Plasma et imagination chez Montaigne Philosopher aux frontières de la fiction
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
2017 – 2, n° 66. varia - Auteur : Vintenon (Alice)
- Pages : 55 à 78
- Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
Plasma et imagination
chez Montaigne
Philosopher aux frontières de la fiction
Quoiqu’elle ne fasse pas partie du vocabulaire de Montaigne, la notion de plasma ne lui est probablement pas étrangère : lecteur de la philosophie sceptique, il a peut-être connaissance de la réflexion que Sextus Empiricus consacre aux trois types de narrations, l’historia, le muthos et le plasma. Attribuée à Asclépiade de Myrlea, cette tripartition distingue les récits en fonction de leur « degré de proximité ou d’éloignement au réel1 » : l’historia est « l’exposé de choses vraies qui sont arrivées » (par exemple « Alexandre est mort empoisonné à Babylone, victime d’un complot2 »), le muthos, le récit d’« événements non advenus et faux », comme la métamorphose des compagnons de Diomède en oiseaux de mer, celle d’Ulysse en cheval, ou celle d’Hécube en chien3, tandis que le plasma évoque « des choses qui ne se sont pas produites », et les met en scène « comme si elles avaient eu lieu » (par exemple, dans les intrigues de comédies et de mimes4). Chez Henri Estienne, cette classification sera traduite par la triade historia (« [expositio] aliquorum quae vera sunt, et quae facta sunt ») / fabula (« [expositio] rerum quae fieri non potuerunt et falsae sunt ») / figmentum (« [expositio] rerum […] quae non fuerunt, dicuntur autem perinde ac si fuissent, ut comica argumenta et mimi5 »), et non par la 56tripartition similaire que l’on peut lire chez Cicéron, qui distingue historia, argumentum et fabula. De fait, la définition de Sextus Empiricus se différencie de celle de l’orateur latin car elle insiste sur l’art du récit, susceptible de créer l’illusion en racontant des événements non advenus comme s’ils étaient vrais6. Cicéron, pour sa part, mettait plutôt en évidence, dans la catégorie intermédiaire de l’argumentum (défini comme une ficta res quae tamen fieri potuit7), la notion de possible. Davantage donc que l’argumentum latin, le plasma se présente comme un simulacre du vrai, propre, comme l’indique Barbara Cassin, à « [fissurer] l’opposition massive et massivement aristotélicienne entre poésie et histoire8 », historia et muthos. Chez Sextus Empiricus, le contexte d’apparition de la tripartition muthos/plasma/historia est d’ailleurs celui d’une interrogation sur la capacité des grammairiens à livrer un critère fiable pour distinguer l’historia de ses contrefaçons fictionnelles :
Les grammairiens ne nous ont pas légué un critère de vérité permettant de tester ce qui est faux et ce qui est vrai dans l’histoire. […] Lorsque quelqu’un dit qu’Ulysse a été supprimé par son fils Télégonos qui ne l’avait pas reconnu, un autre qu’il expira quand une mouette eut laissé tomber sur lui le dard d’une pastenague et un autre encore qu’il s’est changé en cheval, n’est-ce pas une lourde tâche de découvrir la vérité dans toutes ces incohérences9 ?
En s’intercalant entre le muthos et l’historia, la catégorie des récits « semblables au vrai » met en évidence l’incapacité des hommes à produire un récit entièrement fiable, et à établir avec certitude leur propre histoire : s’il paraît difficile de prendre pour historiques les inventions manifestement fantaisistes qui composent les muthoi, le risque de confusion est réel dans le cas du plasma vraisemblable.
Parce que la notion de plasma questionne la possibilité d’établir une frontière claire entre le vrai et le « faux vraisemblable », elle peut s’avérer féconde pour appréhender les anecdotes qui, dans les Essais, sont exploitées philosophiquement malgré (ou peut-être à cause de) leur caractère incertain. À propos notamment du chapitre « De la force de l’imagination », on s’intéressera aux fonctions que Montaigne prête aux 57exemples qu’il situe aux frontières de l’histoire véritable et de la fiction, de l’historia et du plasma. Nous verrons que ces anecdotes s’avèrent emblématiques d’une quête philosophique qui ne prétend pas accéder à l’être, mais interroge notre « communication » à celui-ci.
Le goût de l’extraordinaire dans les anecdotes
sur la « force de l’imagination »
Dans les Essais, il n’est pas rare que la réflexion soit suscitée ou illustrée par des « cas » peu crédibles. C’est notamment le cas dans l’essai « De la force de l’imagination », dont les exemples semblent bien extraordinaires au lecteur d’aujourd’hui. L’essai mêle plusieurs catégories d’anecdotes, comme l’indique Montaigne quand il affirme tirer ses exemples de ce qu’il a « lu, ouï, fait, ou dit10 ». Ainsi, la démonstration consacrée au caractère contagieux des « impressions » de l’imagination sur le corps du sujet qui les conçoit glisse du témoignage personnel (« Un tousseur continuel irrite mon poumon et mon gosier11 ») aux généralités (« Il y en a, qui de frayeur anticipent la main du bourreau12 »), puis à un chapelet d’anecdotes couramment relayées par les médecins et compilateurs pour illustrer le même phénomène, par exemple le cas du fils de Crésus, qui sous l’effet de la passion retrouva la voix. Une autre série de cas, qui met en scène les effets de l’imagination sur le corps d’autrui, offre le même panachage de témoignages contemporains (« on vit dernièrement chez moi un chat guettant un oiseau en haut d’un arbre, et s’étant fiché la vue ferme l’un contre l’autre, quelque espace de temps, l’oiseau s’être laissé choir comme mort entre les pattes du chat13 ») et de cas si bien relayés par la tradition que Montaigne peut s’en tenir à des mentions allusives (« témoin celle qui engendra le More14 »).
