Note sur l’établissement du texte
- Publication type: Book chapter
- Book: Théâtre complet. Tome II. La Révolte, L’Évasion
- Pages: 35 to 39
- Collection: Nineteenth-Century Library, n° 84
note sur l’établissement du texte
La Révolte a été rédigée entre la fin de l’année 1868 et le milieu de l’année 1869, mais Villiers souhaitant lui donner une renommée auprès de la critique, il a d’abord choisi de la porter à la scène, avec l’appui d’Alexandre Dumas fils, comme en témoigne la très élogieuse dédicace de la version publiée. Cela a néanmoins pris un certain temps car, après d’infructueuses tentatives auprès du Théâtre du Gymnase, le texte a été soumis à la comédienne Anaïs Fargueil, qui allait devenir la première interprète du rôle féminin, puis au directeur du Théâtre du Vaudeville, qui a longtemps hésité à le monter, et ne s’y est résolu qu’au début de mai 1870.
Entre 1869 et 1870, le texte de la pièce a fait l’objet de copies manuscrites et de brochures imprimées pour les répétitions, qui ont circulé entre différentes mains, mais qui font aujourd’hui partie du fonds Rondel de la Bibliothèque Nationale de France (site Richelieu), de sorte qu’il reste des traces tangibles de son évolution jusqu’à l’édition originale, même si le tout premier manuscrit de la pièce a disparu, comme pour beaucoup d’autres œuvres de Villiers.
Le premier de ces documents, qui – on peut le supposer – est le plus proche de la première ébauche du drame, est l’œuvre d’un copiste. Il comporte des corrections de la main de l’auteur, et deux annonces sommaires supposant la perspective d’une publication : une dédicace à Alexandre Dumas, et une « page blanche pour Avertissement » (une préface, mais sans doute plus courte que celle qui a été publiée). L’information la plus précieuse concerne la didascalie, – « La scène à Paris, en 1869. » –, qui n’a pas été conservée, mais qui permet de dater ce document au début de cette même année.
Il existe encore, dans le fonds Rondel, trois exemplaires d’un texte identique1, qui proviennent des archives du Théâtre du Vaudeville, et 36qui ont dû être imprimés en février ou mars 1870, dans la perspective des répétitions de la pièce. Le volume qui a servi pour obtenir les visas officiels d’exploitation au théâtre2 porte la mention « Reçu au théâtre du Vaudeville, 20 avril 1870 », mais on peut supposer que la pièce a nécessairement été réceptionnée plus tôt, pour mener à bien les répétitions. Les deux autres exemplaires imprimés comportent des corrections et des ratures de l’auteur, et l’un d’eux contient trois feuilles manuscrites proposant autant de refontes du dénouement de la pièce. Sur ces brochures imprimées, figurent par ailleurs certains passages biffés qui pourraient correspondre aux coupures pratiquées dans le texte, lors des représentations de La Révolte au Théâtre du Vaudeville, comme s’en plaint l’auteur dans la préface.
Le fonds Rondel comporte enfin une seconde copie du texte, provenant d’une entreprise de copies dramatiques de la rue Mazagran, et comportant un nombre restreint de corrections de la part de Villiers. Dans cette copie, le dénouement de la pièce est identique à celui que propose le troisième feuillet manuscrit, placé dans l’exemplaire imprimé provenant des archives du Théâtre du Vaudeville. Il s’agit d’un état du texte se situant entre les brochures imprimées et l’édition originale, et qui est lui aussi daté de la même année 1870.
Si l’on en croit l’ensemble de ces documents, la première scène de la pièce semble avoir assez vite été conçue dans sa forme définitive, parce que les modifications restent minimales, sauf pour celles qui concernent la conversation sur les affaires financières du couple, et l’ajout de didascalies – très peu abondantes dans la première copie du texte. En revanche, les répliques d’Élisabeth sont l’objet d’une réécriture plus poétique, et de développements plus conséquents.
