Erreur/vérité, mensonge/sincérité, d’Érasme à Montaigne
- Publication type: Journal article
- Journal: Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
2016 – 1, n° 63. varia - Author: Basset (Bérengère)
- Pages: 73 to 91
- Journal: Bulletin for the International Society of Friends of Montaigne
Erreur/vérité, mensonge/sincérité, d’Érasme à Montaigne
D’ordinaire la réflexion porte plutôt sur la distinction à établir entre « faute » et « erreur », réflexion notamment suscitée par la Poétique d’Aristote et les emplois que fait le Stagirite du substantif ἁμαρτία et du verbe ἁμαρτάνω1. Ce débat conduit, comme on sait, à s’interroger sur la responsabilité morale du sujet. Il nous semble que la question se pose aussi sur la distinction à établir entre « mensonge » et « erreur ». Il nous paraît que c’est plutôt cette distinction qui a intéressé le xvie siècle, et qu’en tous les cas elle ne laisse pas de poser problème quand on considère les productions des humanistes. C’est elle que nous voudrions interroger en opérant un parcours qui nous conduira d’Érasme à Montaigne, en essayant de confronter les considérations en la matière de l’un et l’autre de ces auteurs.
En apparence, la distinction entre « erreur » et « mensonge » semble plus simple à établir, est plus clairement posée. Le « mensonge » révèle une intention de tromper et place la réflexion sur le terrain de l’éthique, tandis que l’« erreur » relève de la gnoséologie, se situe au niveau intellectuel. Pourtant, il nous paraît qu’existe, au xvie siècle, un certain flou terminologique qui pourrait conduire à une sorte confusion entre les deux notions, voire à leur assimilation. Considérer à la fois l’écart et la proximité entre ces deux notions pourraient permettre une nouvelle approche de l’envers commun qui leur est donné, la vérité.
« veritas non semper respondet mendacio,
verum interdum simulationi »
« Erreur » et « mensonge » chez Érasme,
distinction ou confusion ?
Je voudrais commencer par ce qui fut le point de départ de ma réflexion, le texte à l’origine de la proposition de communication que j’ai faite pour ce colloque, en m’excusant de la nature quelque peu empirique de ma démarche. L’idée m’est venue à la lecture de l’adage In vino veritas (I, vii, 17). Érasme y présente une distinction qui n’a rien d’extraordinaire mais qui m’intéresse pour les termes qu’elle fait intervenir :
Atqui verum qui potest dicere, qui labitur rerum judicio ? Sed veritas non semper respondet mendacio, verum interdum simulationi. Potest autem fieri, ut ex animo loquatur, qui tamen falsum dicat, et verum dicat, qui non vere loquatur2.
Le partage est apparemment clair, entre d’un côté le mensonge (simulatio), de l’autre l’erreur (mendacium). Pourtant, les choses se compliquent quand Érasme associe au couple falsum / verum, le couple ex animo / non vere. Cultivant le paradoxe d’un menteur qui dit vrai, Érasme exprime le contraire de la sincérité (ex animo) par la formule non vere. La vérité est donnée comme l’envers à la fois du mensonge et de l’erreur, brouillant ainsi les pistes. Elle relève d’une certaine saisie du réel, en même temps qu’elle s’appréhende en termes éthiques.
Le mensonge ou l’« art » de la simulatio
Quand on regarde du côté des termes qu’utilise Érasme pour établir le partage entre mensonge et erreur, on se rend compte que la distinction n’est pas si claire qu’il y paraît. Ce qui est traduit par mensonge c’est le latin simulatio, que l’on traduirait plus justement par « feinte ».
Il indique une intention de tromper par une déformation, une falsification de ce qui est, on est dans la fiction au sens étymologique (fingere). L’index des lieux qu’Érasme a ajouté à ses Adages comporte la catégorie « simulatio, dissimulatio3 ». Les adages recensés sous ce lieu permettent de comprendre que la notion est beaucoup plus vaste que le mensonge proprement dit, qu’elle n’engage pas seulement l’acte de parole mais toute action de feinte. Son envers, c’est la franchise, la vérité conçue comme franchise, une attitude qui n’entend pas masquer la réalité, plus précisément qui n’entend pas masquer ce que l’on sent et ressent. L’adage dont nous sommes partie, in vino veritas, est « rangé » sous le lieu commun qui fait suite à simulatio, dissimulatio : « Libertas, veritas » que l’on a choisi de traduire, dans l’édition consultée, par « La franchise, la vérité4 ». Les différents adages regroupés sous le lieu font apparaître une certaine conception de la vérité : Libertas et Veritas sont moins des notions conjointes que des sortes de synonymes. La vérité est en effet conçue comme un « parler ouvert », elle relève de la parrhêsia, notion que les Latins ont traduite par libertas. La vérité est d’abord de l’ordre de la parole, et d’une parole ouverte. En témoignent ces deux adages rangés sous ce lieu :
Jubentis aperte loqui (III, viii, 4) : Si quem admonebimus, ut proferat doloris aut odii causas neque celet in animo, non illepide dixerimus illud ex primo Iliados libro : // Ἐξαύδα, μὴ κεῦθε νόῳ, ἵνα εἴδομεν ἄμφω, id est // Eloquitor, ne celato, quo norimus ambo5.
Aperte simpliciterque loqui (III, ix, 70) : Simpliciter et aperte dicturos nos citraque ambages significabimus hoc carmine, quod est in eodem libro [Homère, Odyssée, 4] : // Οὐκ ἂν ἔγωγε / Ἄλλα παρὲξ εἴποιμι παρακλιδόν οὐδ᾽ἀπατήσω, id est // Nec fucis te dissimulans decepero fictis6.
L’intention de tromper s’associe ainsi à la dissimulation. La métaphore du fard (fucus) revient de manière récurrente. On la retrouve, entre autres exemples, dans cet autre adage également associé au lieu « Libertas, veritas » :
Aperto pectore (III, v, 34) : Aperto pectore dicimus pro eo, quod est vehementer ex animo citraque fucum quasi renudatis animi penetralibus. M. Tullius in libello De amicitia : In qua nisi, ut dicitur, apertum pectus videas atque ostendas, nihil fidum […]. Allusum est autem ad Momi dictum, qui fenestras in hominum pectore desiderasse fingitur, quo liceret inspicere, quidnam in specubus illis reconditum esset7.
