La transmission du savoir antique sur Hercule vers le Moyen Âge
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Trajectoires textuelles de l’Hercule médiéval. Mythographie, historiographie et au-delà
- Pages : 51 à 136
- Collection : Recherches littéraires médiévales, n° 42
- Série : Ovidiana, n° 3
La transmission du savoir antique
sur Hercule vers le Moyen Âge
Observations générales
Le mythe du héros qui ressort des textes de Diodore et d’Apollodore est un mythe imprégné d’ambiguïtés et d’incertitudes. C’est pourquoi nous avons choisi cette porte d’entrée pour accéder à la question du personnage d’Hercule : l’Hercule médiéval n’est pas polymorphe parce qu’il aurait perdu une forme d’une unité originelle ; l’Hercule des Grecs est aussi fragmentaire et contradictoire que l’Hercule des peuples romans. La seconde observation que permet de faire le retour sur le corpus grec est celle de la sélectivité d’une tradition. L’Hercule des Romains se construit certes à partir de l’Héraclès grec, mais de manière anarchique au gré d’une tradition qui retient ou rejette ce que bon lui semble. Le passage de l’Hercule romain à l’Hercule roman se fera de la même manière, mais il est possible – et indispensable – d’en dégager les principaux relais. C’est l’objectif de cette partie.
Le mythe mis en place par Diodore et Apollodore n’a donc pas été transmis tel quel, par voie directe, au Moyen Âge. On doit en effet partir du constat, comme l’a déjà souligné Marc-René Jung, que ce savoir grec n’était pas disponible, de façon continue et complète, pendant la plus grande partie du Moyen Âge1. L’œuvre de Diodore n’entrera en jeu que vers l’extrême fin de l’époque médiévale à travers la traduction latine des cinq premiers livres par Poggio Bracciolini, publiée en 1472 à Bologne, qui influencera des textes tardifs comme le Recoeil des Histoires de Troyes de Raoul le Fèvre2 ou l’anonyme compilation d’histoire universelle du dernier quart du xve siècle dite parfois « quatrième 52rédaction » de l’Histoire ancienne jusqu’à César3,transmettant tous les deux une vie du héros. Le texte d’Apollodore n’a laissé de traces directes dans aucun texte de notre corpus. La tradition manuscrite subsistante trouve son origine dans l’empire byzantin au xive siècle, les traces n’en apparaissent en Occident qu’au xvie siècle4. Le fait que des éléments du mythe d’Hercule ne sont pas absents des textes antérieurs à cette période s’explique, bien sûr, par leur transmission à travers des textes latins. Or, c’est justement de la manière dont des éléments individuels ont été diffusés par ces derniers textes qu’émerge la véritable complexité de la matière herculéenne au Moyen Âge.
Pour s’en faire une première idée, on peut considérer les sources indiquées par Pierre Grimal dans les pages de son Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine dédiées à Héraclès5. Les considérations précédentes nous permettent tout d’abord de reléguer aux marges de notre propos les textes non seulement de Diodore et d’Apollodore, mais aussi de toute une série d’autres auteurs grecs6. Quant aux autorités latines citées par Grimal, on retrouve des noms comme Virgile, Ovide, Sénèque, Plaute, Stace, Lucain, Pline, Solin, Lucrèce, Martial et Macrobe, Hygin et Servius, de même que des mentions de gloses sur les œuvres de Stace et de Lucain. Les sources auxquelles ils renvoient sont de nature très diverse : ce sont des épopées, des pièces de théâtre, des œuvres historiographiques et encyclopédiques, des textes philosophiques, des traités de mythographie et des commentaires. Chacune d’entre elles a connu un schéma de diffusion et d’influence qui lui est propre. Cette 53considération est importante, par exemple, pour ce qui concerne les Fabulae d’Hygin, une des sources les plus souvent citées par Grimal (à une vingtaine de reprises) et en rapport avec toutes les grandes étapes de la vie d’Hercule. La transmission du traité mythographique d’Hygin soulève en effet certaines difficultés : on ne le connaît qu’à travers des fragments épars du haut Moyen Âge, ce qui suggère que les Fabulae n’ont peut-être guère circulé durant l’époque qui nous intéresse7. En d’autres termes, certains textes qui véhiculent des informations intéressantes en rapport avec Hercule n’ont eu qu’un impact limité au Moyen Âge8. L’accessibilité et les aires de diffusion des sources individuelles est un premier facteur dynamique qui façonne la réception du mythe, ou des mythesd’Hercule.
