Aller au contenu

Classiques Garnier

Plasma et imagination chez Montaigne Philosopher aux frontières de la fiction

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
    2017 – 2, n° 66
    . varia
  • Auteur : Vintenon (Alice)
  • Résumé : Cet article s’intéresse aux valeurs philosophiques que Montaigne prête aux anecdotes incertaines, notamment dans l’essai « De la force de l’imagination ». Comme en témoigne la comparaison avec ses sources possibles, Montaigne privilégie les cas les plus extraordinaires, car ils incitent à réfléchir aux limites de l’« humaine capacité ». En outre, à l’instar de la notion de plasma, telle que la définit Sextus Empiricus, ils interrogent la capacité de l’esprit à départager le vrai du faux.
  • Pages : 55 à 78
  • Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406073444
  • ISBN : 978-2-406-07344-4
  • ISSN : 2261-897X
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07344-4.p.0055
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 27/10/2017
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
55

Plasma et imagination
chez Montaigne

Philosopher aux frontières de la fiction

Quoiquelle ne fasse pas partie du vocabulaire de Montaigne, la notion de plasma ne lui est probablement pas étrangère : lecteur de la philosophie sceptique, il a peut-être connaissance de la réflexion que Sextus Empiricus consacre aux trois types de narrations, lhistoria, le muthos et le plasma. Attribuée à Asclépiade de Myrlea, cette tripartition distingue les récits en fonction de leur « degré de proximité ou déloignement au réel1 » : lhistoria est « lexposé de choses vraies qui sont arrivées » (par exemple « Alexandre est mort empoisonné à Babylone, victime dun complot2 »), le muthos, le récit d« événements non advenus et faux », comme la métamorphose des compagnons de Diomède en oiseaux de mer, celle dUlysse en cheval, ou celle dHécube en chien3, tandis que le plasma évoque « des choses qui ne se sont pas produites », et les met en scène « comme si elles avaient eu lieu » (par exemple, dans les intrigues de comédies et de mimes4). Chez Henri Estienne, cette classification sera traduite par la triade historia (« [expositio] aliquorum quae vera sunt, et quae facta sunt ») / fabula (« [expositio] rerum quae fieri non potuerunt et falsae sunt ») / figmentum (« [expositio] rerum [] quae non fuerunt, dicuntur autem perinde ac si fuissent, ut comica argumenta et mimi5 »), et non par la 56tripartition similaire que lon peut lire chez Cicéron, qui distingue historia, argumentum et fabula. De fait, la définition de Sextus Empiricus se différencie de celle de lorateur latin car elle insiste sur lart du récit, susceptible de créer lillusion en racontant des événements non advenus comme sils étaient vrais6. Cicéron, pour sa part, mettait plutôt en évidence, dans la catégorie intermédiaire de largumentum (défini comme une ficta res quae tamen fieri potuit7), la notion de possible. Davantage donc que largumentum latin, le plasma se présente comme un simulacre du vrai, propre, comme lindique Barbara Cassin, à « [fissurer] lopposition massive et massivement aristotélicienne entre poésie et histoire8 », historia et muthos. Chez Sextus Empiricus, le contexte dapparition de la tripartition muthos/plasma/historia est dailleurs celui dune interrogation sur la capacité des grammairiens à livrer un critère fiable pour distinguer lhistoria de ses contrefaçons fictionnelles :

Les grammairiens ne nous ont pas légué un critère de vérité permettant de tester ce qui est faux et ce qui est vrai dans lhistoire. [] Lorsque quelquun dit quUlysse a été supprimé par son fils Télégonos qui ne lavait pas reconnu, un autre quil expira quand une mouette eut laissé tomber sur lui le dard dune pastenague et un autre encore quil sest changé en cheval, nest-ce pas une lourde tâche de découvrir la vérité dans toutes ces incohérences9 ?

En sintercalant entre le muthos et lhistoria, la catégorie des récits « semblables au vrai » met en évidence lincapacité des hommes à produire un récit entièrement fiable, et à établir avec certitude leur propre histoire : sil paraît difficile de prendre pour historiques les inventions manifestement fantaisistes qui composent les muthoi, le risque de confusion est réel dans le cas du plasma vraisemblable.

Parce que la notion de plasma questionne la possibilité détablir une frontière claire entre le vrai et le « faux vraisemblable », elle peut savérer féconde pour appréhender les anecdotes qui, dans les Essais, sont exploitées philosophiquement malgré (ou peut-être à cause de) leur caractère incertain. À propos notamment du chapitre « De la force de limagination », on sintéressera aux fonctions que Montaigne prête aux 57exemples quil situe aux frontières de lhistoire véritable et de la fiction, de lhistoria et du plasma. Nous verrons que ces anecdotes savèrent emblématiques dune quête philosophique qui ne prétend pas accéder à lêtre, mais interroge notre « communication » à celui-ci.

Le goût de lextraordinaire dans les anecdotes
sur la « force de limagination »

Dans les Essais, il nest pas rare que la réflexion soit suscitée ou illustrée par des « cas » peu crédibles. Cest notamment le cas dans lessai « De la force de limagination », dont les exemples semblent bien extraordinaires au lecteur daujourdhui. Lessai mêle plusieurs catégories danecdotes, comme lindique Montaigne quand il affirme tirer ses exemples de ce quil a « lu, ouï, fait, ou dit10 ». Ainsi, la démonstration consacrée au caractère contagieux des « impressions » de limagination sur le corps du sujet qui les conçoit glisse du témoignage personnel (« Un tousseur continuel irrite mon poumon et mon gosier11 ») aux généralités (« Il y en a, qui de frayeur anticipent la main du bourreau12 »), puis à un chapelet danecdotes couramment relayées par les médecins et compilateurs pour illustrer le même phénomène, par exemple le cas du fils de Crésus, qui sous leffet de la passion retrouva la voix. Une autre série de cas, qui met en scène les effets de limagination sur le corps dautrui, offre le même panachage de témoignages contemporains (« on vit dernièrement chez moi un chat guettant un oiseau en haut dun arbre, et sétant fiché la vue ferme lun contre lautre, quelque espace de temps, loiseau sêtre laissé choir comme mort entre les pattes du chat13 ») et de cas si bien relayés par la tradition que Montaigne peut sen tenir à des mentions allusives (« témoin celle qui engendra le More14 »).

