Le Parlement de Bordeaux et les Essais, de l’erreur au jugement Statut d’autographe et rhétorique
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
2015 – 2, n° 62. varia - Auteur : Chayes (Evelien)
- Pages : 35 à 54
- Revue : Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne
Le Parlement de Bordeaux
et les Essais, de l’erreur
au jugement
Statut d’autographe et rhétorique1
Pendant douze ans (1557-1569), Montaigne n’a fait que traquer l’erreur. L’erreur des autres. C’était, bien entendu, lors de sa magistrature parlementaire à Bordeaux et avant de se mettre à l’écriture des Essais : à la chambre des requêtes d’abord, où il fut affecté en 1557, avec les conseillers de la Cour des aides de Périgueux, autorisés à examiner uniquement des appels de procès sur des impositions (les aides et les tailles : l’évaluation, la répartition et les contentieux en matière des impôts), puis, dès 1561, à la première chambre des enquêtes, où les juges, titulaires d’une judicature de plein exercice, traitèrent d’affaires matérielles : la succession, l’endettement, l’immobilier et parfois les impôts encore2. Les documents du parlement transmis jusqu’à nous témoignent de la présence de Montaigne comme conseiller avec droit de vote dans 341 cas environ selon Almquist, plus de 350 selon Desan, des cas évoqués majoritairement devant la première chambre des enquêtes3, ce qui donne,
comme le dit ce dernier, « l’image d’un Montaigne pleinement investi dans le travail quotidien du parlement4 ».
On a soupiré devant le silence de Montaigne, dans ses Essais, sur son travail comme conseiller, à tel point que ce silence est devenu quasi-légendaire. L’inscription murale du cabinet situé dans la tour de Montaigne, à côté de sa « librairie » – an. chr[. mdlxxi a]et .38. pridie cal. mart. die svo natali mich. montanvs servitii avlici et mvnerum pvpblicorvm iamdvm pertæsvs (etc.) : « L’an du Christ 1571, à l’âge de 38 ans, la veille des calendes de mars, jour de sa naissance, depuis longtemps dégoûté du service parlementaire et des charges publiques5 … » – serait la seule référence personnelle à cette réalité. Pourtant, les Essais contiennent de nombreuses remarques sur l’exercice du droit, ainsi que des réflexions sur le « droit », les « loix » et les juges (par exemple, dans I.23, II.5, III.13)6. Tout récemment, François Roussel a entrepris le retracement de la familiarité intime de Montaigne avec la pratique du droit dans les Essais, tout en thématisant la notion même de trace (en bon souvenir
de Carlo Ginzburg) et en remettant à l’étude le style de l’auteur dans la lumière du style des arrêts parlementaires, ainsi que « la dimension juridique de certains termes ou expressions » des Essais7. Les précieuses études d’André Tournon ont mis en relief l’impact probable du style prescrit, codifié des documents juridiques sur le langage de Montaigne, qu’il définit comme « coupé » et « scandé8 ».
Ensuite, approchant le problème plutôt sous l’angle des documents du parlement parvenus jusqu’à nous, et non de celui des Essais, Katherine Almquist est arrivée à la conclusion que la codification de l’écriture judiciaire ne laissait pas vraiment d’espace de liberté à Montaigne le conseiller pour se distinguer comme individu de ses collègues parlementaires dans la rédaction de ses rapports9. Almquist a enrichi de manière importante la recherche sur le contexte parlementaire, ses personnages et les affaires y traitées10, et le travail de transcription des arrêts de Montaigne
qu’elle avait commencé, a dernièrement été repris et mis à terme par Alain Legros, grâce à qui nous avons maintenant la transcription des 47 jugements faits au rapport de Montaigne à la première chambre des enquêtes entre 1562 et 156711. Enfin, le dernier livre de Philippe Desan projette Montaigne également dans son environnement politique et nous dessine le portrait d’un homme ambitieux, dont la motivation de reconnaissance sociale et politique a pesé lourdement sur sa carrière parlementaire et sur ses choix éditoriaux12.
Toutefois, un travail comparatiste des documents parlementaires – de Montaigne et de ses collègues ; du parlement de Bordeaux et d’autres parlements –, focalisant sur la praxis du jugement, n’ayant jamais été réalisé, j’ai cru fructueux, à plusieurs égards, de l’entreprendre. Une telle recherche nous permettra de remettre en perspective l’activité magistrale de Montaigne aussi bien que ses allusions à la pratique judiciaire dans les Essais, qui sont en fait nombreuses. Pour commencer, est-il possible de préciser, à la suite d’une telle approche, ce qu’il en est du « jugement » et de « l’erreur » chez Montaigne ? Pour cela il nous faut relire les Essais, mais non sans reconstruire davantage les éléments spécifiques dont se composait le contexte formel et normatif dans lequel il jugeait au parlement. J’ai la chance de travailler sur les sources qui se trouvent à Bordeaux, conservées aux Archives départementales de la Gironde, ainsi qu’aux Archives et à la Bibliothèque municipales13. Ces documents, revisités dans cette perspective, vont nous aider à mieux comprendre le degré de non-exception ou, au contraire, d’exception, que
représentait Montaigne au Palais de l’Ombrière, où résidait le parlement. Est-ce vrai, comme l’ont suggéré certains, qu’il s’est peu intéressé à la pratique judiciaire des enquêtes et n’a-t-il rien fait pour contribuer à un changement du système lors de ces années parlementaires ? Si ce n’est pas le cas, dans quelle mesure et comment aurait-il exercé sa fonction de magistrat dans un esprit novateur humaniste ? Les réponses que je fournirai aujourd’hui ne pourront qu’être partielles ; elles seront développées dans des études ultérieures.
Dans la même perspective, si Montaigne avait été parmi les parlementaires qui siègent à la Tournelle, ceci ne pourra qu’être confirmé par les Registres secrets, dont seulement des copies incomplètes nous ont été transmises (une aux Archives municipales de Bordeaux, une autre à la Bibliothèque municipale de Bordeaux et une troisième à la Bibliothèque nationale de France à Paris, de la main de François Martial de Verthamon D’Ambloy, 1770) ou de manière indirecte, par un autre document, jusqu’ici inconnu. À la Tournelle, la chambre chargée des affaires criminelles, les conseillers se penchaient sur la punition de ce qui était rangé sous la dénomination d’erreur universelle. Pour contextualiser et donc relativiser de manière fiable la réalité de cette magistrature et de la définition de son attitude vis-à-vis de la torture – si vivement critiquée par lui, on le sait, dans ses Essais (II.5 ; cf. II.11) – il faudrait comparer les Registres secrets de ces années-là dans les trois collections qui subsistent et diffèrent les uns des autres (il n’y a plus d’archives de la Tournelle)14. Pour l’instant, rien ne permet d’évaluer la teneur des procès qui auraient amené Montaigne à s’opposer ultérieurement aux pratiques de l’institution.