58La confrontation des anecdotes du chapitre i 20 à leurs sources possibles accentue leur caractère douteux. Comme nous l’avons dit, les cas relayés par Montaigne sont rarement originaux : six « cas » apparaissent dans la Théologie platonicienne de Marsile Ficin15 ; onze sont relatés dans la Magie naturelle de Corneille Agrippa, pour illustrer la puissance de l’imagination16. D’autres anecdotes peuvent avoir été tirées de compilations ou d’ouvrages médicaux : ainsi, l’histoire de la femme persuadée d’avoir mangé une épingle avec son pain, de même que celle de la demoiselle qui se persuade d’avoir mangé « un chat en pâte » (I 20, p. 157-158), trouvent des équivalents chez Ambroise Paré17, auquel Montaigne pourrait également avoir emprunté le cas de « celle qui engendra le More », raconté, à l’origine, par Hippocrate18. La fréquence de ces anecdotes dans les textes du xvie siècle rend quasiment impossible de déterminer avec certitude quels ouvrages Montaigne avait sur sa table de travail au moment d’écrire l’essai sur la force de l’imagination19. Mais la comparaison avec ses sources probables est riche d’enseignements, car elle fait ressortir le choix montaignien de privilégier les anecdotes ou les versions les plus invraisemblables. À la différence de Ficin, par exemple, il ne s’en tient pas à des exemples validés par l’expérience quotidienne (comme l’impression de satiété procurée par la vue de 59certains aliments), mais relaie, à l’instar d’Agrippa, des cas qui, comme celui de la fille velue, dérogent au cours ordinaire de la nature. En outre, contrairement par exemple aux médecins Fracastor (dans son Turrius) ou Ambroise Paré, qui s’attardent sur les hallucinations suscitées par la puissance de l’imagination (par exemple, les cas de malades persuadés à tort qu’ils sont en verre ou décapités20), Montaigne privilégie les récits dans lesquels l’imagination modifie réellement le corps, et donc produit des métamorphoses qui rappellent l’univers du muthos. Cette volonté de rendre spectaculaires les pouvoirs de l’imagination, qui n’agirait plus seulement sur les représentations mentales, mais aussi sur les organes eux-mêmes, apparaît notamment dans l’exemple de Cyppus, le roi d’Italie qui, à en croire Montaigne, aurait « produit » en son front des cornes après avoir assisté à un combat de taureaux. Des versions concurrentes de cette histoire, Montaigne choisit la plus extraordinaire. Rappelons en effet que l’Histoire naturelle de Pline refuse d’accréditer cette métamorphose relatée par Ovide, et la met sur le même plan que le mythe de la métamorphose d’Actéon, en rappelant que la nature n’a donné de cornes qu’aux quadrupèdes :
Des cornes de formes variées ont été données à plusieurs animaux aquatiques et marins et aussi à des serpents, mais ce que l’on entend proprement par cornes n’appartient qu’à l’espèce des quadrupèdes : je juge en effet fabuleuse l’aventure d’Actéon comme celle de Cipus relatée par l’histoire latine. Nulle part la nature n’a montré plus de fantaisie [que dans les cornes]. Elle s’est divertie avec les armes des animaux21.
Chez les lettrés de la Renaissance, l’anecdote peut basculer du statut de fable à celui de cas médical digne d’intérêt, mais au prix d’une modification substantielle : la pousse de cornes n’est plus décrite comme une métamorphose réellement advenue, mais comme une hallucination 60due, pour Fracastor par exemple, à l’excès de mélancolie22. Ambroise Paré ne dit pas autre chose dans l’Introduction ou entrée pour parvenir à la vraye cognoissance de la chirurgie (1564), qui n’envisage pas qu’une telle métamorphose puisse réellement se produire :
On dit y en avoir eu d’autres, qui opiniastrement se persuadoient avoir des cornes, de sorte que telle fantasie ne leur a peu estre arrachée de leur melancholique et bizarre cerveau, jusqu’à tant que leurs yeux estant bandés, on leur eust esgratigné le front de costé et d’autre avec des cornes de bœuf, à ce que par l’effusion douloureuse de leur propre sang, ils se persuadassent telles cornes leur avoir esté arrachées de fait et de force23.
Une analyse similaire apparaît sous la plume d’un contemporain de Montaigne, La Primaudaye, dont la Suitte de l’Academie Françoyse (1580) offre un développement sur les visions étranges de ceux qui sont troublés « au regard de l’imagination et de la fantaisie » :
Il leur semble qu’une chose soit autre qu’elle n’est. Et pource ils conçoivent des opinions estranges, lesquelles ils impriment tellement en leur cerveau, qu’on ne les en peut pas facilement arracher. Les uns imaginent, et se font accroire qu’ils portent des cornes : les autres qu’ils ont quelque serpent ou quelque autre beste au corps : les autres qu’ils sont devenus cruches ou verres, et ont peur qu’on ne heurte contre eux, et qu’on ne les casse et froisse24.
Ces points de comparaison confirment que Montaigne opte, dans l’essai I, 20, pour la version la plus fabuleuse, en l’occurrence celle d’Henri Corneille Agrippa qui, dans La Magie naturelle, considère la transformation de Cyppus comme réelle, et fournit même des explications au phénomène :
[La poussée de cornes] ne peut advenir que si la force végétative est stimulée par une vive imagination, laquelle agit sur les humeurs cornifères faisant pousser pendant la nuit des tumeurs ou excroissances rappelant les cornes25.
61Une lecture qui prendrait seulement en considération la manière dont Montaigne sélectionne ses récits parmi toutes les versions disponibles pourrait conclure au manque d’esprit critique de l’auteur des Essais. Mais ce serait négliger les indices déployés par ce dernier pour signaler le caractère douteux des exemples relatés : le parti-pris consistant à privilégier les manifestations les moins vraisemblables de la « force de l’imagination » prend en effet tout son sens à la lumière de la stratégie ironique mise en œuvre dans la plupart des récits.
Le statut incertain des anecdotes
sur la force de l’imagination
Dans son analyse de l’essai I 20, Karin Westerwelle relève les traits d’ironie et d’humour qui caractérisent la présentation des anecdotes sur la puissance de l’imagination26. De fait, à la lumière des analyses de Dilwyn Knox, il est possible de détecter dans l’essai I 20 des traces de la forme particulière d’ironie qui consiste à laisser entendre que le locuteur ne croit peut-être pas à son propre énoncé27. Ainsi, dans le cas de Cyppus, le jeu montaignien sur le double sens du mot « cornes » entame la vraisemblance de l’anecdote :
Et encore qu’il ne soit pas nouveau de voir croistre la nuict des cornes à tel qui ne les avoit pas en se couchant : toutesfois l’evenement de Cyppus, Roy d’Italie, est memorable, lequel pour avoir assisté le jour avec grande affection au combat des taureaux, et avoir eu en songe toute la nuict des cornes en la teste, les produisit en son front par la force de l’imagination28.
Alors que, comme on l’a vu, Agrippa apportait à la métamorphose une explication médicale, la pseudo-authentification offerte par Montaigne fait sourire, car elle feint de reconnaître la même consistance à un fait 62et à une formule métaphorique (« porter des cornes »), et d’établir une relation logique entre le réel et les figures forgées par le langage29. La phrase introductive incite donc le lecteur à penser que la métamorphose en « cornard » pourrait n’être crédible que dans le monde parallèle des dictons et images populaires.
Tout comme la mise en regard du fait supposé réel et de l’expression figurée, l’intervention de l’autorité des poètes éveille les soupçons du lecteur, en prêtant aux exemples une coloration fabuleuse. Ainsi, le caractère extraordinaire des changements de sexe est souligné lorsque l’autorité de Pline, auquel Montaigne emprunte l’histoire de Lucius Cossutus, est mise en regard avec une citation d’Ovide, dont les fabulae incarnent, du propre aveu de leur auteur, la « licence de feindre30 » concédée aux poètes :
Pontanus et d’autres racontent pareilles métamorphoses advenues en Italie ces siècles passés. Et par véhément désir de lui et de sa mère,
Vota puer soluit, quae foemina voverat Iphis31.
De l’historia plinienne, Montaigne glisse à la métamorphose d’Iphis, personnage des Métamorphoses (IX, 794) dont la transformation en homme est, pour le lecteur du xvie siècle, d’autant plus fabuleuse qu’elle ne s’appuie pas sur la causalité naturelle qu’est la force de l’imagination, mais sur une intervention des dieux païens32. De cette façon, Montaigne ne laisse-t-il pas entendre que le récit plinien n’est guère plus fiable que celui du poète ?