Il convient peut-être en effet mieux de parler de mythes d’Hercule au pluriel dans ce contexte, car aucune des sources latines connues à ce jour qui ont laissé des traces au Moyen Âge ne relate le mythe d’Hercule dans son intégralité. Chacune en transmet plutôt des « bribes », et parfois des séries de telles bribes, qui peuvent être plus ou moins développées dans les différentes œuvres. Ainsi, l’Amphitryon de Plaute tourne entièrement et uniquement autour de la conception du héros. L’Hercules furens de Sénèque se concentre sur l’épisode de la folie du héros pendant laquelle il tue ses enfants et – dans cette version du récit, qui est différente de celle que donnent les Bibliothèques grecques – également sa femme Mégara. L’autre grande tragédie herculéenne attribuée à Sénèque, l’Hercules oetaeus, se concentre sur la mort et l’apothéose du héros qui s’immole sur le mont Œta. Dans les Métamorphoses, on rencontre Hercule notamment au début du livre IX, où est relatée une suite consécutive 54d’événements qui va de sa lutte contre Achéloüs pour gagner la main de Déjanire jusqu’à la fin de sa vie9. Les éléments concernant Hercule sont plus circonscrits dans l’Énéide virgilienne, dont le livre VIII comporte l’histoire de la victoire du héros sur le brigand Cacus, ce qui lui a valu la dédicace de l’Ara maxima et un culte local, suivi d’un hymne à ses exploits10. De nombreuses informations supplémentaires sur Hercule sont toutefois éparpillées à travers le commentaire de Servius qui accompagne le texte de Virgile dans un grand nombre de manuscrits et qui est reconnu par la critique comme une source d’importance capitale pour le savoir mythographique pendant l’époque médiévale. En d’autres termes, le mythe d’Hercule a été transmis sous forme éclatée, ses différentes composantes se retrouvant à divers endroits et souvent sous différentes formes. C’est un deuxième facteur essentiel qui définit la diffusion médiévale du mythe d’Hercule.
Aux textes retenus par Grimal s’en ajoutent d’autres qui ont vu le jour durant l’Antiquité tardive et le Moyen Âge. Il n’existe pas de dictionnaire qui permettrait de nous donner une idée globale de la présence d’Hercule dans les textes tardo-antiques et médiévaux. On peut tenter de se faire une idée approximative de ses occurrences dans des textes latins en cherchant le nom Hercules (dans ses différentes inflexions) dans la base de données du Corpus corporum de l’Université de Zurich11. Une telle recherche livre plus de 1500 résultats dans des dizaines d’œuvres différentes. On y trouve – pour ne nommer que quelques œuvres dont on a aujourd’hui encore plusieurs centaines de témoins – la Consolatio Philosophiae de Boèce, les Étymologies d’Isidore de Séville, l’Alexandreis de Gautier de Châtillon, l’Historia scholastica de Pierre le Mangeur, le Speculum maius de Vincent de Beauvais, le De Excidio Troiae de Darès et l’Historia destructionis Troiae de Guido delle Colonne. Le nombre de résultats augmenterait davantage si l’on prenait en compte les textes inédits, les données paratextuelles – gloses et commentaires – qui accompagnent les différents textes dans leurs manuscrits, de même que les adaptations de ces derniers en différentes langues vernaculaires qui ont paru au fil des siècles. Citons deux cas de figure illustratifs :
55–les Métamorphoses d’Ovide, qui constituent l’une des plus riches sources de données mythologiques sur Hercule parmi les textes latins classiques, survivent dans près de 500 manuscrits12. Dans ces témoins, le texte d’Ovide est souvent glosé, voire accompagné de véritables commentaires, qui expliquent et interprètent les vers du poète latin. En outre, des commentaires et traités mythographiques qui s’appuient sur le texte ovidien mais qui sont transmis sous forme détachée de ce dernier survivent dans plus de manuscrits encore, très peu étudiés dans leur ensemble13. La vaste adaptation du texte en octosyllabes français, l’Ovide moralisé, survit à son tour dans vingt-et-un manuscrits14.
