Phénomène drag king en Afrique
- Type de publication : Article de collectif
- Collectif : Africana. Figures de femmes et formes de pouvoir
- Auteur : Raoui (Hanane)
- Pages : 319 à 331
- Collection : Rencontres, n° 539
- Série : Francophonies, n° 2
Phénomène drag king en Afrique
Le discours féministe différentialiste soutient que rien ne justifie la domination masculine sur les femmes, et encore moins le prétexte naturaliste qui conçoit les hommes comme naturellement plus forts1. Pourtant l’histoire de l’Afrique subsaharienne témoigne de femmes humiliées à cause des conflits politiques2 (l’apartheid en Afrique du Sud, le génocide du Rwanda, etc.) ou de certaines traditions (excision, mariage forcé, etc.). Dans une approche phénoménologique qui tient compte de l’expérience perceptive du corps dans son rapport au monde environnant, il sera question de jeter la lumière sur des femmes qui ont eu l’intuition de se rendre visibles en jouant le rôle de l’homme dominant dans son indéfectible solipsisme. Moyen subversif par excellence, le travestissement ou le drag consiste à mettre à mal l’approche essentialiste et à interpréter empiriquement la ridicule position sociale des sexes dans le schéma hiérarchique, à travers la caricature de l’archétype mâle (drag king) ou femelle (drag queen). La théorie queer, qui représente depuis le début du xxie siècle une branche importante des études de genre, porte loin la réflexion sur les sexualités marginales et mutantes mais également sur ces hommes et femmes hétérosexuels qui se travestissent pour se moquer des identités figées et pour pointer du doigt là où, culturellement, le bât blesse3. Nous nous focalisons, dans ce travail, sur ces femmes créatrices d’une identité sociale non-conventionnelle, qui font de la ressemblance une résistance et qui performent le genre de manière à le troubler et à lever le voile sur ses apories. En partant du constat que la masculinité est moins une question d’organes qu’un symbole rendu sacré dans les sociétés paternalistes d’Afrique, le but est 320de voir comment des femmes se sont ingéniées à montrer que le genre relevait davantage de catégories mentales que de catégories sexuelles et de prouver que la représentation que l’on se fait publiquement du masculin et du féminin relève du fantasmagorique.
Dans un premier temps, nous nous intéresserons, sur la base de documents ethnographiques, à ces femmes africaines qui ont été sollicitées par le passé, au nom des rites, à se déguiser en hommes et à vivre cette transformation comme une épreuve physio-psychique qu’elles ont pour fonction de perpétuer mais dont elles ne sortent pas indemnes. Il s’agit par la suite d’étudier comment les femmes « sapeuses » de la République démocratique du Congo expérimentent avec dérision l’intersubjectivité en prouvant subtilement à travers un réseau de signes révélateurs, leur capacité à s’identifier au sexe fort. Nous conclurons par une immersion dans l’univers musical et aborderons le cas de ces chanteuses sud-africaines qui font de leur art une performance pour lutter contre les stéréotypes de genre et qui concurrencent l’homme sur scène à travers une manifestation effective de la masculinité et en s’érigeant en véritables drag kings.
Les travesties de l’histoire
Ces premières drag kings
Dans le monde artistique et littéraire, il y a des femmes qui s’expriment par le verbe et d’autres qui parlent avec le corps, « son vocabulaire et son langage » (Talih, 2018, p. 22). Les atteintes à l’intégrité des femmes dans les sociétés marquées par des rapports inégalitaires de genre provoquent l’émergence de corps en révolte qui disent l’indicible et racontent, par la médiation des signes, des récits de vie. Une réflexion sur la corporéité qui suscite, chez certaines, le désir de travestissement qui semble permettre cet épanchement dans une connivence singulière entre l’esprit et le corps dans sa matérialité. Luca Greco consacre son dernier livre à ces femmes européennes ou américaines qui dénoncent, dans des ateliers ou sur scène, le conditionnement culturel des sexes à travers le déguisement et la parodie du modèle masculin. Des actrices 321qui rompent, le temps d’un jeu de rôle, avec leur identité normative et mettent en spectacle les habitudes routinières des hommes en tant qu’elles sont des actions répétitives, instinctives et intériorisées.