Dans d’autres cas, l’intervention de modalisations vient entretenir le doute sur la véracité des anecdotes relatées, selon un mécanisme que Montaigne lui-même analysera dans le chapitre « Des boiteux » :
On me fait haïr les choses vraisemblables, quand on me les plante pour infaillibles. J’aime ces mots, qui amollissent et modèrent la témérité de 63nos propositions : à l’aventure, aucunement, quelque, on dit, je pense, et semblables33.
Dans l’essai « De la force de l’imagination », ces « atténuations » du propos ne sont pas systématiques. Ainsi, rien ne semble entamer la crédibilité de l’histoire du fils de Crésus (« La passion donna au fils de Croesus la voix, que nature lui avait refusée34 »). Mais souvent, la mention d’une source vient suggérer que le cas relaté n’est pas consensuel, et que Montaigne, loin de s’engager complètement, s’en remet à autrui pour établir ou interpréter les faits :
Pline dit avoir vu Lucius Cossutius, de femme changée en homme le jour de ses noces. Pontanus et d’autres racontent pareilles métamorphoses advenues en Italie ces siècles passés35.
Les uns attribuent à la force de l’imagination les cicatrices du roi Dagobert et de Saint François. On dit que les corps s’en enlèvent telle fois de leur place36.
L’ancienneté a tenu de certaines femmes en Scythie, qu’animées et courroucées contre quelqu’un, elles le tuaient du seul regard. […] Et quant aux sorciers, on les dit avoir des yeux offensifs et nuisants37.
Il fut présenté à Charles Roi de Bohême et Empereur, une fille d’auprès de Pise, toute velue et hérissée, que sa mère disait avoir été ainsi conçue, à cause d’une image de Saint Jean Baptiste pendue en son lit38.
Dans certaines des formules citées, l’incertitude est renforcée par la mention d’autorités contestées (comme celle de Pline) ou par l’imprécision des sources (« on », « l’ancienneté »…). La fragilité des témoignages peut même être soulignée avec humour lorsque Montaigne, jouant sur le sens propre et le sens figuré du mot « témoin » (qui peut soit équivaloir à « par exemple », soit être pris au sens fort), feint de faire comparaître des preuves vivantes de la puissance de l’imagination :
Nous voyons par expérience, les femmes envoyer aux corps des enfants, qu’elles portent au ventre, des marques de leurs fantaisies : témoin celle qui engendra le Maure.
64Des animaux il en est de même : témoin les brebis de Jacob, et les perdrix et lièvres, que la neige blanchit aux montagnes39.
L’impossibilité matérielle de prendre à témoin la « femme qui engendra le Maure » ou, a fortiori, les brebis de Jacob, signale le caractère invérifiable des anecdotes qui les mettent en scène.
Mais de manière plus générale, le soin que prend Montaigne à préciser que la plupart de ses exemples relèvent du « ouï-dire » laisse planer le doute sur leur qualité historique. En reportant sur ses sources la responsabilité d’une éventuelle affabulation (« Car les Histoires que j’emprunte, je les renvoie sur la conscience de ceux de qui je les prends40 »), il répond à l’objection implicite d’un lecteur qui l’accuserait de produire des récits peu fiables.
Particulièrement nombreux chez Montaigne, les signes indiquant que le narrateur n’accorde pas une croyance naïve aux anecdotes sur la puissance de l’imagination ne sont pas propres aux Essais : plusieurs traits d’ironie mobilisés dans le chapitre i 20 trouvent en effet des équivalents chez certains de ses contemporains. Par exemple, l’équivoque grivoise sur la tête « cornarde » de Cyppus peut rappeler la manière dont Levinus Lemnius détourne le topos de l’imagination des femmes enceintes dans son De complexionibus (1561) qui, au lieu de citer en exemple le cas hippocratique de « celle qui engendra le Maure », attribue malicieusement à la vis imaginationis le type espagnol de certains nouveaux-nés belges lors des campagnes flamandes de Charles Quint41. Mentionnons aussi les précautions prises par certains compilateurs, par exemple Joubert qui, à propos du cas (également présent dans l’essai I 20) de ceux qui commandent à leur derrière au 65point de parvenir à « chanter du cu », fait quelques concessions au lecteur incrédule :
Je say bien que plusieurs refuseront d’adjouter foy à ces histoires : mais […] quand je considere la force et puissance de l’ame raisonnable si jantile, sur ce corps terrien et lourd, certainemant rien ne me samble incroyable, moins difficile, que à tous ces mouvemans le cors soit notablemant emù42.
De la même façon, Pierre Messie prévoit les doutes de son lecteur à propos de l’histoire des cornes de Cyppus :
Si cela est vray il doit proceder de ce qu’estant la vertu vegetative aydée et poulsée de l’imaginacion, elle porta en la teste les humeurs propres à engendrer cornes, et les produisit43.
Certains compilateurs vont même jusqu’à souligner l’aspect fabuleux des anecdotes en indiquant qu’elles peuvent susciter chez le lecteur le même plaisir que les fictions poétiques. C’est du moins ce qu’indique Pierre Messie, à propos d’une anecdote mettant en scène deux chevaliers à l’imagination déréglée :
Si les contes couchez sous fictions poëtiques et inventez, donnent quelque plaisir aux lecteurs, par consequent les veritables, et qui ne sont pas moins estranges meritent bien estre contez44.
Cette insistance sur le placere semble autoriser le lecteur à lire les anecdotes sur la force de l’imagination comme il lirait des fables poétiques. De la même façon, le médecin Du Laurens fait valoir l’agrément que le lecteur tirera de l’évocation des maladies mélancoliques :
Il faut maintenant qu’en ce chapitre, pour donner du plaisir au lecteur, ie propose quelques exemples de ceux qui ont eu des plus bizarres et foles imaginations45.
66Si la vigilance critique de Montaigne et son ironie à l’égard de ses propres récits ne constituent pas des cas isolés dans le discours sur la puissance de l’imagination au xvie siècle, l’auteur des Essais se distingue par sa réflexion sur la fécondité des anecdotes incertaines. C’est à ce titre qu’il convient de faire intervenir à nouveau dans cette étude la notion de plasma.
Quand le plasma dit son nom
Le « conte du fauconnier, qui arrêtant obstinément sa vue contre un milan en l’air, gageait de la seule force de sa vue le ramener contre-bas46 » suscite, dans l’exemplaire de Bordeaux47, une célèbre mise au point sur le statut des cas relatés dans l’essai I 20 :
Aussi en l’étude que je traite, de nos mœurs et mouvements, les témoignages fabuleux, pourvu qu’ils soient possibles, y servent comme les vrais. Advenu ou non advenu, à Rome ou à Paris, à Jean ou à Pierre, c’est toujours un tour de l’humaine capacité : duquel je suis utilement avisé par ce récit. […] Il y a des auteurs, desquels la fin c’est dire les événements. La mienne, si j’y savais advenir, serait dire sur ce qui peut advenir48.
