Les exploits d’Hercule dans quelques chroniques et histoires universelles latines
- Publication type: Book chapter
- Book: Trajectoires textuelles de l’Hercule médiéval. Mythographie, historiographie et au-delà
- Pages: 143 to 152
- Collection: Medieval Literary Research, n° 42
- Series: Ovidiana, n° 3
Les exploits d’Hercule
dans quelques chroniques
et histoires universelles latines
Si l’histoire universelle de Diodore de Sicile n’était pas parmi les textes qui ont servi de relais primaires entre l’Antiquité et le Moyen Âge, les sources qui ont fourni des matériaux pour l’histoire d’Hercule ne manquaient pas. Nous reviendrons à divers endroits aux modèles et sources antiques de grande importance pour l’historiographie médiévale, tels les Historiae adversum paganos d’Orose ou, dans un autre registre, le De excidio Troiae de Darès, qui ont tous les deux fourni des épisodes importants pour des compositions ultérieures impliquant Hercule. À ce stade, nous nous limiterons à regarder de plus près un texte – le Chronicon d’Eusèbe de Césarée tel qu’il a été traduit en latin vers la fin du ive siècle par saint Jérôme1 – pour évoquer ensuite quelques autres œuvres historiographiques qui en dérivent ou s’en inspirent. Ce choix repose d’un côté sur le fait que la traduction par Jérôme, survivant dans quelque cent quatre-vingt manuscrits dont les plus anciens remontent au ve siècle, est considérée comme l’œuvre fondatrice de la tradition des chroniques universelles médiévales et figure parmi les modèles les plus importants sur lesquels s’appuieront les historiographes tout au long de la période qui nous intéresse2. De l’autre, sa chronique est intéressante parce qu’elle évoque une série d’épisodes en rapport avec Hercule, situés dans des contextes variés. Une comparaison avec l’œuvre de Diodore permettra ainsi de relever des différences fondamentales – et de souligner les éléments qui seront caractéristiques de l’historiographie médiévale – mais aussi 144de déceler des échos intéressants, témoignant du fait que l’œuvre d’Eusèbe-Jérôme ne correspond pas à un point de rupture totale avec celles de ses prédécesseurs3.
La chronique d’Eusèbe-Jérôme
Contrairement à l’œuvre d’historiographie païenne de Diodore, la chronique d’Eusèbe-Jérôme relate l’histoire de l’humanité dans une optique chrétienne. Cette qualité ressort d’une autre caractéristique de l’œuvre, sa façon de situer chaque événement retenu sur une échelle chronologique qui s’oriente selon la naissance du Christ et qui calcule à rebours à partir de cette date l’âge du monde. Sur cette base, la chronique traduite par Jérôme traite des événements historiques des différents royaumes du monde depuis Abraham jusqu’à l’an 378 (époque contemporaine du traducteur), présentés chronologiquement et disposés visuellement dans des tableaux parallèles. Aussi, contrairement à l’histoire de Diodore, qui est rédigée sous la forme d’une narration développée, divisée en livres et chapitres, la chronique d’Eusèbe-Jérôme condense les données historiques dans des listes de notes concises. Sur un plan générique, notons que cette différence formelle matérialise la distinction entre historia et chronica, annoncée par Eusèbe, qui s’observera dans certaines œuvres historiographiques des siècles suivants4. À part l’optique et la forme différente, l’œuvre de Diodore et celle d’Eusèbe-Jérôme partagent néanmoins l’objectif de vouloir traiter de l’histoire du monde entier et de tous les peuples qui l’ont habité depuis l’aube de l’humanité. C’est ainsi que l’on voit réapparaître dans les deux textes des segments ou des catégories qui se correspondent, en ce qui 145concerne par exemple les Égyptiens, les Grecs (sous-divisés chez Eusèbe-Jérôme en Argiens, Athéniens, etc.), les Macédoniens et les Romains. On peut donc s’attendre aussi à retrouver, à l’intérieur de ces segments, un certain nombre de contenus parallèles.