–la Consolatio Philosophiae de Boèce (vie siècle), qui consacre un segment compact de 23 vers aux exploits d’Hercule, présentés comme reflet des tribulations morales que doit surmonter l’homme vertueux15, a connu une vaste diffusion à travers tout le Moyen Âge. L’œuvre survit dans près de 900 manuscrits, et a fait l’objet d’une riche tradition de commentaires à partir du haut Moyen Âge16 et d’une douzaine de traductions connues en français17.
56Tous ces textes, parmi bien d’autres, ont contribué à transmettre au Moyen Âge des éléments de savoir sur Hercule, susceptibles d’être intégrés à leur tour dans des compositions postérieures, où elles ont pu être compilées, développées, interprétées, adaptées et traduites.
Il est nécessaire de garder ces réflexions à l’esprit pour comprendre l’évolution du personnage. Chaque fragment de savoir herculéen, même s’il est d’apparence insignifiante, est susceptible d’avoir laissé son empreinte au fil d’une tradition et de nous livrer des indices pour comprendre certaines particularités frappantes de l’Hercule qu’on rencontre dans les textes du Moyen Âge. Dans la suite, nous allons tenter d’approfondir cette question en examinant le devenir d’un thème particulièrement renommé, les douze travaux du héros.
Les douze travaux
Problèmes d’identification
Les douze travaux qu’Hercule aurait accomplis sur les ordres du roi Eurysthée sont une des thématiques les mieux connues et les plus emblématiques que nous associons au héros antique18. Ils constituent aussi ce que l’on considère souvent comme le « noyau dur » de son mythe19. Des témoignages du cycle des douze travaux, appelé aussi dodécathlos, apparaissent en effet déjà bien avant les textes de Diodore et d’Apollodore évoqués précédemment, puisque les mêmes douze exploits mentionnés par les deux auteurs grecs ornent les métopes du temple de Zeus à Olympie, construit au ve siècle av. J.-C20. La place privilégiée qui est accordée aux travaux dans ce contexte iconographique et le rôle 57d’Héraclès, célébré déjà à cette époque précoce comme héros populaire et comme fondateur des jeux olympiques, a pu, comme l’ont suggéré plusieurs chercheurs, influencer la diffusion de la thématique et sa « canonisation » dans les textes21. Malgré leur statut a priori traditionnel, les douze travaux d’Hercule connaissent une variation marquée dans les textes concrets, dès l’Antiquité et, à plus forte raison, au Moyen Âge. Ils constituent ainsi un exemple particulièrement efficace pour illustrer la variation qui régit l’évolution du mythe et celle de ses composantes, de même que les difficultés liées à l’étude des trajectoires de ce thème.
Afin d’aborder ce vaste sujet de façon ordonnée, on commencera par une citation d’Erwin Panofsky tiréede son célèbre Hercules am Scheidewege22 :
Der kanonische Dodekathlos des Altertums scheint für das Mittelalter ziemlich bedeutungslos geworden zu sein ; ja nicht einmal die Zwölfzahl als solche wird von den mittelalterlichen Mythographen erwähnt : der Mythographus III nennt ohne Zahlangabe 10 Herculestaten, Berchorius folgt lediglich den Erwähnungen im 9. Buch der Metamorphosen, Boccaccio (Geneal. Deor. XIII, 1) zählt nicht ohne Stolz 31. Demgegenüber hatte aber Boethius in einem berühmten Gedicht seines oft kommentierten Hauptwerks (Consol. Philos. IV, Metrum 7) einen Zwölftatenzyklus verherrlicht, der sowohl in der Reihenfolge als in der Auswahl der Taten von dem kanonischen abweicht. Und dieser, dem Bedürfnis nach zahlenmäßiger Abrundung entgegenkommende « Boethius-Zyklus » hat nun im späteren Mittelalter große Bedeutung gewonnen.