58

La confrontation des anecdotes du chapitre i 20 à leurs sources possibles accentue leur caractère douteux. Comme nous lavons dit, les cas relayés par Montaigne sont rarement originaux : six « cas » apparaissent dans la Théologie platonicienne de Marsile Ficin15 ; onze sont relatés dans la Magie naturelle de Corneille Agrippa, pour illustrer la puissance de limagination16. Dautres anecdotes peuvent avoir été tirées de compilations ou douvrages médicaux : ainsi, lhistoire de la femme persuadée davoir mangé une épingle avec son pain, de même que celle de la demoiselle qui se persuade davoir mangé « un chat en pâte » (I 20, p. 157-158), trouvent des équivalents chez Ambroise Paré17, auquel Montaigne pourrait également avoir emprunté le cas de « celle qui engendra le More », raconté, à lorigine, par Hippocrate18. La fréquence de ces anecdotes dans les textes du xvie siècle rend quasiment impossible de déterminer avec certitude quels ouvrages Montaigne avait sur sa table de travail au moment décrire lessai sur la force de limagination19. Mais la comparaison avec ses sources probables est riche denseignements, car elle fait ressortir le choix montaignien de privilégier les anecdotes ou les versions les plus invraisemblables. À la différence de Ficin, par exemple, il ne sen tient pas à des exemples validés par lexpérience quotidienne (comme limpression de satiété procurée par la vue de 59certains aliments), mais relaie, à linstar dAgrippa, des cas qui, comme celui de la fille velue, dérogent au cours ordinaire de la nature. En outre, contrairement par exemple aux médecins Fracastor (dans son Turrius) ou Ambroise Paré, qui sattardent sur les hallucinations suscitées par la puissance de limagination (par exemple, les cas de malades persuadés à tort quils sont en verre ou décapités20), Montaigne privilégie les récits dans lesquels limagination modifie réellement le corps, et donc produit des métamorphoses qui rappellent lunivers du muthos. Cette volonté de rendre spectaculaires les pouvoirs de limagination, qui nagirait plus seulement sur les représentations mentales, mais aussi sur les organes eux-mêmes, apparaît notamment dans lexemple de Cyppus, le roi dItalie qui, à en croire Montaigne, aurait « produit » en son front des cornes après avoir assisté à un combat de taureaux. Des versions concurrentes de cette histoire, Montaigne choisit la plus extraordinaire. Rappelons en effet que lHistoire naturelle de Pline refuse daccréditer cette métamorphose relatée par Ovide, et la met sur le même plan que le mythe de la métamorphose dActéon, en rappelant que la nature na donné de cornes quaux quadrupèdes :

Des cornes de formes variées ont été données à plusieurs animaux aquatiques et marins et aussi à des serpents, mais ce que lon entend proprement par cornes nappartient quà lespèce des quadrupèdes : je juge en effet fabuleuse laventure dActéon comme celle de Cipus relatée par lhistoire latine. Nulle part la nature na montré plus de fantaisie [que dans les cornes]. Elle sest divertie avec les armes des animaux21.

Chez les lettrés de la Renaissance, lanecdote peut basculer du statut de fable à celui de cas médical digne dintérêt, mais au prix dune modification substantielle : la pousse de cornes nest plus décrite comme une métamorphose réellement advenue, mais comme une hallucination 60due, pour Fracastor par exemple, à lexcès de mélancolie22. Ambroise Paré ne dit pas autre chose dans lIntroduction ou entrée pour parvenir à la vraye cognoissance de la chirurgie (1564), qui nenvisage pas quune telle métamorphose puisse réellement se produire :

On dit y en avoir eu dautres, qui opiniastrement se persuadoient avoir des cornes, de sorte que telle fantasie ne leur a peu estre arrachée de leur melancholique et bizarre cerveau, jusquà tant que leurs yeux estant bandés, on leur eust esgratigné le front de costé et dautre avec des cornes de bœuf, à ce que par leffusion douloureuse de leur propre sang, ils se persuadassent telles cornes leur avoir esté arrachées de fait et de force23.

Une analyse similaire apparaît sous la plume dun contemporain de Montaigne, La Primaudaye, dont la Suitte de lAcademie Françoyse (1580) offre un développement sur les visions étranges de ceux qui sont troublés « au regard de limagination et de la fantaisie » :

Il leur semble quune chose soit autre quelle nest. Et pource ils conçoivent des opinions estranges, lesquelles ils impriment tellement en leur cerveau, quon ne les en peut pas facilement arracher. Les uns imaginent, et se font accroire quils portent des cornes : les autres quils ont quelque serpent ou quelque autre beste au corps : les autres quils sont devenus cruches ou verres, et ont peur quon ne heurte contre eux, et quon ne les casse et froisse24.

Ces points de comparaison confirment que Montaigne opte, dans lessai I, 20, pour la version la plus fabuleuse, en loccurrence celle dHenri Corneille Agrippa qui, dans La Magie naturelle, considère la transformation de Cyppus comme réelle, et fournit même des explications au phénomène :

[La poussée de cornes] ne peut advenir que si la force végétative est stimulée par une vive imagination, laquelle agit sur les humeurs cornifères faisant pousser pendant la nuit des tumeurs ou excroissances rappelant les cornes25.

61

Une lecture qui prendrait seulement en considération la manière dont Montaigne sélectionne ses récits parmi toutes les versions disponibles pourrait conclure au manque desprit critique de lauteur des Essais. Mais ce serait négliger les indices déployés par ce dernier pour signaler le caractère douteux des exemples relatés : le parti-pris consistant à privilégier les manifestations les moins vraisemblables de la « force de limagination » prend en effet tout son sens à la lumière de la stratégie ironique mise en œuvre dans la plupart des récits.

Le statut incertain des anecdotes
sur la force de limagination

Dans son analyse de lessai I 20, Karin Westerwelle relève les traits dironie et dhumour qui caractérisent la présentation des anecdotes sur la puissance de limagination26. De fait, à la lumière des analyses de Dilwyn Knox, il est possible de détecter dans lessai I 20 des traces de la forme particulière dironie qui consiste à laisser entendre que le locuteur ne croit peut-être pas à son propre énoncé27. Ainsi, dans le cas de Cyppus, le jeu montaignien sur le double sens du mot « cornes » entame la vraisemblance de lanecdote :

Et encore quil ne soit pas nouveau de voir croistre la nuict des cornes à tel qui ne les avoit pas en se couchant : toutesfois levenement de Cyppus, Roy dItalie, est memorable, lequel pour avoir assisté le jour avec grande affection au combat des taureaux, et avoir eu en songe toute la nuict des cornes en la teste, les produisit en son front par la force de limagination28.

Alors que, comme on la vu, Agrippa apportait à la métamorphose une explication médicale, la pseudo-authentification offerte par Montaigne fait sourire, car elle feint de reconnaître la même consistance à un fait 62et à une formule métaphorique (« porter des cornes »), et détablir une relation logique entre le réel et les figures forgées par le langage29. La phrase introductive incite donc le lecteur à penser que la métamorphose en « cornard » pourrait nêtre crédible que dans le monde parallèle des dictons et images populaires.

Tout comme la mise en regard du fait supposé réel et de lexpression figurée, lintervention de lautorité des poètes éveille les soupçons du lecteur, en prêtant aux exemples une coloration fabuleuse. Ainsi, le caractère extraordinaire des changements de sexe est souligné lorsque lautorité de Pline, auquel Montaigne emprunte lhistoire de Lucius Cossutus, est mise en regard avec une citation dOvide, dont les fabulae incarnent, du propre aveu de leur auteur, la « licence de feindre30 » concédée aux poètes :

Pontanus et dautres racontent pareilles métamorphoses advenues en Italie ces siècles passés. Et par véhément désir de lui et de sa mère,

Vota puer soluit, quae foemina voverat Iphis31.

De lhistoria plinienne, Montaigne glisse à la métamorphose dIphis, personnage des Métamorphoses (IX, 794) dont la transformation en homme est, pour le lecteur du xvie siècle, dautant plus fabuleuse quelle ne sappuie pas sur la causalité naturelle quest la force de limagination, mais sur une intervention des dieux païens32. De cette façon, Montaigne ne laisse-t-il pas entendre que le récit plinien nest guère plus fiable que celui du poète ?

Dans dautres cas, lintervention de modalisations vient entretenir le doute sur la véracité des anecdotes relatées, selon un mécanisme que Montaigne lui-même analysera dans le chapitre « Des boiteux » :

On me fait haïr les choses vraisemblables, quand on me les plante pour infaillibles. Jaime ces mots, qui amollissent et modèrent la témérité de 63nos propositions : à laventure, aucunement, quelque, on dit, je pense, et semblables33.