À juste titre, Gisèle Mathieu-Castellani et Karin Westerwelle proposent de lire ces lignes à la lumière de la Poétique aristotélicienne, qui opposait déjà l’histoire (récit de choses « advenues ») à la mimèsis fictionnelle49. Chargée de mettre en scène « ce qui pourrait advenir », cette dernière offre une plus ample perspective philosophique que ne le ferait l’enregistrement des faits passés. On comprend dès lors que le développement sur le statut des anecdotes, qui pouvait à première 67vue paraître digressif, apporte en fait un éclairage nouveau sur le sujet de l’essai, la « force de l’imagination ». En marge du sujet central de l’essai, qui examine les effets des représentations mentales sur les corps, la mise au point sur la véracité des anecdotes complète le propos en envisageant les réalisations plus positives de la faculté imaginative, en particulier la capacité de forger des « mondes possibles » propres à interroger l’étendue de « l’humaine capacité ». Par conséquent, si l’on considère que la « digression grotesque » apporte, comme le suggère Montaigne dans « De l’amitié », des informations tout aussi essentielles que le sujet central du tableau, il apparaît que l’essai I 20 associe à l’imagination deux types de « pouvoirs » : d’une part, celui de modifier les corps, d’autre part, celui de produire la représentation fictive d’événements possibles.
Outre l’opposition aristotélicienne entre l’histoire et les « possibles » forgés par le muthos poétique, la notion de plasma peut éclairer la manière dont Montaigne tire parti des anecdotes incertaines : ces dernières ont en effet, dans l’essai I 20, pour singularité de se donner pour ce qu’elles sont, des récits vraisemblables, que l’on ne peut assigner avec certitude à la catégorie de la fable ou à celle de l’histoire. En cela, elles peuvent rappeler les analyses que Barbara Cassin consacre à la théorie du plasma au iie siècle, dans un chapitre qui convoque non seulement la tripartition de Sextus Empiricus mais également l’apport de la seconde sophistique. Pour la philosophe, le plasma n’a pas seulement pour particularité de montrer, comme chez Sextus Empiricus, la porosité des frontières entre l’historia et la fiction. Il peut aussi, comme en témoignent les aveux de mensonges des Histoires vraies de Lucien de Samosate, revendiquer son caractère « modelé » ou « façonné ». En assumant sa fausseté, il se démarque du pseudos sophistique, défini, depuis Platon, par le fait de dire « ce qui n’est pas, le non-être », mais surtout, par « l’intention de tromper » autrui50. Dans le cadre du plasma, l’inadéquation de l’énoncé à l’être cesse d’aller de pair avec l’intention trompeuse qui préside au mensonge, car le destinataire est prévenu qu’il a affaire à un énoncé faux ou incertain : « le pseudos […] se donne pour pseudos51 ». Dès lors qu’il est exonéré du reproche d’illusionnisme, le plasma peut mettre sa fausseté au service de finalités positives, comme le plaisir littéraire ou la réflexion 68philosophique. À en croire Barbara Cassin, le plasma conduit ainsi à une « intrication entre littérature, pédagogie et politique52 », renouant avec la conviction aristotélicienne selon laquelle la modélisation du réel opérée par la fiction peut s’avérer plus philosophique que l’histoire53. Il convient donc, pour finir, d’examiner les qualités philosophiques que Montaigne confère au vraisemblable : pour quelles raisons des cas simplement possibles peuvent-ils, dans les Essais, « [servir] comme des vrais54 » ?
Philosopher sur des possibles :
Montaigne et la valorisation du plasma
Dans l’essai I 20, la valorisation philosophique du possible peut faire écho au propos de la Poétique d’Aristote sur les qualités respectives de la fiction et de l’histoire, la première relevant du général alors que la seconde ne transmet que les qualités particulières des choses55. Montaigne établit en effet une distinction entre la véracité des faits et celle des « discours », donc des analyses et interprétations auxquels ils peuvent donner lieu. Ainsi, dans l’analyse de la « force de l’imagination », peu importe que les exemples soient conformes à la réalité advenue, l’essentiel est qu’ils illustrent des lois générales fondées en raison (« Les discours sont à moi, et se tiennent par la preuve de la raison, non de l’expérience56 »). Comme le dira Montaigne dans l’« Apologie de Raimond Sebond » après avoir énuméré des manifestations plus ou moins extraordinaires d’un même phénomène, la sollertia animalium, « une même nature suit son cours57 » dans les exemples familiers (comme la fidélité des chiens à leur maître) comme dans les cas invraisemblables et renvoyés à la conscience d’autrui (par exemple, l’histoire, empruntée à Plutarque, d’un chien qui met des cailloux au fond d’une cruche pour faire remonter l’huile qu’il ne parvenait 69pas à atteindre58). Par cette démarche, Montaigne semble s’écarter de la radicalité des Pyrrhoniens qui, comme le rappelle l’« Apologie de Raimond Sebond59 », rejettent la catégorie du « vraisemblable » car elle suppose, chez celui qui l’emploie, une connaissance du vrai, pourtant inaccessible à l’entendement humain : dans le cadre des Essais, la référence à des lois générales incontestables permet bien de hiérarchiser les anecdotes, de « prendre plutôt à gauche qu’à droite60 ». Ainsi, lorsque des anecdotes non avérées sont retenues dans l’essai I 20 pour illustrer la puissance de l’imagination, c’est au nom d’une maxime philosophique posée comme certaine :
Mais tout ceci se peut rapporter à l’étroite couture de l’esprit et du corps s’entre-communiquant leur fortune61.
D’autres avant Montaigne avaient, semblablement, tenté de mettre en évidence un principe d’explication commun à toutes les anecdotes sur la puissance de l’imagination : Ficin, par exemple, insiste sur l’influence qu’exerce l’âme (et notamment la phantasia) sur le corps par le biais des passions62.
La possibilité d’articuler les « cas » incertains à une loi générale permet de comprendre l’expression ambiguë « C’est toujours un tour de l’humaine capacité » : quoique potentiellement fabuleux, les exemples cités montrent 70de quoi l’homme est capable, tant dans ses réalisations concrète que dans les fictions de son esprit, dont l’infinie variété complète opportunément les maigres données de l’expérience. Dans une perspective similaire à celle de l’essai I 20, le chapitre « De l’art de conférer » reconnaîtra la contribution des « fantaisies » à la connaissance de l’esprit humain :
Il n’est si frivole et si extravagante fantaisie, qui ne me semble bien sortable, à la production de l’esprit humain. […] Toutes telles rêvasseries qui sont en crédit autour de nous, méritent au moins qu’on les écoute63.