Les chronologies d’Eusèbe-Jérôme nous font découvrir aussi, parmi bien d’autres contenus, quelques mentions d’Hercule. Tournons-nous vers ces dernières, en relevant des éléments qui continueront à marquer la présence du héros dans les histoires médiévales. Nous avons résumé ci-dessous les événements en question, avec les dates qui leur sont attribuées, d’après l’édition de la chronique établie par Rudolph Helm5.
Année av. J.-C. |
Évocations d ’ Hercule |
1574 |
Hercule le premier (Hercules primus) vainc Antée dans un combat de lutte. |
1511~1509 |
Hercule, surnommé Desinaus, est considéré comme important en Phénicie. |
1397 |
Hercule libère Thésée des enfers. (Thésée était descendu aux enfers avec Pirithoüs pour ravir Proserpine, mais, Pirithoüs ayant été dévoré par Cerbère, Thésée se trouvait alors en danger mortel.) |
1352 |
Époque où vivait Tityus, contemporain de Léto, mère d’Apollon ; ce dernier et Hercule servent Admète. |
1264 |
Linus, maître d’Hercule, est connu de tous. |
1261 |
Époque du Sphinx, d’Œdipe, et des Argonautes, dont furent Hercule, Asclépius, Castor et Pollux. |
1246 |
Hercule accomplit ses exploits, tue Antée et détruit Ilion. On dit qu’Antée était le fils de la terre parce qu’il excellait dans l’art de la lutte, qui se fait sur le sol, c’est pourquoi on disait qu’il était aidé par la terre, sa mère. Par ailleurs, l’hydre était, comme le confirme Platon, une sophiste ingénieuse. |
1212 |
Hercule institue les jeux olympiques, à partir desquels on compte 430 ans jusqu’à la première Olympiade. |
1200~1198 |
Hercule tue Antée en Libye. |
1196 |
Hercule, souffrant d’une maladie pernicieuse, se jette dans les flammes pour remédier aux douleurs. Il meurt ainsi à l’âge de 52 ans. Certains disent cependant qu’il a péri dans sa trentième année. |
Tout d’abord, on n’a pas ici une véritable « vie » d’Hercule. Il s’agit d’une série d’anecdotes6 courtes qui se trouvent éparpillées à travers des tableaux censés couvrir près de quatre cents ans7. En effet, en les considérant, on a bien l’impression d’avoir affaire à plusieurs personnages du nom d’Hercule qui ont vécu à différentes époques et à différents endroits. Les occurrences ne sont pas sans prêter à confusion : en l’année 1574 av. J.-C., un Hercules primus aurait vaincu Antée. Serait-ce le même qui, quelque soixante ans plus tard, était connu en Phénicie sous le nom d’Hercules Desinaus ? Et comment doit-on comprendre les anecdotes ultérieures qui surviennent plus de trois cents ans plus tard dans la chronologie, et qui évoquent à nouveau le combat contre Antée : Hercules consummat certamina, Antaeum interficit (en 1246 av. J.-C.) et Hercules in Libya occidit Antaeum (vers 1200 av. J.-C.)8 ? De tels dédoublements soulignent que l’incertitude autour des dates de vie d’Hercule et de sa provenance qui se reflétait chez Diodore, loin de s’être perdue, se réaffirme de façon encore plus nette dans cette chronique9. Elle perpétue en effet non seulement les incertitudes présentes dans la tradition précédente mais finit aussi par mettre en évidence les éléments contradictoires, parce qu’elle se limite aux coordonnées essentielles afin de situer les différents événements et personnages sur le fil de l’histoire. Les informations fournies dans l’anecdote sur la mort d’Hercule sont représentatives à cet égard : Hercules […] morte finitus est anno aetatis .lii. Quidam ante triginta annos eum perisse scribunt10. On s’imagine d’autres historiens, avant Eusèbe et Jérôme, qui ont donné leur propre avis sur le sujet – d’autant plus que ni cinquante-deux ni trente ans n’ont de sens 147selon l’échelle chronologique d’Eusèbe-Jérôme –, ce qui attirera l’attention de leurs successeurs sur les incertitudes en jeu.