Se formule ici un idéal de transparence sur lequel il nous faudra revenir. La vérité se fait proprement ἀλήθεια, au sens étymologique du terme, « dévoilement », sauf que le voile qu’il s’agit d’ôter n’est pas celui des apparences trompeuses, et qui trompent malgré nous, mais celui dont on recouvre nos pensées intimes. Si la vérité ainsi conçue est libertas, cette dernière prend la forme plus spécifique de la fides ainsi que l’exprime la citation de Cicéron qu’associe Érasme à l’adage aperto pectore, c’est la « bonne foi » de l’avis « Au lecteur » des Essais. L’envers de cette libertas, la simulatio ou dissimulatio, trouve plusieurs causes. Revenons à l’adage in vino veritas. Érasme y fait aussi mention du fard comme voile de la vérité que vient lever le vin, mais il lui associe une autre notion :
Postremo proverbium non sentit de insana temulentia, quae facit, ut quae fixa sunt, videantur ambulare et quae simplicia videantur multiplicia, sed de moderata, quae dysopiam ac fucum excutit8.
Ce qui peut encore s’opposer à la parrhêsia ou libertas, à une parole libre et ouverte, c’est la dysopia, notion à laquelle Plutarque a consacré un traité moral et qu’Amyot traduira par « fausse honte ». Il s’agit d’une
timidité ou d’une lâcheté excessive, et Plutarque de proposer, dans son traité, différents exercices qui peuvent nous en guérir. On reste dans le domaine éthique, mais il n’y a pas ici intention de tromper, le « menteur » ou le « dissimulateur » fait preuve d’un manque d’audace, ce pour quoi Foucault a pu « traduire » parrhêsia par « courage de la vérité » – du moins s’approprier la notion en la nommant ainsi. S’il y a une disposition interne qui conditionne cette dysopia, elle est aussi le fait de certaines circonstances, politiques notamment, en particulier celles que suppose un régime tyrannique. La responsabilité du sujet est sans doute engagée, mais l’est-elle à un même niveau qui celui qui place du fard sur ses paroles et ses actes. La question peut être posée. Si l’on essaie de hiérarchiser les degrés de responsabilité, ou de culpabilité, condamnera-t-on à égalité le tyran qui trompe et manipule ses sujets et les sujets qui se taisent par crainte, voire terreur ?
Qu’il s’agisse cependant de fard ou de dysopia, c’est toujours pour l’essentiel une question de parole. En témoignent les quelques adages que nous avons cités. La vérité suppose une certaine modalité de la parole. S’il y a une éthique, c’est d’abord une éthique de la parole. Le fard, c’est d’abord celui de la rhétorique – même si la parrhêsia est aussi une figure de rhétorique –, c’est d’abord et avant tout le discours qui farde. Je parlais tout à l’heure d’un idéal de transparence, la vérité se formule en effet comme un discours qui serait miroir de l’âme. Dans la Lingua, ouvrage entièrement consacré à cette question d’éthique du langage, Érasme trouvera une forme à ce langage simple qui efface la barrière entre les mots et les choses, entre les mots et la pensée, l’apophtegme. Ce parler bref qui vaut pour un acte est à la fois sans fard et marque d’une audace qui relève d’un courage de la vérité. Érasme ira plus avant encore et proposera l’usage des « symboles muets », dans lesquels le langage disparaîtrait et empêcherait à la fois le mensonge et l’erreur9. Car c’est aussi le langage, cet outil imparfait, marque de la chute chez Érasme, qui nous fait nous tromper sans le vouloir, sans intention de tromper. C’est lui aussi qui fait révéler au menteur la vérité sans qu’il le veuille :
Huc adscribendum arbitror versiculum illum proverbialem : // Ἡ γλῶσσ᾽ ἁμαρτάνουσα τ᾽ἀληθῆ λέγει, id est // Verum solet prolapsa lingua dicere. // Nam verum esse creditur, quod exciderit imprudenti, quandoquidem id demum vacat fictionis suscipione10.
Comme on témoigne le vers grec cité et traduit par Érasme, la vérité se manifeste, est dite, par erreur, quand « ça » parle en nous aurais-je envie de dire11. La traduction latine proposée par l’humaniste batave est intéressante, elle semble découvrir le lapsus révélateur. De manière paradoxale, elle donne comme source de vérité l’imprudence, alors même que celle-ci est aussi source, non du mensonge, mais de l’erreur, comme nous allons le voir en nous intéressant à présent à cette notion.
« Mendacium » et « error » :
les problèmes posés par la notion d’« erreur »
Ce qu’Érasme oppose à la simulatio dans notre adage de départ c’est le mendacium. Le terme ne laisse pas de poser problème et l’emploi qui en est fait ici peut surprendre. Le terme vient du substantif neutre mendum qui signifie dans un premier sens « faute, erreur » dans un texte ou dans la manière d’agir ; dans un second sens « défectuosité physique12 ». Le sens s’infléchit, se complète ou s’enrichit quand on passe à mendacium. Ce dernier terme est, en effet, employé dans le sens soit de « mensonge, menterie, fausseté [en paroles] » soit de « illusion, erreur [des sens]13 ». Il mêle ainsi les deux notions qui nous préoccupent, établissant une sorte de confusion, et donne plutôt la préséance au sens de « mensonge14 ». Au xvie siècle, le Dictionarium latinogallicum de Robert Estienne indique le sens de « faute » pour
« menda, ae » et « mendum, i », tout en leur donnant pour équivalent grec hamartêma15. En revanche, pour mendacium, il ne conserve que le sème du mensonge : il lui donne pour équivalent grec τὸ ψεύδεις et pour équivalent français « menterie, mensonge », sans indiquer les autres emplois mentionnés par Félix Gaffiot16. Dans l’adage in vino veritas, il appert, par le contexte ou plutôt le « cotexte », qu’Érasme l’emploie pour parler d’erreur des sens. C’est manifeste dans la distinction qu’il établit entre l’insana temulentia d’une part, de l’autre la moderata temulentia, distinction qui accompagne et explique celle faite entre mendacium et simulatio. Pourtant, il est d’autres cas où Érasme emploie mendacium dans un sens qui est clairement celui de « mensonge ». Ainsi dans l’adage suivant :
Calidum mendacium (IV, v, 68). Calidum facinus, θερμὸν ἔργον, pro audaci dici monuimus alias. Simili figura dici solere calidum mendacium pro audaci et impudenti docet Plautus in Mostellaria : // Calidum hercle audivi esse optimum mendacium. // Aut non est mentiendum aut est fortiter mentiendum, alioqui mox deprehenditur qui verecunde mentitur […]17.