Aujourd’hui, je voudrais faire un retour aux manuscrits du parlement et examiner de près les jugements de la première chambre des enquêtes où siégeait Montaigne, dans une étude comparative, et essayer de découvrir de quelle manière il se conformait ou se distinguait dans
la formalité de son exercice judiciaire et comment sa distinction ou conformité correspondait à une autodéfinition sociale et intellectuelle. Mon approche est moins celle de la sociologie que celle de la paléographie et de l’analyse textuelle, rhétorique. En outre, la relecture des Essais dans une tentative de comprendre l’erreur selon Montaigne est indissociable avec le jugement selon Montaigne15.
Dans ce qui suit, je propose d’abord une brève lecture de la Defence de Seneque et de Plutarque (II.32), pour jeter ensuite un regard plus précis sur l’inventaire des termes d’erreur et de jugement dans les Essais. Ainsi sera préparé le terrain pour nos observations de quelques particularités dans l’exercice judiciaire de Montaigne par comparaison avec son environnement à la chambre des enquêtes de Bordeaux.
Defence de Seneque et de Plutarque (II.32)
En mettant en œuvre un procédé d’imitatio-æmulatio, Montaigne évoque dans cet essai les Vies de Plutarque, tout en y inscrivant simultanément son propre faisceau d’analogies, comparaisons et oppositions, entre Grecs et Romains, Plutarque et Sénèque, les couples Néron-Sénèque et Charles IX-le Cardinal de Lorraine. Il répond en même temps à la foison pamphlétaire mettant en question les différentes factions impliquées dans la Saint-Barthélemy. Mais la Defence de Seneque et de Plutarque parle surtout de l’importance du style des historiographes tout en constituant une défense du jugement et du recensement à la base de la preuve et de la quantification. Comment juger en justice ? Est-ce la même chose que juger en littérature, dans une œuvre imaginaire et littéraire ? Non, bien que la position de la littérature se rapproche bien de celle du témoin ; qu’on se réfère, dans ce contexte, à l’incontournable article d’Olivier Guerrier intitulé « Le champ du “possible” : de la jurisprudence aux Essais16 ». Dans l’essai en question, Montaigne parle bien du jugement politique, de l’identification et de la généralisation.
À travers une défense de Plutarque contre les allégations de Bodin (Methodus IV), il traite de la nécessité de distinguer entre une représentation éloquente – pour ne pas dire épidictique – de l’histoire et une histoire faite de mensonges. Il observe que l’on juge trop souvent selon sa propre expérience et culture, qui nous font reprendre facilement l’opinion de l’autre si celle-là ne nous étonne pas et rejeter l’histoire qui nous paraît exagérée ou improbable. Quelle est l’utilité des descriptions qui mettent en relief, jusqu’à peindre un spectacle théâtral qui surpasse le probable, les horribles conséquences de l’autosacrifice, bref la souffrance, des Spartes ? Plutarque est, en fin de compte, plus « fort et persuasif » que Sénèque. Pour illustrer cette défense de la deixis du récit du témoin qui a vu, Montaigne insère un tableau non moins horrible qu’éloquent qui nous met devant les yeux – la technique bien connue du sub oculos ponere, recommandée en particulier par Quintilien – les tortures cauchemardesques de son temps subies par des soldats et des paysans pendant les guerres de religion. Quant aux soldats17 :
… les expériences qu’ils ont eues en ces guerres civiles, il se trouvera des effets de patience, d’obstination et d’opiniastreté, parmy nos miserables siecles, et en ceste tourbe […] dignes d’estre comparez à ceux que nous venons de reciter de la vertu Spartaine. Je sçay qu’il s’est trouvé des simples paysans, s’estre laissez griller la plante des pieds, ecrazer le bout des doigts à tout le chien d’une pistole, pousser les yeux sanglants hors de la teste, à force d’avoir le front serré d’une corde, avant que de s’estre seulement voulu mettre à rançon. J’en ay veu un, laissé pour mort tout nud dans un fossé, ayant le col tout meurtry et enflé, d’un licol qui y pendoit encore, avec lequel on l’avoit tirassé toute la nuict, à la queue d’un cheval, le corps percé en cent lieux, à coups de dague, qu’on luy avoit donné, non pas pour le tuer, mais pour luy faire de la douleur et de la crainte : qui avoit souffert tout cela, et jusques à y avoir perdu parolle et sentiment, resolu, à ce qu’il me dit de mourir plustost de mille morts (comme de vray, quant à sa souffrance, il en avoit passé une toute entiere) avant que rien promette : et si estoit un des plus riches laboureurs de toute la contrée. Combien en a l’on veu se laisser patiemment brusler et rotir, pour des opinions empruntées d’autrui, ignorées et incognues ?
Notez l’emploi des verbes forts et les introductions typiques du discours épidictique du témoin : « je sais que … » et « j’ai vu », les images encore renforcées par le sang qui coule dans les yeux, les nombreux emplois de
l’adverbe et l’adjectif « tout », le numéral « mille » et la récurrence de l’image du corps humain brûlé, voire grillé vif. Bref, on constate une rhétorique saisissante à l’œuvre ici18. L’association avec le sacrifice biblique (olokaustos en grec, korban olah en hébreu) s’impose, si ce n’était que Montaigne s’intéresse avant tout au travail des historiens et l’image des corps brûlés vifs est présente dans les Essais comme s’il s’agissait d’un Leitmotiv, qui place ces « vignettes », non pas dans la veine de la martyrologie ou eschatologie bien sûr mais, au contraire, les inscrit dans le tableau historique qui va parallèle à son portrait. Montaigne, tout comme Florimond de Raemond, son successeur au parlement, témoigne des horreurs de son temps, et les deux magistrats expriment leur engourdissement face au fanatisme rampant et en particulier au spectacle des « hérétiques » brûlés vifs19. Où commençait et où finissait la responsabilité des hommes politiques face aux erreurs de leur temps ? La Defence des historiens grec et romain ne donne bien sûr pas de réponse directe. Montaigne est toutefois clair sur sa défense du style plutarquien : il explique que
Il ne faut pas juger ce qui est possible, et ce qui ne l’est pas, selon ce qui est croyable et incroyable à nostre sens, comme j’ay dit ailleurs. Et est une grande
faute, et en laquelle toutesfois la plus part des hommes tombent : (…) de faire difficulté de croire d’autruy, ce qu’eux ne sçauroient faire, ou ne voudroient20.
