Pouvoir de la parole et parole de pouvoir au féminin chez Nicole Cage-Florentiny « Les fous ne sont pas ceux que l’on croit »
- Type de publication : Article de collectif
- Collectif : Africana. Figures de femmes et formes de pouvoir
- Auteur : Herzog-Novoa (Amandine)
- Pages : 429 à 445
- Collection : Rencontres, n° 539
- Série : Francophonies, n° 2
Pouvoir de la parole
et parole de pouvoir au féminin
chez Nicole Cage-Florentiny
« Les fous ne sont pas ceux que l’on croit »
« Sé volé man ka volé » : je vole et rien ne peut m’en empêcher, rien ne peut m’arrêter !
Voler. S’émanciper. Se libérer. Le titre du roman de l’écrivaine martiniquaise Nicole Cage-Florentiny, C’est vole que je vole (2006) – provenant de l’expression créole citée en exergue – est extraite d’une chanson de vidé carnavalesque1 qui traduit le rêve de la narratrice « assoiffée de liberté » cherchant à « se désunir ainsi de l’espace terrestre fermé » (Conflon Gros-Désirs, 2018, p. 733-734). Cet intitulé agit en outre comme indicateur de deux éléments cruciaux du dispositif littéraire : d’une part, la prise de parole de la narratrice, un « je » féminin tangible qui permet une plongée intime dans la féminité2 et d’autre part, la volonté d’émancipation et de révolte de cette même énonciatrice. Entre les deux se place un enjeu de taille qui rend compte d’un mal-être flagrant et d’une distorsion psychique liés à des facteurs intersectionnels, le genre et la situation martiniquaise postcoloniale étant inséparables.
En effet, certains discours sociétaux et littéraires ont longtemps perpétué l’amalgame entre femme et folie, cette dernière apparaissant pratiquement comme un état biologique et spécifique au genre féminin3. 430Et si les nouvelles plumes de la littérature contemporaine pouvaient apporter un autre regard sur la maladie mentale grâce à des transmutations pour le moins étonnantes ? Redonner voix à une femme souffrant de trouble mental, de manière certes paradoxale, ne devient-il pas une stratégie de résistance pour (dé)crier toutes formes d’injustice, rendre visible l’inacceptable, légitimer une parole perçue comme marginale, rendre compréhensible le mystère de la maladie et, surtout, remonter aux sources – individuelles et/ou collectives – de cette dernière ? Dès lors, je pose l’hypothèse d’un renversement et à la question générique et sexiste « les femmes sont-elles vraiment “folles” ? », il est possible de répondre : qui sont les vrais fous ?
Face à ces enjeux, il m’importe de souligner trois stratégies mises en œuvre au sein du roman, participant à la déconstruction des stéréotypes féminins et à la dénonciation de l’hégémonie patriarcale en vigueur, y compris dans l’espace martiniquais référentiel : il s’agit donc de questionner le pouvoir de la parole féminine, ce qu’elle permet de dénoncer, ce qu’elle transmet, ce qu’elle peut traduire de la réalité. À partir de ce premier mouvement, les violences et traumatismes subis par la narratrice seront envisagés sur le même plan que la portée allégorique de son trouble mental. Mais il faut aussi interroger le pouvoir de ses paroles car, malgré une situation de faiblesse, les ruses énonciatives permettent de saisir une figure féminine puissante. Enfin, il s’agira de dévoiler un point d’intersection entre ces deux sphères – contenu et contenant –, c’est-à-dire une strate métanarrative, puisque la catharsis de la narratrice malade semble justement pouvoir se produire grâce au procédé d’écriture rendu explicite au sein du texte.