L’association du verbe mentior, mentiri à mendacium spécifie clairement quel sens donner, en l’occurrence, à ce substantif. L’emploi de celui-ci au sens d’erreur dans l’adage in vino veritas participe donc à une certaine confusion. On pourrait expliquer son usage en ce sens par Érasme en se reportant à la distinction bien connue établie par les rhéteurs et reprise par Aulu-Gelle en ces termes :
Inter mendacium dicere et mentiri distat. Qui mentitur, ipse non fallitur, alterum fallere conatur ; qui mendacium dicit, ipse fallitur […]. Qui mentitur fallit, quantum in se est ; at qui mendacium dicit, ipse non fallit, quantum in se est […]. Vir
bonus praestare debet, ne mentiatur, prudens, ne mendacium dicat ; alterum incidit in hominem, alterum non18.
La distinction établie rejoint celle posée par Érasme dans l’adage in vino veritas, comme en témoigne l’opposition entre « tromper » (fallit) et « se tromper » (fallitur). Il n’est pas question d’erreur à proprement parler, mais on pourrait dire, d’une certaine façon, que celui qui « dit mensonge » est induit en erreur. La notion d’intention, sur laquelle est mis l’accent dans la distinction des auteurs antiques, pose la question de la responsabilité morale. Cette responsabilité morale est-elle aussi pertinente dans l’opposition entre « erreur » et « mensonge » ? A priori, on pourrait penser que oui. Mais ce n’est pas l’aspect sur lequel Érasme insiste dans l’adage qui nous occupe, il s’interroge plutôt sur les causes qui distinguent mendacium de simulatio. Le premier est donné comme une mauvaise perception. D’une certaine manière, on pourrait dire que nos sens nous trompent ; mais il est difficile de prêter à nos sens une intention, à moins de supposer un « malin génie » à qui reviendrait l’intention de tromper.
On trouve cependant, sous la plume d’Érasme, le terme latin d’error pour lequel le Dictionnaire latin-français de Félix Gaffiot donne les sens suivants : 1) action d’errer çà et là puis incertitude, indécision, ignorance 2) erreur, illusion, méprise. Le Dictionarium latinogallicum va dans le même sens : il donne pour équivalent grec ἡἁμαρτία et pour équivalent français « Erreur, Fourvoyment, Esgarement ». Chez Érasme, dans les Adages du moins auxquels s’est limitée notre étude, le terme
revêt certes ce sens, mais sert aussi souvent à désigner les fautes dans les textes, qu’elles soient de copie ou de traduction. L’un des Pythagoriae symbola (préceptes pythagoriciens) offre un exemple de ces deux emplois, le premier étant emprunté à Cicéron :
In eadem sententia M. Tullius item fuisse videtur, qui in libro De divinatione primo scribit ad hunc modum : Jubet igitur Plato sic ad somnum proficisci corporibus affectis, ut nihil sit quod errorem animis perturbationemque adferat […]. Ceterum quod Plutarchus in Problematibus rerum priscarum inter cetera refert ob id damnatas fabas, quod Lethes et Erebi sint cognomines, quid sibi velit, non satis intelligabam, nisi quod consultis Graecis codicibus comperi tandem vel librarii vel interpretis errorem […]19.
C’est souvent pour parler d’une faute dans le texte qu’Érasme va employer le terme error. Toutefois, on en trouve d’autres exemples qui vont nous permettre d’approfondir notre réflexion sur la distinction entre erreur et mensonge. Il existe, en effet deux lieux qui font intervenir le terme error : Iteratus error (Répéter ses erreurs) et Error in initio (Se tromper dès le début)20. Si le second n’offre guère d’entrées intéressantes pour notre propos, le premier mérite, en revanche, que l’on s’arrête sur les adages qu’il rassemble. Si le premier d’entre eux fait intervenir l’error à travers le verbe qui lui correspond – eadem errare chorda (I, v, 9) –, on en trouve un autre qui use du verbe peccare – Non licet in bello bis peccare (III, i, 31) –, quand le dernier fait intervenir la notion de tromperie volontaire à travers l’emploi du verbe decipio – Decipienti semel (IV, v, 62). Il semble que s’opère un glissement de l’erreur à la faute, voire au mensonge dès lors qu’il est question de tromper, et que la responsabilité du sujet tend à mettre mise en cause. L’hypothèse se confirme dès lors que l’on prête attention aux développements qu’Érasme consacre aux différents adages concernés. Se mêlent, de manière quelque peu insidieuse, les termes d’error et de culpa, les verbes errare et peccare. J’en donnerai quelques exemples :
Cicero Epistularum familiarum libro X : Culpa enim illa bis ad eumdem vulgari reprehensa proverbio est […]. Est autem bis ad eumdem lapidem offendere iterum eadem in re peccare. Nam primus error vel Graeco adagio veniam meretur, iteranti culpam venia dari non solet. […] At Scipio sapienti ne semel quondam errare permittit […]21.
Dans cet exemple emprunté à l’adage Iterum eumdem ad lapidem offendere (I, v, 8), on observe un constant va-et-vient entre les notions d’erreur (error, errare) et de faute (culpa, peccare)22, comme si l’une était l’équivalent de l’autre, bien qu’il puisse y avoir une différence sur laquelle nous reviendrons. La même association apparaît dans l’adage suivant, Eadem oberrare chorda (I, v, 9) :
Horatius in Arte poetica sententiam haud dissimilem dissimili metaphora extulit, // Et citharoedus, inquiens, / Ridetur, chorda qui semper oberrat eamdem. // A cantoribus ducta translatio est, quibus vehementer foedum sit in iisdem fidibus saepius peccare. In eos igitur concinne dicetur, qui vel in simili re crebrius peccant vel culpam eamdem iterum atque itrem committunt23.