Plutarque « apparie les pieces et les circonstances, l’une après l’autre, et les juge séparément » (p. 727), pour parvenir à ses illustrations de la vertu, incarnée soit dans un personnage grec soit dans un Romain, au cas par cas, sans démentir l’histoire. On voit le portrait d’un Plutarque historien en même temps que juge en comparant pièces et circonstances, il parvient à juger au cas par cas. Pourtant, la violence que la description des tortures transmet, crée l’effet de l’improbable pour ceux qui n’ont pas vu – mais apprennent maintenant à voir. Bien sûr, ce passage reprend la discussion pérenne, à laquelle Plutarque avait aussi contribué, sur le statut de la fiction et de l’imagination, la capacité du poète de fingere versus la vérité. L’historien raconte, le lecteur tend à juger en validant ou rejetant selon son propre contexte d’expérience au lieu d’apprendre et valider l’épisode comme faisant partie de l’histoire. C’est ici que commence l’erreur. L’erreur de jugement commise par le lecteur est donc capable de faire violence à l’histoire. Cette mise en garde formulée si clairement par Montaigne nous amène automatiquement à un de nos contemporains : Carlo Ginzburg.
L’œuvre de Ginzburg rend désormais incontestable l’énoncé selon lequel l’analyse du discours laisse une place au « “hors-texte” dans le texte » ; l’histoire intellectuelle à travers l’analyse littéraire et les études comparées et l’histoire intellectuelle à partir des documents d’archives, s’informent et se renforcent, là où l’anthropologie et la sociologie tendent à rester dans la généralisation et les vérités abstraites. La lecture des Essais dans la lumière de la notion de l’erreur, nous rappelle le lien fragile, sensible entre l’exercice de pouvoir par Montaigne le juge et ses déclarations niant sa capacité de cet exercice, dans les Essais. Relisons encore Ginzburg dans son Introduction aux Rapports de force : il écrit que « l’inclusion de la torture parmi les preuves rhétoriques semble exaspérer ce lien [entre pouvoir et connaissance] en réduisant la connaissance à l’exercice brutal du pouvoir. » Il insiste sur l’importance des témoignages et le fait qu’il y a des « implications cognitives des choix narratifs » : « L’analyse des distorsions spécifiques à chaque source implique déjà un élément constructif. Mais la construction … n’est pas incompatible avec
la preuve ; la projection du désir, sans laquelle nul ne s’adonnerait à la recherche, n’est pas incompatible avec la preuve21 ». La distorsion du récit du témoin serait donc elle-même porteuse de vérité et non pas d’erreur.
Mais comment ces observations, aussi bien de Montaigne que de Ginzburg, pourraient-elles mettre en perspective la magistrature de Montaigne à la première chambre des enquêtes, où il n’agissait pas comme témoin mais dans la position du pouvoir de la Robe et où il n’avait à juger que d’affaires civiles, où il n’est jamais question de torture ? Rappelons que la rhétorique judiciaire délibérative ne fait pas appel à l’émotion mais à la raison et, selon Cicéron, son but est l’honneur, la vertu (exprimé dans l’équité ; De inventione, livre II). D’autre part, pour Aristote, le potentiel du discours épidictique de changer le jugement que l’audience porte sur la défense, dénote en même temps son importance pour le passé, le présent et l’avenir (Rhétorique, 1358b). La Defence de Seneque et de Plutarque parle de l’erreur versus le bon jugement tout en mettant à l’œuvre une rhétorique épidictique puissante ; comme nous le verrons, cet essai nous fournit une clé importante dans la compréhension de l’attitude de l’auteur en tant que juge, qui doit aussi juger des jugements et rapports des collègues magistrats des juridictions inférieures, puisque les dossiers finissant dans la chambre des enquêtes étaient des appels par l’une des parties. L’erreur se situe au centre du rapport tendu qu’entretient Montaigne avec son environnement parlementaire, tout en étant un thème récurrent des Essais.
Cette attention portée à la rhétorique de Montaigne peut pourtant apparaître en conflit avec, tout d’abord le souhait de l’auteur lui-même que son style, ses « mots », passent de façon inaperçue en faveur des « choses » :
[A] Je veux que les choses surmontent, et qu’elles remplissent de façon l’imagination de celuy qui escoute, qu’il n’aye aucune souvenance des mots. Le parler que j’ayme, c’est un parler simple et naif, tel sur le papier qu’à la bouche ; un parler succulent et nerveux, court et serré, [C] non tant delicat et peigné comme vehement et brusque : Haec demum sapiet dictio, quae feriet, [A] plustost difficile qu’ennuieux, esloingné d’affectation, desreglé, descousu et hardy : chaque lopin y face son corps ; non pedantesque, non fratesque,
non pleideresque, mais plustost soldatesque, comme Suetone appelle celuy de Julius Caesar ; et si ne sens pas [C] bien pour quoy il l’en appelle.
(De l’institution des enfants, I, 26)
Ensuite, avec ce qui semble un rejet général de la rhétorique :
[A] Si est-ce que les Grecs mesmes louerent grandement l’ordre et la disposition que Paulus Aemilius observa au festin qu’il leur fit au retour de Macedoine ; mais je ne parle point icy des effects, je parle des mots. Je ne sçay s’il en advient aux autres comme à moy ; mais je ne me puis garder, quand j’oy nos architectes s’enfler de ces gros mots de pilastres, architraves, corniches, d’ouvrage Corinthien et Dorique, et semblables de leur jargon, que mon imagination ne se saisisse incontinent du palais d’Apolidon ; et, par effect, je trouve que ce sont les chetives pieces de la porte de ma cuisine. [B] Oyez dire metonomie, metaphore, allegorie, et autres tels noms de la grammaire, semble-il pas qu’on signifie quelque forme de langage rare et pellegrin ? Ce sont titres qui touchent le babil de vostre chambriere. [A] C’est une piperie voisine à cettecy, d’appeller les offices de nostre estat par les titres superbes des Romains, encores qu’ils n’ayent aucune ressemblance de charge, et encores moins d’authorité et de puissance. Et cette-cy aussi, qui servira, à mon advis, un jour de tesmoignage d’une singuliere ineptie de nostre siecle, d’employer indignement, à qui bon nous semble, les surnoms les plus glorieux dequoy l’ancienneté ait honoré un ou deux personnages en plusieurs siecles. Platon a emporté ce surnom de divin par un consentement universel, que aucun n’a essayé luy envier ; et les Italiens, qui se vantent, et avecques raison, d’avoir communément l’esprit plus esveillé et le discours plus sain que les autres nations de leur temps, en viennent d’estrener l’Aretin, auquel, sauf une façon de parler bouffie et bouillonnée de pointes, ingenieuses à la vérité, mais recherchées de loing et fantasques, et outre l’éloquence en fin, telle qu’elle puisse estre, je ne voy pas qu’il y ait rien au dessus des communs autheurs de son siecle ; tant s’en faut qu’il approche de cette divinité ancienne. Et le surnom de grand, nous l’attachons à des Princes qui n’ont rien au dessus de la grandeur populaire.