L’intérêt de ces documents tient plus particulièrement à la troisième et dernière scène, parce qu’ils contiennent des transformations plus décisives, sur le plan dramaturgique : ainsi, le monologue d’Élisabeth a, lui aussi, été remanié et étoffé, de manière à mettre en avant une parole lyrique, s’émancipant progressivement de valeurs ou de réactions bourgeoises ; enfin, l’existence d’au moins cinq versions de la fin de cette scène montre que Villiers a longtemps hésité quant à la manière de clore son drame. Les premières ébauches multiplient les 37diverses raisons du départ et du retour d’Élisabeth, et font état d’une contrition ou d’un sentiment de culpabilité, mais les suivantes montrent que l’auteur s’est peu à peu orienté vers un dénouement beaucoup plus ambigu, sinon ironique, en se gardant de tout jugement sur ses personnages. Toutes ces modifications ou variantes figurent dans les notes finales, après le texte de la pièce, de sorte qu’elles permettront au lecteur de prendre toute la mesure de ce qui se joue dans les choix successivement effectués.
Pour la publication de La Révolte, Villiers s’est adressé à Alphonse Lemerre, l’éditeur attitré des Parnassiens. L’« achevé d’imprimer » de cette édition originale date du 20 mai 1870 – seulement quinze jours après la première représentation au Théâtre du Vaudeville, ce qui suppose que le texte était déjà achevé –, mais cette date ne correspond en fait qu’au texte du drame, puisque la préface, qui sera insérée avant celui-ci dans cette publication, fait allusion à des articles parus par la suite dans la presse. C’est ce qui peut expliquer le laps de temps existant entre l’achevé d’imprimer et la mise en vente des livres3, qui n’a été annoncée dans le Journal de la librairie qu’à la date du 16 juillet 1870. Contrairement à ce qu’avait escompté l’auteur, la publication de La Révolte passa totalement inaperçue en raison de la guerre, déclarée à la même époque.
Il reste à signaler qu’il n’existe pas d’autres éditions de La Révolte datant du xixe siècle, mais que le texte de la pièce a toutefois paru dans la revue La Quinzaine4 du 20 mai 1877, avec quelques corrections minimales, qui figurent également dans les notes finales. Comme il a été dit, il s’agit de la dernière publication de cette revue, ce qui n’a pas davantage contribué à faire connaître la pièce, bien que celle-ci ait pourtant fait son chemin sur les scènes aux xxe et xxie siècles.
38Pour résumer, la version définitive de La Révolte a donc été conçue en une dizaine ou une douzaine de mois, pendant lesquels elle a été réécrite et remaniée, cela à huit reprises au moins, et parfois de façon radicale : il y a d’abord eu un premier manuscrit (ayant notamment servi aux lectures de l’auteur), suivi d’une première copie comportant d’importantes transformations, et d’exemplaires imprimés, eux-mêmes corrigés ; existent encore une seconde copie, de nouveau corrigée, et enfin les épreuves de l’éditeur5, comportant encore de nouvelles modifications. Ce que l’on retiendra, ce sont les multiples corrections et remaniements, et donc le fait que, comme le soulignent Alan Raitt et Pierre-Georges Castex, « La Révolte a […] été l’objet d’une attention minutieuse », si bien que la « perfection de son style et la justesse de ses analyses sont le résultat d’un travail soutenu et extrêmement consciencieux6 ». Il semble que l’auteur ait porté un intérêt tout particulier à ce simple drame en un acte, ce qui doit nous convaincre de son importance ou de sa valeur.