Même hésitation lexicale dans l’adage Non licet bis in bello peccare (III, i, 31) :
ἁμαρτεῖν οὐκ ἔνεστι δὶς ἐν πολέμῳ, id est In bello bis errare non licet, in rebus periculosis non tutum est labi. Nam si semel erretur, actum est de capite, non est secundo errori locus. […] Adagium videtur natum ex apophtegmate : cum Lamachus quemdam manipuli ducem increpasset quod perperam quiddam egisset, isque responderet se non
iterum commissurum quod commisserat, In bello, inquit Lamachus, ne licet quidem peccare bis, quod prmus error saepe vitam adimat24.
Le verbe grec ἁμαρτάνειν, ici employé à l’aoriste, est indifféremment traduit pas errare et peccare25. Dans le contexte, celui d’un reproche adressé, l’erreur devient en effet faute. L’erreur, nous y reviendrons, traduit de fait un défaut de prudence, qualité attendue d’un chef de guerre.
S’il est également rangé sous le lieu Iteratus error, l’adage Canis reversus ad vomitum (III, v, 13) semble pourtant évincer l’idée d’erreur pour accentuer celle de faute en introduisant le terme flagitia (suggérée par la métaphore dégradante que fait intervenir le proverbe)26 :
Canis ad proprium vomitum. Quadrat in eos, qui relabuntur in eadem flagitia, a quibus aliquando sunt expiati […]27.
Le terme choisi fait entendre une condamnation morale. La perspective est la même dans l’adage Sus in volutabro coeni (IV, iii, 62), également recensé sous le lieu Iteratus error : Érasme fait usage du terme flagitium28. Et, concernant ce dernier adage, on pourra prêter attention aux adages qui le suivent : une sorte de lien se crée par le montage établi. Or avec les deux adages suivants, « erreur », « faute » et « mensonge » viennent se mêler :
Ob textoris erratum (IV, iii, 63) : Ὑφάντου πταίσματος ὑπήτης ἐτύϕθη, id est // Ob textoris erratum hupetes vapulavit. // Cum quod hic peccavit, alius dependit. Quid sit hypetes, nondum apud auctores repperi29.
Mendax atraphaxis (IV, iii, 64) : […] Referta mendaciis atraphaxis, de tumidis ac ventosis […]. Suidas admonet dictum in Cleonem, qui falso calumniatur equites in concilio ; cui, cum fides haberi videretur, dictum est : ψευδατραφάξυος πλέαν εἶναι τὴν βουλήν, id est Concilium plenum esse mendaci atraphaxi, quo dicto simul notata est et Cleonis in calumniando vanitas et populi facilitas in credendo […]30.
Ce flou terminologique témoigne d’une appréhension de l’erreur en termes moraux. Si l’erreur ainsi considérée ne comporte pas l’intention de tromper et de nuire à autrui qui caractérise le mensonge, en revanche, comme ce dernier, elle engage la responsabilité du sujet. De fait, si Érasme reconnaît que l’erreur peut-être due au hasard, il insiste cependant sur la part prise par les hommes, l’envisageant en des termes qui sont ceux de la philosophie éthique : « Primus enim lapsus vel casui datur vel imprudentiae, iteratus tribuitur aut inscitiae31 ». Ce dernier adage permet encore d’insister sur un point et de trouver peut-être une explication au flou terminologique érasmien. Il appert que ce qui justifie le regroupement sous un même lieu de ces adages quelque peu hétéroclites, c’est moins la notion d’erreur (error) que celle d’itération (iteratus). À l’exception de la guerre, qui ne souffre aucune imprudence, ce qui vaut condamnation chez Érasme, c’est la répétition de l’erreur, donc l’incapacité de tirer des leçons de l’expérience32. Peut-être est-ce dans cette itération que l’erreur se transforme en faute. Plus profondément, si l’erreur, qu’elle soit de conduite ou intellectuelle, est conçue en termes de faute chez Érasme, c’est sans doute parce qu’elle est à replacer dans une ontologie marquée par la pensée chrétienne, et dès lors par la Chute. L’erreur se manifeste
encore dans l’adage Censoria virgula (IV, viii, 26) où Érasme en fait la marque de cette créature imparfaite qu’est l’homme :
Tritissimum est apud eruditos censoriam virgulam appellare judicandi auctoritatem, praesertim cum supercilio. A magistratu Romano sumptum. Cujus formae est quod ait beatus Hieronymus in Dialogo adversus Luciferianos : Nemo potest Christi palmam sibi assumere, nemo ante diem judicii de hominibus judicare. Videtur autem Hierionymus allusisse ad caput Deuteronomii vicesimum quintum, ubi justitiae palma dicitur quae a judicibus tradebatur ei qui probasset suam innocentiam causamque vicisset. Hanc palmam vere Christus habet nec eam tradet indigno, quoniam solus judicio non fallitur, cum in humanis judiciis plurimum sit et erroris et caliginis33.
C’est peut-être sur ce terrain que l’erreur rejoint le mensonge. De fait, la Lingua attribue les imperfections du langage, imperfections fait partie le mensonge, à la faiblesse de l’homme, elle pose une distinction entre la langue des hommes et la langue de Dieu. Dans tous les cas, cela engage l’homme à une grande humilité dans son rapport à la vérité, position qui est aussi celle de Montaigne.
Erreur et/ou mensonge
dans les Essais de Montaigne
Conformément au titre et à l’objet de ma communication, mon ambition se limitera en déceler les points de rencontre entre « erreur » et « mensonge » en tâchant de mesurer la part de responsabilité humaine que Montaigne leur attribue. Je partirai à nouveau de quelques remarques de lexique avant de m’intéresser plus avant au chapitre « Des boiteux » (Essais, III, 11).
Le mensonge et ses doubles
Montaigne consacre, comme on sait, un chapitre aux menteurs dans le premier livre des Essais. Il y reprend, ainsi que nous l’avons rappelé, la distinction établie par les anciens entre « mentir » et « dire mensonge34 ». Il glose ensuite cette distinction en faisant du mensonge un acte volontaire qui peut prendre deux voies, invention d’une réalité qui n’a pas d’existence (si l’on peut s’autoriser cette expression paradoxale, c’est en fait une fiction) ou déformation de la réalité existante :
Je sçay bien que les grammairiens font difference entre dire mensonge et mentir : et disent, que dire mensonge, c’est dire chose fauce, mais qu’on a pris pour vraye, et que la definition du mot mentir en Latin, d’où nostre François est party, porte autant comme aller contre sa conscience, et que par consequent cela ne touche que ceux qui disent contre ce qu’ils sçavent, desquels je parle. Or ceux cy, ou ils inventent marc et tout, ou ils déguisent et alterent un fons veritable35.