(De la vanité des paroles, I, 51)
Ces remarques, tout comme l’appréciation peu élogieuse du « style molle » de Cicéron dans Sur des vers de Virgile, ont fait dire à la critique qui s’est arrêtée sur le scepticisme de Montaigne, que l’auteur refusait l’éloquence telle quelle. En fait, ces critiques ont davantage porté sur les observations de Montaigne sur la rhétorique que sur le style de Montaigne. Pourtant, dans l’Apologie de Raymond Sebond, il élabore l’idée d’une rhétorique et comme l’a montré Michel Magnien, de sa lecture d’Érasme il a « puisé cette conviction que le discours ne doit pas viser à l’élégance ou à la
beauté, mais qu’il doit être le “speculum animi22” », une conviction qui n’est que de concert avec sa position anti-Cicéronienne. Cette rhétorique de l’Apologie est faite de l’art de « contrebalancer », pour dégonfler les vanités des dogmatistes, suivant l’exemple de Socrate23 :
[A] Mais ils n’ont pas pensé qu’il fut hors de propos d’exercer et esbattre leur esprit és choses où il n’y avoit aucune solidité profitable. Au demeurant, les uns ont estimé Plato dogmatiste ; les autres, dubitateur ; les autres, en certaines choses l’un, et en certaines choses l’autre. [C] Le conducteur de ses dialogismes, Socrates, va tousjours demandant et esmouvant la dispute, jamais l’arrestant, jamais satisfaisant, et dict n’avoir autre science que la science de s’opposer.
(II, 12, Apologie de Raymond Sebond)
Ainsi, selon John O’Brien, les Essais sont eux-mêmes « un dialogue construit d’antithèses, avec un lecteur qui est en même temps un inquisiteur ou interlocuteur dans le débat24 ». À l’opposé de la préoccupation des grammairiens, l’éloquence est le domaine de la véritable autorité, celle des idées, de la considération historique et du recul politique25. Bien entendu, ici on entre dans ce qui s’apparente à l’interprétation (l’allegorese) et on s’éloigne d’un discours sur les formes. Pourtant, la relecture de la Defence de Sénèque et de Plutarque et la citation de De l’éducation des enfants montrent le goût de l’auteur pour une mise en œuvre d’une rhétorique de l’evidentia. Dans la Defence de Sénèque et de Plutarque, l’auteur construit un ensemble de tableaux où les images du passé et du présent se chevauchent et où la faculté du lecteur de juger est stimulée au niveau aussi bien de l’émotion que du sens éthique. C’est cette rhétorique de l’evidentia qui tisse le lien entre vérité, jugement et erreur.
« Erreur » et « jugement » dans les Essais
Je signale brièvement les différentes occurrences et sens du mot d’« erreur » ; j’essaie de me limiter ici à l’essentiel en vue de mon propos. J’ai compté 58 occurrences du mot d’« erreur » dans les Essais de l’édition de Villey. Il est majoritairement présent dans les couches B et C, c’est-à-dire celle de l’édition de 1588 et celle des ajouts de l’Exemplaire de Bordeaux. Voici un relevé :
–17 dans le Livre I (3 fois dans la couche A, l’édition de 1580, 6 fois dans la couche B, de 1588, et 8 fois dans la couche d’EB),
–19 dans le Livre II (11 dans la couche A dont 10 dans l’Apologie de Raymond Sebond, 2 dans B et 6 dans C),
–22 dans le Livre III (13 dans la couche de 1588 et 9 dans EB).
Considérant les contextes, nous constatons que, autour du mot d’« erreur », déambulent ceux de « jugement », « jurisdiction », « justice » et « injustice ». Montaigne s’engage, à sa manière, dans le débat de la justice naturelle versus la justice universelle, que le thème de l’erreur humaine porte en elle-même.
Dans I.3, Montaigne décrit l’erreur comme « chose à quoi nature même nous achemine ». Ou bien l’erreur est celle de notre nature, ou bien celle de notre opinion. Son analyse de l’erreur « naturelle » laisse toute la place à l’ambiguïté de la psyché humaine, complexe et contradictoire. Dans Des prières (I.56) il se demande d’où vient « cett’erreur de recourir à Dieu en tous nos desseins et entreprinses (etc.) » ! Dans Que le goust des biens et des maux depend en bonne partie de l’opinion que nous en avons (I.14), en parlant de la douleur, il précise que l’erreur, tout comme les songes, « luy servent utilement », et que notre raison voudrait peut-être bien croire que « la jurisdiction » dans « noz membres » la bridait, il n’en est rien : « En nous acculant et tirant arriere, nous appellons à nous et attirons la ruine qui nous menasse. »
Souvent, le couple d’« erreur » et jugement paraît dans les allongeails d’EB suivi d’une référence à Platon. Le concept de l’« erreur d’âme » revient plusieurs fois, entraînant l’évocation de l’autorité de Platon et un rappel, en sous-entendu, de l’usage de la notion d’« errance » connue du contexte
poético-philosophique du xvie siècle. Comme dans I.14, où le passage à propos de la douleur dont je viens de citer se termine par l’observation que
puis que nous nous sommes emancipez de ses regles, pour nous abandonner à la vagabonde liberté de nos fantasies, au moins aydons nous à les plier du costé le plus aggreable. Platon craint nostre engagement aspre à la douleur et à la volupté, d’autant qu’il oblige et attache par trop l’ame au corps. Moy plustost au rebours, d’autant qu’il l’en desprent et descloue26.
Dans I.3, Nos Affections s’emportent au-delà de Nous, il critique la vanité de ceux qui imputent l’erreur à la nature pour se désidentifier de leurs actes du présent, dans une peur ou espérance qui les « lance » vers l’avenir :
[B] La crainte, le desir, l’esperance nous eslancent vers l’advenir, et nous desrobent le sentiment et la consideration de ce qui est, pour amuser à ce qui sera, voire quand nous ne serons plus. [C] Calamitosus est animus futuri anxius. Ce grand precepte est souvent allegué en Platon : Fay ton faict et te cognoy27.
Puis, dans III.8, De l’Art de Conférer, il prend une position sur l’application de la justice, qui évoque Platon dans le même sens :
[B] C’est un usage de nostre justice, d’en condamner aucuns pour l’advertissement des autres. [C] De les condamner par ce qu’ils ont failly, ce seroit bestise, comme dict Platon. Car, ce qui est faict, ne se peut deffaire ; mais c’est affin qu’ils ne faillent plus de mesmes, ou qu’on fuye l’exemple de leur faute. [B] On ne corrige pas celuy qu’on pend, on corrige les autres par luy. Je faicts de mesmes. Mes erreurs sont tantost naturelles et incorrigibles ; mais, ce que les honnestes hommes profitent au public en se faisant imiter, je le profiteray à l’avanture à me faire eviter28.
En relation avec la justice universelle, face à l’erreur ou ce que telle ou telle société a défini comme erreur, Montaigne met en relief l’injustice. Comme dans De l’Expérience (III.13), dans la couche B (édition de 1588), puis EB, où il juxtapose ce qu’on a défini comme « erreur » et les règles de la « justice » de son époque, pour observer :
[B] Considerez la forme de cette justice qui nous regit : c’est un vray tesmoignage de l’humaine imbecillité, tant il y a de contradiction et d’erreur. (…) [C] Combien ay-je veu de condemnations, plus crimineuses que le crime29 ?
