xiv (4), 54, dit que l’équitation est salutaire à l’estomac et aux jointures : « Equitatio stomacho ex coxis utilissimo ».
178 Cette expression a valeur de topos qui apparaît sous forme de « continovo esercitio » chez Pietro Buccio (Le Coronationi di Polonia, et di Francia, del Christianiss[imo] Re Henrico III. […], Padova, Pasquati, 1576, c. 14ro), et de « continuelle nouveauté » dans le Traité de la constance de Juste Lipse (1583 en latin, puis en français : Tours, chez Claude de Montr’œil et Jean Richer, 1594, fo 4ro). Cf. Anna Bettoni, « Montaigne, Pietro Buccio e le “saluberrime acque di bagni” », Michel de Montaigne e il termalismo, op. cit., p. 61-80, ici p. 69.
179 Morice, « Le voyage “homéopathique” dans les Essais », art. cité, p. 163.
180 Terence Cave, The Cornucopian Text, Oxford, Oxford University Press, 1979, p. 147.
181 Ecclésiaste, 1, 14.
182 Virginia M. Green, « Montaigne’s Vanity : Reading Digressions on Travel », Renaissance and Reformation/ Renaissance et Réforme, vol. 18, no 4, 1994, p. 29-37, ici p. 32.
183 II, 12, p. 601 Csq.
184 III, 9, p. 988 B.
185 Ibid.
186 III, 3, p. 828 B ; Cf. aussi III, 9, p. 977sq.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-12607-2
- EAN : 9782406126072
- ISSN : 2261-897X
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12607-2.p.0151
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 10/11/2021
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : myopie, curiosité, mobilité, voyage, vision, connaissance, mouvement, Journal de voyage, Essais