Comme chez Érasme, et conformément à toute une tradition et à toute appréhension empirique de la notion, le mensonge, ou plutôt l’action de mentir, relève, pour Montaigne, d’une intention de tromper et prend la forme de la simulation et de la dissimulation. Il le condamne de manière véhémente parce qu’il menace la société humaine :
En vérité le mentir est un maudit vice. Nous ne sommes hommes, et ne tenons les uns aux autres que par la parole. Si nous en connoissions l’horreur et le poids, nous le poursuivrons à feu plus justement que d’autres crimes36.
Un relevé des occurrences de « mensonge » dans les Essais confirme ce balisage de la notion posée dans le chapitre « Des menteurs ». De fait, le terme figure, à plusieurs reprises, dans des listes de vices – la condamnation morale se faisant alors manifeste – et/ou des faiblesses humaines :
Les paroles mesmes qui signifient le mensonge, la trahison, la dissimulation, l’avarice, l’envie, la detraction, le pardon inouies37.
Mais, pour revenir à mon propos, nous avons pour notre part l’inconstance, l’irresolution, l’incertitude, le deuil, la superstition, la solicitude des choses à venir, voire, apres nostre vie, l’ambition, l’avarice, la jalousie, l’envie, les appetits desreglez, forcenez et indomptables, la guerre, la mensonge, la desloyauté, la detraction et la curiosité38.
Il apparaît encore dans des doublets que l’on peut supposer synonymiques où s’affirme la simulation et la dissimulation par lesquelles il procède : ainsi « piperie et mensonge39 » ou encore « deguisement et mensonge40 ». Mais parmi ces doublets, figure aussi une association entre « mensonge » et « erreur » :
Les Chrestiens ont une particuliere cognoissance combien la curiosité est un mal naturel et originel en l’homme. Le soing de s’augmenter en sagesse et en science, ce fut la premiere ruine du genre humain ; c’est la voye par où il s’est precipité à la damnation eternelle. L’orgueil est sa perte et sa corruption : c’est l’orgueil qui jette l’homme à quartier des voyes communes, qui luy fait embrasser les nouvelletez, et aimer mieux estre chef d’une trouppe errante et desvoyée au sentier de perdition, aymer mieux estre regent et precepteur d’erreur et de mensonge, que d’estre disciple en l’eschole de verité, se laissant mener et conduire par la main d’autruy, à la voye batuë et droicturiere41.
Il n’est guère sûr que les deux termes forment ici un couple de synonymes, ils se distinguent sans doute pour désigner deux formes de s’éloigner de la vérité. Qu’il s’agisse d’erreur ou de mensonge, l’homme est coupable de ne pas s’attacher à la recherche de la vérité dont ils sont l’une et l’autre des envers. Le contexte est, bien entendu, à prendre en considération : la citation figure dans l’« Apologie de Raimond Sebond » où Montaigne s’attache, de manière polémique, à rabaisser ce « cuider ». Pourtant cette association réapparaît dans un autre chapitre où le propos est différent, le chapitre « Des boiteux » (Essais, III, 11).
Erreur et mensonge
dans le chapitre « Des boiteux » (Essais, III, 11)
Ce que Montaigne étudie dans ce chapitre, c’est ce que nous pourrions appeler le phénomène de la rumeur dont on sait les déformations
qu’elle fait subir aux faits. Or, si Montaigne se préoccupe de vérité dans ce chapitre, c’est d’une vérité factuelle dont il s’agit :
Je vois ordinairement, que les hommes, aux faicts qu’on leur propose, s’amusent plus volontiers à en cercher la cause qu’à en cercher la verité : Ils laissent là les choses, et s’amusent à traiter les causes. Plaisants causeurs. La cognoissance des causes appartient seulement à celuy qui a la conduite des choses, non à nous qui n’en avons que la souffrance42.
Si le mensonge était conçu chez Érasme comme un écart entre ce que l’on pense et ce que le dit, le langage ne se faisant pas plus, selon l’idéal conçu par l’humaniste batave, « miroir de l’âme » (speculum animi), l’écart avec la vérité que Montaigne étudie ici est décalage entre ce qui s’est passé (les faits) et ce qu’on dit qui s’est passé. Le problème rejoint celui du témoignage et de la fiabilité (la fides) du témoin. Comme le problème posé par le mensonge chez Érasme, ce qui est encore en cause c’est la parole.
Analysant cet écart avec la vérité des faits en quoi consiste la rumeur, Montaigne manie conjointement les notions de mensonge et d’erreur :
La verité et le mensonge ont leurs visages conformes, le port, le goust, et les alleures pareilles : nous les regardons de mesme œil. Je trouve que nous ne sommes pas seulement laches à nous defendre de la piperie : mais que nous cerchons et convions à nous y enferrer. Nous aymons à nous embrouiller à la vanité, comme conforme à notre estre […]. Or les premiers qui sont abbreuvez de ce commencement d’estrangeté, venant à semer leur histoire, sentent par les oppositions qu’on leur fait, où loge la difficulté de la persuasion, et vont calfeutrant cet endroict de quelque piece fauce. [C] Outre ce que, insita hominibus libidine alendi de industria rumores, nous faisons naturellement conscience de rendre ce qu’on nous a presté sans quelque usure et accession de nostre creu. L’erreur particuliere faict premierement l’erreur publique, et à son tour apres, l’erreur publique faict l’erreur particuliere43.