431Pouvoir de la parole
« Femme es-tu folle ! » (Cage-Florentiny, 2006, p. 454) : cette exclamative créant un effet de miroir donne à voir l’équivalence qui s’opère entre le substantif « femme » et l’adjectif « folle », ce dernier apparaissant comme un trait caractéristique d’une identité féminine conventionnelle. Ainsi, si la protagoniste du roman renvoie l’idée stéréotypée selon laquelle toute femme serait atteinte psychologiquement, l’autrice martiniquaise Nicole Cage-Florentiny empoigne une thématique désormais bien établie dans le champ littéraire francophone africain et antillais : celui de la folie. Ce motif va cependant être totalement travesti, allant de pair avec celui du carnavalesque tel que proposé par Bakhtine5, propre à dévoiler de multiples vérités. Ce procédé permet en outre de véritables dénonciations intersectionnelles6 – dans la mesure où ces dernières se font à la croisée de différents systèmes d’oppression tels que le genre, l’origine identitaire, ou encore la classe sociale. En effet, « la figure excentrique du fou ou de la folle – de par sa situation en dehors du centre de la société – permet d’inverser le rapport de réflexion dominant afin de générer des perspectives inédites sur un pouvoir naturalisé qui se dérobe au regard » (Burnautzki, 2014, p. 173) et, par conséquent, de proposer un décentrement sous forme de critique anti-hégémonique. À ce premier niveau, la maladie mentale détient une portée allégorique : l’esprit malade de la protagoniste est représentatif du malaise de la société dans laquelle elle évolue. La prise de parole homodiégétique de la part de Malaïka met fin à un processus de silenciation7 et permet de dénoncer de nombreux traumatismes ayant trait soit au genre 432de la narratrice soit à son origine identitaire, cette dernière donnant lieu à des difficultés liées à la situation postcoloniale. La parole agit en tant que prisme pour rendre compte de différents traumatismes, soit personnels (portée clinique de la maladie mentale), soit collectifs (portée allégorique), observables notamment au travers d’une poétique de l’espace qui traverse tout le roman. D’ailleurs, certains discours anticoloniaux résonnent avec cette imbrication menant éventuellement à un trouble mental, et plus globalement avec l’œuvre de Cage-Florentiny qui s’est nourrie de ces courants idéologiques. En effet, les préoccupations de l’autrice rejoignent par exemple celles de l’essayiste-écrivain également psychiatre Frantz Fanon. Ce dernier condamne le colonialisme, véritable vecteur de conflits identitaires pouvant se révéler pathologiques. Dénonçant l’aliénation produite par la situation coloniale, l’auteur explique que « le nègre vit une ambiguïté qui est extraordinairement névrotique » (Fanon, 1952, p. 155). Les causes principales des troubles mentaux observables sur le continent colonisé sont ainsi imputables aux violences et au racisme institués par la situation (post)coloniale.
Le devenir de la protagoniste Malaïka se lit de façon allégorique, car sa situation mentale reflète un état significatif de la collectivité, celui du peuple antillais au cœur de « ce pays oublieux de lui-même » (VV, p. 19). Alors que l’héroïne est frappée d’amnésie, le malaise identitaire qui est le sien évolue en partie dans un « non-lieu » : celui, mouvant, de l’errance, qui traduit un déracinement manifeste. Si le début du récit s’ouvre sur un lieu significatif – l’hôpital psychiatrique –, il est ponctué, à maintes reprises, par la déambulation de la protagoniste de part et d’autre du pays. Le motif de la mémoire chemine de pair avec celui de la maladie mentale, les deux étant intimement liés. La protagoniste est taxée d’amnésie, diagnostic qui va influer le récit à un double niveau : thématique et structurel. Dans ce premier mouvement allégorique, la dynamique du récit se fait selon une quête du « ressouvenir » à laquelle accède petit à petit Malaïka. La mémoire individuelle, dans ce cas, se mêle symboliquement à la mémoire collective, voire culturelle : dépassant la seule dimension personnelle, cette dernière agit en tant que référence collective au passé, et sa portée s’étend jusque dans les symboles, les images et les rites d’un peuple8. La déterritoriali433sation identitaire que subit la jeune fille – notamment sur un plan filial, affectif ou encore physique – correspond aux dépossessions subies par le peuple martiniquais. Cette analogie semble pertinente dans la mesure où toute l’œuvre de l’autrice est traversée par le motif du déracinement :
[…] puisque sans racine, sans attache, même liée au passé, l’Antillais est […] un être instable qui ne sait où chercher ses racines et ressent par voie de conséquence le désir persistant de revenir au point de départ de l’Histoire, demeurant toujours orienté vers l’Afrique, la terre ancestrale qui suscite en lui un fort désir de retour (Conflon Gros-Désirs, 2018, p. 75).