Ainsi, Montaigne, dans son essai De la Présumption (II.17) déclare-t-il « l’incertitude de mon jugement … si également balancée en la plus grande occurrence, que je compromettrois volontiers à la décision du sort et des dés » et que les « occupations publiques » ne sont « aucunement de mon gibier », un sujet qu’il avait déjà traité dans son essai De l’incertitude de nostre jugement (I.47)30.
Mais comment s’imaginer cette pratique de justice, cette fonction de conseiller au Parlement qu’il a exercé pendant douze ans ? La question n’est pas nouvelle – on se l’est posée mille fois et des réponses partielles en ont résulté31. Ceci ne m’empêche pas de proposer une approche renouvelée et quelques premières données.
Les jugements du Parlement
Je focaliserai d’une part sur l’action de l’écriture même, bien évidemment en relation avec les acteurs de l’écrit dans l’exercice de justice, dont l’importance a été mise en relief encore dernièrement par Laurence Giavarini, dans son Introduction à L’écriture des juristes32. Qu’a représenté cet acte de l’écriture même pour Montaigne au sein du parlement de Bordeaux ? D’autre part,
je voudrais garder en tête les observations que je viens de faire sur la rhétorique du témoin chez Montaigne. Dans ce même recueil de L’écriture des juristes, André Tournon a observé que les documents des magistrats représentent avant tout l’acte d’autorité ; le reste, qui est accessoire, « ressortit à une rhétorique de persuasion ou d’euphémisation33 ». Pouvons-nous constater chez Montaigne une même rhétorique « accessoire » dans ses actes du parlement de Bordeaux ? À de telles questions, seule une étude comparative entre les actes de Montaigne et ceux de ses parlementaires contemporains peut apporter un début de réponse.
L’acte d’écrire : langage
Que peut-on dire de l’acte de l’écriture tel qu’il se présente dans les jugements par écrit, au rapport de Montaigne et au rapport de ses contemporains ?
Un bref rappel : les documents provenant de la chambre des requêtes et celle des enquêtes sont des arrêts de procès par écrit ou des jugements rendus sur production des Parties, rédigés ou dictés par celui qui, parmi les conseillers, a été désigné comme le rapporteur. Ces pièces contiennent
1. les qualités des parties : leurs demandes et défenses, leur nom, origine géographique et statut social,
2. le vû/veu : une évocation élémentaire des pièces examinées par le rapporteur,
3. le dictum : la sentence, sans motivation, succincte34.
Quant au langage déployé par Montaigne dans cette dernière partie, une étude comparative montre une variation remarquable par rapport à celui de ses collègues. Il est frappant de constater, dans le cas des appels, un usage fréquent de l’expression « il a été mal jugé », suivant ou précédant la remarque que la Cour va annuler ou amender le jugement précédent, dans la dernière partie des arrêts de Montaigne, là où d’autres conseillers contemporains et de la même chambre ont recours à des formules différentes.
Montaigne, le 6 avril 1563 (ADG, 1B 257.84), pour dire que l’appel soutenu par des extraits des registres jugés de Périgueux, est déclaré néant, écrit que la Cour amende « leur jugement [des présidiaux de Périgueux] » ; ou pour entériner un appel, le 15 mai 1563 (ADG, 1B 258.149), il déclare qu’« il a été mal jugé par le sénéchal d’Albret », et qu’« en amendant le jugement, la cour ordonne la sentence du juge de Brun » ; mêmes formules le 19 juillet 1563 (1B260.218) – « il a été mal jugé » et le jugement sera amendé ; idem le 7 janvier 1564 (1B267.21). Dans les autres cas, il met tout simplement en suspens le procès, c’est-à-dire « au néant » l’appel, ce que font ses collègues plus souvent. Parfois ils mettent au néant l’appel et annulent en même temps le jugement précédent – une manière de ne donner raison à personne. À un moment donné, en février 1564, Jean Rignac (ADG, 1B 268.212) formule comme Montaigne : « il a este mal jugé ». Sinon, voici quelques formules des autres parlementaires. Joseph D’Alis sur l’erreur de taxation par Joseph d’Eymar aux dépens de Jean Contard (à la même année et mois, ADG, 1B 268.136) dit que le dernier a été « mal taxé » ; Eymar, au même mois, parle de la nécessité d’« interposer son décret et autorité judiciaire » (même année et mois, ADG, 1B 268.48). Les cas sont rares où les autres conseillers donnent suite à l’appel et se servent dans ce jugement de la formule très explicite d’amender ou annuler le jugement des confrères car ils ont mal jugé l’affaire35.
Le statut de l’autographe
Une partie des jugements est écrite entièrement par délégation – à un secrétaire ou à un greffier –, une deuxième est partiellement déléguée et partiellement finie par le rapporteur, en autographie, et une troisième est entièrement autographe. La plupart de ces documents contiennent au moins deux mains, car d’habitude le conseiller qui figure comme rapporteur écrira les noms de tous les conseillers présents. Pour les signatures, nous trouvons toujours celle du président et celle du rapporteur.
Nous constatons que la « détermination de l’autographie36 » se voit chez un certain groupe quasi invariable de conseillers-rapporteurs autour de Montaigne. L’importance, à l’époque de Montaigne, de la
main comme signe de différentiation et individuation se manifeste non seulement dans les documents du parlement, mais dans toute une gamme de types de documents de l’époque. Ceci ne veut pas dire que les collègues conseillers étaient tous « formés comme humanistes » car ils auraient formé « leur écriture d’après le modèle des italiques d’Alde Manuce37 ». Il y a des mains dont on peut retracer les traits dans les modèles offerts par les manuels d’écriture français et italiens, comme dans le cas de Jacques Flamenc de Bruzac. D’autres ont des écritures plus personnalisées (Joseph d’Eymar, par exemple) ; Bertrand de Makanam se sert systématiquement d’un clerc, si ce n’est pas son écriture à lui. On peut se demander si Bruzac avait vraiment profité d’une formation d’humaniste, tout comme on ne peut rien dire sur celle des autres sans preuves à l’appui.
Un seul et même personnage avait de fortes chances de maîtriser plusieurs écritures : une écriture administrative, une écriture calligraphiée et une écriture cursive, qui est la plus personnelle. Les documents parlementaires, politiques et judiciaires, montrent comment l’autographe perce comme accessoire social distinctif des magistrats, qui se félicitaient souvent d’avoir grimpé l’échelle sociale vers le statut de noblesse – depuis la génération des grands-parents de Michel Eyquem de Montaigne, la famille Eyquem elle-même avait fait l’ascension de la bourgeoisie vers la noblesse, un processus qui ne se serait consolidé que grâce à son père Pierre Eyquem38.
Comme il a été dit auparavant, nous avons 47 jugements au rapport de Montaigne. Seulement 10 sont entièrement autographes et les autres sont des allographes39.