Ainsi, les cas situés à la limite de l’histoire et de la fiction « essaient » (testent) aussi bien les facultés physiques de l’homme que la créativité de son esprit, comme l’indique Gisèle Mathieu-Castellani :
Un récit, quel qu’il soit, dit toujours quelque chose, sinon des faits rapportés par le conteur, au moins du conteur lui-même. […] Ronsard et Montaigne, le poète et l’essayiste, revendiquent un même droit à accueillir ce qui peut être, à dire le possible même s’il heurte les codes de la vraisemblance. […] Pour le poète épique, il s’agit de défendre les droits de la fiction, et plus précisément de la fiction « romanesque » […] ; pour l’essayiste, il s’agit de dire tout l’homme, non seulement ses mœurs et mouvements, mais ses virtualités, le labyrinthe de ses secrets et de ses fantasmes, ses « folles fantaisies », ses folies64.
Outre qu’elles introduisent dans la réflexion une interrogation sur les limites de « l’humaine capacité » et les bornes du possible, les anecdotes situées au marge du vraisemblable sont, dans les Essais, reconnues comme particulièrement propres à retenir l’attention et à activer la quête philosophique : fidèle à l’idée platonicienne (Théétète 155d) qui veut qu’Iris soit fille de Thaumantis65, Montaigne reconnaît un caractère fécond à l’étonnement et à la perplexité suscités par les anecdotes étranges (« Nous admirons et pesons mieux les choses étrangères que les ordinaires66 »). L’incertitude sur leur statut (vrai ou faux, historique ou fictionnel) contribue à faire prendre conscience d’une ignorance à combler. De la même manière, Montaigne s’intéresse, dans « De l’art de conférer », aux effets des opinions apparemment paradoxales ou éloignées des siennes (« Les contradictions donc des jugements, ne m’offensent, ni m’altèrent : 71elles m’éveillent seulement et m’exercent67 »), perçues comme autant d’occasion de mettre en question les vérités provisoires auxquelles s’est arrêté l’esprit. L’ouverture au possible a donc partie liée avec la mobilité d’une pensée qui refuse le confort des certitudes.
De fait, en accueillant les manifestations les moins vraisemblables d’une loi générale reconnue comme valide, Montaigne offre une conception singulière de la prudence qui incombe au philosophe. D’une part, ce dernier doit s’interdire de prendre pour argent comptant les cas invraisemblables68, et suspendre à leur propos ses jugements de vérité :
Et est notre vie trop réelle et essentielle, pour garantir [les] accidents, supernaturels et fantastiques. […] C’est bien assez ; qu’un homme, quelque recommandation qu’il ait, soit cru de ce qui est humain : De ce qui est hors de sa conception, et d’un effet supernaturel : il doit en être cru, lors seulement, qu’une approbation supernaturelle l’a autorisé. […] Il vaut mieux pencher vers le doute, que vers l’assurance, ès choses de difficile preuve, et dangereuse créance69.
Mais il ne doit pas pour autant écarter les récits douteux du champ de ses investigations. « Le nombre et variété des accidents70 » de Nature et les contours indécidables de « l’humaine capacité » ne découragent-ils pas toute prétention à fixer les limites du possible et de l’impossible ? Comme le rappelle le chapitre « De la vanité » dans son célèbre développement sur les sorciers, seul Dieu dispose d’exemples « certains et irréfragables71 », quand ceux des hommes sont incertains, du fait notamment des imperfections de la perception (« Tant il y a d’incertitude partout : tant notre apercevance est grossière, obscure et obtuse72 », « les choses présentes mêmes, nous ne les tenons que par la fantaisie73 ») et de la subjectivité des interprétations.
72Paradoxalement, donc, l’honnêteté philosophique consiste en partie à fournir à son lecteur un maximum de matériau, quitte à le laisser séparer le bon grain de l’ivraie comme il l’entendra. L’essai « De l’art de conférer » souligne ainsi que l’ouverture au possible est une manière de se montrer conscient de la fragilité de son propre jugement : pour départager le vraisemblable de l’invraisemblable, que pèse, en effet, l’opinion d’un seul ? Au nom de cet argument, Montaigne fait l’apologie des historiens qui préfèrent relayer des croyances populaires douteuses plutôt que de prendre la responsabilité de les infirmer. C’est le cas de Quinte-Curce qui, à propos de l’histoire improbable d’un chien qui se laisse couper tous les membres plutôt que de lâcher sa proie, considère que l’autorité d’une tradition largement répandue l’emporte sur la sienne :
Quant à moi, j’en écris plus que je n’en crois ; car je ne puis me résoudre, ni à affirmer ce dont je doute, ni à supprimer ce que m’a transmis la tradition74.
Une telle méthode n’est pas contradictoire avec la réticence de Montaigne à évaluer la véracité d’un fait à l’aune de l’assise plus ou moins large dont il bénéficie dans l’opinion commune (« Il y a du malheur, d’en être là, que la meilleure touche de la vérité, ce soit la multitude des croyants, en une presse où les fols surpassent de tant, les sages, en nombre75 ») : la précaution méthodologique qu’il s’impose consiste à voir dans l’approbation du plus grand nombre non un critère de vérité, mais un signal dissuasif empêchant de classer trop vite un événement dans la catégorie des faits impossibles. Montaigne amplifie cette idée par une compilation de citations de Tite-Live, qui confirment qu’il ne revient pas à un individu de trancher à propos des faits incertains, ou de réfuter des croyances qui ont pour elles le poids de l’ancienneté et l’approbation du plus grand nombre (« Haec nec affirmare neque refellere operae pretium est » ; « famae rerum standum est » ; « Quaedam religio tenet, quae illi prudentissimi viri publice suscipienda censuerint, ea pro indignis habere, quae in meos annales referam76 »). De la même manière, les « hardis témoignages » de Tacite, 73qui raconte comment un soldat perdit ses mains « roidies de froid » sur un « faix de bois », ou comment la salive de Vespasien a rendu la vue à une aveugle, apparaissent paradoxalement comme des marques de son humilité et de sa volonté de rester à la place modeste qui lui revient :
Ils tiennent registre des événements d’importance : Parmi les accidents publics, sont aussi les bruits et opinions populaires. C’est leur rôle, de réciter les communes créances, non pas de les régler. Cette part touche les Théologiens, et les philosophes directeurs de consciences. […] Qu’ils nous rendent l’histoire, plus selon qu’ils reçoivent, que selon qu’ils estiment77.