Donnant corps à ce déracinement individuel et collectif, la narration apparaît comme un moyen de tisser un fil mémoriel. Elle le met en œuvre avec deux protagonistes et dans un tiers-espace, celui du dialogue thérapeutique de Malaïka avec l’arbre fromager. Ce dernier est totalement personnifié au sein du récit et constitue l’acteur thérapeutique par excellence. Il est d’ailleurs nommé « l’arbre-mémoire » (VV, p. 23) et énonce à plusieurs reprises ce lien tangible qui existe entre l’oubli de Malaïka de sa propre vie et l’oubli collectif d’un peuple qui a annihilé son passé. L’arbre parle en ces termes : « Ce pays a oublié le sens de lui-même dans les méandres de l’histoire ; ce peuple a la mémoire courte… » (ibid., p. 19). Cette personnification renvoie à une symbolique très importante au sein des littératures antillaises et africaines, tel que l’a par exemple évoqué Patrick Chamoiseau (2016, p. 1429) : « On dit que certains rois africains du Bénin, juste avant de livrer leurs captifs aux bateaux négriers, les faisaient tournoyer autour d’un arbre ancestral. […] C’était l’arbre de l’oubli. […] Cette pratique était censée faire perdre la mémoire de leurs origines à ceux que l’on vendait ». Dans une dynamique inverse, les secrets et souvenirs refoulés et enfouis au sein de l’arbre vont, au fil du roman et des discussions établies entre l’arbre et 434la protagoniste, refaire surface. Par ailleurs, l’amnésie de la protagoniste acquiert une dimension sociétale, l’oubli individuel renvoyant de fait à l’oubli collectif des Antillais en permettant de véhémentes dénonciations portant sur des problématiques postcoloniales :
Mais l’on a oublié la mémoire des mots chantés de génération en génération mon peuple a tué tous ses griots, ses conteurs et la télé nous distille des cauchemars où les bottes du flic superman, le fusil du plus fort résonnent dans la nuit des insomnies qui ne se disent pas. (VV, p. 87)
Le roman peut ainsi se comprendre comme un « traité social exposant l’état de la société martiniquaise et certains aspects de sa socialité » (Vété-Congolo, 2008, p. 140).
Néanmoins, le récit, liminaire – entre perspective allégorique et clinique –, ne se limite pas à la métaphorisation de la psyché et du corps de la jeune fille, ni à sa victimisation. La maladie mentale permet aussi, voire surtout, de traduire des difficultés en lien avec le genre et/ou des aspects cliniques tels que la prise en charge de la malade ou la relation patient-médecin, dans un renversement stratégique de résistance. Au seuil du récit, le diagnostic est posé sans alternative sur la protagoniste : une « amnésie », donc un trouble dont les origines se situent hors de toutes lésions physiologiques ou organiques. En effet, la perte de mémoire n’est pas liée à un dysfonctionnement du cerveau, mais à un traumatisme originel. Attestée dans le monde de la psychiatrie, l’amnésie dissociative, consistant en une perte de mémoire rétrograde – touchant les souvenirs passés acquis avant la cause déclenchante de l’amnésie – ou antérograde – difficulté à former et stocker de nouveaux souvenirs –, surgit en réponse à une expérience de vie traumatisante et comme mécanisme de défense face à cette dernière10. La présence de ce trouble mental permet de mettre en exergue des problèmes concernant la sphère intime de Malaïka. À mesure de la quête mémorielle de la protagoniste, de ce processus anoétique11, le lecteur découvre ses blessures originelles : l’inceste, les viols, ainsi que les violences physiques et psychiques liées à une « masculinité phallocratique destructrice » (Conflon Gros-Désirs, 2018, p. 511) au sein 435de la société patriarcale martiniquaise. L’espace est, cette fois, celui des lieux clos qui tiennent symboliquement de la prison : l’hôpital psychiatrique où la souffrance psychique est à son paroxysme et duquel fugue, à plusieurs reprises, la protagoniste ; la chambre fermée désignant le lieu de l’inceste et le bar comme territoire masculin où l’homme et son discours dominent. Dans ces espaces, la violence masculine est à son apogée et tout n’est qu’intrusion extrême dans l’intimité de Malaïka qui fustige l’environnement social dans lequel elle évolue : l’hôpital est ainsi le lieu d’un rapport hiérarchique décrié. De même, les rôles traditionnels médecin-patient ainsi que la thérapeutique préconisée sont hautement remis en question : du point de vue de la protagoniste, la médecine occidentale est un échec et la portée de la psychiatrie se résume uniquement à « … abrutir […] bâillonner […] endormir […] zombifier ! » (VV, p. 14). La jeune protagoniste se moque également de l’inversion occasionnelle des rôles qui s’effectue lorsque le médecin devient subitement le patient se plaignant des conditions sanitaires, et Malaïka l’oreille attentive. L’abus de prescriptions médicamenteuses est aussi dénoncé – « Tu sais seulement me donner des médicaments » (ibid., p. 15) – tout comme l’incompréhension et l’impuissance du corps médical face à la maladie mentale, que cela soit pour son traitement ou même pour le diagnostic : « pourquoi suis-je là, soignée par des médecins dont je lis l’impuissance dans les yeux [?] » (ibid., p. 22)
L’alternative à cette prise en charge médicale occidentale se révèle exister du côté d’une thérapeutique traditionnelle : au contraire d’un espace clos, la protagoniste retrouve peu à peu la mémoire en entretenant un dialogue avec l’arbre-fromager au sein d’un espace ouvert, et ce dernier lui dicte les actions à effectuer pour se retrouver. L’importance de ce symbole historique – l’arbre de mémoire – qui se trouve affranchi de tout lieu fermé, est de la sorte encore une fois soulignée : l’arbre signifie la restauration de la mémoire individuelle autant que collective. En outre, la valorisation de l’espace naturel va de pair avec celle de la médecine traditionnelle. Le renouveau ou au contraire l’enfermement permis par les lieux romanesques confirment le fait que l’espace « ne se résume plus à une fonction de scène anodine sur laquelle se déploie le destin des personnages mais s’impose comme enjeu diégétique, substance génératrice, agent structurant et vecteur signifiant. Il est appréhendé comme moteur de l’intrigue, véhicule de mondes possibles 436et médium permettant aux auteurs d’articuler une critique sociale » (Ziethen, 2013, p. 10).