Pour résumer, l’ancien « canon » aurait perdu son importance, diverses autres séries de travaux se seraient mises en place, et un nouveau cycle de douze, celui mentionné par Boèce dans sa Consolatio Philosophiae, se serait établi, laissant des traces notamment dans des témoignages vers la fin de l’époque médiévale. L’historien de l’art qui s’intéressait primairement à l’iconographie de l’époque renaissante n’est pas entré dans le détail sur les différents témoignages médiévaux lorsqu’il faisait remarquer que le dodécathlos semble avoir été « assez insignifiant » pendant la période en question. Il nous paraît intéressant cependant d’essayer d’étudier de plus près si, pourquoi et comment les douze travaux « originels » ont perdu leur importance et de regarder de plus près leur destin au Moyen Âge.
Pour cela, il faut naturellement juger d’abord la présence et la variation inhérente au dodécathlos « canonique » dans les textes antiques ainsi 58que les traces qui en subsistent au Moyen Âge. C’est seulement après avoir une connaissance, même grossière, des listes éclectiques d’exploits herculéens chez les auctoritates latines et du traitement des exploits d’Hercule par la tradition « grammaticale » tardo-antique, à l’exemple du commentaire de Servius sur l’Énéide, qu’on pourra comprendre les « Mythographes du Vatican » et suivre leurs cheminements par le prisme de la tradition des commentaires médiévaux. C’est ce qu’on se propose de faire, après d’autres, dans les pages qui suivent. Notre éclairage sera peut-être quelque peu différent puisque nous exploiterons des paratextes largement inédits des Métamorphoses et, en particulier, les gloses portant sur le catalogue d’exploits herculéens qu’Ovide donne au livre IX de son œuvre. Les phénomènes de variation et les tendances d’évolution décrites au fur et à mesure nous permettront de mieux comprendre la raison d’être de certaines versions « hybrides » a priori inattendues à propos de quelques exploits individuels. Ainsi, nous en tirerons aussi une représentation de leur survivance dans des contextes extérieurs à la mythographie médiévale.
Trajectoires
du dodécathlos « traditionnel23 »
Y avait-il dans les textes de l’Antiquité un cycle canonique de douze travaux qui a pu être transmis tel quel au Moyen Âge ? Plutôt que d’affirmer ou de nier simplement cette question, portons notre regard sur les différents témoignages textuels, en prêtant attention à la variance.
Les Bibliothèques de Diodore et d’Apollodore
Pour cela, il est nécessaire de reprendre très brièvement Diodore et Apollodore, les deux témoins qui nous ont servi de point de départ pour notre résumé du mythe d’Héraclès, tout en rappelant que l’on peut largement exclure l’influence directe de ces textes grecs sur le Moyen Âge24. 59Comme nous l’avons noté précédemment, Diodore et Apollodore évoquent tous deux les douze travaux, mais leurs versions ne sont pas entièrement identiques. Chez Apollodore, en effet, le nombre même des travaux soulève des doutes : du fait que les deux derniers sont présentés comme une conséquence du refus d’Eurysthée de compter l’hydre et les écuries d’Augias, on a l’impression que le dodécathlos n’est que le résultat secondaire de ce qui aurait dû être un « décathlos25 ». En outre, si l’on compare la séquence des travaux dans les deux textes, on remarque que l’ordre de certains (le sanglier et la biche, les oiseaux et les écuries, de même que Cerbère et les pommes des Hespérides) a été interverti. Le « cycle » qui émerge de ces deux mythographes grecs peut donc être résumé comme suit :
Diodore |
Apollodore |
1. Lion de Némée 2. Hydre de Lerne 3. Sanglier d’Érymanthe 4. Biche aux cornes d’or 5. Oiseaux du lac Stymphale 6. Étables d’Augias 7. Taureau de Crète 8. Juments de Diomède 9. Baudrier d’Hippolyte 10. Bœufs de Géryon 11. Cerbère 12. Pommes des Hespérides |