Dans lessai « De la force de limagination », ces « atténuations » du propos ne sont pas systématiques. Ainsi, rien ne semble entamer la crédibilité de lhistoire du fils de Crésus (« La passion donna au fils de Croesus la voix, que nature lui avait refusée34 »). Mais souvent, la mention dune source vient suggérer que le cas relaté nest pas consensuel, et que Montaigne, loin de sengager complètement, sen remet à autrui pour établir ou interpréter les faits :

Pline dit avoir vu Lucius Cossutius, de femme changée en homme le jour de ses noces. Pontanus et dautres racontent pareilles métamorphoses advenues en Italie ces siècles passés35.

Les uns attribuent à la force de limagination les cicatrices du roi Dagobert et de Saint François. On dit que les corps sen enlèvent telle fois de leur place36.

Lancienneté a tenu de certaines femmes en Scythie, quanimées et courroucées contre quelquun, elles le tuaient du seul regard. [] Et quant aux sorciers, on les dit avoir des yeux offensifs et nuisants37.

Il fut présenté à Charles Roi de Bohême et Empereur, une fille dauprès de Pise, toute velue et hérissée, que sa mère disait avoir été ainsi conçue, à cause dune image de Saint Jean Baptiste pendue en son lit38.

Dans certaines des formules citées, lincertitude est renforcée par la mention dautorités contestées (comme celle de Pline) ou par limprécision des sources (« on », « lancienneté »…). La fragilité des témoignages peut même être soulignée avec humour lorsque Montaigne, jouant sur le sens propre et le sens figuré du mot « témoin » (qui peut soit équivaloir à « par exemple », soit être pris au sens fort), feint de faire comparaître des preuves vivantes de la puissance de limagination :

Nous voyons par expérience, les femmes envoyer aux corps des enfants, quelles portent au ventre, des marques de leurs fantaisies : témoin celle qui engendra le Maure.

64

Des animaux il en est de même : témoin les brebis de Jacob, et les perdrix et lièvres, que la neige blanchit aux montagnes39.

Limpossibilité matérielle de prendre à témoin la « femme qui engendra le Maure » ou, a fortiori, les brebis de Jacob, signale le caractère invérifiable des anecdotes qui les mettent en scène.

Mais de manière plus générale, le soin que prend Montaigne à préciser que la plupart de ses exemples relèvent du « ouï-dire » laisse planer le doute sur leur qualité historique. En reportant sur ses sources la responsabilité dune éventuelle affabulation (« Car les Histoires que jemprunte, je les renvoie sur la conscience de ceux de qui je les prends40 »), il répond à lobjection implicite dun lecteur qui laccuserait de produire des récits peu fiables.

Particulièrement nombreux chez Montaigne, les signes indiquant que le narrateur naccorde pas une croyance naïve aux anecdotes sur la puissance de limagination ne sont pas propres aux Essais : plusieurs traits dironie mobilisés dans le chapitre i 20 trouvent en effet des équivalents chez certains de ses contemporains. Par exemple, léquivoque grivoise sur la tête « cornarde » de Cyppus peut rappeler la manière dont Levinus Lemnius détourne le topos de limagination des femmes enceintes dans son De complexionibus (1561) qui, au lieu de citer en exemple le cas hippocratique de « celle qui engendra le Maure », attribue malicieusement à la vis imaginationis le type espagnol de certains nouveaux-nés belges lors des campagnes flamandes de Charles Quint41. Mentionnons aussi les précautions prises par certains compilateurs, par exemple Joubert qui, à propos du cas (également présent dans lessai I 20) de ceux qui commandent à leur derrière au 65point de parvenir à « chanter du cu », fait quelques concessions au lecteur incrédule :

Je say bien que plusieurs refuseront dadjouter foy à ces histoires : mais [] quand je considere la force et puissance de lame raisonnable si jantile, sur ce corps terrien et lourd, certainemant rien ne me samble incroyable, moins difficile, que à tous ces mouvemans le cors soit notablemant emù42.

De la même façon, Pierre Messie prévoit les doutes de son lecteur à propos de lhistoire des cornes de Cyppus :

Si cela est vray il doit proceder de ce questant la vertu vegetative aydée et poulsée de limaginacion, elle porta en la teste les humeurs propres à engendrer cornes, et les produisit43.

Certains compilateurs vont même jusquà souligner laspect fabuleux des anecdotes en indiquant quelles peuvent susciter chez le lecteur le même plaisir que les fictions poétiques. Cest du moins ce quindique Pierre Messie, à propos dune anecdote mettant en scène deux chevaliers à limagination déréglée :

Si les contes couchez sous fictions poëtiques et inventez, donnent quelque plaisir aux lecteurs, par consequent les veritables, et qui ne sont pas moins estranges meritent bien estre contez44.

Cette insistance sur le placere semble autoriser le lecteur à lire les anecdotes sur la force de limagination comme il lirait des fables poétiques. De la même façon, le médecin Du Laurens fait valoir lagrément que le lecteur tirera de lévocation des maladies mélancoliques :

Il faut maintenant quen ce chapitre, pour donner du plaisir au lecteur, ie propose quelques exemples de ceux qui ont eu des plus bizarres et foles imaginations45.

66

Si la vigilance critique de Montaigne et son ironie à légard de ses propres récits ne constituent pas des cas isolés dans le discours sur la puissance de limagination au xvie siècle, lauteur des Essais se distingue par sa réflexion sur la fécondité des anecdotes incertaines. Cest à ce titre quil convient de faire intervenir à nouveau dans cette étude la notion de plasma.

Quand le plasma dit son nom

Le « conte du fauconnier, qui arrêtant obstinément sa vue contre un milan en lair, gageait de la seule force de sa vue le ramener contre-bas46 » suscite, dans lexemplaire de Bordeaux47, une célèbre mise au point sur le statut des cas relatés dans lessai I 20 :

Aussi en létude que je traite, de nos mœurs et mouvements, les témoignages fabuleux, pourvu quils soient possibles, y servent comme les vrais. Advenu ou non advenu, à Rome ou à Paris, à Jean ou à Pierre, cest toujours un tour de lhumaine capacité : duquel je suis utilement avisé par ce récit. [] Il y a des auteurs, desquels la fin cest dire les événements. La mienne, si jy savais advenir, serait dire sur ce qui peut advenir48.

À juste titre, Gisèle Mathieu-Castellani et Karin Westerwelle proposent de lire ces lignes à la lumière de la Poétique aristotélicienne, qui opposait déjà lhistoire (récit de choses « advenues ») à la mimèsis fictionnelle49. Chargée de mettre en scène « ce qui pourrait advenir », cette dernière offre une plus ample perspective philosophique que ne le ferait lenregistrement des faits passés. On comprend dès lors que le développement sur le statut des anecdotes, qui pouvait à première 67vue paraître digressif, apporte en fait un éclairage nouveau sur le sujet de lessai, la « force de limagination ». En marge du sujet central de lessai, qui examine les effets des représentations mentales sur les corps, la mise au point sur la véracité des anecdotes complète le propos en envisageant les réalisations plus positives de la faculté imaginative, en particulier la capacité de forger des « mondes possibles » propres à interroger létendue de « lhumaine capacité ». Par conséquent, si lon considère que la « digression grotesque » apporte, comme le suggère Montaigne dans « De lamitié », des informations tout aussi essentielles que le sujet central du tableau, il apparaît que lessai I 20 associe à limagination deux types de « pouvoirs » : dune part, celui de modifier les corps, dautre part, celui de produire la représentation fictive dévénements possibles.