Dans les cultures d’Afrique subsaharienne, pétries de symboliques et marquées par de fortes traditions, le travestissement des femmes en hommes revêt une dimension plus codifiée. Dirigé par un puissant principe d’appartenance, le corps féminin s’est loyalement plié à la doxa pour être l’incarnation d’attentes et d’idéaux sociaux. C’est ainsi qu’à travers l’histoire, à l’occasion de certains rites, des femmes sont passées par des transformations physiques révélatrices d’une androgynie prompte à brouiller la frontière des genres. Cette polarité leur aurait permis de faire parade d’attributs masculins qui leur sont habituellement étrangers. L’historien et sexologue américain Vern L. Bullough s’est intéressé au décloisonnement des identités genrées et des manifestations spectaculaires de travestissements auxquelles il a donné lieu sur le continent. Il avance, entre autres, l’exemple de ces jeunes filles Zulu4 qui empruntent le vêtement de leurs frères et s’occupent du bétail à leur place pendant une journée en signe d’oraison pour provoquer la pluie (Bullough, 1993, p. 175). Dépassant la simple prétention d’imiter l’homme, ces déguisements en viennent à exprimer une forme complexe de spiritualité, un vœu ou une prière qui ne peut s’exaucer qu’à condition de recourir à l’image incarnée du masculin. Dans une logique butlérienne, ces femmes sont donc programmées pour imiter cette représentation perçue comme cohérente dans le schéma hiérarchique des rapports de genre dans lequel l’homme détiendrait naturellement la position dominante.
Ces pratiques traditionnelles, culturellement admises et unanimement acceptées, confèrent un caractère dramaturgique aux événements et cérémonies surtout lorsqu’elles s’accompagnent de mouvements corporels. Thomas Louis-Vincent évoque le cas de ces danses funéraires exécutées par les Uki, femmes issues de la société diola en Afrique de l’Ouest, qui 322« habillées en hommes pour l’occasion (le casque colonial suffit parfois) », « dansent le nyukul6 de l’après-midi comme le font les hommes ailleurs » (Louis-Vincent, 2013, p. 359). Cette chorégraphie masculine, ainsi interprétée par les femmes, semble défier la mort par la synergie des émotions qu’elle suscite et par la solidarité qu’elle crée entre les proches du défunt. À la manière de la culture drag, ces femmes reproduisent les rôles communément perçus de genre et se situent du côté de la performance quitte à s’accaparer tous les aspects de la masculinité par une appropriation parfois extrême de ses caractéristiques. En effet, les femmes masculinisées prennent symboliquement, en l’absence d’hommes, le statut privilégié de « male daughters » (Amadiume, 2015, p. 90) ou se voient encore attribuer la fonction singulière de « husband » (ibid.). Or, souvent, il s’agit moins d’une pratique transgressive7 que d’une responsabilité politique susceptible de leur permettre d’asseoir leur autorité ou de prendre le contrôle sur leur destin de femmes. Tel aurait été le cas des « female kings » (Achebe, 2011, p. 23) du Nigéria, dont Ahebi Ugbabe élue « warrant chief8 » (ibid. p. 105) durant le protectorat franco-britannique (1914-1960) et qui aurait été célèbre pour avoir porté durant son règne un « helmet, which she wore as a crown » (ibid. p. 90) et pour avoir « married wives » (ibid. p. 399). Devenir père ou mari c’est concéder que l’état de masculinité est un gage de notoriété et un chemin sûr d’accès au pouvoir pour les femmes mais aussi admettre, implicitement, que leur aspiration à la visibilité et au succès en est tributaire.
Ces drag kings « sapées comme jamais10 »
Vers la fin du xxe siècle, les études de genre11 ont souligné le manque d’intérêt que la sociologie accordait à la construction du masculin au 323profit d’une réflexion soutenue autour du féminin. Cet appel au décentrement s’est accompagné d’une volonté de repenser le triptyque sexe/race/classe en tenant compte du masculin dans sa pluralité et sa diversité. Une approche qui met en évidence les différences hiérarchiques entre les hommes soumettant les uns au joug des autres. En Afrique, la politique colonialiste a contraint des indigènes de sexe masculin à obéir aux hommes blancs, provoquant des disparités fondées sur la race ou « ce qu’il est convenu d’appeler les séquelles du colonialisme » (Gandoulou, 1989, p. 21). Aujourd’hui, les jeunes Congolais qui adhèrent à la « sape » (acronyme pour « société des ambianceurs et personnes élégantes ») tentent de retourner cette mémoire à travers une réussite sociale éclatante et surtout « s’évertuent à imiter l’aspect extérieur des gens arrivés au sommet de l’échelle […] » (ibid., p. 18). À la dimension sérieuse de ce mouvement12 s’ajoute un aspect créatif qui fait également ressortir un désir de distinction identitaire nourri par une imagination féconde et un esprit de compétition. D’ailleurs tout aurait commencé, semble-t-il, par une rivalité entre des hommes du Congo Kinshasa, et plus précisément « une société initiatique […] » (Makouezi, 2013, p. 67) et ceux du Congo Brazzaville qui se seraient lancé entre eux le défi de gagner la réputation du peuple le plus chic. Force est alors de constater chez les femmes qui s’adonnent à la sape ce même air de fierté grandiloquente. Et parce que : « far from being an imitation of maleness, female masculinity actually affords us a glimpse of how masculinity is constructed as masculinity13 » (Halberstam, 1998, p. 2), les sapeuses drag kings reconstruisent cette masculinité tant convoitée par leurs homologues hommes avides de reconnaissance sociale. En se juchant sur leur piédestal, elles font le choix de ressembler aux hommes influents et, corrélativement, de prendre leur distance avec le commun des femmes reléguées socialement à un plan inférieur.