id. id. (pas compté) 4. 3. 6. 5. (pas compté) id. id. id. id. 12. 11. |
Malgré les différences d’ordre et de « statut » (à savoir si l’exploit est comptabilisé ou non) qui affectent plus de la moitié des travaux individuels, ces derniers sont identiques dans leur essence. Aussi est-il généralement accepté que les deux cycles sont censés suivre un même ordre géographique sous-jacent : Héraclès aurait accompli ses six premiers travaux 60(concernant le lion, l’hydre, le sanglier, la biche, les oiseaux et les écuries) sur le Péloponnèse, alors que les six suivants l’ont mené progressivement au-delà de la Grèce, jusqu’aux limites du monde connu, et même au-delà26. Concrètement, après avoir récupéré le taureau de l’île de Crète (au sud de la patrie du héros) et les juments du roi Diomède de Thrace (au nord), il a voyagé vers le royaume des Amazones, situé par les deux auteurs sur le fleuve Thermodon aux rives de la Mer Noire (à l’extrême est), ensuite vers les terres de Géryon, localisées en Ibérie ou sur l’île d’« Érytheia », qui correspondrait à l’actuelle Cadiz (marquant la limite occidentale du monde méditerranéen). Finalement, il a trouvé son chemin vers le jardin paradisiaque des Hespérides et a accédé au royaume souterrain de Pluton, dont il est revenu triomphant (ces deux derniers travaux pouvant aussi être intervertis). La présence d’un tel ordre qui se reflète dans les deux textes suggère une sorte de tradition sous-jacente, peut-être diffuse, mais sans doute réelle et ressentie à un certain moment.
Les Fabulae d’Hygin
Une impression semblable découle de la seule œuvre de mythographie latine de l’époque classique qui propose l’inventaire complet des douze travaux – une sorte de digest des mythes antiques, connu aujourd’hui sous le titre conventionnel de Fabulae d’Hygin et daté du premier siècle de notre ère. On ne sait que peu de choses sur la forme d’origine et la réception de cette œuvre qui portait plus vraisemblablement le titre Genealogiae et qui nous est parvenue uniquement grâce à une édition humaniste du xvie siècle et une série de fragments manuscrits découverts au cours des xixe et xxe siècles27.
Parmi les quelques trois cents résumés rudimentaires de mythes grecs contenus dans ce compendium, on trouve une série de segments sur Hercule, dont l’un est intitulé « Herculis athla duodecim ab Eurystheo imperata28 ». Étant donné que le chapitre offre un traitement concis de la matière, il est utile de le citer ici, en reprenant les nombres marquant l’ordre des travaux (suivant Diodore)29 :
61[ - ] Infans cum esset, dracones duos duabus manibus necauit, quos Iuno miserat, unde primigenius est dictus.
[ 1 ] Leonem Nemeum , quem Luna nutrierat in antro amphistomo atrotum, necauit, cuius pellem pro tegumento habuit.
[ 2 ] Hydram Lernaeam Typhonis filiam cum capitibus nouem ad fontem Lernaeum interfecit. [ … ]
[ 3 ] Aprum Erymanthium occidit.
[ 4 ] Cervum ferocem in Arcadia cum cornibus aureis uiuum in conspectu Eurysthei regis adduxit.
[ 5 ] Aves Stymphalides in insula Martis, quae emissis pennis suis iaculabantur, sagittis interfecit
[ 6 ] Augeae regis stercus bobile uno die purgauit maiorem partem Ioue adiutore ; flumine ammisso totum stercus abluit.
[ 7 ] Taurum cum quo Pasiphae concubuit ex Creta insula Mycenas uiuum adduxit.
[ 8 ] Diomedem Thraciae regem et equos quattuor eius, qui carne humana uescebantur, cum Abdero famulo interfecit ; equorum autem nomina Podargus, Lampon, Xanthus, Dinus.
[ 9 ] Hippolyten Amazonam , Martis et Otrerae reginae filiam, cui reginae Amazonis balteum detraxit ; tum Antiopam captiuam Theseo donauit.