Les deux termes ne se confondent cependant pas. Le mensonge est souvent à l’origine du phénomène que Montaigne étudie. En témoignent les exemples qu’il donne par la suite, la farce des jeunes gens qui se sont amusés « à contrefaire la voix d’un esprit », ou encore celle de « l’imposture » traitée par Jean de Corras, l’affaire Martin Guerre. L’erreur naît ensuite de ce que l’on croit ce qui est faux et de ce qu’on
le propage. Sans doute retrouve-t-on la distinction entre « mentir » et « dire mensonge ». Mais Montaigne porte plus avant l’analyse ici et n’exempte pas de reproches ceux qui disent mensonges et les propagent, créant par-là la rumeur. C’est moins le mensonge à l’origine de la rumeur qui l’intéresse dans ce chapitre que la réception de ce mensonge. Ceux qui « disent mensonge » ont une part de responsabilité dans leur refus de chercher à établir la vérité des faits, dans la pente qui les pousse à accréditer ce qu’ils ont entendus au lieu de le traiter avec circonspection, de le tenir dans la distance respectueuse qui devrait s’imposer. Plus encore, ils mentent d’une certaine façon en grossissant ce qui leur a été révélé44 et « en calfeutrant […] de quelque pièce fausse » ce qui peine à être cru. Ce mensonge, si on peut le nommer ainsi, tient à une sorte de vice qui nous serait inhérent, ce goût que l’on a de divulguer une nouvelle et, pour se faire valoir, à la rendre toujours plus extraordinaire. Orgueil encore de la créature humaine pourrait-on dire. Ce mensonge, si mensonge il y a, s’opère presque malgré nous, nous suivons une pente naturelle, que Montaigne reconnaît aussi en lui :
Moy-mesme, qui faicts singuliere conscience de mentir et qui ne me soucie guiere de donner creance et authorité à ce que je dis, m’apperçoy toutesfois, aux propos que j’ay en main, qu’estant eschauffé ou par la resistance d’un autre ou par la propre chaleur de la narration, je grossis et enfle mon subject par vois, mouvemens, vigueur et force de parolles, et encore par extention et amplification, non sans interest de la verité nayve45.
Il y a bien ici déguisement et altération d’un fonds, véritable (ou non), d’où procède le mensonge selon l’analyse qui en a été donnée dans le chapitre « Des menteurs46 ». Et pourtant, il n’y pas intention de tromper puisque Montaigne se « [fait] singulière conscience de mentir ». Sans doute l’essayiste souligne-t-il qu’il ment ainsi
en condition pourtant, qu’au premier qui [le] rameine et qui [lui] demande la verité nue et crue : [il] quitte soudain [son] effort et la luy donne, sans exaggeration, sans emphase et remplissage47.
On pourra cependant penser que la chose ne va pas autant de soi qu’il semble le dire, que ce contrôle d’autrui n’est pas aussi efficace et efficient qu’il le prétend. C’est en effet, comme il remarque lui-même, la « résistance d’autrui » qui l’échauffe et le conduit à « grossir et enfler son sujet ». La parole d’autrui joue ainsi dans l’un et l’autre des sens. Pour lutter contre cette pente naturelle au mensonge incontrôlé, il faut donc une attention à soi de tous les instants, un auto-contrôle de notre parole, une distance prise avec ce que l’on dit, une capacité à « s’écouter parler », non pour se satisfaire de ce que l’on dit mais pour le contrôler48.
Car les enjeux sont graves : si le mentir met en péril la société humaine, avec la rumeur il peut y avoir mort d’homme. Les procès en sorcellerie dont traite le chapitre « Des boiteux » sont là pour le rappeler. S’il faut « faire conscience de mentir », il faut aussi avoir conscience de notre pente au mensonge et à la propagation de l’erreur. C’est par la parole que l’on peut lutter contre ses défaillances de notre nature. Et c’est à une éthique de la parole que nous engage Montaigne :
On me faict hayr les choses vray-semblables, quand on me les plante pour infallibles. J’ayme ces mots, qui amollissent et moderent la temerité de nos propositions : A l’avanture, Aucunement, Quelque, On dict, Je pense, et semblables : Et si j’eusse eu à dresser des enfans, je leur eusse tant mis à la bouche cette façon de respondre, enquesteuse, non resolutive : Qu’est-ce à dire ? Je ne l’entends pas, Il pourroit estre, Est-il vray ? qu’ils eussent plustost gardé la forme d’apprentis à soixante ans, que de representer les docteurs à dix ans, comme ils font49.
L’enquête lexicologique que nous avons menée, aussi rapide fût-elle, laisse apparaître et les lignes de partage et les rapprochements qui s’opèrent, à la Renaissance, entre « erreur » et « mensonge ». L’appréhension éthique que proposent les humanistes fait se rejoindre les deux notions et engage, dans l’un et l’autre cas, la responsabilité du sujet. La distinction entre « tromper » et « se tromper » tend à s’estomper : « se tromper » revient à « tromper soi-même », le sujet devenant acteur d’un mensonge dont il est aussi la victime. Le mensonge s’opère ici par
inadvertance, par paresse, par manque de réflexion dans la réception de la parole d’autrui et dans la production de sa propre parole. Ce à quoi engage la réflexion humaniste sur l’erreur c’est, nous semble-t-il, à une éthique de la parole.
Bérengère Basset
Université Toulouse II – Jean-Jaurès
1 Voir T.C.W Stinton, « Hamartia in Aristotle and Greek Tragedy », CQ, N.S. 25, 1975, p. 221-254. La bibliographie sur la question est plus qu’abondante.
2 Érasme, Les Adages, éd. bilingue sous la direction de J.-C. Saladin, Paris, Les Belles Lettres, coll. « Le Miroir des humanistes », 2011, vol. 1, p. 487, nous soulignons : « Pourtant peut-on dire la vérité en ayant un discernement vacillant ? C’est que la vérité ne s’oppose pas toujours à l’erreur, mais aussi parfois au mensonge. Il peut se faire qu’on parle sincèrement tout en proférant des contre-vérités, et qu’on dise la vérité sans parler sincèrement ».
3 Voir Les Adages, op. cit., vol. 5, p. 88-89. Sur cet index, voir l’article d’Alexandre Vanautgaerden, « L’index thématique des Adages d’Érasme (1508-1536) » in J.-F. Gilmon et A. Vanautgaerden (dir.), Les Instruments de travail à l’époque humaniste, Turnhout, Brepols et Bruxelles, Maison d’Érasme (Nugae, 10), 2010, p. 241-280.
4 Voir Les Adages, op. cit., vol. 5, p. 89-90.
5 Les Adages, op. cit., vol. 3, p. 365, nous soulignons : « De qui commande de parler ouvertement. Quand nous conseillerons à quelqu’un de décrire les causes d’une douleur ou d’une haine sans les cacher dans son âme, nous dirons non sans finesse ce vers tiré du chant I de l’Iliade : // Parle sans dissimuler, que nous sachions tous les deux ».
6 Ibid., p. 419, nous soulignons : « Quand nous avons l’intention de parler simplement, clairement et sans détour, reportons-nous à cet extrait du même chant : // Je ne te tromperai pas, non, je ne farderai rien ».