En revanche, cette image qu’elles font miroiter relève du paradoxe et présente des failles. Les femmes sapeuses, dussent-elles imiter fanatiquement l’aspect ainsi que les faits et gestes de leurs compatriotes masculins, contestent dans l’exubérance le rapport de pouvoir entre les sexes et deviennent le miroir déformant de la sape. Ainsi accordent-elles 324une attention singulière à leur apparence même en étant parées d’habits connotés virils. Elles défilent dans des costumes masculins hauts en couleur lors de festivités ou dans la rue mais tout en étant heureuses de donner à voir leurs atours féminins desquels elles ne se départissent pas, car à côté de la cravate, de la coupe garçonne et de la pipe, elles affichent spontanément leurs formes (hanches et poitrine) et se maquillent pour se mettre en valeur. Elles « désidéalisent » à travers des expressions corporelles pour le moins troublantes le cliché de la masculinité qu’elles chargent d’une tonalité risible. Remarquons que l’humour africain « affectif » est considéré comme différent de l’humour occidental plus « intellectuel » (Mongo Mboussa, 1998, p. 5). Arme puissante contre la souffrance, le rire en Afrique relèverait davantage de l’émotionnel. Il s’emploie à adoucir la colère accumulée à force de guerres et de violences. Si les sapeurs hommes sont connus pour leur « sens de l’humour » (Makouezi, 2013, p. 35) bien masculin fait de « piques » et de « provocations » (ibid. p. 120), les sapeuses femmes performent plutôt dans un esprit parodique décapant.
Leurs performances et mises en scène tournent aisément à la caricature et remplissent une fonction subversive. Dans une société dominée par les hommes, elles deviennent l’incarnation visuelle d’une masculinité au carrefour des genres. Il faut dire que dans le raffinement de leur « dandysme » (Moudileno, 2006, p. 148), les sapeurs hommes laissent miroiter une conception féminine de la beauté physique à travers l’appropriation d’accessoires fétiches et de vêtements flamboyants. Il y a, de ce fait, transgression de normes genrées chez les sapeurs et les sapeuses qui se présentent comme des identités plastiques. Par une transposition subtile des caractéristiques, l’esthétique des hommes semble s’opposer à l’éthique des femmes. Tandis que les sapeurs mâles paraissent mettre l’accent sur la beauté extérieure, les sapeuses, en devenant des hommes par défaut, donnent l’impression de triompher de leur condition sociale. En somme, en parfait exutoire, la double pratique du drag et de la sape permet aux femmes de s’auto-construire une identité en marge du conventionnel, et de remettre subtilement en cause la culture machiste ambiante.
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Fig. 1 – Young black woman in male drag /
Jeune femme noire en drag king. © ValaGrenier-Getty Images.
Drag kings et univers musical
Une exigence du masculin
En Afrique, la musique, tel l’humour, remplit une double fonction culturelle et de catharsis. Dans ce contexte, le rap est considéré comme un remède puissant à la fois contre les maux de la société contemporaine et contre un passé colonial lourd de ressentiment. Il représente la revanche d’une jeunesse en quête de liberté, tentant de s’affranchir de cette « mémoire de l’esclavage […] » (Puig, 2019, p. 60) qui s’avère pesante. Dans l’imaginaire collectif, le rappeur par sa détermination, son langage cru et son audace, s’érige comme le porte-parole d’une population qui aspire à un futur épanoui. Ce regard exigeant porté sur le rap et le rappeur fait inévitablement de ce style musical le domaine masculin par excellence. Les qualités féminines semblent s’opposer systématiquement à la représentation archétypale du rappeur, en Afrique et notamment au Gabon où « le rap est aussi décrit et considéré comme une musique d’hommes » (Aterianus-Owanga, 2017, p. 100). Tout l’enjeu des drag kings, ou des artistes femmes masculinisées, consiste alors à relever le défi de se frayer un chemin et de gagner en visibilité dans cet univers à la connotation virile. Une identification qui demande d’autant plus de cran que « la démonstration d’une masculinité puissante, […] se caractérise entre autres par une rhétorique de l’insulte ou par des attitudes de défi et d’agressivité » (ibid., p. 101). De ce fait, elles s’assignent une identité d’après les normes de reconnaissances socio-culturelles réclamées par le milieu, à l’image de drag kings occidentales qui se teintent le visage de noir pour ressembler aux rappeurs d’origine africaine, pratique qu’il est commun d’appeler black face.