Outre lopposition aristotélicienne entre lhistoire et les « possibles » forgés par le muthos poétique, la notion de plasma peut éclairer la manière dont Montaigne tire parti des anecdotes incertaines : ces dernières ont en effet, dans lessai I 20, pour singularité de se donner pour ce quelles sont, des récits vraisemblables, que lon ne peut assigner avec certitude à la catégorie de la fable ou à celle de lhistoire. En cela, elles peuvent rappeler les analyses que Barbara Cassin consacre à la théorie du plasma au iie siècle, dans un chapitre qui convoque non seulement la tripartition de Sextus Empiricus mais également lapport de la seconde sophistique. Pour la philosophe, le plasma na pas seulement pour particularité de montrer, comme chez Sextus Empiricus, la porosité des frontières entre lhistoria et la fiction. Il peut aussi, comme en témoignent les aveux de mensonges des Histoires vraies de Lucien de Samosate, revendiquer son caractère « modelé » ou « façonné ». En assumant sa fausseté, il se démarque du pseudos sophistique, défini, depuis Platon, par le fait de dire « ce qui nest pas, le non-être », mais surtout, par « lintention de tromper » autrui50. Dans le cadre du plasma, linadéquation de lénoncé à lêtre cesse daller de pair avec lintention trompeuse qui préside au mensonge, car le destinataire est prévenu quil a affaire à un énoncé faux ou incertain : « le pseudos [] se donne pour pseudos51 ». Dès lors quil est exonéré du reproche dillusionnisme, le plasma peut mettre sa fausseté au service de finalités positives, comme le plaisir littéraire ou la réflexion 68philosophique. À en croire Barbara Cassin, le plasma conduit ainsi à une « intrication entre littérature, pédagogie et politique52 », renouant avec la conviction aristotélicienne selon laquelle la modélisation du réel opérée par la fiction peut savérer plus philosophique que lhistoire53. Il convient donc, pour finir, dexaminer les qualités philosophiques que Montaigne confère au vraisemblable : pour quelles raisons des cas simplement possibles peuvent-ils, dans les Essais, « [servir] comme des vrais54 » ?

Philosopher sur des possibles :
Montaigne et la valorisation du plasma

Dans lessai I 20, la valorisation philosophique du possible peut faire écho au propos de la Poétique dAristote sur les qualités respectives de la fiction et de lhistoire, la première relevant du général alors que la seconde ne transmet que les qualités particulières des choses55. Montaigne établit en effet une distinction entre la véracité des faits et celle des « discours », donc des analyses et interprétations auxquels ils peuvent donner lieu. Ainsi, dans lanalyse de la « force de limagination », peu importe que les exemples soient conformes à la réalité advenue, lessentiel est quils illustrent des lois générales fondées en raison (« Les discours sont à moi, et se tiennent par la preuve de la raison, non de lexpérience56 »). Comme le dira Montaigne dans l« Apologie de Raimond Sebond » après avoir énuméré des manifestations plus ou moins extraordinaires dun même phénomène, la sollertia animalium, « une même nature suit son cours57 » dans les exemples familiers (comme la fidélité des chiens à leur maître) comme dans les cas invraisemblables et renvoyés à la conscience dautrui (par exemple, lhistoire, empruntée à Plutarque, dun chien qui met des cailloux au fond dune cruche pour faire remonter lhuile quil ne parvenait 69pas à atteindre58). Par cette démarche, Montaigne semble sécarter de la radicalité des Pyrrhoniens qui, comme le rappelle l« Apologie de Raimond Sebond59 », rejettent la catégorie du « vraisemblable » car elle suppose, chez celui qui lemploie, une connaissance du vrai, pourtant inaccessible à lentendement humain : dans le cadre des Essais, la référence à des lois générales incontestables permet bien de hiérarchiser les anecdotes, de « prendre plutôt à gauche quà droite60 ». Ainsi, lorsque des anecdotes non avérées sont retenues dans lessai I 20 pour illustrer la puissance de limagination, cest au nom dune maxime philosophique posée comme certaine :

Mais tout ceci se peut rapporter à létroite couture de lesprit et du corps sentre-communiquant leur fortune61.

Dautres avant Montaigne avaient, semblablement, tenté de mettre en évidence un principe dexplication commun à toutes les anecdotes sur la puissance de limagination : Ficin, par exemple, insiste sur linfluence quexerce lâme (et notamment la phantasia) sur le corps par le biais des passions62.

La possibilité darticuler les « cas » incertains à une loi générale permet de comprendre lexpression ambiguë « Cest toujours un tour de lhumaine capacité » : quoique potentiellement fabuleux, les exemples cités montrent 70de quoi lhomme est capable, tant dans ses réalisations concrète que dans les fictions de son esprit, dont linfinie variété complète opportunément les maigres données de lexpérience. Dans une perspective similaire à celle de lessai I 20, le chapitre « De lart de conférer » reconnaîtra la contribution des « fantaisies » à la connaissance de lesprit humain :

Il nest si frivole et si extravagante fantaisie, qui ne me semble bien sortable, à la production de lesprit humain. [] Toutes telles rêvasseries qui sont en crédit autour de nous, méritent au moins quon les écoute63.

Ainsi, les cas situés à la limite de lhistoire et de la fiction « essaient » (testent) aussi bien les facultés physiques de lhomme que la créativité de son esprit, comme lindique Gisèle Mathieu-Castellani :

Un récit, quel quil soit, dit toujours quelque chose, sinon des faits rapportés par le conteur, au moins du conteur lui-même. [] Ronsard et Montaigne, le poète et lessayiste, revendiquent un même droit à accueillir ce qui peut être, à dire le possible même sil heurte les codes de la vraisemblance. [] Pour le poète épique, il sagit de défendre les droits de la fiction, et plus précisément de la fiction « romanesque » [] ; pour lessayiste, il sagit de dire tout lhomme, non seulement ses mœurs et mouvements, mais ses virtualités, le labyrinthe de ses secrets et de ses fantasmes, ses « folles fantaisies », ses folies64.

Outre quelles introduisent dans la réflexion une interrogation sur les limites de « lhumaine capacité » et les bornes du possible, les anecdotes situées au marge du vraisemblable sont, dans les Essais, reconnues comme particulièrement propres à retenir lattention et à activer la quête philosophique : fidèle à lidée platonicienne (Théétète 155d) qui veut quIris soit fille de Thaumantis65, Montaigne reconnaît un caractère fécond à létonnement et à la perplexité suscités par les anecdotes étranges (« Nous admirons et pesons mieux les choses étrangères que les ordinaires66 »). Lincertitude sur leur statut (vrai ou faux, historique ou fictionnel) contribue à faire prendre conscience dune ignorance à combler. De la même manière, Montaigne sintéresse, dans « De lart de conférer », aux effets des opinions apparemment paradoxales ou éloignées des siennes (« Les contradictions donc des jugements, ne moffensent, ni maltèrent : 71elles méveillent seulement et mexercent67 »), perçues comme autant doccasion de mettre en question les vérités provisoires auxquelles sest arrêté lesprit. Louverture au possible a donc partie liée avec la mobilité dune pensée qui refuse le confort des certitudes.

De fait, en accueillant les manifestations les moins vraisemblables dune loi générale reconnue comme valide, Montaigne offre une conception singulière de la prudence qui incombe au philosophe. Dune part, ce dernier doit sinterdire de prendre pour argent comptant les cas invraisemblables68, et suspendre à leur propos ses jugements de vérité :

Et est notre vie trop réelle et essentielle, pour garantir [les] accidents, supernaturels et fantastiques. [] Cest bien assez ; quun homme, quelque recommandation quil ait, soit cru de ce qui est humain : De ce qui est hors de sa conception, et dun effet supernaturel : il doit en être cru, lors seulement, quune approbation supernaturelle la autorisé. [] Il vaut mieux pencher vers le doute, que vers lassurance, ès choses de difficile preuve, et dangereuse créance69.