Il n’est pas surprenant de retrouver dans ces lignes les termes qu’utilisait Montaigne pour présenter le projet des Essais, qui consiste précisément à « réciter » l’homme sans chercher à le « former » ou le « régler78 ». Immédiatement après s’être ainsi prononcé sur les missions de l’historien, Montaigne justifiera d’ailleurs cet effet d’écho en mettant en parallèle sa relative liberté d’essayiste avec les contraintes qui pèsent sur l’historien scrupuleux (« Moi qui [par opposition aux historiens] suis Roi de la matière que je traite, et qui n’en dois rendre compte à personne, ne m’en crois pourtant pas du tout ») : dans les anecdotes des Essais, n’offre-t-il pas aussi, à sa manière, un « récit » discontinu et éclaté d’actions humaines ? Quoique, dans la formulation du projet montaignien, le verbe « réciter » doive être pris au sens large, et renvoie avant tout à l’adoption d’un point de vue descriptif plus que prescriptif, le terme est associé, dans les Essais, à des questionnements qui rappellent les réflexions sceptiques sur la méthode du récit historique et sur ce qui fonde la véracité de celui-ci. À propos de la part narrative des Essais, constituée notamment par des exemples et anecdotes, Montaigne interroge, comme le faisait déjà Sextus Empiricus dans son développement sur la pertinence de la tripartition muthos/plasma/historia, la capacité de 74l’esprit à tracer une frontière entre le possible et l’impossible, le récit véridique et la fiction79. Cet obstacle épistémologique, qui compromet l’écriture de l’histoire, se trouve notamment exposé dans l’essai « Des boiteux » et dans l’« Apologie de Raimond Sebond » qui, constatant la consistance de certains univers fictionnels et l’autorité dont se parent nombre d’énoncés inexacts, soulignent la gémellité du vrai et du faux :
Notre discours est capable d’étoffer cent autres mondes, et d’en trouver les principes et la contexture. […] Et peu de gens faillent, notamment aux choses malaisées à persuader, d’affirmer qu’ils l’ont vu : ou d’alléguer des témoins desquels l’autorité arrête notre contradiction. […] Ita finitima sunt falsa veris ut in praecipitem locum non debeat se sapiens committere. La vérité et le mensonge ont leurs visages conformes, le port, le goût, et les allures pareilles : nous les regardons de même œil80.
Rien ne semble vrai, qui ne puisse sembler faux. […] [L’] effet [des idées sceptiques], c’est une pure, entière et très parfaite surséance et suspension du jugement81.
Cette absence de trait distinctif permettant de départager le vrai du faux fait de l’« entre deux » le champ dans lequel se déploie la part narrative de l’essai : conscient de la fragilité d’un jugement humain souvent gouverné par la fantaisie, Montaigne privilégie la narration suspensive, qui évite deux types opposés d’assertivité : d’une part, celle qui pose l’incertain comme vrai (tour de force dénoncé en III 11 par la formule cicéronienne Videantur sane, ne affirmentur82) ; d’autre part, celle, tout aussi desséchante, qui exclut trop vite les récits douteux, se privant ainsi d’un précieux terrain d’observation de l’« humaine capacité ».
75Nous l’avons vu, les anecdotes sur la puissance de l’imagination peuvent rappeler la définition que Barbara Cassin donne du plasma (décrit comme un « pseudos qui se donne pour pseudos83 ») à cette nuance près que les « cas » montaigniens ne se donnent pas pour faux, mais pour incertains ou pour simplement vraisemblables. En s’interdisant de trancher sur la véracité de certains exemples, Montaigne semble prolonger la réflexion de l’Adversus Mathematicos sur la porosité des frontières entre historia et plasma : en l’absence de critère infaillible pour distinguer le vrai et le faux, celui qui entend « réciter » l’homme fait de l’ouverture aux possibles la pierre de touche d’une « bonne foi » philosophique consistant notamment à reconnaître la fragilité de ses propres jugements de vérité.
Ainsi, l’anecdote incertaine s’avère féconde à plusieurs titres : elle est d’abord l’illustration, particulièrement frappante et inoubliable, d’une loi générale (par exemple, dans le cas de l’essai I 20, l’« étroite couture de l’âme et du corps84 ») ; mais elle « essaie » aussi l’intelligence du lecteur en mettant en scène la disproportion entre la créativité de Nature et celle de l’esprit :
Combien de choses appelons-nous miraculeuses, et contre nature ? Cela se fait par chaque homme, et par chaque nation, selon la mesure de son ignorance. […] Aller selon nature, pour nous, ce n’est qu’aller selon notre intelligence, autant qu’elle peut suivre, et autant que nous y voyons : ce qui est au-delà, est monstrueux et désordonné85.
Il n’est guère étonnant qu’une concentration particulièrement forte d’anecdotes incertaines intervienne dans l’essai I 20, consacré à la puissance de l’imagination. De cette faculté, responsable des représentations exactes du réel, des déformations « fantastiques » des choses, mais aussi des « mondes possibles » fictionnels, Montaigne fait volontiers l’emblème de la non-assertivité de son écriture. Tournant le dos à ceux qui prétendent prodiguer vérités et certitudes, il présente souvent ses Essais comme un tissu de « fantaisies ».
Si Philosopher c’est douter, comme ils disent, à plus forte raison niaiser et fantastiquer, comme je fais, doit être douter : car c’est aux apprentis à enquérir et à débattre, et au cathédrant de résoudre86.
76Je ne fais point de doute, qu’il ne m’advienne souvent de parler de choses, qui sont mieux traitées chez les maîtres du métier, et plus véritablement. C’est ici purement l’essai de mes facultés naturelles, et nullement des acquises : Et qui me surprendra d’ignorance, il ne fera rien contre moi : car à peine répondrais-je à autrui de mes discours, qui ne m’en réponds point à moi, ni n’en suis satisfait. […] Ce sont ici mes fantaisies, par lesquelles je ne tâche point à donner à connaître les choses, mais moi87.
Ici comme dans l’essai I 20, Montaigne indique au lecteur qu’il n’a pas à attendre de lui une représentation des choses telles qu’elles sont, et laisse d’autres se bercer de l’illusion de pouvoir livrer un propos adéquat au réel. Ainsi, les anecdotes incertaines confirment, s’il en était besoin, la centralité des « grotesques » dans l’écriture de Montaigne : loin d’être de simples intermèdes ludiques, elles laissent apercevoir la façon dont une imagination consciente de ses limites peut contribuer à l’exploration des possibles.
Alice Vintenon
Université Bordeaux Montaigne (équipe TELEM-Centre Montaigne)
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78Sextus Empiricus, Contre les professeurs, trad. C. Dalimier et al., Paris, Seuil, coll. Points, 2002.
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1 Voir Christophe Bréchet, « Plasma », dans « L’Iliade et l’Odyssée relèvent-elles de la “fiction” ? Mimèsis, muthos et plasma dans l’exégèse homérique », dans Mythe et fiction, dir. Danièle Auger et Charles Delattre, Presses Universitaires de Paris Ouest, 2010, § 23, et Gioia Maria Rispoli, Lo spazio del verisimile. Il raconto, la storia e il mito, Naples, M. D’Auria Editore, 1988, p. 21-27 et 108-123.
2 Sextus Empiricus, Contre les grammairiens, chap. 263, dans Contre les professeurs, trad. C. Dalimier et al., Paris, Seuil, coll. Points, 2002, p. 203.
3 Ibid., chap. 264.
4 Ibid.
5 Sexti Empirici viri longe doctissimi adversus mathematicos, hoc est, adversus eos qui profitentur disciplinas, trad. Henri Estienne, Paris, Apud Martinum Juvenem, 1569, p. 44.
6 Cette notion ressort déjà de la définition de Quintilien, qui définit l’argumentum comme quod falsum sed vero simile comoediae fingunt (Institution Oratoire, livre II, chap. iv, § 2).