Année |
Autographes (10) |
Allographes (37) |
1562 |
– |
1 |
1563 |
4 |
4 |
1564 |
– |
9 |
1565 |
1 |
11 |
1566 |
4 |
9 |
1567 |
1 |
3 |
Un simple calcul nous permet de constater que le nombre d’autographes ne s’accroît pas spécialement au cours de ces six années, il y a au contraire une irrégularité à cet égard. Ceci contraste avec le désir d’autographier constaté chez d’autres conseillers aux enquêtes. Nous voyons que, contrairement aux coutumes adoptées à la Cour par ses collègues conseillers-rapporteurs qui semblent ou bien systématiquement se servir d’un greffier ou un secrétaire, ou bien systématiquement autographier les arrêts du début à la fin ou au moins la troisième partie, Montaigne a refusé toute routine, celle du scribe ou par délégation. Donc, tandis que la « détermination de l’autographie » et notamment de l’autographe cursive se voit chez un certain groupe quasi invariable de conseillers-rapporteurs autour de Montaigne, chez lui, par contre, aucune évolution qui fait croire qu’il a voulu se distinguer et s’identifier au travers de, grâce à, son écriture dans le sens de l’acte d’écrire. Cela était plutôt une anomalie par rapport aux habitudes parlementaires de ses collègues proches.
On peut supposer que, à partir de 1570, Montaigne est passé des jugements prononcés à la Cour par rapport aux erreurs des autres au
statut de témoin de son temps et à une réflexion sur l’erreur humaine. Aujourd’hui, sur la base de mes analyses des documents d’archives, à la lumière aussi des remarques de Montaigne sur l’erreur et le jugement dans les Essais, il serait légitime de parler de sa volonté explicite d’exercer son pouvoir judiciaire pour corriger l’erreur de jugement de ses contemporains. Dans les jugements par écrit, autrement si « vissés » par les codes, il prend la liberté d’insérer des traces distinctives, non pas tant à travers l’autographe qu’à travers le langage. En accentuant l’acte de juger des autres et son opinion sur cet acte, il colore les dicta et vire vers une rhétorique qui suggère le genre délibératif : en effet, celui-ci recherche, non pas l’émotion, mais la raison et un appel à la vertu.
Evelien Chayes
Humanisme, IRHT-CNRS, Paris
1 La recherche préalable à cet article a été possible grâce à ma participation, en tant qu’Ingénieur de Recherche à la Section de l’Humanisme de l’IRHT-CNRS (Paris), dans le projet ANR Montaigne à l’œuvre, dirigé par Marie-Luce Demonet du CESR-CNRS (Tours). Mes sincères remerciements à Marie-Luce Demonet et Marie-Elisabeth Boutroue, ainsi qu’Alain Legros, qui m’a transmis la documentation sur le parlement de Bordeaux que Katherine Almquist lui avait envoyée avant sa disparition regrettée. Ma reconnaissance toute entière va vers Christian Dubos, archiviste aux Archives départementales de la Gironde (ADG), qui a mis à ma disposition avec patience et savoir profonds tous les documents nécessaires.
2 Parmi les nombreuses études sur le parlement de Bordeaux au temps de Montaigne, voici deux titres récents : Grégory Champeaud, Le Parlement de Bordeaux et les paix de religion (1563-1600). Une genèse de l’Édit de Nantes, avant-propos : Anne-Marie Cocula, Bouloc, Éditions d’Albret, 2008 ; Le Parlement de Bordeaux, 1462-2012. 550 ans d’Histoire du Parlement et du Barreau de Bordeaux, sous la direction de Bertrand Favreau, Bordeaux, Chawan, 2014.
3 Katherine Almquist, « Quatre arrêts du Parlement de Bordeaux, autographes inédits de Montaigne (mai 1566-août 1567) », Bulletin de la société internationale des amis de Montaigne, 8e série (1998), p. 13-38 (13-14) ; Philippe Desan, Montaigne, une biographie politique, Paris, Odile Jacob, 2014, p. 111.
4 Id., loc. cit. Tout récemment, de nouveaux dépouillements et recensements ont été faits par une équipe des Bibliothèques virtuelles humanistes du CESR-CNRS et moi-même, dont ici le rapport dressé par Alain Legros, http://www.bvh.univ-tours.fr/MONLOE/Arrets.asp : « Effectuée dans le cadre d’une mission récente des BVH aux ADG, la découverte, par Evelien Chayes, de trois “eyquem” dans des arrêts de septembre 1563 au rapport de Makanan, incite en tout cas à poursuivre l’enquête ».
5 Je reprends la transcription et traduction d’Alain Legros, « Sentences peintes de la bibliothèque de Montaigne », Bibliothèques Virtuelles Humanistes, 25/07/2013 : http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/2.0/fr/. Dans la traduction, le choix de « dégoûté » et de « service parlementaire » ainsi que « charges publiques » supplante la version que Legros avait présentée dans Essais sur poutres. Peintures et inscriptions chez Montaigne, Paris, Klincksieck, 2003, p. 120 : « depuis longtemps excédé du service de la Cour et des affaires publiques ». Dans cette dernière publication, Legros reprend l’histoire de la découverte et reconstruction des inscriptions par Joseph Prunis, Journal des Beaux-Arts et des Sciences, t. V, Deuxième Supplément, art. XXI, 1774, p. 328-350 ; Legros a revu la lecture des inscriptions reproduite par E. Galy et L. Lapeyre (reprise par d’autres depuis), Montaigne chez lui. Visite de deux amis à son château. Lettre à J.-F. Payen, Périgueux, J. Bounet, Libraire, 1861.
6 Je cite ici les Essais dans l’édition de Pierre Villey, Paris, PUF, 1988 (19241). I.23 : « De la coustume et de ne changer aisément une loy receüe » ; II.5 : « De la conscience » (sur l’autorité des juges, p. 368-369) ; III.12 : « De la Phisionomie » (« Il ne se peut imaginer un pire visage des choses qu’où la meschanceté vient à estre legitime, et prendre, avec le congé du magistrat, le manteau », p. 1043) ; III.13 : « De l’Expérience » (l’« authorité de loy » des juges, p. 1067), etc. Cf. François Roussel, « Retrouver les traces du droit. Les écritures de Montaigne », Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne, 56 (2012/2), p. 177-206.
7 François Roussel, « Retrouver les traces du droit ». Cf. les articles de Stéphan Geonget, Montaigne et la question des « doubles loix » (I, 23), Bulletin de la Société des amis de Montaigne, 2011, p. 49-66 ; « Montaigne et Jean Papon. L’“arrêt notable”, une tradition sabordée par Montaigne », Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne, 2009, p 23-40 ; « Les enjeux juridiques de la “lesion enormissime” », Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne, 2007, p. 111-117.