Mais il ne doit pas pour autant écarter les récits douteux du champ de ses investigations. « Le nombre et variété des accidents70 » de Nature et les contours indécidables de « lhumaine capacité » ne découragent-ils pas toute prétention à fixer les limites du possible et de limpossible ? Comme le rappelle le chapitre « De la vanité » dans son célèbre développement sur les sorciers, seul Dieu dispose dexemples « certains et irréfragables71 », quand ceux des hommes sont incertains, du fait notamment des imperfections de la perception (« Tant il y a dincertitude partout : tant notre apercevance est grossière, obscure et obtuse72 », « les choses présentes mêmes, nous ne les tenons que par la fantaisie73 ») et de la subjectivité des interprétations.

72

Paradoxalement, donc, lhonnêteté philosophique consiste en partie à fournir à son lecteur un maximum de matériau, quitte à le laisser séparer le bon grain de livraie comme il lentendra. Lessai « De lart de conférer » souligne ainsi que louverture au possible est une manière de se montrer conscient de la fragilité de son propre jugement : pour départager le vraisemblable de linvraisemblable, que pèse, en effet, lopinion dun seul ? Au nom de cet argument, Montaigne fait lapologie des historiens qui préfèrent relayer des croyances populaires douteuses plutôt que de prendre la responsabilité de les infirmer. Cest le cas de Quinte-Curce qui, à propos de lhistoire improbable dun chien qui se laisse couper tous les membres plutôt que de lâcher sa proie, considère que lautorité dune tradition largement répandue lemporte sur la sienne :

Quant à moi, jen écris plus que je nen crois ; car je ne puis me résoudre, ni à affirmer ce dont je doute, ni à supprimer ce que ma transmis la tradition74.

Une telle méthode nest pas contradictoire avec la réticence de Montaigne à évaluer la véracité dun fait à laune de lassise plus ou moins large dont il bénéficie dans lopinion commune (« Il y a du malheur, den être là, que la meilleure touche de la vérité, ce soit la multitude des croyants, en une presse où les fols surpassent de tant, les sages, en nombre75 ») : la précaution méthodologique quil simpose consiste à voir dans lapprobation du plus grand nombre non un critère de vérité, mais un signal dissuasif empêchant de classer trop vite un événement dans la catégorie des faits impossibles. Montaigne amplifie cette idée par une compilation de citations de Tite-Live, qui confirment quil ne revient pas à un individu de trancher à propos des faits incertains, ou de réfuter des croyances qui ont pour elles le poids de lancienneté et lapprobation du plus grand nombre (« Haec nec affirmare neque refellere operae pretium est » ; « famae rerum standum est » ; « Quaedam religio tenet, quae illi prudentissimi viri publice suscipienda censuerint, ea pro indignis habere, quae in meos annales referam76 »). De la même manière, les « hardis témoignages » de Tacite, 73qui raconte comment un soldat perdit ses mains « roidies de froid » sur un « faix de bois », ou comment la salive de Vespasien a rendu la vue à une aveugle, apparaissent paradoxalement comme des marques de son humilité et de sa volonté de rester à la place modeste qui lui revient :

Ils tiennent registre des événements dimportance : Parmi les accidents publics, sont aussi les bruits et opinions populaires. Cest leur rôle, de réciter les communes créances, non pas de les régler. Cette part touche les Théologiens, et les philosophes directeurs de consciences. [] Quils nous rendent lhistoire, plus selon quils reçoivent, que selon quils estiment77.

Il nest pas surprenant de retrouver dans ces lignes les termes quutilisait Montaigne pour présenter le projet des Essais, qui consiste précisément à « réciter » lhomme sans chercher à le « former » ou le « régler78 ». Immédiatement après sêtre ainsi prononcé sur les missions de lhistorien, Montaigne justifiera dailleurs cet effet décho en mettant en parallèle sa relative liberté dessayiste avec les contraintes qui pèsent sur lhistorien scrupuleux (« Moi qui [par opposition aux historiens] suis Roi de la matière que je traite, et qui nen dois rendre compte à personne, ne men crois pourtant pas du tout ») : dans les anecdotes des Essais, noffre-t-il pas aussi, à sa manière, un « récit » discontinu et éclaté dactions humaines ? Quoique, dans la formulation du projet montaignien, le verbe « réciter » doive être pris au sens large, et renvoie avant tout à ladoption dun point de vue descriptif plus que prescriptif, le terme est associé, dans les Essais, à des questionnements qui rappellent les réflexions sceptiques sur la méthode du récit historique et sur ce qui fonde la véracité de celui-ci. À propos de la part narrative des Essais, constituée notamment par des exemples et anecdotes, Montaigne interroge, comme le faisait déjà Sextus Empiricus dans son développement sur la pertinence de la tripartition muthos/plasma/historia, la capacité de 74lesprit à tracer une frontière entre le possible et limpossible, le récit véridique et la fiction79. Cet obstacle épistémologique, qui compromet lécriture de lhistoire, se trouve notamment exposé dans lessai « Des boiteux » et dans l« Apologie de Raimond Sebond » qui, constatant la consistance de certains univers fictionnels et lautorité dont se parent nombre dénoncés inexacts, soulignent la gémellité du vrai et du faux :

Notre discours est capable détoffer cent autres mondes, et den trouver les principes et la contexture. [] Et peu de gens faillent, notamment aux choses malaisées à persuader, daffirmer quils lont vu : ou dalléguer des témoins desquels lautorité arrête notre contradiction. [] Ita finitima sunt falsa veris ut in praecipitem locum non debeat se sapiens committere. La vérité et le mensonge ont leurs visages conformes, le port, le goût, et les allures pareilles : nous les regardons de même œil80.

Rien ne semble vrai, qui ne puisse sembler faux. [] [L] effet [des idées sceptiques], cest une pure, entière et très parfaite surséance et suspension du jugement81.

Cette absence de trait distinctif permettant de départager le vrai du faux fait de l« entre deux » le champ dans lequel se déploie la part narrative de lessai : conscient de la fragilité dun jugement humain souvent gouverné par la fantaisie, Montaigne privilégie la narration suspensive, qui évite deux types opposés dassertivité : dune part, celle qui pose lincertain comme vrai (tour de force dénoncé en III 11 par la formule cicéronienne Videantur sane, ne affirmentur82) ; dautre part, celle, tout aussi desséchante, qui exclut trop vite les récits douteux, se privant ainsi dun précieux terrain dobservation de l« humaine capacité ».

75

Nous lavons vu, les anecdotes sur la puissance de limagination peuvent rappeler la définition que Barbara Cassin donne du plasma (décrit comme un « pseudos qui se donne pour pseudos83 ») à cette nuance près que les « cas » montaigniens ne se donnent pas pour faux, mais pour incertains ou pour simplement vraisemblables. En sinterdisant de trancher sur la véracité de certains exemples, Montaigne semble prolonger la réflexion de lAdversus Mathematicos sur la porosité des frontières entre historia et plasma : en labsence de critère infaillible pour distinguer le vrai et le faux, celui qui entend « réciter » lhomme fait de louverture aux possibles la pierre de touche dune « bonne foi » philosophique consistant notamment à reconnaître la fragilité de ses propres jugements de vérité.