7 De Inventione, livre I, chap. xix.
8 L’Effet sophistique, Paris, Gallimard, NRF essais, 1995, p. 485.
9 Contre les grammairiens, op. cit., chap. 267, p. 205.
10 Les Essais, édition dirigée par J. Céard, Paris, Librairie générale française, le Livre de Poche, 2001, I 20, p. 160. Sauf mention contraire, nos références seront tirées de cette édition.
11 I 20, p. 146.
12 Ibid., p. 147.
13 Ibid., p. 159.
14 Ibid.
15 Les cas présents chez Montaigne et Ficin sont : les condamnés qui meurent avant la date fatidique, pour avoir imaginé le geste du bourreau ; le fils muet de Crésus, qui a retrouvé la parole ; le fait que la simple vue d’un aliment suffise parfois à sentir son goût ou à être rassasié ; la guérison à la simple vue d’une personne bien portante ; l’érection lors d’un songe érotique. Voir Théologie platonicienne, éd. Raymond Marcel, Paris, Les Belles Lettres, 2007, livre XIII, chap. i, p. 196-197. La plupart de ces anecdotes sont relayées par Pomponazzi dans Les Causes des merveilles de la nature, ou les Enchantements (1520), trad. d’Henri Busson, Paris, Rieder, 1930, p. 126-129.
16 La Magie naturelle, trad. Jean Servier, Paris, Berg International, l’Ile verte, 1982, chap. 64-65, p. 183-187. Citons le cas de Gallus Vibius qui, à force d’étudier la folie, devient fou lui-même ; l’histoire de Cyppus ; celle du fils de Crésus, celui d’Antiochus, pris de fièvre sous l’effet de la beauté de Stratonice ; le changement de sexe de Lucius Cossitius ; les cicatrices de Dagobert et saint François ; la capacité de certains à « commander à leur derrière » ; les mères qui communiquent à leurs enfants les marques de leur fantaisie (cas de la fille velue présentée au roi de Bohême) ; le changement de couleur des brebis de Jacob.
17 Introduction ou entrée pour parvenir à la vraye cognoissance de la chirurgie, dans Œuvres complètes, tome I, Genève, Slatkine Reprints, 1970, chap. xxvi, p. 98 et sq.
18 Les notes de l’édition Céard renvoient ainsi aux Monstres et prodiges de Paré, mais rappellent que l’histoire est également présente chez Caelius Rhodiginus et Pierre Messie.
19 Cependant, on peut, avec Karin Westerwelle, supposer que la Magie naturelle constitue l’une des principales sources livresques du chapitre. V. Montaigne, die Imagination und die Kunst des Essays, Münich, W. Fink, 2002, p. 411.
20 Sur la théorie médicale de l’hallucination, qui donne la certitude d’éprouver une sensation alors qu’aucun objet extérieur susceptible de la susciter n’est perçu par les sens, v. Jackie Pigeaud, « Voir, imaginer, rêver, être fou. Quelques remarques sur l’hallucination et l’illusion dans la philosophie stoïcienne, épicurienne, sceptique, et la médecine antique », Littérature, médecine, société, no 5, « Fantasmes-folie », Université de Nantes, 1983, p. 23-54.
21 Histoire naturelle, XI, 45, trad. Alfred Ernout et Roger Pépin, Paris, Les Belles Lettres, CUF, 1947, p. 67 : « Cornua multis quidem et aquatilium et marinorum et serpentium variis data sunt modis, sed quae jure cornua intellegantur, quadripedum tantum generi : Actaeonem enim et Cipum etiam in Latia historia fabulosos reor. Nec alibi major naturae lascivia. Lusit animalium armis ».
22 Turrius oder über das Erkennen / Turrius sive de intellectione, [1555], édité et traduit par Michaela Boenke, Münich, Wilhelm Fink Verlag, 2006, 200 b, p. 206 : « [Parmi les mélancoliques,] alii phantasias sibi quasdam faciunt, quae neque sunt, neque esse possunt : hi quidem putantes habere cornua, illi vitreum nasum, aut manus : alii se esse mortuos, alii avec factos, et infinita eiusmodi ».
23 Introduction ou entrée pour parvenir à la vraye cognoissance de la chirurgie, op. cit., chap. xxvi, p. 100.
24 Suite de l’Academie Françoise, réimpression de l’édition de 1580 (Paris, Guillaume Chaudiere), Genève, Slatkine Reprints, 1972, chap. xxvii, f. 65.
25 La Magie naturelle, op. cit., chap. lxiv, p. 184.
26 Montaigne, die Imagination…, op. cit., p. 433 et sq. Pour Karin Westerwelle, l’ironie de Montaigne est notamment à comprendre comme une réponse satirique au succès des compilations.
27 V. Ironia, Medieval and Renaissance Ideas on Irony, Leiden, E. J. Brill, Columbia Studies, 1989, chap. ii, p. 28.
28 I 20, p. 148.
29 Sur ce point, v. Karin Westerwelle, Montaigne, die Imagination…, op. cit., p. 433.
30 Les Amours, livre III, élégie XII, v. 41-42, trad. Henri Bornecque, Paris, Les Belles Lettres, 1995, p. 96-97 : « L’imagination créatrice des poètes se déploie sans bornes et n’astreint pas ses productions à la fidélité de l’histoire » (« Exit in inmensum fecunda licentia vatum, / Obligat historica nec sua verba fide »).
31 I 20, p. 148.
32 Olivier Guerrier souligne cependant que le choix de la citation gomme la dimension surnaturelle du récit. V. Quand « les poètes feignent » : « fantasie » et fiction dans les Essais de Montaigne, Paris, Champion, 2002, p. 140-142.
33 III 11, p. 1600.
34 I 20, p. 148.
35 Ibid. Nous soulignons, de même que dans les trois citations suivantes.
36 Ibid., p. 149.
37 Ibid., p. 158-159.
38 Ibid., p. 148.
39 Ibid., p. 159.
40 Ibid., p. 160.
41 De Habitu et constitutione corporis, Francfort, apud Ioannem Wechelum, 1591, chap. vii, p. 46 : « Vis [imaginationum] tanta est, tamque efficax, ut quae sub ipso conceptus momento animo mentique observantur, in foetum elaborentur. Quum enim is sexus lascivus sit ac ludibundus, atque oculos in obvia quaeque continenter defigat ; fit, ut naturalis facultas quae operi formando perficiendoque insistit, eo cogitationes mentisque conceptus dirigat, atque ascititiam formam infanti inducat, a parentum natura ac conditione prorsus alienam. Sic observatum est nostra et avorum memoria, quum Imperator Carolus eius nominis Quintus, ex Hispaniis in Belgicam instructissima classe esset delatus, ac numerosa clientela, amploque procerum ac stipatorum apparatu has oras implevisset, mulieres quae passim gestabant uterum, ex crebro Hispanorum contuitu, exactis novem mensibus, decursoque anni dodrante, infantes edidisse superciliis capillisque nigris ac crispis, tum colore illi nationi undique assimili ».
42 Traité du ris, contenant son essance, ses causes, et mervelheus effais, curieusemant recerchés, raisonnés et observés, item, la cause morale du ris de Democrite, expliquee et temognee par Hippocras, publié à Paris chez Nicolas Chesneau, au Chesne verd, 1579, livre II, préface, p. 156-157. Nous soulignons.