7 Ibid., p. 221, nous soulignons : « À cœur ouvert. Nous le disons pour ce qui vient passionnément du cœur et sans aucun fard, comme si le fond de l’âme était mis à nu. Cicéron dans son livre De l’amitié écrit : “En cela, si tu ne vois pas, comme on dit, un cœur ouvert, et si tu ne montres pas le tien propre, il n’y a rien de vrai” […]. Il y est fait allusion à des paroles de Momus, qui aurait désiré ouvrir des fenêtres dans le cœur des hommes, pour que l’on puisse regarder dans ces cavités ce qui y était caché ».
8 Ibid., vol. 1, p. 487, nous soulignons : « Enfin, notre proverbe ne porte pas sur l’ivresse délirante, qui nous fait croire que des éléments fixes bougent et qui nous fait voir double, mais sur l’ivresse modérée, qui supprime la pudeur et la dissimulation ».
9 Je me permets de renvoyer, sur ces points, à mon propre travail de thèse : Bérengère Basset, Anecdotes et apophtegmes plutarquiens à la Renaissance : des « contre-exemples » ? – Anormal et anomal au xvie siècle, thèse sous la direction d’O. Guerrier, soutenue à l’université Toulouse 2-Jean Jaurès, septembre 2013.
10 Ibid., nous soulignons : « Je crois qu’à ce mot il faut rattacher ce petit vers proverbial : // D’ordinaire c’est quand la langue dérape qu’elle dit la vérité. // Car on croit vrai le mot qui sort inconsciemment, puisque celui-ci seulement est à l’abri du soupçon d’invention »
11 On trouve d’autres cas où Érasme traduit le grec ἁμαρτάνειν par le latin labor. Voir par exemple dans l’adage Iterum eumdem ad lapidem offendere (I, v, 8) : « Δὶς ἐξαμρτάνειν ταὐτὸν οὐκ ἀνδρὸς σοφοῦ, id est // Sapientis haud est bis in eodem labier » (ibid., p. 357, nous soulignons).
12 Dictionnaire latin-français, Félix Gaffiot.
13 Ibid. Le terme peut encore vouloir dire, dans un deuxième sens, « fable, fiction », et, dans un troisième sens, « contrefaçon, imitation, reproduction ».
14 Si l’adjectif « mendosus » contient encore cette double signification en voulant dire tout à la fois « plein de défauts, de tares », « défecteux, fautif », « qui fait des fautes » et enfin, pris adverbialement, « d’une façon trompeuse, decevante », en revanche le substantif mendax ne conserve que le sème du mensonge et signifie : « menteur ».
15 Dictionarium latinogallicum. Ex hoc, latini sermonis cum gallico idiomate consensum ita percipies, ut majores utrisque linguae scriptores imitari possis…, Paris, Jean Dupuys, 1570.
16 Ibid., plus bas on trouve : « Dicere mendacium alicui. Cic. Luy mentir » et « Eluditur mendacium alicuii. Cic. Luy mentir ».
17 Les Adages, op. cit., vol. 4, p. 223 : « J’ai signalé ailleurs [1450] que thermon ergon [= affaire chaude] se disait pour une action audacieuse. Plaute nous apprend qu’on usait couramment d’une figure semblable pour qualifier de chaud un mensonge audacieux et éhonté : // J’ai entendu dire, par Hercule, qu’un chaud mensonge est ce qu’il y a de meilleur. // On doit soit s’abstenir de mentir, soit mentir avec aplomb. Sinon, il se fait vite prendre celui qui se fait scrupule de mentir » (nous complétons la traduction dont la fin manquait dans l’édition consultée).
18 Aulu-Gelle, Nuit attiques, XI, 11, Paris, CUF, 2002, texte établi et traduit par R. Marache, nous soulignons : « Entre dire un mensonge et mentir, il y a une grande différence : c’est que celui qui ment ne se trompe pas, il veut tromper ; celui qui dit un mensonge est lui-même trompé […]. Celui qui ment trompe autant qu’il est en son pouvoir, mais celui qui dit un mensonge ne trompe pas, du moins volontairement […]. L’homme de bien doit se garder de mentir, l’homme prudent de dire un mensonge : le premier retombe sur l’homme, l’autre ne l’atteint pas ». La distinction est reprise par Montaigne dans le chapitre « Des menteurs » : « Je sçay bien que les grammairiens font difference entre dire mensonge, et mentir : et disent, que dire mensonge, c’est dire chose fauce, mais qu’on a pris pour vraye, et que la definition du mot de mentir en Latin, d’où nostre François est party, porte autant comme aller contre sa conscience, et que par consequent cela ne touche que ceux qui disent contre ce qu’il sçavent, desquels je parle » (Montaigne, Essais, Paris, PUF, coll. Quadrige, 1999, p. 35. Sur la notion de mensonge dans l’Antiquité, voir l’article de Pierre Sarr, « Discours sur le mensonge de Platon à Saint Augustin : continuité ou rupture » in Dialogues d’histoire ancienne, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2010/2, p. 9-29.
19 Les Adages, op. cit., vol. 1, p. 49-51, a fabis abstineto (I, i, 2, 8), nous soulignons : « Cicéron semble être du même avis quand il écrit dans le premier livre de La Divination : “Platon prescrit donc de s’engager dans le sommeil dans une disposition corporelle telle que rien ne provoque l’illusion ni la perturbation de l’âme”[…]. D’ailleurs, lorsque Plutarque dit, dans ses Problèmes des antiquités, entre autres choses, que les fèves sont interdites parce qu’elles sont également nommées Léthé et Erèbe, je ne comprenais pas ce qu’il voulait dire, jusqu’à ce que je consulte les manuscrits grecs. J’ai alors compris qu’il y avait une erreur venant soit du copiste soit du traducteur ».
20 Voir ibid., vol. 5, p. 80-81.
21 Ibid., vol. 1, p. 337, nous soulignons : « Cicéron écrit dans le livre 10 des Lettres à ses familiers : “La faute de ‘deux fois à la même pierre’ est blâmée par un proverbe connu de tout le monde”. […] Achopper deux fois à la même pierre signifie se tromper de nouveau dans une même affaire. En effet, la première erreur, comme le dit l’adage grec, mérite le pardon, mais celui qui réitère l’erreur, on n’a pas l’habitude de le pardonner. […] Mais Scipion ne permet pas à l’homme sage de se tromper même une seule fois ».