Ainsi, lanecdote incertaine savère féconde à plusieurs titres : elle est dabord lillustration, particulièrement frappante et inoubliable, dune loi générale (par exemple, dans le cas de lessai I 20, l« étroite couture de lâme et du corps84 ») ; mais elle « essaie » aussi lintelligence du lecteur en mettant en scène la disproportion entre la créativité de Nature et celle de lesprit :

Combien de choses appelons-nous miraculeuses, et contre nature ? Cela se fait par chaque homme, et par chaque nation, selon la mesure de son ignorance. [] Aller selon nature, pour nous, ce nest qualler selon notre intelligence, autant quelle peut suivre, et autant que nous y voyons : ce qui est au-delà, est monstrueux et désordonné85.

Il nest guère étonnant quune concentration particulièrement forte danecdotes incertaines intervienne dans lessai I 20, consacré à la puissance de limagination. De cette faculté, responsable des représentations exactes du réel, des déformations « fantastiques » des choses, mais aussi des « mondes possibles » fictionnels, Montaigne fait volontiers lemblème de la non-assertivité de son écriture. Tournant le dos à ceux qui prétendent prodiguer vérités et certitudes, il présente souvent ses Essais comme un tissu de « fantaisies ».

Si Philosopher cest douter, comme ils disent, à plus forte raison niaiser et fantastiquer, comme je fais, doit être douter : car cest aux apprentis à enquérir et à débattre, et au cathédrant de résoudre86.

76

Je ne fais point de doute, quil ne madvienne souvent de parler de choses, qui sont mieux traitées chez les maîtres du métier, et plus véritablement. Cest ici purement lessai de mes facultés naturelles, et nullement des acquises : Et qui me surprendra dignorance, il ne fera rien contre moi : car à peine répondrais-je à autrui de mes discours, qui ne men réponds point à moi, ni nen suis satisfait. [] Ce sont ici mes fantaisies, par lesquelles je ne tâche point à donner à connaître les choses, mais moi87.

Ici comme dans lessai I 20, Montaigne indique au lecteur quil na pas à attendre de lui une représentation des choses telles quelles sont, et laisse dautres se bercer de lillusion de pouvoir livrer un propos adéquat au réel. Ainsi, les anecdotes incertaines confirment, sil en était besoin, la centralité des « grotesques » dans lécriture de Montaigne : loin dêtre de simples intermèdes ludiques, elles laissent apercevoir la façon dont une imagination consciente de ses limites peut contribuer à lexploration des possibles.

Alice Vintenon

Université Bordeaux Montaigne (équipe TELEM-Centre Montaigne)

77

Bibliographie

Agrippa, Henri-Corneille, La Magie naturelle, trad. Jean Servier, Paris, Berg International, lIle verte, 1982.

Du Laurens, André, Discours de la conservation de la veuë : des maladies melancholiques : des catarrhes : et de la vieillesse, Theodore Samson, 1598.

Ficin, Marsile, Théologie platonicienne [1482], édition de Raymond Marcel, Paris, Les Belles Lettres, 2007.

Fracastoro, Girolamo, De Sympathia et antipathia rerum [1546], Roma, Edizioni di storia e letteratura, 2008.

Fracastoro, Girolamo, Turrius oder über das Erkennen / Turrius sive de intellectione, [1555], édité et traduit en allemand par Michaela Boenke, Münich, Wilhelm Fink Verlag, 2006.

Joubert, Laurent, Traité du ris, contenant son essance, ses causes, et mervelheus effais, curieusemant recerchés, raisonnés et observés, item, la cause morale du ris de Democrite, expliquee et temognee par Hippocras, Paris, chez Nicolas Chesneau, au Chesne verd, 1579.

La Primaudaye, Pierre de, Suite de lAcademie Françoise, réimpression de lédition de 1580 (Paris, Guillaume Chaudiere), Genève, Slatkine Reprints, 1972.

Levinus Lemnius, De Habitu et constitutione corporis, Francfort, apud Ioannem Wechelum, 1591.

Messie, Pierre, Les Diverses leçons de Pierre Messie, contenans la lecture de variables histoires et autres choses mémorables, mises en françoys par Claude Gruget, Paris, J. Longis, 1552.

Montaigne, Les Essais, édition dirigée par J. Céard, Paris, Librairie générale française, le Livre de Poche, 2001.

Ovide, Les Amours, trad. Henri Bornecque, Paris, Les Belles Lettres, 1995.

Paré, Ambroise, Œuvres complètes, tome I, introduction de J.-F. Malgaigne, Genève, Slatkine Reprints, 1970.

Paré, Ambroise, Des monstres et prodiges [1573], édition de Jean Céard, Genève, Droz, 1971.

Pline, Histoire naturelle, XI, 45, trad. Alfred Ernout et Roger Pépin, Paris, Les Belles Lettres, CUF, 1947.

Pomponazzi, Les Causes des merveilles de la nature, ou les Enchantements (1520), trad. dHenri Busson, Paris, Rieder, 1930.

Quinte-Curce, Histoire dAlexandre le Grand, trad. A. et A. Trognon, vol. III, Paris, Panckoucke, 1829.

78

Sextus Empiricus, Contre les professeurs, trad. C. Dalimier et al., Paris, Seuil, coll. Points, 2002.

Sextus Empiricus, Sexti Empirici viri longe doctissimi adversus mathematicos, hoc est, adversus eos qui profitentur disciplinas, trad. Henri Estienne, Paris, apud Martinum Juvenem, 1569.

Tite-Live, Histoire romaine, vol. I, trad. Gaston Baillet, Paris, Les Belles Lettres, 1997.

Tite-Live, Histoire romaine, vol. VII, livre VII, trad. Raymond Bloch, Paris, Les Belles Lettres, 1968.

Tite-Live, Histoire romaine, vol. XXXII, livre XLIII, trad. Paul Jal, Paris, Les Belles Lettres, 1976.

Sources secondaires

Cassin, Barbara, LEffet sophistique, Paris, Gallimard, NRF essais, 1995.

Bréchet, Christophe, « Plasma », dans « LIliade et lOdyssée relèvent-elles de la “fiction” ? Mimèsis, muthos et plasma dans lexégèse homérique », dans Mythe et fiction, dir. Danièle Auger et Charles Delattre, Presses Universitaires de Paris Ouest, 2010.

Guerrier, Olivier, Quand « les poètes feignent » : « fantasie » et fiction dans les Essais de Montaigne, Paris, Champion, 2002.

Knox, Dilwyn, Ironia, Medieval and Renaissance Ideas on Irony, Leiden, E.J. Brill, Columbia Studies, 1989.

Mathieu-Castellani, Gisèle, Montaigne ou la vérité du mensonge, Genève, Droz, 2000.

Pigeaud, Jackie, « Voir, imaginer, rêver, être fou. Quelques remarques sur lhallucination et lillusion dans la philosophie stoïcienne, épicurienne, sceptique, et la médecine antique », Littérature, médecine, société, No 5, « Fantasmes-folie », Université de Nantes, 1983, p. 23-54.

Rispoli, Gioia Maria, Lo spazio del verisimile. Il raconto, la storia e il mito, Naples, M. DAuria Editore, 1988.

Sève, Bernard, Montaigne. Des règles pour lesprit, Paris, PUF, Philosophie daujourdhui, 2007.

Westerwelle, Karin, Montaigne, die Imagination und die Kunst des Essays, Münich, W. Fink, 2002.