Ainsi, à l’opposé du renouveau permis par l’espace naturel, l’espace clos de la chambre incarne le lieu de l’inceste. La figure paternelle se voit en conséquence transformée en une figure tyrannique et brutale « dont l’autoritarisme caricature l’autorité et fait régner la crainte » (Lempert, 1995, p. 10). Cette violence masculine originelle définit toutes les relations de Malaïka ainsi que son errance sexuelle. De plus, ce traumatisme initial en préfigure d’autres inextricablement liés : en plus d’être le terreau sur lequel naît l’amnésie dissociative de la protagoniste, l’inceste entre en écho avec deux autres viols. Malaïka subit celui d’un « Béké12 », ce qui souligne une problématique intersectionnelle impliquant à la fois le genre (domination de l’homme sur la femme), le statut social (elle est la fille de la femme de ménage face à un jeune homme de bonne famille) auxquels s’ajoute l’origine identitaire (rappelant les rapports de pouvoir ancestraux maître-esclave) ; mais elle est aussi victime d’un viol commis par un inconnu alors qu’elle erre entre l’hôpital et son bien-aimé, dans le but de rejoindre ce dernier. Ce second viol marque, paradoxalement, un point de basculement puisqu’il active le processus de remémoration : se rappelant le traumatisme initial, Malaïka ramène à soi des expériences refoulées et retrouve petit à petit la mémoire.
Le lieu fermé du bar, quant à lui, peut se percevoir comme un microcosme de la société martiniquaise patriarcale où domine la parole masculine. Les clichés selon lesquels les femmes sont médisantes et cancanières sont ironiquement renversés dans la mesure où la clientèle, entièrement masculine, s’adonne éperdument aux ragots et aux paroles profondément dépréciatives telles que « Femme ? Dernière race après crapaud ladre » (VV, p. 75). L’actualisation au sein du récit de ces différentes violences masculines participe « d’un regard que l’auteure veut chargé de recul objectif et de réalisme [pour ainsi] propose[r] une critique acerbe de sa société et en dénonce[r] des traits névrotiques à même d’entraver la cohésion et l’avancement social » (Vété-Congolo, 2008, p. 140).
Le pouvoir de la parole s’appréhende à deux niveaux et touche à plusieurs formes de dénonciation : d’un côté, son pouvoir revêt une portée allégorique puisque l’amnésie de la protagoniste permet de mettre 437en lumière le propre oubli du peuple martiniquais et de soulever des problématiques postcoloniales. Dans cette optique, Vété-Congolo fait le rapprochement suivant, en décrivant deux types de quêtes bien distincts :
D’abord, la quête est celle d’un personnage singulier, Malaïka, par rapport au groupe social qui pose des contraintes moralisatrices et normatives. Ensuite, elle se rapporte à l’inachèvement de la liberté historique puisque le peuple issu de la colonisation et de l’esclavage n’a pas atteint le stade de liberté qui démontre l’accord parfait et inaliénable entre le corps et l’esprit. De ce fait, la quête singulière de liberté et de libération totales de Malaïka est présentée comme la métaphore de liberté du groupe collectif qui devrait être syllogistiquement atteinte grâce à la liberté individuelle de chacun des membres. Sur un plan tout à fait symbolique, cette quête a donc une visée conjuratrice, rectificatrice et réparatrice. (ibid., p. 149)
D’un autre côté, la parole se fait intime, et permet notamment la dénonciation des traitements psychiatriques effectués selon une méthode occidentale, ainsi que des traumatismes liés à une mainmise masculine et une société patriarcale. Le pouvoir de la parole s’élève de la sorte depuis des lieux fermés et en direction de lieux d’affranchissement et de liberté, du singulier au collectif : à partir d’un cas intime féminin, des stratégies sont déployées pour tracer les contours de problématiques sociétales, rappelant ainsi la léthargie collective, mais permettant aussi de dissocier la figure féminine de la pensée postcoloniale dominante. Une fois ce contexte sociétal posé, s’établit également un renversement de la perception en ce qui concerne la maladie mentale. Ce retournement apparaît d’ailleurs comme une affirmation significative de la singularité féminine, marginalisée mais toujours lucide13. Plus spécifiquement, dans ce roman, une litanie rythme l’autonarration : « Mais les fous ne sont pas ceux qu’on croit » (VV, p. 33 ; 34 ; 85 ; 86 ; 87) ; ou encore « … les fous c’est eux » ; « … les fous ce sont eux » (ibid., p. 152). Dans ce cas, Malaïka s’apparente à un morosophe, ce fol érasmien ou rabelaisien, ce fou héroïque qui a le droit et même le devoir, au nom de sa folie, de dénoncer dans une entreprise salvatrice les maux de la société au sein 438de laquelle il évolue. Avec leur folie reflétée par ce discours moraliste, les vrais fous font surface : « eux », c’est-à-dire ces « gens de bien », la société antillaise dans son intégralité, elle-même empêtrée dans la névrose et le déni.
