[Introduction à la première partie]
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Une historiographie des origines du marché de l’art. Tableaux italiens du xvie siècle
- Pages : 43 à 44
- Collection : Histoire culturelle, n° 21
La question de l’influence de facteurs économiques sur la peinture en général et celle du Cinquecento en particulier fait partie du champ des recherches en histoire sociale de l’art, discipline qui a pris un essor considérable à partir des années 1970.
Toutefois les racines de notre sujet d’étude plongent relativement loin dans le passé – jusqu’au xixe siècle, avec notamment les réflexions de John Ruskin et Jacob Burckhardt. Avec ces deux précurseurs pour notre thématique, le xixe siècle a posé le principe de l’existence d’un lien entre peinture et conditions de production artistique (intellectuelles, sociales, voire matérielles). Mais la nature et les caractéristiques de ce lien ne sont pas encore étudiées en détail à l’époque. Il reviendra à deux savants d’une catégorie minoritaire – les sociologues non marxistes du tournant du xxe siècle que sont Thorstein Veblen (1857-1929) et Werner Sombart (1863-1941) – de formaliser une notion appelée à un large développement historiographique pour notre sujet : celle de consommation ostentatoire.
Ces quatre précurseurs (Ruskin, Burckhardt, Veblen et Sombart) lèguent un cadre de référence certes encore incomplet. Toutefois les notions qu’ils ont élaborées seront des clés pour les historiens qui étudieront dans la deuxième moitié du xxe siècle les comportements de consommation ostentatoire et les relations entre commanditaires et peintres.
Le chemin qui mène des précurseurs du tournant du xxe siècle aux spécialistes d’histoire sociale de l’art à partir des années 1970 n’a pas suivi une ligne droite. En premier lieu, l’approche marxiste de l’histoire de l’art, qui s’est développée significativement dans les années 1940 notamment avec les travaux notamment d’Antal, Klingender ou Hauser, ne pouvait que s’inscrire dans une tradition très distincte de celle de Sombart et Veblen. In fine, son apport historiographique pour notre sujet s’avère limité. En second lieu, la « thèse macroéconomique » de Sombart selon laquelle le luxe est à l’origine du capitalisme au xvie italien apparaît suspecte, voire probablement erronée aux yeux de l’analyse économique contemporaine.
Enfin, l’ouvrage fameux publié par Martin Wackernagel en 1938, qui porte sur l’environnement et les conditions de production des artistes à Florencedu début des années 1420 à la fin des années 1520, contient 44des intuitions sur la peinture italienne du début du xvie siècle qui constitueront une matière de travail pour de nombreuses études d’histoire de l’art ultérieures. Les idées qu’il avance sur la peinture du xvie siècle – la peinture comme luxe privé, les modalités de la commande artistique et le rôle des guildes quand naît un « marché » de la peinture – vont structurer l’histoire de l’art de la fin du xxe siècle sur notre sujet.
L’ensemble de cette partie aborde la peinture du xvie siècle sous un angle très global, qui est celui des analyses des historiens avant l’émergence de l’« histoire sociale de l’art » dans les années 1970. S’il peut paraître peu satisfaisant à des yeux contemporains en matière de lien avec les données empiriques, il n’en demeure pas moins que le cadre conceptuel qui a été légué aux historiens contemporains en la matière a une forte cohérence d’ensemble. Ce cadre influence toujours aujourd’hui, explicitement ou non, le travail de la recherche historique.