1 Voir Christophe Bréchet, « Plasma », dans « LIliade et lOdyssée relèvent-elles de la “fiction” ? Mimèsis, muthos et plasma dans lexégèse homérique », dans Mythe et fiction, dir. Danièle Auger et Charles Delattre, Presses Universitaires de Paris Ouest, 2010, § 23, et Gioia Maria Rispoli, Lo spazio del verisimile. Il raconto, la storia e il mito, Naples, M. DAuria Editore, 1988, p. 21-27 et 108-123.

2 Sextus Empiricus, Contre les grammairiens, chap. 263, dans Contre les professeurs, trad. C. Dalimier et al., Paris, Seuil, coll. Points, 2002, p. 203.

3 Ibid., chap. 264.

4 Ibid.

5 Sexti Empirici viri longe doctissimi adversus mathematicos, hoc est, adversus eos qui profitentur disciplinas, trad. Henri Estienne, Paris, Apud Martinum Juvenem, 1569, p. 44.

6 Cette notion ressort déjà de la définition de Quintilien, qui définit largumentum comme quod falsum sed vero simile comoediae fingunt (Institution Oratoire, livre II, chap. iv, § 2).

7 De Inventione, livre I, chap. xix.

8 LEffet sophistique, Paris, Gallimard, NRF essais, 1995, p. 485.

9 Contre les grammairiens, op. cit., chap. 267, p. 205.

10 Les Essais, édition dirigée par J. Céard, Paris, Librairie générale française, le Livre de Poche, 2001, I 20, p. 160. Sauf mention contraire, nos références seront tirées de cette édition.

11 I 20, p. 146.

12 Ibid., p. 147.

13 Ibid., p. 159.

14 Ibid.

15 Les cas présents chez Montaigne et Ficin sont : les condamnés qui meurent avant la date fatidique, pour avoir imaginé le geste du bourreau ; le fils muet de Crésus, qui a retrouvé la parole ; le fait que la simple vue dun aliment suffise parfois à sentir son goût ou à être rassasié ; la guérison à la simple vue dune personne bien portante ; lérection lors dun songe érotique. Voir Théologie platonicienne, éd. Raymond Marcel, Paris, Les Belles Lettres, 2007, livre XIII, chap. i, p. 196-197. La plupart de ces anecdotes sont relayées par Pomponazzi dans Les Causes des merveilles de la nature, ou les Enchantements (1520), trad. dHenri Busson, Paris, Rieder, 1930, p. 126-129.

16 La Magie naturelle, trad. Jean Servier, Paris, Berg International, lIle verte, 1982, chap. 64-65, p. 183-187. Citons le cas de Gallus Vibius qui, à force détudier la folie, devient fou lui-même ; lhistoire de Cyppus ; celle du fils de Crésus, celui dAntiochus, pris de fièvre sous leffet de la beauté de Stratonice ; le changement de sexe de Lucius Cossitius ; les cicatrices de Dagobert et saint François ; la capacité de certains à « commander à leur derrière » ; les mères qui communiquent à leurs enfants les marques de leur fantaisie (cas de la fille velue présentée au roi de Bohême) ; le changement de couleur des brebis de Jacob.

17 Introduction ou entrée pour parvenir à la vraye cognoissance de la chirurgie, dans Œuvres complètes, tome I, Genève, Slatkine Reprints, 1970, chap. xxvi, p. 98 et sq.

18 Les notes de lédition Céard renvoient ainsi aux Monstres et prodiges de Paré, mais rappellent que lhistoire est également présente chez Caelius Rhodiginus et Pierre Messie.

19 Cependant, on peut, avec Karin Westerwelle, supposer que la Magie naturelle constitue lune des principales sources livresques du chapitre. V. Montaigne, die Imagination und die Kunst des Essays, Münich, W. Fink, 2002, p. 411.

20 Sur la théorie médicale de lhallucination, qui donne la certitude déprouver une sensation alors quaucun objet extérieur susceptible de la susciter nest perçu par les sens, v. Jackie Pigeaud, « Voir, imaginer, rêver, être fou. Quelques remarques sur lhallucination et lillusion dans la philosophie stoïcienne, épicurienne, sceptique, et la médecine antique », Littérature, médecine, société, no 5, « Fantasmes-folie », Université de Nantes, 1983, p. 23-54.

21 Histoire naturelle, XI, 45, trad. Alfred Ernout et Roger Pépin, Paris, Les Belles Lettres, CUF, 1947, p. 67 : « Cornua multis quidem et aquatilium et marinorum et serpentium variis data sunt modis, sed quae jure cornua intellegantur, quadripedum tantum generi : Actaeonem enim et Cipum etiam in Latia historia fabulosos reor. Nec alibi major naturae lascivia. Lusit animalium armis ».

22 Turrius oder über das Erkennen / Turrius sive de intellectione, [1555], édité et traduit par Michaela Boenke, Münich, Wilhelm Fink Verlag, 2006, 200 b, p. 206 : « [Parmi les mélancoliques,] alii phantasias sibi quasdam faciunt, quae neque sunt, neque esse possunt : hi quidem putantes habere cornua, illi vitreum nasum, aut manus : alii se esse mortuos, alii avec factos, et infinita eiusmodi ».

23 Introduction ou entrée pour parvenir à la vraye cognoissance de la chirurgie, op. cit., chap. xxvi, p. 100.

24 Suite de lAcademie Françoise, réimpression de lédition de 1580 (Paris, Guillaume Chaudiere), Genève, Slatkine Reprints, 1972, chap. xxvii, f. 65.

25 La Magie naturelle, op. cit., chap. lxiv, p. 184.

26 Montaigne, die Imagination…, op. cit., p. 433 et sq. Pour Karin Westerwelle, lironie de Montaigne est notamment à comprendre comme une réponse satirique au succès des compilations.

27 V. Ironia, Medieval and Renaissance Ideas on Irony, Leiden, E. J. Brill, Columbia Studies, 1989, chap. ii, p. 28.

28 I 20, p. 148.

29 Sur ce point, v. Karin Westerwelle, Montaigne, die Imagination…, op. cit., p. 433.

30 Les Amours, livre III, élégie XII, v. 41-42, trad. Henri Bornecque, Paris, Les Belles Lettres, 1995, p. 96-97 : « Limagination créatrice des poètes se déploie sans bornes et nastreint pas ses productions à la fidélité de lhistoire » (« Exit in inmensum fecunda licentia vatum, / Obligat historica nec sua verba fide »).

31 I 20, p. 148.

32 Olivier Guerrier souligne cependant que le choix de la citation gomme la dimension surnaturelle du récit. V. Quand « les poètes feignent » : « fantasie » et fiction dans les Essais de Montaigne, Paris, Champion, 2002, p. 140-142.

33 III 11, p. 1600.

34 I 20, p. 148.

35 Ibid. Nous soulignons, de même que dans les trois citations suivantes.

36 Ibid., p. 149.

37 Ibid., p. 158-159.

38 Ibid., p. 148.

39 Ibid., p. 159.

40 Ibid., p. 160.

41 De Habitu et constitutione corporis, Francfort, apud Ioannem Wechelum, 1591, chap. vii, p. 46 : « Vis [imaginationum] tanta est, tamque efficax, ut quae sub ipso conceptus momento animo mentique observantur, in foetum elaborentur. Quum enim is sexus lascivus sit ac ludibundus, atque oculos in obvia quaeque continenter defigat ; fit, ut naturalis facultas quae operi formando perficiendoque insistit, eo cogitationes mentisque conceptus dirigat, atque ascititiam formam infanti inducat, a parentum natura ac conditione prorsus alienam. Sic observatum est nostra et avorum memoria, quum Imperator Carolus eius nominis Quintus, ex Hispaniis in Belgicam instructissima classe esset delatus, ac numerosa clientela, amploque procerum ac stipatorum apparatu has oras implevisset, mulieres quae passim gestabant uterum, ex crebro Hispanorum contuitu, exactis novem mensibus, decursoque anni dodrante, infantes edidisse superciliis capillisque nigris ac crispis, tum colore illi nationi undique assimili ».