Les contenus « mythologiques » des anecdotes se prêtent également à quelques observations intéressantes. Si l’on se souvient de notre esquisse initiale du mythe de l’Héraclès antique et de notre développement sur les douze travaux herculéens11, on constate que les exploits mentionnés par Eusèbe-Jérôme correspondent largement à des exploits « accessoires » du héros. Outre la lutte contre Antée, qui est mise en évidence par son évocation à trois reprises, on apprend notamment qu’Hercule a sauvé Thésée des enfers, qu’il faisait partie des Argonautes, qu’il a institué les jeux olympiques et qu’il a détruit la cité d’Ilion, à savoir Troie. Une allusion à l’ensemble des « travaux » se trouve peut-être dans l’anecdote Hercules consummat certamina (« Hercule a accompli ses exploits12 »). Si l’on suppose que les anecdotes herculéennes incluses dans le texte résultent d’une sélection opérée par le chroniqueur, c’est peut-être que les faits choisis sont des éléments qui servent à mettre Hercule en rapport avec d’autres personnages ou événements mentionnés au fil de la chronique. L’évocation d’Hercule en rapport avec Thésée pourrait être motivée par le fait que Thésée figure ailleurs dans la chronologie comme dixième roi d’Athènes13. L’anecdote à propos des jeux olympiques se justifie peut-être parce que le chroniqueur la met en relation avec la « première Olympiade » et, de manière générale, avec le décompte des années en Olympiades, élément auquel Jérôme renvoie à maintes reprises14. De même, la destruction d’Ilion par Hercule est peut-être évoquée parce qu’elle préfigure en quelque sorte la guerre de Troie à proprement parler – événement qui reçoit une place d’importance particulière dans la chronique d’Eusèbe-Jérôme. Comme Marc-René Jung l’avait observé, la prise de Troie est mise en avant dans les manuscrits de cette chronique : les mots Troia capta qui annoncent l’événement ne sont pas écrits à l’intérieur de l’une des colonnes de la chronologie parallèle, mais traversent ces colonnes en figurant au centre de la page dans les manuscrits et en introduisant de fait une coupure entre un avant et un après, qui concerne l’ensemble des nations15. Fait intéressant, la mention 148de la première Olympiade est en effet disposée elle aussi d’une façon à couper toutes les colonnes, rappelant ainsi la prise de Troie, car le texte spécifie à cet endroit : A captivitate Troiae usque ad olympiadem primam anni ccccv16. Les deux sont donc considérés comme des événements « tranchants » au sens littéral.
On peut également supposer que la compilation des éléments répond à un certain souci de vraisemblance de la part d’Eusèbe-Jérôme, comme il ressort entre autres dans la façon dont le chroniqueur traite de deux épisodes liés à Hercule qui paraissent peu compatibles avec la réalité historique : sa descente aux enfers pour sauver Thésée de Cerbère et sa rencontre avec l’hydre. Le premier des deux épisodes est dès le début démasqué en tant que fabula ; quant au second, le récit « fabuleux » impliquant le monstre serpentin aux multiples têtes est entièrement absent, remplacé par une interprétation reprise à Platon qui compare l’hydre à une femme sophiste habile à qui on ne peut couper une tête-argument sans qu’il n’en repousse aussitôt plusieurs autres à sa place17. Le fait que ces deux anecdotes impliquant des créatures fantastiques nécessitent comme une justification de la part du chroniqueur explique peut-être aussi l’absence d’autres « monstres » vaincus par Hercule et donnant corps à des exploits qui risquent d’être jugés indignes de figurer dans une chronique. Hercule n’est plus vu comme un demi-dieu qui a vaincu des créatures mythologiques ; c’est un homme – ou une série d’hommes – figurant dans la chronologie universelle parce qu’il(s) aurai(en)t accompli des faits qui ont influencé le cours de l’histoire. L’anecdote relatant la fin du héros qui se suicide à un moment déterminé de sa vie – sans aucune allusion à une transformation en constellation ou une apothéose – est révélatrice à cet égard. En fin de compte, Hercule n’est qu’un nom dans une longue série de noms d’hommes mortels qui interviennent dans l’histoire du monde.