La sociologue et militante queer Hélène Bourcier rapporte le cas de ces femmes d’origine française qui, sous le nom de King du Berry, performaient le black face en « empruntant la gestuelle, la musique et les vêtements des rappeurs noirs, du hip hop et du bling bling » (Bourcier et Moulinier, 2008, p. 11). De même pour les rappeuses de l’Afrique subsaharienne, tout devient prétexte pour une ascension sociale et hiérarchique réussie dans l’univers musical des hommes, ce que traduit parfaitement le choix de leurs paroles et de leur apparence qui rappelle 327le mauvais garçon ou le hors la loi. Un style de banlieue porté à son plus haut niveau par le gangsta rap, ou le rap des clans, qui a d’abord connu une effervescence dans les milieux populaires américains et plus précisément « in South Central Los Angeles and Compton during the 80s » parmi une jeunesse enflammée et concernée par des problèmes sociaux comme la misère et ses déploiements : « poverty, violence, drugs, and gangs » (Parrillo, 2008, p. 388). En revanche, la féministe afro-américaine bell hooks déplore la tendance des Blancs à percevoir le rap dans sa version africaine comme particulièrement misogyne : « Without a doubt black males, young and old, must be held politically accountable for their sexism14 » (hooks, 2015, p. 135). Lassées par ce discours, les rappeuses africaines de sexe féminin tentent de renverser la tendance et de donner à voir une image plus valorisante du genre sur la scène artistique. C’est dans ce contexte que la rappeuse Catherine Saint Jude, originaire de l’Afrique du Sud et initiatrice du collectif Bro’s Before Ho’s15, se travestit en homme mais tout en laissant s’exprimer sa féminité à travers des paroles de chansons rigoureusement choisies. Tout en portant avec ostentation des accessoires empruntés à l’univers de la gangsta comme les menottes métalliques, les lunettes noires et le perfecto, ce « légendaire blouson en cuir qui fut l’apanage des motards, des rockeurs puis des punks » pour incarner le cliché du bad boy (Zingoula, 2015, p. 69), elle se projette aussi dans ses clips comme le symbole d’une femme battante bravant les interdits.
Les paroles de ses chansons donnent un vaste aperçu des manières des femmes d’appréhender le monde dans lequel elles vivent. Et parce que tout acte de parole implique une action, Catherine Saint Jude entend opérer, grâce à sa prose, un changement de mentalité en faveur de l’émancipation féminine. Son tube Grrr like (2018) se présente comme une suite d’énoncés performatifs à travers lesquels elle assume son identité féminine : « I’m like my mama / I’am a grrrl16 », mais tout en s’appropriant l’espace public masculin qu’elle fait sien : « My bike’s a Honda / Cash money for the game on the streets17 ». Telle Catherine Saint Jude, de nombreuses rappeuses désubstantialisent les rapports de genre, 328déconstruisent les poncifs relatifs au mode de socialisation des sexes et militent pour l’insertion entière des femmes dans l’univers artistique africain à l’instar de l’Ivoirienne Andréa Sahouin qui a sorti un album bousculant les topoï, intitulé Le rap n’a pas de sexe (2019) ou encore la Kényane Muthoni Ndouga célèbre pour ses chansons féministes dont Power (2020) qui rend hommage à l’héroïsme des femmes et à leur courage en temps de conflits politiques.
Conclusion
C’est au xxe siècle, en Occident, que le phénomène drag, dans sa double articulation de queen et de king, est apparu pour la première fois. Il est né du besoin de générer un malaise et de troubler les normes sociales pour mieux les rééquilibrer. Les femmes qui incarnaient ce rôle étaient amenées à réfléchir sur leur condition, leurs corps, mais aussi sur l’effet que l’appropriation du genre masculin dominant est susceptible de produire sur elles. Si cette performance semble nouvelle en Afrique, le travestissement a toujours existé et a été pratiqué au nom des rites et des coutumes. Bien qu’il ait connu des changements perceptibles au cours des siècles, l’enjeu symbolique du travestissement au féminin n’a jamais cessé de tourner autour de l’ambition des femmes d’accéder à un degré de reconnaissance équivalente à celle des hommes. Pendant longtemps, elles ont puisé dans cette énergie masculine qu’on leur a présentée comme sacrée pour réclamer le droit à l’abondance ou à la dignité.
