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Classiques Garnier

[Introduction à la première partie]

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La question de linfluence de facteurs économiques sur la peinture en général et celle du Cinquecento en particulier fait partie du champ des recherches en histoire sociale de lart, discipline qui a pris un essor considérable à partir des années 1970.

Toutefois les racines de notre sujet détude plongent relativement loin dans le passé – jusquau xixe siècle, avec notamment les réflexions de John Ruskin et Jacob Burckhardt. Avec ces deux précurseurs pour notre thématique, le xixe siècle a posé le principe de lexistence dun lien entre peinture et conditions de production artistique (intellectuelles, sociales, voire matérielles). Mais la nature et les caractéristiques de ce lien ne sont pas encore étudiées en détail à lépoque. Il reviendra à deux savants dune catégorie minoritaire – les sociologues non marxistes du tournant du xxe siècle que sont Thorstein Veblen (1857-1929) et Werner Sombart (1863-1941) – de formaliser une notion appelée à un large développement historiographique pour notre sujet : celle de consommation ostentatoire.

Ces quatre précurseurs (Ruskin, Burckhardt, Veblen et Sombart) lèguent un cadre de référence certes encore incomplet. Toutefois les notions quils ont élaborées seront des clés pour les historiens qui étudieront dans la deuxième moitié du xxe siècle les comportements de consommation ostentatoire et les relations entre commanditaires et peintres.

Le chemin qui mène des précurseurs du tournant du xxe siècle aux spécialistes dhistoire sociale de lart à partir des années 1970 na pas suivi une ligne droite. En premier lieu, lapproche marxiste de lhistoire de lart, qui sest développée significativement dans les années 1940 notamment avec les travaux notamment dAntal, Klingender ou Hauser, ne pouvait que sinscrire dans une tradition très distincte de celle de Sombart et Veblen. In fine, son apport historiographique pour notre sujet savère limité. En second lieu, la « thèse macroéconomique » de Sombart selon laquelle le luxe est à lorigine du capitalisme au xvie italien apparaît suspecte, voire probablement erronée aux yeux de lanalyse économique contemporaine.

Enfin, louvrage fameux publié par Martin Wackernagel en 1938, qui porte sur lenvironnement et les conditions de production des artistes à Florencedu début des années 1420 à la fin des années 1520, contient 44des intuitions sur la peinture italienne du début du xvie siècle qui constitueront une matière de travail pour de nombreuses études dhistoire de lart ultérieures. Les idées quil avance sur la peinture du xvie siècle – la peinture comme luxe privé, les modalités de la commande artistique et le rôle des guildes quand naît un « marché » de la peinture – vont structurer lhistoire de lart de la fin du xxe siècle sur notre sujet.

Lensemble de cette partie aborde la peinture du xvie siècle sous un angle très global, qui est celui des analyses des historiens avant lémergence de l« histoire sociale de lart » dans les années 1970. Sil peut paraître peu satisfaisant à des yeux contemporains en matière de lien avec les données empiriques, il nen demeure pas moins que le cadre conceptuel qui a été légué aux historiens contemporains en la matière a une forte cohérence densemble. Ce cadre influence toujours aujourdhui, explicitement ou non, le travail de la recherche historique.