149La postérité d’Eusèbe-Jérôme
La chronique d’Eusèbe-Jérôme est importante parce qu’elle a servi de modèle ou de source à de très nombreuses chroniques tout au long du Moyen Âge, qui ont pu, à leur tour, devenir des modèles pour leurs successeurs18. Les œuvres qui s’en inspireront reprendront souvent aussi une partie des anecdotes relatives à Hercule, en les intégrant dans leurs propres chronologies. Nous n’évoquerons ici que quelques textes latins qui transmettent, en suivant Eusèbe-Jérôme, une série d’éléments se rapportant à Hercule et dont l’impact sur l’historiographie médiévale est notoire.
Le Chronicon d’Isidore de Séville (viie siècle), qui condense encore plus drastiquement les événements, retient néanmoins plusieurs éléments à propos d’Hercule19. Contrairement à Eusèbe-Jérôme, Isidore n’use pas de tableaux parallèles afin de disposer ses informations, mais les intègre dans un seul fil narratif qui associe verbalement les événements qui se seraient passés en même temps au sein des différents « royaumes » du monde20. Les éléments d’histoire païenne grecque sont de cette façon directement situés par rapport aux éléments d’histoire biblique qui figuraient à la même hauteur des colonnes parallèles dans l’œuvre d’Eusèbe-Jérôme. Isidore recourt par ailleurs à une division macro-structurelle explicite de l’histoire en « six âges », s’inspirant d’un modèle proposé par saint Augustin21. À l’intérieur de cette grille structurelle, les mentions d’Hercule se situent au « troisième âge », allant d’Abraham à David, s’orientant, à l’intérieur de cet âge, selon les périodes de gouvernement des différents Juges d’Israël. On apprend ainsi, par exemple, qu’Hercule a fondé les jeux olympiques à l’époque à laquelle gouvernait le juge Jaïr, ou encore qu’il est mort à l’époque du juge Jephté22. Citons en guise d’exemple le passage concis qui relate à quel moment de l’histoire s’est éteint le héros23 :
150Iepte, ann [ os ] VI .
Huius tempore Hercules quinquagesimum secundum annum agens ob morbi dolorem sese flammis injecit.
Per idem tempus Alexander Helenam rapuit Trojanumque bellum decennale surrexit.
Jephté (gouverna) pendant six ans.
Dans ce temps-là, Hercule, vivant dans sa cinquante-deuxième année, se jeta dans les flammes à cause de la douleur provoquée par une maladie.
Dans ce même temps, Alexandre ravit Hélène, et la guerre décennale de Troie éclata.
Voilà une suite d’« entrées » typiques dans cette chronique, regroupant les événements considérés comme importants qui se sont passés pendant un règne particulier. La condensation des informations mène à une association plus étroite entre les différents éléments qui se seraient passés approximativement en même temps. À part la contemporanéité du héros avec certains juges bibliques, il se trouve ici encore plus explicitement associé à l’époque de la guerre de Troie.
Le modèle des six âges du monde ainsi que les anecdotes à propos d’Hercule au troisième âge du monde, de même que la proximité de la guerre de Troie, seront repris dans d’autres chroniques encore, comme celle de Bède le Vénérable (viie/viiie siècle) ou encore le Chronicon in aetates sex divisum d’Adon de Vienne (ixe siècle)24. Au xiie siècle, les données herculéennes récupérées chez Eusèbe-Jérôme ont été reprises en grande partie dans une autre œuvre qui incorpore des anecdotes d’histoire païenne dans un cadre orienté principalement selon l’histoire biblique et qui a connu une vaste diffusion. Il s’agit de l’Historia scholastica de Pierre le Mangeur, rédigée vers 1160 et transmise dans plus de 800 manuscrits, influençant également des histoires en langue vernaculaire25. Comme 151l’a observé Bernard Guenée, le titre sous lequel est connue cette histoire souligne son importance comme ouvrage de référence dans les écoles médiévales26. L’œuvre se présente comme un abrégé de l’histoire sainte inséré dans le cadre d’une histoire universelle. Pour revenir à la terminologie générique évoquée plus haut, l’œuvre de Pierre le Mangeur est bien une « histoire » et non une « chronique »au sens traditionnel, puisqu’elle relate des événements dans le cadre d’une narration plutôt que de les inventorier dans des chronologies de notices succinctes. Cette histoire suit globalement l’ordre des livres de la Bible, maisreprend bon nombre d’anecdotes d’histoire païenne aux chroniques existantes.