Parole de pouvoir
Alors que la parole détient une force contestataire irréfutable, elle se fait également, elle-même, pouvoir. En effet, les procédés d’énonciation et d’écriture mis en œuvre dans le roman sont percutants et peuvent être appréhendés comme une véritable stratégie de résistance pour dénoncer des structures sociales aliénantes. L’expression du trouble mental repose sur des stratégies narratives diverses et singulières qui, par mimétisme, renvoient au trouble mental lui-même. C’est précisément par cette interpénétration entre contenant – les stratégies narratives et énonciatives particulières – et contenu – la présence de la maladie mentale – que le texte de fiction a l’avantage sur les situations pathologiques réellement vécues, car les indices de la maladie sont visibles au sein même de la langue et la première y est dès lors plus compréhensible. Cette bifocalisation rejoint la notion proposée par Vincent Capt qui décrit à ce propos le langage comme « un miroir du dedans, un reflet de l’intériorité […]. Il peut renvoyer directement à un trouble […] [et] repose sur l’équivalence sémiologique entre le signe linguistique d’une part et le symptôme d’autre part […], le signifiant linguistique renvoyant à un signifié pathologique » (Capt, 2014).
Ainsi, l’errance et le trouble subis par la narratrice s’infiltrent jusque dans la forme du texte, notamment par le biais d’une fragmentation temporelle et de ruptures énonciatives associées à une syntaxe fracturée et une absence de ponctuation. Le récit est, à l’image de Malaïka, « dissocié ». Ouvert in medias res, le roman se poursuit avec une série d’analepses non chronologique et des retours sporadiques au présent du schéma narratif. L’ensemble du récit présente ainsi une temporalité fracturée et, par mimétisme avec la mémoire recherchée, le lecteur doit tenter de rétablir la chronologie des évènements. L’énonciation subit 439également un nombre important d’« anomalies » perceptibles dans cet extrait :
La bête en furie plante son sexe dressé dans les profondeurs hostiles de la jeune femme Douleur, douleur, quelle douleur ?
Chavirer, fureur Mer en furie Tempête sa tête Douleur C’était quand hier ?
Mal, mal comme avant avant ? Avant quoi ? Hier ?