8 André Tournon, « Un langage coupé… », dans Writing the Renaissance Essays. On Sixteenth-Century French Literature in Honor of Floyd Gray, Lexington, KY, French Forum, 1992, p. 219-231. Pour un traitement plus élaboré du rapport entre l’écriture judiciaire au xvie siècle, les commentaires, le recoupement des textes et la structure des Essais, ainsi que la préférence de l’auteur pour l’expression non résolutive, on se réfère naturellement à André Tournon, Montaigne, la glose et l’Essai, édition revue et corrigée, précédée d’un Réexamen, Paris, Honoré Champion Éditeur, 2000 ; Idem, « “Ce que je discours selon moi…” », Bulletin de la Société internationale des Amis de Montaigne, 49-1 (2009), p. 41-55. Sur Montaigne et le droit coutumier, voir Idem, « Le magistrat, le pouvoir et la loi », dans Les écrivains et la politique dans le Sud-Ouest de la France autour des années 1580. Actes du colloque de Bordeaux, 6-7 novembre 1981, Presses Universitaires de Bordeaux, 1982, p. 67-78.
9 Almquist remarque très justement que, bien qu’on puisse « se hasarder à identifier son style par une certaine prédilection pour la glose, la tension entre économie et prolixité, la négligence des formules, et un français juridique parfois latinisant », ses « “choix lexicaux” sont probablement la conséquence du fait que ce magistrat, comme ses collègues, restait proche du latin juridique. En tenant compte de la pratique de ses collègues et des manuels de son époque, nous nous rendons compte que toute interprétation fondée sur l’image traditionnelle de l’essayiste peut facilement se désagréger » : Katherine Almquist, « Quatre arrêts du Parlement de Bordeaux, autographes inédits de Montaigne (mai 1566-août 1567) », p. 33.
10 Katherine Almquist, « Judicial Authority in Montaigne’s Parliamentary Arrêt of April 8, 1566 », Montaigne Studies, X (1998), p. 213-228 ; « Montaigne Judging with Henri de Mesmes (May-June 1565) », Montaigne Studies, XVI (2004), p. 37-40 ; « Examining the Evidence : Montaigne in the Registres secrets du Parlement de Bordeaux », Montaigne Studies, XVI (2004), p. 45-74 ; « Writing Pluralist Biography of Montaigne’s Legal Career », dans The New Biographical Criticism, Studies in Early Modern France (9), ‘The New Biographical Criticism’, George Hoffmann éd., Charlottesville, Rookwood Press, 2004, p. 58-76 ; « Montaigne et la politique du Parlement de Bordeaux », dans Montaigne politique. Actes du colloque international tenu à University of Chicago (Paris), les 29 et 30 avril 2005, réunis par Philippe Desan, Paris, Honoré Champion Éditeur, 2006, p. 126-138.
11 Arrêts du Parlement de Bordeaux, A. Legros éd., dans Bibliothèques Virtuelles Humanistes, http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/2.0/fr/, 31 janvier 2014.
12 Philippe Desan, Montaigne, une biographie politique, p. 301 : « Le but principal de l’édition de 1580 des Essais n’était-il pas aussi d’offrir une explication politique – sous le voile d’une discussion pseudo-philosophique – sur cette première publication qui pouvait froisser les autorités politiques et religieuses ? » Desan parle de la traduction de la Théologie naturelle de Raymond Sebond. « Les différentes entreprises éditoriales de Montaigne, d’abord comme traducteur, puis comme éditeur et finalement comme auteur à part entière, accompagnèrent et favorisèrent ses ambitions politiques. Autant d’activités qui représentent des moyens de parvenir et se comprennent dans des stratégies de carrière » (id., p. 595).
13 Dont je remercie ici encore une fois l’aimable personnel.
14 Je signale la thèse de Jacques Mesnard, Les mystères du parlement de Bordeaux au xvie siècle, Université de Bordeaux III, novembre 1976, qui donne des « tableaux statistiques de la répartition juridique des minutes de procès des années 1554, 1555, 1556 et 1560 » et « des arrêts civils et criminels » de ces mêmes années (p. 113-122). Des années donc pas représentatives pour la période où Montaigne servait comme conseiller. Comme l’a remarqué Mesnard, p. 128, « Comprendre le sens et la portée de ces actes judiciaires nécessite de les replacer dans la procédure en usage au Parlement de Bordeaux au xvie siècle, ambition qui se heurte à d’importantes difficultés », c’est-à-dire la transmission partielle seulement de la totalité des documents.
15 Cf. Raymond C. La Charité, The Concept of Judgement in Montaigne, La Haye, Nijhoff, 1968.
16 Dans L’écriture du scepticisme chez Montaigne. Actes des journées d’étude (15-16 novembre 2001, réunis et publiés par Marie-Luce Demonet et Alain Legros, Genève, Droz, 2004, p. 160-168.
17 Essais, II, p. 724-725 ; italiques miennes.
18 Sur Montaigne et la rhétorique, voir Montaigne et la rhétorique. Actes du Colloque de St Andrews (28-31 mars 1992), réunis par John O’Brien, Malcolm Quainton et James J. Supple, Paris, Champion, 1995 ; Rhétorique de Montaigne. Actes du colloque de la Société des Amis de Montaigne, Paris, 14 et 15 décembre 1984, réunis par Franck Lestringant, préface de Marc Fumaroli, conclusions de Claude Blum, Paris, Honoré Champion, 1985.
19 Florimond de Raemond (1540-1601) est l’auteur de trois ouvrages : Erreur populaire de la Papesse Jeanne, Bordeaux, Simon Millanges, 1587 ; L’Anti-Christ, Lyon, Jean Pillehotte, 1597 ; L’Histoire de la naissance, progrez et décadence de l’hérésie de ce siècle, Paris, C. Chastellain, 1605. Sur ce personnage, voir Philippe Tamizey de Larroque, Essai sur la vie et les ouvrages de Florimond de Raymond, Paris, Auguste Aubry, 1867 ; Martin Busch, Florimond de Raemond (vers 1540-1601) et l’anabaptisme, thèse Université de Strasbourg, 1981, 2 t ; Id., « Florimond de Raemond et l’anabaptiste », dans Les dissidents du xvie siècle entre l’Humanisme et le Catholicisme, Colloque de Strasbourg, février 1982, Marc Lienhard, Badan-Baden éd., V. Koerner, 1983, p. 251-263 ; Barbara Sher Tinsley, History and Polemics in the French Reformation. Florimond de Raemond : Defender of the Church, Cranbury, NJ–London–Mississauga, Ont., Associated University Presses, 1992 ; Raymond Darricau, La vie et l’œuvre d’un parlementaire aquitain, Bordeaux, Taffard, 1961 ; Gérard Morisse, « Sur les traces de Florimond de Raemond », Revue française d’histoire du livre, 122-125 (2004), p. 121-146 ; Aurélie Plat, De l’ethos « préalable » à l’ethos « discursif » : la construction de la figure du polémiste catholique dans les ouvrages de Florimond de Raemond (1540 ?-1601), thèse Université de Tours, 2009.