Jusqu’à présent, pour avoir accès au texte de Villiers, il fallait consulter le premier tome des Œuvres complètes, présentées et établies par Alan Raitt et Pierre-Georges Castex pour la Pléiade, et dans lesquelles la version du texte de La Révolte est celle qui a été publiée dans La Quinzaine (1877), ou bien les Œuvres complètes éditées par Marcel Longuet au Mercure de France. Il existe une édition plus récente de la pièce, établie, annotée et présentée par Bertrand Vibert, également citée, qui reproduit le texte de l’édition originale chez Alphonse Lemerre (1870). C’est cette édition que nous reprenons, qui comprend le texte de La Révolte précédé de sa préface, et qui témoignait de la volonté de l’auteur de faire de sa pièce un livre.
Nous précisons que l’orthographe et la ponctuation de ce texte sont conservées, et cela, qu’elles correspondent ou non aux usages de l’époque, parce qu’elles constituent l’une des particularités de l’écriture dramatique de Villiers. On citera, par exemple, la locution « très-sombre » qui correspond à la forme usuelle « très sombre », ou le terme « Norwége » employé pour « Norvège » ; mais on mentionnera également la très grande fréquence des points de suspension, d’exclamation et d’interrogation, ou encore tous les usages typographiques qui sont des traits d’époque 39partagés par tous les écrivains soucieux de haute littérature : le soulignement des mots par les guillemets, les italiques ou les capitales, ou encore la présence d’un tiret « ouvrant », non accompagné – comme le serait une phrase mise en incise – d’un second tiret « fermant ».
Pour la typographie, nous avons respecté le plus fidèlement possible l’édition originale, à l’exception des indications scéniques, pour lesquelles nous avons préféré l’usage de l’italique à celui d’un corps de lettre plus petit, par souci de clarté et conformément à l’usage moderne.
Dans cette édition, la préface de La Révolte fait l’objet de nombreuses notes de bas de pages, parce que cela permet de rendre compte du contexte de réception de la pièce, et d’éclairer le lecteur sur les nombreuses personnalités qui y sont convoquées. Le drame de Villiers est, quant à lui, accompagné d’un double système de notes : d’une part, des notes de bas de page, en chiffres arabes, pour les explications ou commentaires ; et d’autre part, des notes signalées par des chiffres romains, et proposant, après le texte de la pièce, les variantes témoignant des différents états du texte de la pièce, et des remaniements dont il a pu faire l’objet.
1 Ces documents ont été analysés par Émile Drougard, « La Révolte de Villiers : le texte original », Bulletin du bibliophile, novembre 1948.
2 Visa de la Commission d’examen, 22 avril 1870, celui du ministère des Beaux-Arts, 3 mai 1870, et du commissaire de police.
3 Il s’agit des brochures in-12 de 60 pages.
4 Comme l’indique Bertrand Vibert, « la revue était destinée à un public féminin élégant et cultivé ; elle se voulait “revue littéraire”, et coûtait un franc le numéro (alors que le texte de La Révolte chez Lemerre, tiré à 2000 exemplaires, fut mis en vente pour un franc cinquante). Elle accueillit également un poème de circonstance de Villiers, “Ave Mater victa”, et surtout [la nouvelle que constitue] “La Machine à gloire”, – ce qui fait trois textes (dont deux longs et important) pour quatre numéros. Le nom aristocratique de Villiers était-il de nature à séduire les lectrices de La Quinzaine ? Dans une revue dont la directrice signait Marie d’Ajac, La Révolte pouvait sans doute concilier les valeurs idéalistes de la noblesse et un certain “féminisme” aristocratique. Le drame de Villiers figure dans la dernière livraison recensée de la revue » (éd. citée, p. 8, n. 2).
5 Alan Raitt et Pierre-Georges Castex signalent qu’« un jeu d’épreuves corrigées de La Révolte figure dans le catalogue de la maison Blaizot en juin 1957 » (OCP, t. 1, p. 1158).
6 Ibid., p. 1158-1159.
- CLIL theme: 3440 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- XIXe siècle
- ISBN: 978-2-406-10715-6
- EAN: 9782406107156
- ISSN: 2258-8825
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-10715-6.p.0035
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 04-12-2021
- Language: French