Sous ma main, une branche dure. Voilà ! Frapper. Frapper sans s’arrêter sur la tête de la bête déchaînée qui s’agite en elle Frapper et les flots du passé resurgissent vagues déferlantes au pied du souvenir… […]
Père, père je peux enfin t’éclabousser de ma haine bienfaitrice, de mon douloureux amour, frapper et te tuer et te retrouver et te perdre finalement Frapper pour des siècles de silence Frapper et hier est déjà là battant le tambour du rappel – rameuter le troupeau des souvenirs ! (VV, p. 52-53)
Ce monologue puissant constitue le point de basculement du récit, de manière cyclique et paradoxale : le second viol – par le choc vécu en résonance avec les traumatismes passés – provoque le surgissement de la mémoire. La violence extrême subie par la narratrice, ainsi que les séquelles psychologiques associées, sont dès lors perceptibles dans la langue même de la protagoniste, car le régime narratif bascule sans préavis d’une narration hétérodiégétique à une narration homodiégétique. Cette rupture provoque le dédoublement des plans de la narration : le régime homodiégétique traduit l’intériorité de Malaïka en informant le lecteur de son état psychique et « l’expression du “je” est en somme celle d’un être instable et fragmenté qui cherche à témoigner de sa propre souffrance et de son incapacité à se recentrer » (Conflon Gros-Désirs, 2018, p. 314). À l’inverse, les passages hétérodiégétiques apparaissent comme le moyen d’investir le champ mémoriel collectif ou intime « en vue de la reconstitution de son anamnèse en relatant, à travers ses souvenirs, l’origine de sa crise identitaire, morale et psychique » (ibid.). Ces alternances reflètent la fracture identitaire dont souffre la protagoniste, scindée en plusieurs voix. De plus, ce passage est traduit par d’autres fractures langagières, telle la présence de nombreuses phrases infinitives et nominales. L’absence de verbe ou sa non-conjugaison prive le contenu propositionnel d’un ancrage temporel, participant à un rattachement de facto à la situation d’énonciation, la chargeant d’une expressivité forte. Ce procédé est renforcé par la présence d’un discours indirect libre marqué fortement par la ponctuation interrogative et/ou exclamative. 440Il est également possible de noter l’absence sporadique des points marquant les fins de phrases, tandis que la majuscule est conservée. À ce stade, et comme le montre l’extrait choisi, la narration se fait presque lyrique avec de nombreuses énumérations participant à l’emballement des phrases, répétitions, anaphores, et assonances. En plus de permettre au lecteur une plongée intime dans la psyché de Malaïka, à l’état brut, la dimension lyrique apparaît également comme le moyen de faire résonner le discours. La transposition littéraire du trouble mental permet dans ce cas des procédés stylistiques et narratifs percutants qui agissent comme de véritables indices de la maladie psychique. En plus de rendre le trouble mental compréhensible, cette interpénétration entre contenant – le langage et la narration employés – et contenu – le motif de la maladie mentale – permet une réappropriation de soi manifeste, car la parole devient arme de revendication. Mettre en scène une protagoniste atteinte de trouble mental, marginalisée, tout en faisant entendre sa voix, apparaît de la sorte comme un geste politique. La singularité de la voix narrative est restituée au domaine public et elle fait mémoire.
Thérapeutique du métalittéraire
Au croisement de cette prise de pouvoir rendue possible grâce à l’articulation de nombreuses dénonciations avec la singularité de la parole se trouve une dernière forme de pouvoir : celle du processus métanarratif et intertextuel qui permet à la fois la catharsis de la protagoniste ainsi qu’une ouverture sur le monde. La prise de parole enfin libérée de Malaïka mène autant à la dénonciation de son environnement qu’à son affranchissement personnel. Ce dernier prend corps notamment grâce aux mécanismes de la métafiction sur lesquels s’appuie la narratrice et, en particulier, aux deux relations intertextuelle et architextuelle théorisées par Gérard Genette (1982). Dans ce sens, la métafiction renvoie à une narration autoréférentielle qui rend tangible ses propres mécanismes de construction ; l’intertextualité se définit comme « une relation de coprésence entre deux ou plusieurs textes » (Genette, 1982, p. 8), tandis que l’architextualité désigne « l’ensemble des catégories 441générales, ou transcendantes – types de discours, modes d’énonciation, genres littéraires, etc. – dont relève chaque texte singulier » (ibid., p. 7). Grâce à ces différents procédés, la parole peut réellement se libérer. Ils constituent de fait le médium thérapeutique permettant l’amélioration de l’état psychique de la protagoniste.
Dans le premier cas, les paroles inaugurales – « Mais moi je vais dire ce qui me brûle » (VV, p. 14) – fonctionnent déjà comme indice de l’objectif premier du récit : se raconter soi-même afin d’exorciser les traumatismes. Le registre métalangagier apparaît à maintes reprises dans le roman et met en lumière les mots qui permettent de soigner les maux :
Je sais les mots-pluie-qui-ruisselle […] Je sais les mots aussi qui coulent à flots dans les ourlets de la tendresse.
Je sais les mots incantatoires qui guérissent la fièvre et chantent l’amour.
[…] Je sais tous les poèmes que l’on n’a pas écrits tous les poèmes ça mort-nés aux portes des lèvres closes.