Les événements en lien avec Hercule mentionnés par Pierre le Mangeur sont en grande partie rangés dans des segments rubriqués incidentia, placés après certains chapitres se rapportant à l’histoire biblique. Ces segments réunissent des remarques concernant des événements qui auraient eu lieu à la même époque que les éléments d’histoire biblique situés au premier plan. Les éléments en question sont largement repris aux chroniques précédentes27 et sont nombreux dans les parties du texte relatant l’histoire du livre des Juges. Ainsi, parmi les incidentia suivant le chapitre « De Thola duce Israel », on lit que eo tempore Hercules Antheum vicit in palaestra, et Illum[sic]vastavit, et, après le chapitre parlant, entre autres, du juge Jephté, on apprend que eo tempore Hercules flammis se injecit28. Pour citer Jean Seznec à propos de l’œuvre en général, « le parallélisme des deux histoires, sacrée et profane, est présenté avec une étrange rigueur29 ». Le fait même qu’une histoire biblique choisisse d’intégrer les éléments en question semble témoigner du fait que les anecdotes païennes, telles qu’elles étaient diffusées par les chroniques, ont dû être considérées comme faisant partie intégrante de l’histoire et, ainsi, comme indispensables pour l’historiographie. On retrouve aussi, par ailleurs, des reflets des dédoublements dont témoignait la chronique d’Eusèbe-Jérôme et qui remontaient à l’historiographie grecque antérieure : comme chez Jérôme, la victoire d’Hercule sur Antée 152est premièrement évoquée à un moment de l’histoire qui précède de loin l’époque des Juges, où se situent la plupart des autres mentions d’Hercule. Dans le livre II de l’Historia scholastica qui relate l’histoire correspondant au Livre de l’Exode, le chapitre De diebus aegyptiacis intègre un renvoi qui situe l’événement circa tempora Moysi : et sub eo[= Moïse]Hercules Antheum vicit30. On observera que cette dernière mention n’est pas traitée d’incidentium. Ce premier Hercule est donc considéré comme faisant partie intégrante de l’histoire biblique, ce qui ne rend pas moins déroutante sa reprise plus loin dans le Livre des Juges.
On voit donc que si le mode de présentation change (chronologies parallèles, abrégé chronologique unique, histoire narrée), et si les différentes œuvres ne retiennent pas toutes les mêmes anecdotes, une sélection d’éléments herculéens ainsi que les contextes historico-géographiques grossiers auxquels ils se trouvent associés se maintiennent depuis le modèle mis en place par Eusèbe-Jérôme. Les coordonnées chronologiques de la vie du héros ainsi que certains noyaux narratifs se retrouvent décidément peu changés dans un texte comme l’Historia biblique de Pierre le Mangeur, qui a connu une circulation ample durant l’époque où les premières histoires vernaculaires ont été composées. Les « coordonnées de base » mises en place dans cette tradition précédente, ainsi que l’idée générale de faire alterner ou, au moins, de mettre en rapport histoire biblique et histoire païenne, se perpétueront dans certaines des chroniques en langue vernaculaire que nous examinerons dans la suite.
1 La version originale grecque de l’œuvre est perdue. Elle survit par ailleurs dans une traduction arménienne.
2 À propos des témoins de l’œuvre, cf. B. Lambert, Bibliotheca Hieronymiana manuscripta. La tradition manuscrite des œuvres de saint Jérôme, t. 2, Steenbrugge, Abbaye St. Pierre, 1969, p. 33-42. L’édition de référence du texte reste celle de R. Helm, Die Chronik des Hieronymus / Hieronymi Chronicon, Berlin, Akademie-Verlag, 1956, réimpr. De Gruyter 2012.