Sur une tonalité qui mêle l’ironie à l’humour, les sapeuses du Congo sortent du lot et négocient le partage du pouvoir avec les hommes qu’elles imitent pourtant jusqu’à la caricature. L’image exubérante et paradoxale qu’elles affichent en coupe garçonne et poitrine imposante leur permet de tourner le genre en dérision dans une ambiance festive. Les sapeuses jouent avec des symboles à la fois féminins et masculins comme pour montrer que « tout est dans la tête ». Quant aux rappeuses, elles portent loin cette recherche de la masculinité et en font un marqueur identitaire. Elles se frayent une voie dans le monde rude 329du rap mettant ainsi symboliquement à mal l’injustice qui découle de la hiérarchie sociale du genre.
Bien que la culture queer n’appartienne pas à l’héritage africain, il nous a semblé plausible de considérer ces femmes qui se travestissent comme remplissant les caractéristiques majeures d’un drag king à l’occidentale. Constamment soumises à des tensions extérieures, elles ont fini par transformer leurs corps en un espace discursif dénonçant implicitement l’injustice et la discrimination basées sur le genre. Une tentative de libération qui ne passe pas seulement par l’imitation de l’idéal masculin mais aussi par son altération. Par le biais de cette performance fondamentalement hétérosexuelle, elles cherchent moins à être une copie conforme de l’homme que le miroir déformant d’une société qui déconsidère le rôle de la femme.
Hanane Raoui
Université Ibn Tofail, Kénitra
330Bibliographie
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331Talih, Chorok, Chorégraphie, l’art d’écrire avec le corps, Paris, L’Harmattan, 2018.
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1 Voir : Florence Binard (2016).
2 Voir : S. Tanella Boni (2011). D’après l’auteure, lors des guerres et autres conflits politiques, les femmes africaines ont été les principales victimes des violences physiques et psychiques. Durant le génocide au Rwanda, par exemple, le viol était monnaie courante.
3 Voir : Marie-Hélène Bourcier (2008).
4 Ou « Zoulou » d’après une autre transcription. Peuple d’Afrique du Sud dont la présence remonterait à huit ou neuf siècles mais que l’apartheid a disloqué. Voir : Sylvain Guyot (2006), pour la référence historique.
5 Précisons que pour Vern L. Bullough, il faut une force masculine pour provoquer la pluie mais il arrive également aux hommes, lors de rituels similaires, d’emprunter aux femmes leurs apparats pour faire fructifier la terre et rendre fertile le sol. Cette androgynie, ou transfert des caractéristiques, viendrait de l’idée selon laquelle la complémentarité des deux énergies masculines et féminines est nécessaire pour préserver la vie.
6 Danse très symbolique pratiquée en toutes occasions.
7 Exception faite des pratiques homosexuelles. Voir : Christophe Broqua (2012).
8 Nous traduisons : chef de guerre.
9 Nous traduisons : « un casque qu’elle portait en guise de couronne » et « épousé des femmes ».
10 En référence à la chanson Sapés comme jamais (2016) de Maître Gims. Le verbe « se saper » qui signifie « s’habiller » en français populaire.
11 Notons également l’émergence de la branche « études sur les hommes » qui traite exclusivement de la question du masculin dans la société. Voir : Daniel Welzer-Lang (2000).
12 Il va sans dire que le mouvement de la sape est pris très au sérieux par ses membres au point d’être considéré comme une religion. Elvis Guérite Makouezi consacre, à ce propos, quelques pages au sapeur Ya Francos qui serait vénéré et traité comme un dieu par ses pairs.
13 Nous traduisons : « loin d’être une imitation de la masculinité, la masculinité féminine donne en fait un aperçu de la manière dont la masculinité est construite en tant que masculinité ».
14 Nous traduisons : « Sans aucun doute, les hommes noirs, jeunes et vieux, doivent être tenus politiquement responsables de leur sexisme ».
15 Qui réunit exclusivement des rappeuses femmes masculinisées.
16 Nous traduisons : Je suis comme ma maman / Je suis une fille.
17 Nous traduisons : Ma moto est une Honda / Argent liquide pour le jeu dans la rue.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-12735-2
- EAN : 9782406127352
- ISSN : 2261-1851
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12735-2.p.0319
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 18/05/2022
- Langue : Français
- Mots-clés : Drag kings, performance, gender, Afrique subsaharienne, libération