Je sais plus de chanson que je n’en ai chantées. (ibid., p. 87-88)
L’importance du langage est posée de façon graduelle dans cette série d’anaphores qui prend pour objets directs plusieurs substantifs ayant trait soit à différents types de « mots » soit, de manière expansive, à la littérature et au patrimoine culturel. En effet, le double recours des mots personnels et de ceux, collectifs, d’un poème ou d’un chant, devient significatif de la catharsis espérée. Cette prise de parole et, surtout, la conscience métalangagière d’être en train de dire constituent le premier pas vers l’empowerment, c’est-à-dire :
[…] the process whereby people gain control of their own lives in the context of participating with the others to change their social and political realities. (Budryte, Vaughn, Riegg, 2009, p. 4)
« le processus par lequel les gens prennent le contrôle de leur propre vie dans le cadre d’une participation avec les autres pour changer leurs réalités sociales et politique ». [Nous traduisons]
Se situant à un autre niveau de la diégèse, le « je » en train de raconter, dévoilant le processus de fiction à fins thérapeutiques, s’adresse directement au lecteur : c’est précisément dans cette relation nouvellement créée, dans ce contrat collectif passé entre le personnage de fiction et le lecteur réel, que se déploie la force langagière. L’art se conçoit ainsi 442comme une thérapie, ce que confirme la narratrice en énonçant « les vertus thérapeutiques du dire » (VV, p. 155) puisque « la parole est un exorcisme » (ibid., p. 117). C’est par la parole que Malaïka peut se libérer et mettre fin à la silenciation féminine que l’on pourrait presque qualifier de millénaire, d’héréditaire. Dans ce sens, apparaît également dans le récit un processus architextuel puisque la narratrice y insère une lettre écrite à sa mère en soulevant la question suivante : « Pourquoi n’as-tu rien dit maman ? » (ibid., p. 99 et 101) Face au silence et en s’y opposant, la narratrice recourt de manière répétée au verbe d’énonciation par excellence : « Et depuis ce jour je parle, je parle pour ne pas entendre la voix du silence […]. Toute la vie je découdrai le fil sans bout de la parole-le-temps pour ne pas entendre l’écho du silence » (ibid., p. 99). Le processus de métanarration permet ainsi la libération et redonne pouvoir à une minorité, au marginal, pour mieux fustiger la norme : « J’ai brûlé la grammaire d’un monde qui se conjugue au masculin-pluriel j’ai jeté au feu l’orthographe du masculin-violence » (ibid., p. 125).
Dans le deuxième cas, les insertions intertextuelles – faisant partie du patrimoine martiniquais, souvent en langue créole – et architextuelles – avec les poésies, berceuses ou chansons – permettent à la narratrice de réintégrer son être dans un tout universel, de s’inclure à nouveau au sein de sa propre société. La littérature ou, plus généralement, l’art apparaissent dès lors comme des prismes thérapeutiques propres à rétablir un lien au réel : le patrimoine culturel, au contraire du vécu personnel, ne tombe jamais dans l’oubli.
Conclusion
Le cheminement proposé a mis en lumière les différentes formes de pouvoir qui caractérisent ce roman. La première est symbolique, puisque la protagoniste rend perceptible l’« allégorie d’un pays-Martinique en souffrance, incapable de se dire et de se souvenir de son identité » (Couti, 2016, p. 170), mais il s’agit aussi d’un pouvoir littéral, en reconnaissant la folie comme une « stratégie de résistance » (De Souza, 2004, p. 142) qui révèle de nombreuses dénonciations intersectionnelles. Au niveau 443linguistique, la force de l’écrit réside dans la singularité de la prise de parole et d’un point de vue métalittéraire, la parole redonne de la puissance à la protagoniste, en ce qu’elle constitue – sous forme de monologue ou de dialogue avec l’arbre fromager – le principal élément menant à la guérison. Le processus métanarratif, tout autant que le motif de la folie, peuvent dès lors se concevoir comme des actes militants ; ils permettent de résister à la marginalisation en affirmant une différence et de questionner les normes de la société patriarcale martiniquaise :
À travers cette problématique [celle de la folie] qui n’est pas seulement féministe, il y a quelque part quelque chose de l’ordre d’une mythologie interne d’une espèce d’idéal, d’une société plus humanisée et des rapports nouveaux entre hommes et femmes, dépourvus de rapports de force qui prennent beaucoup d’énergie et empêchent les hommes et les femmes de se consacrer à l’essentiel. (Vété-Congolo, 2006)
L’écriture, en tant qu’acte essentiel, participe à la remise en question des rapports de force que toute l’œuvre de Cage-Florentin dénonce avec détermination.
Amandine Herzog-Novoa
Université de Berne
444Bibliographie
Assmann, Jan, La Mémoire culturelle. Écriture, souvenir et imaginaire politique dans les civilisations antiques, trad. de l’allemand par Diane Meur, Paris, Aubier, coll. « Historique », 2010.
Bakhtine, Mikhaïl, François Rabelais et la culture populaire au Moyen âge et sous la Renaissance, Paris, Gallimard, 1982.