20 Essais, II, chap. 32, p. 725.
21 Carlo Ginzburg, Rapports de force : histoire, rhétorique et preuve, Paris, Gallimard – Le Seuil, 2003, p. 33-34.
22 Michel Magnien, « Montaigne et Érasme : bilan et perspectives », dans Montaigne and the Low Countries (1580-1700), Paul J. Smith, Karl A. E. Enenkel éd., Leyden, Brill, 2007, p. 17-45 (25).
23 John O’Brien a analysé ces passages pour y identifier l’influence des Fragments pyrrhoniens de Sexte Empiricus : John O’Brien, « Si avons nous une tres-douce medecine que la philosophie », dans L’écriture du scepticisme chez Montaigne. Actes des journées d’étude (15-16 novembre 2001, réunis et publiés par Marie-Luce Demonet et Alain Legros, Genève, Droz, 2004, p. 13-24.
24 Id., loc. cit.
25 Sur le glissement « entre le stoïcisme et scepticisme » des juristes, cf. Katherine Almquist, « Du prêt et de l’usufruit des images. Le droit de la propriété dans la pensée sceptique de Montaigne », dans L’écriture du scepticisme chez Montaigne. Actes des journées d’étude (15-16 novembre 2001, réunis et publiés par Marie-Luce Demonet et Alain Legros, Genève, Droz, 2004, p. 169-177 et Philippe Desan sur « Montaigne et le doute judiciaire » dans le même volume, p. 179-187.
26 I.14, p. 58.
27 I.3, p. 15. Et le passage cité Des Prières poursuit par référer aux Loix de Platon, qui « faict trois sortes d’injurieuse creance des Dieux : Qu’il n’y en ayt point ; qu’ils ne se meslent pas de noz affaires ; qu’ils ne refusent rien à noz vœux, offrandes et sacrifices. La premiere erreur, selon son advis, ne dura jamais immuable en homme depuis son enfance jusques à sa vieillesse. Les deux suivantes peuvent souffrir de la constance » (p. 318-319).
28 III, 8, p. 921.
29 III, 13, p. 1070-1071.
30 Cf. L’Heure des Parlemens Dangereuse (I.6).
31 En dehors du travail de Katherine Almquist, André Tournon et Phipippe Desan déjà cité en début de cet article, j’y ajoute les ouvrages suivants : Montaigne politique. Actes du colloque international tenu à University of Chicago (Paris), les 29 et 30 avril 2005, réunis par Philippe Desan, Paris, Honoré Champion Éditeur, 2006 ; Bulletin des la Société des Amis de Montaigne, 21-22 (janvier-juin 2001) : Montaigne : la justice. Colloque international (14-16 décembre 2000), organisé par l’Université de Rouen et la Société Internationale des Amis de Montaigne, avec le soutien de la Ville de Rouen, du Conseil général de Seine-Maritime et du Conseil général de Haute-Normandie, actes réunis par Jean-Claude Arnould ; Carol Clark, « Montaigne and the Law », dans Keith Cameron éd., Montaigne and his Age, Exeter, University of Exeter Press, 1981, p. 49-68 ; Bénédicte Boudou, « Montaigne et l’herméneutique juridique », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, 47 (3), p. 569-593.
32 L’Écriture des juristes, xvie-xviie siècle, études réunies et présentées par Laurence Giavarini, Paris, Classiques Garnier, 2010, p. 14-15.
33 André Tournon, « La scansion dans les documents juridiques du xvie siècle », dans L’Écriture des juristes, xvie-xviiie siècle, études réunies et présentées par Laurence Giavarini, Paris, Classiques Garnier, 2010, p. 250.
34 Claude-Joseph de Ferrière, Dictionnaire de droit et de pratique, contenant l’explication des termes de droit, d’Ordonnances, de Coutumes & de Pratique. Avec les jurisdictions de France, 2 vol., Paris, Brunet, 1749, t. 2, p. 126-127.
35 Voici pour une première présentation des résultats de mes enquêtes, la base d’une étude comparative plus vaste qui verra le jour ultérieurement.
36 Marc Smith « Autour des lettres des La Trémoille : quelques aspects de la culture écrite de la Renaissance », in Défendre ses droits, construire sa mémoire : les chartriers seigneuriaux, xiiie-xxie siècle, éd. P. Contamine et L. Vissière, Paris, Société de l’Histoire de France, 2011, p. 223-246 (232).
37 Almquist, « Writing Pluralist Biography of Montaigne’s Legal Career », p. 69.
38 George Huppert, Bourgeois et gentilshommes. La réussite sociale en France au xvie siècle, trad. P. Braudel et A. Bonnet, Paris, Flammarion, 1983 ; Roger Trinquet, La Jeunesse de Montaigne. Ses origines familiales, son enfance et ses études, Paris, A.-G. Nizet, 1972 ; Théophile Malvezin, Michel de Montaigne, son origine, sa famille, Bordeaux, Charles Lefebvre, 1875. Pour la question plus générale des « Oligarchies » bordelais, voir les études de Laurent Coste : Les lys & le chaperon. Les oligarchies municipales en France de la Renaissance à la Révolution, Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, 2007.
39 Philippe Desan, Montaigne, une biographie politique, p. 611, n. 101, se basant sur le matériel transmis par Katherine Almquist, présente une comparaison de ce chiffre de 37 rapports de Montaigne avec le nombre de rapports signés par ses collègues parlementaires entre janvier 1563 et décembre 1567 : Joseph D’Alis (36) ; Bertrand de Makanam (33) ; Joseph d’Eymar, Jean Rignac et Bertrand Du Plessy (27) ; Léon De Merle, F Fayard (16) ; Jean de Massey et Jehan Du Duc (15) ; Marthurin Gilibert (9) ; Bertrand Arnoul (7) ; Henri De La Taste, Antoine de Béringuier et Hugues Casaulx (6) ; Étienne De La Boétie (5). Plusieurs autres auraient signé moins de quatre arrêts (Bruzac, Berton, Le Comte, etc.). Même si ces chiffres sont à ajuster par ci et par là, ils montrent que, en effet, dans cette période Montaigne était « prêt à servir de rapporteur, presque exclusivement sous la présidence de Léonard d’Alesme », comme l’écrit Desan, p. 111. Pourtant, est aussi à prendre en considération le fait que tous ces conseillers avaient servi pendant un nombre d’années beaucoup plus important et les rapports signés par exemple par La Boétie pendant la totalité de sa carrière parlementaire dépasse de bien loin le nombre de cinq. Ainsi, ce serait bien de prendre aussi en considération le vecteur « durée », pour mesurer l’évolution des carrières et leur désir d’engagement, leur motivation de se distinguer, etc.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-05748-2
- EAN : 9782406057482
- ISSN : 2261-897X
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-05748-2.p.0035
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 04/04/2016
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français