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Classiques Garnier

[Introduction à la deuxième partie]

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La précédente partie évoquait un phénomène daccumulation du capital dans lItalie de la Renaissance. Quand les flux de population vers les villes augmentent progressivement moins vite comme cest le cas au xvie siècle italien, léconomie décélère, lindustrie stagne, les taux dintérêt baissent et les salaires accélèrent. Toutefois le capital accumulé au cours des précédentes décennies demeure, qui doit sinvestir dans un contexte où les actifs industriels sont devenus moins rentables.

Au Cinquecento, les historiens de la fin du xxe siècle estiment ce capital accumulé a été employé en partie pour acheter un nombre croissant dœuvres dart en général et de peintures en particulier. Ils développent en ce sens, implicitement ou explicitement, des intuitions de Sombart et Wackernagel.

Par ailleurs, ils estiment que ce mouvement aurait été amplifié par une évolution du rapport des hommes aux objets, une inflexion des règles de lusage légitime de la richesse et, au final, un nouvel ethos du luxe privé qui aurait émergé dans lItalie du xvie siècle. Cest ce nouvel ethos de consommation que les historiens récents estiment constituer un facteur décisif qui a influencé la demande de peintures au Cinquecento1 en termes quantitatifs mais aussi, le cas échéant, formels.

Cette partie offre dans un premier temps une analyse historiographique des évolutions multiples de la demande de peintures au xvie siècle italien. Au-delà de lhistoire de lart, létude emprunte ponctuellement à lhistoire des idées (et notamment de lidée de luxe) car les historiens de lart eux-mêmes y font référence dans leurs travaux. Elle trace les multiples pistes suivies par la recherche historique depuis une quarantaine dannées pour étudier ces évolutions de la peinture italienne au Cinquecento : influence des théories anthropologiques et de marketing, travaux statistiques à partir de données dinventaires, gender studies

Dans un deuxième temps, nous montrerons ce que lanalyse économique peut apporter à lhistorien en termes de compréhension des comportements de consommation de peintures. Les analyses des historiens mettent en lumière des caractéristiques de demande que les 108économistes ont étudiées depuis les années 1950 sous lappelation de facteurs de consommation extrinsèques. Ces facteurs de consommation ne sont pas liés aux caractéristiques du bien mais aux comportements des autres consommateurs. Leffet de mimétisme ou de mode apparaît quand lutilité de consommer un bien augmente quand dautres consomment pareillement du même bien (« jachète ce bien parce que les autres lachètent aussi »). Leffet de « snobisme » – sans connotation péjorative en économie – apparaît quand lutilité de consommer un bien diminue lorsque dautres consomment ce même bien (« jachète ce bien précisément parce que les autres ne lachètent pas ou ne peuvent pas lacheter »).

Une piste de réflexion serait quune partie de la peinture du xvie siècle serait formellement maniériste en lien, notamment, avec un motif dachat dœuvre dart relevant essentiellement de leffet de snobisme au sens économique. Une analyse transdisciplinaire montre en effet la convergence sur ce point entre les éléments danalyse économique avec les études historiques et notamment des écrits dartistes.

Naturellement, il ne sagit pas de prétendre que toutes les caractéristiques formelles de la peinture maniériste seraient causées par un motif dachat de snobisme au sens économique.

En ce sens et de surcroît, nous montrons en quoi lanalyse économique de leffet de mode peut fournir des pistes de recherches complémentaires pour les historiens de lart sintéressant à lethos de la demande privée de peintures au Cinquecento. Des effets de modes picturales peuvent concerner des parties spécifiques de la population. Des travaux danalyse économique suggèrent ainsi que leffet de mode serait le propre de consommateurs qui nappartiennent pas à lélite, qui ne sont pas les plus riches et qui souhaitent surtout signaler quils ne font pas partie des pauvres. Nous montrons que ce résultat serait cohérent avec plusieurs travaux récents des historiens de lart sur la peinture du Cinquecento. Des travaux complémentaires, notamment économétriques, demeurent nécessaires sur ce point et qui tireraient utilement profit des bases de données dinventaires dressées par les historiens de lart depuis une vingtaine dannées.

1 Cf. par exemple Goldthwaite (1987a), page 15.