3 Il est intéressant de noter d’ailleurs que Jérôme mentionne le nom de Diodore de Sicile comme historiographe grec dans son œuvre, sous l’année correspondant à 49 av. J.-C. (cf.ibid., p. 155)
4 Voir à ce propos la contribution succincte de B. Guenée, « Histoire et Chronique. Nouvelles réflexions sur les genres historiques au Moyen Âge », La chronique et l’histoire au Moyen Âge. Colloque des 24 et 25 mai 1982, éd. D. Poirion, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 1984, p. 3-12. La contribution reprend et actualise la discussion autour des différents genres (auxquelles on ajoutera les annales) menée par B, Guenée dans Histoire et culture historique dans l’Occident médiéval, Paris, Aubier Montaigne, 1980, p. 203-211. Au sujet de la chronique de Jérôme comme œuvre fondatrice, voir M. Chazan, « La Chronique de Jérôme : source, modèle ou autorité ? », Apprendre, produire, se conduire : le modèle au Moyen Âge. XLVe Congrès de la SHMESP (Nancy-Metz, 22 mai-25 mai 2014), Paris, Publications de la Sorbonne, 2019, en ligne : <http://books.openedition.org/psorbonne/27027>
5 Die Chronik des Hieronymus, éd. Helm, op. cit. Les différentes anecdotes sur Hercule retenues se trouvent aux p. 40b, 43b, 49b, 56b, 57b, 59b 60b.
6 Nous employons ici et ailleurs le terme d’anecdote dans le sens d’un « petit fait historique survenu à un moment précis de l’existence d’un être, en marge des événements dominants et pour cette raison souvent peu connu », premier sens du terme en question donné par le TLFi sous « anecdote », en ligne : https://www.cnrtl.fr/definition/anecdote). De ce fait nous ne l’utilisons pas en supposant nécessairement une dimension divertissante ou exemplaire du court récit impliqué. À propos de la place de ce dernier type d’anecdotes dans l’historiographie, voir par exemple, P. Courroux, L’Écriture de l’histoire dans les chroniques françaises (xiie-xve siècle), Paris, Classiques Garnier, 2016, p. 704-717.
7 On constate néanmoins qu’il y a une accumulation de différents éléments dans la période correspondant aux années 1260 à environ 1190 av. J.-C., qui pourraient constituer les coordonnées d’une vie du personnage.
8 Die Chronik des Hieronymus, éd. Helm, op. cit., p. 57b et 59b, respectivement.
9 Pour relever un parallèle intéressant, chez Diodore aussi, la victoire d’Hercule sur Antée est mentionnée à trois reprises : une fois au livre I en rapport avec l’histoire d’Égypte (ce serait le Hercules primus suivant Eusèbe-Jérôme), puis deux fois à l’intérieur de la portion du livre IV consacrée à la vie d’Héraclès. Voir supra, p. 43, n. 40 à propos des deux occurrences au livre IV. Celle au livre I identifie Antée comme contemporain d’Osiris qui aurait été puni par Héraclès (cf. l’éd. Oldfather, op. cit., livre I, chap. 21, 4).
10 Die Chronik des Hieronymus, éd. Helm, op. cit., p. 60b.
11 Cf. supra, p. 33-50 et 56 sqq.
12 Die Chronik des Hieronymus, éd. Helm, op. cit., p. 57b.
13 Atheniensium X. Theseus, ann. .XXX. (1235-1205 av. J-C.) (ibid., p. 57b-59b).
14 Voir p. 148, n. 16 infra. Eusèbe-Jérôme évoquent le décompte des années en Olympiades dans la partie introductive à la chronique. (cf. p. 11 sqq. de l’éd. Helm, op. cit.).
15 Jung, Die Vermittlung historischen Wissens zum Trojanerkrieg im Mittelalter,Berlin, De Gruyter, 2001, p. 13.
16 Die Chronik des Hieronymus, éd. Helm, op. cit., p. 86a. De même, juste au-dessous de l’indication Troia capta, on trouve l’indice A captivitate Troiae usque ad primum olympiadem fiunt anni .ccccvi. (p. 60a).