Budryte, Dovile, Vaughn, Lisa M., Riegg, Natalya T., Feminist Conversations. Women, Trauma, and Empowerment in Post-Transitional Societies, Lanham-Md, University Press of America, 2009.
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1 Le « vidé » est la procession d’une foule qui suit une troupe durant le carnaval, en Martinique.
2 Il est cependant nécessaire de noter que le récit oscille entre plusieurs types de narration, principalement : homodiégétique, hétérodiégétique, et sous forme de dialogue entre la protagoniste et un narrataire (l’arbre-fromager).
3 On peut notamment penser à la condamnation de la femme à la folie que dénonce Hélène Cixous en ces mots : « Et moi aussi je n’ai rien dit, je n’ai rien montré ; je n’ai pas ouvert la bouche, je n’ai pas re-peint ma moitié du monde. J’ai eu honte. J’ai eu peur et j’ai bouffé ma honte et ma peur. Je me disais : tu es folle ! » (2010, p. 39) ou encore au propos de l’introduction au volume collectif Quand la folie parle : The Dialectic Effect of Madness in French Literature since the Nineteenth Century (Ni Cheallaigh et als., 2014, p. ix) : « … woman is often “mad” because (male) society and the medical establishment have judged her to be so ».
4 Désormais, nous abrégeons la référence au roman par le sigle VV suivi du numéro de page.
5 Le carnaval peut se concevoir comme « le triomphe d’une sorte d’affranchissement provisoire de la vérité dominante et du régime existant, d’abolition provisoire de tous les rapports hiérarchiques, privilèges, règles et tabous » (Bakhtine, 1982, p. 18) et montre donc entre autres le travestissement du motif énoncé, le désir d’une affirmation identitaire de la protagoniste qui s’oppose à l’opinion dominante.
6 Le mot apparaît sous forme de substantif en 1989 sous la plume de l’avocate et critique Kimberlé Crenshaw, à propos de la notion de « race ». Selon l’Oxford Dictionary (2015) : « the interconnected nature of social categorization such as race, class, and gender, regarded as creating overlapping and interdependent systems of discrimination or disadvantage ; a theoretical approach based on such a premise ».
7 Dans un contexte féministe, le mot « silenciation » renvoie à des techniques utilisées, de façon inconsciente ou non, souvent par des hommes, pour faire taire la parole féminine. Langton (1993) propose, par exemple, diverses formes de silenciations correspondant aux différents types d’acte de parole (locutoire, perlocutoire, etc.).
8 La mémoire culturelle, concept théorisé par J. Assmann (2010), se définit notamment en opposition à la mémoire communicationnelle. Elle consiste ainsi en des références collectives au passé, véhiculées principalement par des médias tels que l’écriture, les arts ou les rites.
9 Pour rendre compte de l’importance de ce symbole, il est également possible de mentionner l’existence de la représentation d’un arbre de l’oubli au sein du Mémorial ACTe (« Centre caribéen d’expressions et de mémoire de la Traite et de l’Esclavage »). Dans le contexte psychiatrique, cette référence renvoie directement à l’arbre à palabres ou au « penc », consistant en un espace de parole dédié aux patients, inspiré par les cours royales traditionnelles, et qui met sur un même pied d’égalité les malades, leurs accompagnants et les médecins.
10 Pour plus d’informations à ce propos, se référer à J. S. Nevid, S. A. Rhatus et B. A. Greene (2009, p. 150 et p. 344).
11 « Anoétique » s’oppose à « auto-noétique » et concerne le caractère non-conscient (dans le premier cas) ou conscient (dans le deuxième) au moment où sont convoqués ou apparaissent les souvenirs. Voir : G. Comet, A. Lejeune, et C. Maury-Rouan (2008, p. 175).
12 Ce terme est utilisé pour désigner un Blanc créole descendant des esclavagistes européens.
13 On peut penser, par exemple, au roman Juletane (1982) de l’autrice guadeloupéenne Myriam Warner-Vieyra. Dans ce roman, la protagoniste, lucide, offre le même type de réflexion que Malaïka : « Ici, on m’appelle la “folle”, cela n’a rien d’original. Que savent-ils de la folie ? Et si les fous n’étaient pas fous ! Si un certain comportement que les gens simples et vulgaires nomment folie, n’était que sagesse… ? » (Warner-Vieyra, 1982, p. 13).
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-12735-2
- EAN : 9782406127352
- ISSN : 2261-1851
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12735-2.p.0429
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 18/05/2022
- Langue : Français
- Mots-clés : Nicole Cage-Florentiny, Martinique, maladie mentale, stéréotypes, contestation