[Introduction à la deuxième partie]
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Une historiographie des origines du marché de l’art. Tableaux italiens du xvie siècle
- Pages : 107 à 108
- Collection : Histoire culturelle, n° 21
La précédente partie évoquait un phénomène d’accumulation du capital dans l’Italie de la Renaissance. Quand les flux de population vers les villes augmentent progressivement moins vite comme c’est le cas au xvie siècle italien, l’économie décélère, l’industrie stagne, les taux d’intérêt baissent et les salaires accélèrent. Toutefois le capital accumulé au cours des précédentes décennies demeure, qui doit s’investir dans un contexte où les actifs industriels sont devenus moins rentables.
Au Cinquecento, les historiens de la fin du xxe siècle estiment ce capital accumulé a été employé en partie pour acheter un nombre croissant d’œuvres d’art en général et de peintures en particulier. Ils développent en ce sens, implicitement ou explicitement, des intuitions de Sombart et Wackernagel.
Par ailleurs, ils estiment que ce mouvement aurait été amplifié par une évolution du rapport des hommes aux objets, une inflexion des règles de l’usage légitime de la richesse et, au final, un nouvel ethos du luxe privé qui aurait émergé dans l’Italie du xvie siècle. C’est ce nouvel ethos de consommation que les historiens récents estiment constituer un facteur décisif qui a influencé la demande de peintures au Cinquecento1 en termes quantitatifs mais aussi, le cas échéant, formels.
Cette partie offre dans un premier temps une analyse historiographique des évolutions multiples de la demande de peintures au xvie siècle italien. Au-delà de l’histoire de l’art, l’étude emprunte ponctuellement à l’histoire des idées (et notamment de l’idée de luxe) car les historiens de l’art eux-mêmes y font référence dans leurs travaux. Elle trace les multiples pistes suivies par la recherche historique depuis une quarantaine d’années pour étudier ces évolutions de la peinture italienne au Cinquecento : influence des théories anthropologiques et de marketing, travaux statistiques à partir de données d’inventaires, gender studies…
Dans un deuxième temps, nous montrerons ce que l’analyse économique peut apporter à l’historien en termes de compréhension des comportements de consommation de peintures. Les analyses des historiens mettent en lumière des caractéristiques de demande que les 108économistes ont étudiées depuis les années 1950 sous l’appelation de facteurs de consommation extrinsèques. Ces facteurs de consommation ne sont pas liés aux caractéristiques du bien mais aux comportements des autres consommateurs. L’effet de mimétisme ou de mode apparaît quand l’utilité de consommer un bien augmente quand d’autres consomment pareillement du même bien (« j’achète ce bien parce que les autres l’achètent aussi »). L’effet de « snobisme » – sans connotation péjorative en économie – apparaît quand l’utilité de consommer un bien diminue lorsque d’autres consomment ce même bien (« j’achète ce bien précisément parce que les autres ne l’achètent pas ou ne peuvent pas l’acheter »).
Une piste de réflexion serait qu’une partie de la peinture du xvie siècle serait formellement maniériste en lien, notamment, avec un motif d’achat d’œuvre d’art relevant essentiellement de l’effet de snobisme au sens économique. Une analyse transdisciplinaire montre en effet la convergence sur ce point entre les éléments d’analyse économique avec les études historiques et notamment des écrits d’artistes.
Naturellement, il ne s’agit pas de prétendre que toutes les caractéristiques formelles de la peinture maniériste seraient causées par un motif d’achat de snobisme au sens économique.
En ce sens et de surcroît, nous montrons en quoi l’analyse économique de l’effet de mode peut fournir des pistes de recherches complémentaires pour les historiens de l’art s’intéressant à l’ethos de la demande privée de peintures au Cinquecento. Des effets de modes picturales peuvent concerner des parties spécifiques de la population. Des travaux d’analyse économique suggèrent ainsi que l’effet de mode serait le propre de consommateurs qui n’appartiennent pas à l’élite, qui ne sont pas les plus riches et qui souhaitent surtout signaler qu’ils ne font pas partie des pauvres. Nous montrons que ce résultat serait cohérent avec plusieurs travaux récents des historiens de l’art sur la peinture du Cinquecento. Des travaux complémentaires, notamment économétriques, demeurent nécessaires sur ce point et qui tireraient utilement profit des bases de données d’inventaires dressées par les historiens de l’art depuis une vingtaine d’années.
1 Cf. par exemple Goldthwaite (1987a), page 15.
- Thème CLIL : 3378 -- HISTOIRE -- Histoire générale et thématique
- ISBN : 978-2-406-15104-3
- EAN : 9782406151043
- ISSN : 2430-8250
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-15104-3.p.0107
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 04/10/2023
- Langue : Français