42 Traité du ris, contenant son essance, ses causes, et mervelheus effais, curieusemant recerchés, raisonnés et observés, item, la cause morale du ris de Democrite, expliquee et temognee par Hippocras, publié à Paris chez Nicolas Chesneau, au Chesne verd, 1579, livre II, préface, p. 156-157. Nous soulignons.

43 Les Diverses leçons de Pierre Messie [1540]contenans la lecture de variables histoires et autres choses mémorables, mises en françoys par Claude Gruget, Paris, J. Longis, 1552, livre II, chap. 7, f. 101 ro. Nous soulignons.

44 Ibid., livre III, chap. 22, f. 207 ro.

45 Discours de la conservation de la veuë : des maladies melancholiques : des catarrhes : et de la vieillesse, Theodore Samson, 1598, Second discours, chap. vii, p. 263. Nous soulignons.

46 I 20, p. 159-160.

47 En 1580, le chapitre sinterrompt après « Car les Histoires que je récite je les renvoie sur la conscience de ceux de qui je les tiens ». En 1588, Montaigne ajoute « Les discours sont à moi [] accidents ».

48 I 20, p. 160.

49 Gisèle Mathieu-Castellani, Montaigne ou la vérité du mensonge, Genève, Droz, 2000, p. 33 et 38-42. Karin Westerwelle, Montaigne, die Imagination…, op. cit., p. 441-442. Voir Poétique, IX, 51a 36-51b 5.

50 LEffet sophistique, op. cit., p. 474.

51 Ibid., p. 492.

52 Ibid., p. 477.

53 Poétique, IX, 51b 5.

54 I 20, p. 160.

55 Poétique, chap. ix, 51b 5.

56 I 20, p. 160.

57 II 12, p. 731.

58 Ibid., p. 729. La plupart des anecdotes animalières extraordinaires citées par Montaigne dans l« Apologie de Raimond Sebond » recourent à des modalisations comparables à celles de lessai I 20.

59 Les Essais, op. cit., II 12, p. 872-873. Sauf mention contraire, nos références seront tirées de cette édition.

60 II 12, p. 873.

61 I 20, p. 158.

62 Théologie platonicienne, op. cit., livre XIII, chap. i, p. 198 : « Phantasiam quattuor sequuntur affectus : appetitus, voluptas, metus ac dolor. Hi omnes quando vehementissimi sunt, subito corpus proprium omnino, nonnumquam alienum afficiunt. » Fracastor précisera, dans le De Sympathia et antipathia rerum, que la fantaisie humaine se trouve connectée par une « sympathie » naturelle à la totalité du corps humain, et en particulier au cœur. Ainsi, dès que la fantaisie enregistre les species des objets perçus par les sens, celles-ci sont immédiatement transmises au cœur par les esprits, décrits comme les « serviteurs » de ce « roi » de lorganisme humain. Le cœur réagit alors aux images plus ou moins agréables que composent les species, en se dilatant ou en se resserrant. V. De Sympathia et antipathia rerum (1546), Roma, Edizioni di storia e letteratura, 2008, chap. xvi, p. 114-118. Montaigne, quant à lui, reste prudent sur les modalités de la « liaison et couture de lâme et du corps », affirmant que « jamais homme [na] su » (II 12, p. 839) précisément comment les « impressions spirituelles » pouvaient influer sur « un sujet massif, et solide ».

63 III 8, p. 1445.

64 Montaigne ou la vérité du mensonge, op. cit., p. 37 et 42.

65 III 11, p. 1600.

66 II 12, p. 731.

67 III 8, p. 1446.

68 III 11, p. 1607 : « Notre imagination se trouve pareillement facile, à recevoir des impressions de la fausseté, par bien frivoles apparences ». Voir aussi la citation (dauteur inconnu) de la p. 1602, Majorem fidem homines adhibent iis quae non intelligunt. V. Bernard Sève, Montaigne. Des règles pour lesprit, Paris, PUF, Philosophie daujourdhui, 2007, chap. v : Bernard Sève explique que Montaigne ne sen tient pas à la proposition selon laquelle « tout est possible » : il considère également que lon ne peut pas croire nimporte quoi, et opère une hiérarchisation entre les croyances.

69 Ibid., p. 1602-1604.

70 I 20, p. 160.

71 III 11, p. 1601.

72 Ibid., p. 1594.

73 III 9, p. 1552.

74 Quinte-Curce, Histoire dAlexandre le Grand, trad. A. et A. Trognon, vol. III, Paris, Panckoucke, 1829, p. 258-259 : « Equidem plura transcribo, quam credo : nam nec affirmare sustineo, de quibus dubito, nec subducere, quae accepi » (formule citée par Montaigne en III 8, p. 1475).

75 III 11, p. 1597.

76 Histoire romaine, préface, phrase 6, trad. Gaston Baillet, Paris, Les Belles Lettres, 1997, p. 3 : « [Quant aux événements qui ont précédé immédiatement la fondation de Rome ou ont devancé la pensée même de sa fondation, à ces traditions embellies par des légendes poétiques plutôt que fondées sur des documents authentiques], je nai lintention ni de les garantir ni de les démentir. » ; VII, 6, trad. Raymond Bloch, Paris, Les Belles Lettres, 1968 : « [Je naurais pas épargné ma peine si ma recherche avait pu par quelque voie me mener au vrai]. Mais il faut sen tenir à la tradition [là où lantiquité des faits rend impossible la certitude] » ; XLIII, 13, trad. Paul Jal, Paris, Les Belles Lettres, 1976, p. 17-18 : « Un certain scrupule métreint à lidée de considérer comme indignes dêtre rapportés dans mes annales des faits que les hommes pleins de sagesse de ce temps-là ont jugé dignes dêtre lobjet de consultations officielles. »

77 III 8, p. 1474-1475.

78 III 2, p. 1257.

79 V. Karin Westerwelle, Montaigne, die Imagination, op. cit., p. 443 : « Montaigne breitet in kleinen Fragmenten (die Geschichten und Anekdoten) ein Material aus, das die Kriterien von wahr und falsch in Frage stellt ».

80 III 11, p. 1595-1596. Tirée dun passage dans lequel Cicéron explique pourquoi il est souvent préférable de suspendre son jugement, la citation, empruntée aux Académiques (II 21, 68), rappelle ces autres formules cicéroniennes, citée dans l« Apologie de Raimond Sebond », respectivement p. 790-791 et p. 873 : « Hi sumus qui omnibus veris falsa quaedam adjuncta esse dicamus, tanta similitudine ut in iis nulla insit certe judicandi et assentiendi nota » (De natura Deorum, livre I, chap. v), « Inter visa, vera, aut falsa, ad animi assensum, nihil interest » (Académiques, livre II, chap. xxviii, 90).

81 II 12, p. 786.

82 Académiques II, XXVII, 87, cité dans III 11, p. 1602. V. aussi De divinatione, II, III, 8, cité dans II 12, p. 781 : « Dicendum est, sed ita ut nihil affirmem, quaeram omnia, dubitans plerumque et mihi diffidens ».

83 LEffet sophistique, op. cit., p. 492.

84 I 20, p. 156-157.

85 II 12, p. 818.

86 II 3, p. 559.

87 II 10, p. 645.