43 Les Diverses leçons de Pierre Messie [1540]… contenans la lecture de variables histoires et autres choses mémorables, mises en françoys par Claude Gruget, Paris, J. Longis, 1552, livre II, chap. 7, f. 101 ro. Nous soulignons.
44 Ibid., livre III, chap. 22, f. 207 ro.
45 Discours de la conservation de la veuë : des maladies melancholiques : des catarrhes : et de la vieillesse, Theodore Samson, 1598, Second discours, chap. vii, p. 263. Nous soulignons.
46 I 20, p. 159-160.
47 En 1580, le chapitre s’interrompt après « Car les Histoires que je récite je les renvoie sur la conscience de ceux de qui je les tiens ». En 1588, Montaigne ajoute « Les discours sont à moi […] accidents ».
48 I 20, p. 160.
49 Gisèle Mathieu-Castellani, Montaigne ou la vérité du mensonge, Genève, Droz, 2000, p. 33 et 38-42. Karin Westerwelle, Montaigne, die Imagination…, op. cit., p. 441-442. Voir Poétique, IX, 51a 36-51b 5.
50 L’Effet sophistique, op. cit., p. 474.
51 Ibid., p. 492.
52 Ibid., p. 477.
53 Poétique, IX, 51b 5.
54 I 20, p. 160.
55 Poétique, chap. ix, 51b 5.
56 I 20, p. 160.
57 II 12, p. 731.
58 Ibid., p. 729. La plupart des anecdotes animalières extraordinaires citées par Montaigne dans l’« Apologie de Raimond Sebond » recourent à des modalisations comparables à celles de l’essai I 20.
59 Les Essais, op. cit., II 12, p. 872-873. Sauf mention contraire, nos références seront tirées de cette édition.
60 II 12, p. 873.
61 I 20, p. 158.
62 Théologie platonicienne, op. cit., livre XIII, chap. i, p. 198 : « Phantasiam quattuor sequuntur affectus : appetitus, voluptas, metus ac dolor. Hi omnes quando vehementissimi sunt, subito corpus proprium omnino, nonnumquam alienum afficiunt. » Fracastor précisera, dans le De Sympathia et antipathia rerum, que la fantaisie humaine se trouve connectée par une « sympathie » naturelle à la totalité du corps humain, et en particulier au cœur. Ainsi, dès que la fantaisie enregistre les species des objets perçus par les sens, celles-ci sont immédiatement transmises au cœur par les esprits, décrits comme les « serviteurs » de ce « roi » de l’organisme humain. Le cœur réagit alors aux images plus ou moins agréables que composent les species, en se dilatant ou en se resserrant. V. De Sympathia et antipathia rerum (1546), Roma, Edizioni di storia e letteratura, 2008, chap. xvi, p. 114-118. Montaigne, quant à lui, reste prudent sur les modalités de la « liaison et couture de l’âme et du corps », affirmant que « jamais homme [n’a] su » (II 12, p. 839) précisément comment les « impressions spirituelles » pouvaient influer sur « un sujet massif, et solide ».
63 III 8, p. 1445.
64 Montaigne ou la vérité du mensonge, op. cit., p. 37 et 42.
65 III 11, p. 1600.
66 II 12, p. 731.
67 III 8, p. 1446.
68 III 11, p. 1607 : « Notre imagination se trouve pareillement facile, à recevoir des impressions de la fausseté, par bien frivoles apparences ». Voir aussi la citation (d’auteur inconnu) de la p. 1602, Majorem fidem homines adhibent iis quae non intelligunt. V. Bernard Sève, Montaigne. Des règles pour l’esprit, Paris, PUF, Philosophie d’aujourd’hui, 2007, chap. v : Bernard Sève explique que Montaigne ne s’en tient pas à la proposition selon laquelle « tout est possible » : il considère également que l’on ne peut pas croire n’importe quoi, et opère une hiérarchisation entre les croyances.
69 Ibid., p. 1602-1604.
70 I 20, p. 160.
71 III 11, p. 1601.
72 Ibid., p. 1594.
73 III 9, p. 1552.
74 Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, trad. A. et A. Trognon, vol. III, Paris, Panckoucke, 1829, p. 258-259 : « Equidem plura transcribo, quam credo : nam nec affirmare sustineo, de quibus dubito, nec subducere, quae accepi » (formule citée par Montaigne en III 8, p. 1475).
75 III 11, p. 1597.
76 Histoire romaine, préface, phrase 6, trad. Gaston Baillet, Paris, Les Belles Lettres, 1997, p. 3 : « [Quant aux événements qui ont précédé immédiatement la fondation de Rome ou ont devancé la pensée même de sa fondation, à ces traditions embellies par des légendes poétiques plutôt que fondées sur des documents authentiques], je n’ai l’intention ni de les garantir ni de les démentir. » ; VII, 6, trad. Raymond Bloch, Paris, Les Belles Lettres, 1968 : « [Je n’aurais pas épargné ma peine si ma recherche avait pu par quelque voie me mener au vrai]. Mais il faut s’en tenir à la tradition [là où l’antiquité des faits rend impossible la certitude] » ; XLIII, 13, trad. Paul Jal, Paris, Les Belles Lettres, 1976, p. 17-18 : « Un certain scrupule m’étreint à l’idée de considérer comme indignes d’être rapportés dans mes annales des faits que les hommes pleins de sagesse de ce temps-là ont jugé dignes d’être l’objet de consultations officielles. »
77 III 8, p. 1474-1475.
78 III 2, p. 1257.
79 V. Karin Westerwelle, Montaigne, die Imagination, op. cit., p. 443 : « Montaigne breitet in kleinen Fragmenten (die Geschichten und Anekdoten) ein Material aus, das die Kriterien von wahr und falsch in Frage stellt ».
80 III 11, p. 1595-1596. Tirée d’un passage dans lequel Cicéron explique pourquoi il est souvent préférable de suspendre son jugement, la citation, empruntée aux Académiques (II 21, 68), rappelle ces autres formules cicéroniennes, citée dans l’« Apologie de Raimond Sebond », respectivement p. 790-791 et p. 873 : « Hi sumus qui omnibus veris falsa quaedam adjuncta esse dicamus, tanta similitudine ut in iis nulla insit certe judicandi et assentiendi nota » (De natura Deorum, livre I, chap. v), « Inter visa, vera, aut falsa, ad animi assensum, nihil interest » (Académiques, livre II, chap. xxviii, 90).
81 II 12, p. 786.
82 Académiques II, XXVII, 87, cité dans III 11, p. 1602. V. aussi De divinatione, II, III, 8, cité dans II 12, p. 781 : « Dicendum est, sed ita ut nihil affirmem, quaeram omnia, dubitans plerumque et mihi diffidens ».
83 L’Effet sophistique, op. cit., p. 492.
84 I 20, p. 156-157.
85 II 12, p. 818.
86 II 3, p. 559.
87 II 10, p. 645.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-07344-4
- EAN : 9782406073444
- ISSN : 2261-897X
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07344-4.p.0055
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 27/10/2017
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français