17 Voir à propos de l’exemple chez Platon, E. Jouët-Pastré, « Chapitre ii. Le mythe platonicien lieu de l’imagination rationnelle », La mythologie de l’Antiquité à la modernité : Appropriation-Adaptation-Détournement,éd. C. Bonnet, C. Noacco et J.-P. Aygon, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009, édition en ligne : http://books.openedition.org/pur/39583. (dernière consultation : 27-08-2022). De manière intéressante, non seulement le récit mythologique, mais aussi la majeure partie de l’interprétation sous-jacente – c’est par son ingéniosité qu’Hercule aurait su se mesurer contre cette hydre sophiste, pullulante d’arguments fallacieux – sont absents dans la chronique. Si l’omission de ces informations est voulue (et non, par exemple, liée à la transmission des données), c’est vraisemblablement un indice que le récit en question était très connu.
18 Cf. encore M. Chazan, « La Chronique de Jérôme : source, modèle ou autorité ? », Apprendre, produire, se conduire : le modèle au Moyen Âge, art. cité.
19 Cf. Isidorus Hispalensis Chronica, éd. J. C. Martín, Turnhout, Brepols, 2003.
20 Cf. l’article de P. M. Bassett, « The Use of History in the Chronicon of Isidore of Seville », History and Theory, 15, 1976, p. 279 sqq.
21 Voir Guenée, Histoire et culture historique dans l’Occident médiéval, op. cit., p. 149 sqq. à propos des modèles de découpage de l’histoire universelle. Il faut souligner que les chroniqueurs médiévaux adaptent le concept des « six âges » sans qu’ils reprennent nécessairement un découpage identique à celui d’Augustin.
22 Isidorus Hispalensis Chronica, éd. Martín, op. cit., p. 51-52, l. 86-90.
23 Ibid., l. 89-91.
24 Bède incorpore une Chronica minora dans son traité De temporum ratione (cf. chap. 66), édité par C. W. Jones : Beda Venerabilis, Opera didascalia. 2. De temporum ratione, éd. C. W. Jones, Turnhout, Brepols, 1997. La chronique d’Adon de Vienne a été publiée par J.-P. Migne dans la Patrologia Latina, 123, 1852, col. 23-138, voir aetas tertia aux col. 33-42 (évocations d’Hercule dans la col. 37).
25 Il n’y a à ce jour aucune édition moderne intégrale de l’HistoriaScholastica. Le texte publié par J.-P. Migne, Patrologia Latina, 198, col. 1053-1722, reproduit l’édition de 1699 par Emanuel Navarrus, comme le souligne A. Sylwan, « Petrus Comestor, Historia Scholastica : une nouvelle édition », Sacris erudiri, 39, 2000, p. 350. Sylwan prépare actuellement une édition de l’œuvre, dont vient de paraître le premier volume (comprenant le livre de la Genèse), Petri Comestoris Scolastica historia. Liber Genesis, éd. A. Slyvan, Turnhout, Brepols, 2005. Un second projet d’édition, suivant d’autres principes que celui de Sylwan, est également en cours par M. J. Clark, « How to edit the Historia Scholastica of Peter Comestor ? », Revue bénédictine, 116:1, 2006, p. 83-91. Compte tenu du fait que la plupart des anecdotes sur Hercule se retrouvent non pas dans la partie sur la Genèse, mais dans le livre des Juges notamment, nous renverrons ici au texte reproduit dans la Patrologia, tout en soulignant que l’état de celui-ci n’est pas toujours fiable. Une étude plus poussée des anecdotes herculéennes suivant des témoignages manuscrits du texte pourrait apporter de nouveaux aperçus.
26 Guenée, Histoire et culture historique dans l’Occident médiéval, op. cit., p. 32-33.
27 M.-R. Jung, « L’histoire grecque : Darès et les suites », Entre fiction et histoire : Troie et Rome au moyen âge, op. cit., p. 187.
28 Pierre le Mangeur, Historia Scholastica, éd. Migne, op. cit., col. 1283, pour le chap. 10. « De Thola duce Israel », ainsi que des Incidentia qui le suivent.
29 La survivance des dieux antiques, op. cit., p. 26.
30 Pierre le Mangeur, Historia Scholastica, éd. Migne, op. cit., col. 1153B.
- CLIL theme: 3438 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moyen Age
- ISBN: 978-2-406-15464-8
- EAN: 9782406154648
- ISSN: 2261-0367
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-15464-8.p.0143
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 01-24-2024
- Language: French