22 Culpa et peccare indiquent, en effet, l’idée de faute. En témoignent les définitions que donne pour l’un et l’autre des termesj le Dictionarium latinogallicum de Robert Estienne. Il propose ainsi comme équivalent de culpa : « Coulpe, Faute, Offense qu’on fait par mégarde » ; et pour peccare (qui reçoit pour équivalent grec άμαρτάνειν) : « Pécher, Faillir en quelque chose, Ne faire pas ce qu’on doit, Faire une faute, Forfaire ».
23 Les Adages, op. cit., vol. 1, p. 357-358, nous soulignons : « Horace, dans l’Art poétique, exprime la même idée que l’adage précédent avec une image différente quand il écrit : // On sifflera le cithariste / Qui encore et toujours joue faux la même corde. // Cette expression vient des musiciens pour qui il est particulièrement honteux de se tromper trop souvent sur une même lyre. On l’emploiera donc de manière appropriée pour évoquer ou bien ceux qui se trompent trop fréquemment dans une même affaire ou bien ceux qui commettent la même erreur encore et encore ».
24 Ibid., vol. 3, p. 26-27, nous soulignons : « Dans les situations périlleuses, il est risqué de commettre un faux pas. Car avec une seule erreur c’en est fait, et il n’y a pas de place pour une seconde erreur. […] L’adage semble né de l’apophtegme suivant. Alors que Lamachus avait invectivé un chef de manipule pour avoir mené de travers une opération et que celui-ci répondait qu’il ne recommencerait pas la même erreur, “À la guerre, dit Lamachus, il n’est pas permis de se tromper deux fois”, parce que la première erreur coûte souvent la vie ».
25 L’adage provient, en effet, d’un apophtegme recueilli par Plutarque. Amyot traduira de la sorte : « Lamachus reprenoit un capitaine de gens de pied de quelque faulte qu’il avoit commise en son estat : l’autre luy disoit, qu’il ne le feroit plus : mais on ne peult pas, reliqua il, faillir deux fois à la guerre » (Plutarque, Œuvres morales et mêlées, trad. Jacques Amyot, Paris, Vascosan, 1572, nous soulignons).
26 Le dictionnaire latin-français F. Gaffiot donne pour flagitium : « action déshonorante, infamante, ignominieuse, scandaleuse ; infamie, ignominie, turpitude, scandale ». Quant au Dictionarium latinogallicaum de Robert Estienne, il propose comme équivalent français : « Paillardise, ou autre meschanceté et lascheté » ; il ajoute deux exemples empruntés à Cicéron, le premier associe flagitia à vitia, le second à stupra.
27 Les Adages, op. cit., vol. 3, p. 252, nous soulignons : « Cet adage convient parfaitement à ceux qui retombent dans les crimes pour lesquels ils ont un jour payé le prix ».
28 « Sus lota rediit ad volutabrum luti, cum quis iterat jam expiata flagitia, sicut indicavimus alibi » (Les Adages, vol. 4, p. 119, nous soulignons).
29 Ibid., p. 120, nous soulignons : « L’erreur du tisserand fait battre l’hüpêtês. // Se dit quand quelqu’un a commis une faute et qu’un autre en dépend. Ce qu’est un hüpêtês, je ne l’ai pas encore trouvé chez les auteurs ».
30 Ibid., nous soulignons : « “L’atraphaxis est remplie de mensonges.” La formule s’emploie pour les gens gonflés d’orgueil, et pleins de vent. […] Suidas explique que le terme est employé contre Cléon parce qu’il accusait à tort les Cavaliers à l’Assemblée. Alors que la confiance semblait acquise à ce dernier [sic], voici le mot qui fut employé : “L’Assemblée est pleine d’atraphaxis menteuse.” Par cette expression, on blâmait à la fois la vanité des accusations de Cléon et la crédulité du peuple ».
31 Ibid., vol. 1, p. 338 (ad. I, v, 9) : « En effet, si la première erreur peut être attribuée au hasard ou à l’imprudence, la second est due à l’idiotie ou à l’inexpérience ».
32 Voir l’adage Venia primum experienti (I, ix, 61, « Pardon au novice », ibid., p. 643-644).
33 Ibid., vol. 4, p. 334-335, nous soulignons : « Il est très fréquent chez les érudits d’appeler “marque critique” le pouvoir de juger, en particulier quand le jugement est défavorable. C’est un emprunt au langage des magistrats. Saint Jérôme se sert de la même image dans le dialogue Contre les lucifériens : “Personne ne peut s’approprier la palme du Christ, personne ne peut juger les hommes avant le jour du Jugement.” Jérôme semble faire allusion au chapitre 25 du Deutéronome, où la “palme de la justice” désigne ce que les juges donnent à celui qui a prouvé son innocence et gagné son procès. Cette palme, en vérité, le Christ la détient, et il ne la donne pas à celui qui ne la mérite pas, puisque lui a un jugement infaillible, alors que, dans les jugements humains, il y a beaucoup d’erreurs et d’obscurité ».
34 Voir nos remarques supra.
35 Montaigne, Essais, op. cit., I, 9, p. 35-36, nous soulignons.
36 Ibid., p. 36, nous soulignons.
37 Ibid., I, 31 « Des cannibales », p. 206-207, nous soulignons.
38 Ibid., II, 12, p. 486, nous soulignons.
39 Ibid., p. 666.
40 Ibid., p. 993.
41 Ibid., p. 498, nous soulignons.
42 Ibid., III, 11, p. 1026.
43 Ibid., p. 1027-1028.
44 Cette question est traitée par Érasme dans la Lingua à travers une anecdote reprise à Plutarque et à Aulu-Gelle.
45 Ibid., p. 1028.
46 Voir la citation supra.
47 Op. cit., p. 1028.
48 Nous renvoyons, sur ce point, aux travaux de Jean-Yves Pouilloux, notamment aux articles recueillis dans son Montaigne, une vérité singulière, Paris, Gallimard, coll. « L’Infini », 2012.
49 Op. cit., p. 1030.
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-06087-1
- EAN: 9782406060871
- ISSN: 2261-897X
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-06087-1.p.0073
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 08-06-2016
- Periodicity: Biannual
- Language: French