[ 10 ] Geryonem Chrysaoris filium trimembrem uno telo interfecit.
[ 12 ] Draconem immanem Typhonis filium, qui mala aurea Hesperidum seruare solitus erat, ad montem Atlantem interfecit, et Eurystheo regi mala attulit.
[ 11 ] Canem Cerberum Typhonis filium ab inferis regi in conspectum adduxit.
« [ - ] Enfant, il tua de ses deux mains les deux serpents que Junon avait envoyés, après quoi il fut déclaré le premier-né.
[ 1 ] Il tua l’invulnérable lion de Némée, que la lune avait nourri dans son antre à deux ouvertures, et prit sa peau pour vêtement.
[ 2 ] Il mit à mort l’hydre de Lerne, fille de Typhon à neuf têtes, auprès de la source de Lerne. […]
[ 3 ] Il assomma le sanglier d’Érymanthe.
[ 4 ] Il amena vivant en Arcadie le féroce cerf aux cornes d’or et le montra au roi Eurysthée.
[ 5 ] Il frappa de flèches les oiseaux stymphaliens sur l’île de Mars, qui lançaient leurs plumes comme des traits.
[ 6 ] Il nettoya en un jour le fumier de bœuf du roi Augias, en grande partie avec l’aide de Jupiter ; en détournant un fleuve, il enleva tout le fumier.
[ 7 ] Il amena vivant à Mycènes le taureau de l’île de Crète avec lequel coucha Pasiphaé.
[ 8 ] Il tua Diomède, roi de Thrace et ses quatre chevaux qui se nourrissaient de chair humaine, de même que son servant Abderus. Les noms des chevaux étaient Podargus, Lampon, Xanthus et Dinus.
[ 9 ] Il enleva la ceinture à Hippolyte l’Amazone, fille de Mars et d’Otréré et reine des Amazones ; ensuite, il donna Antiope à Thésée.
[ 10 ] Il assomma d’un trait Géryon, l’immense fils de Chrysaor au triple corps.
[ 12 ] Il tua le serpent, l’immense fils de Typhon qui avait l’habitude de 62garder les pommes d’or des Hespérides, au mont Atlas, et amena au roi Eurysthée les pommes.
[ 11 ] Il traîna le chien Cerbère, fils de Typhon, des enfers et l’amena devant le roi Eurysthée. »
Plusieurs aspects doivent être relevés dans ce segment. D’abord, bien que son titre parle de duodecim athloi, le chapitre évoque en réalité treize éléments, ajoutant et commençant par un exploit d’enfance du héros, les deux serpents envoyés par Junon et qu’Hercule a vaincus lorsqu’il était encore au berceau. Dans la suite, il y a une série de descriptions individuelles évoquant les mêmes douze travaux mentionnés par les mythographes grecs, qui adhère toutefois à un ordre légèrement hybride : il suit Diodore jusqu’au dixième travail, mais intervertit, à la manière d’Apollodore, les deux derniers travaux. On peut supposer qu’Hygin, de même que ses contemporains, savaient que le premier exploit mentionné dans cette série de treize ne faisait pas partie des duodecim athloi. Sa présence « non marquée » parmi eux est un bon indice de la familiarité que le public de l’époque avait vraisemblablement avec la matière en question – fait qui pouvait toutefois prêter à confusion aux yeux des générations plus éloignées et moins familières avec la mythologie antique.
À part l’ordre mixte selon lequel il présente les travaux, l’auteur introduit aussi bon nombre de nouvelles petites variantes par rapport au contenu des versions grecques résumées plus en arrière30. Selon Hygin, le sanglier d’Érymanthe est tué et non ramené vivant à Eurysthée, et la biche – devenu un cervus par la traduction du terme grec ἔλᾰφος31 – est explicitement attrapé en Arcadie. Les oiseaux du lac Stymphale sont devenus des créatures terrifiantes qui habitent l’« île de Mars » et qui lancent leurs plumes comme des projectiles, plutôt que de hanter les marais stymphaliens et de ruiner les champs voisins32. En outre, les résumés se taisent parfois sur des éléments a priori centraux aux épisodes concernés, ici encore probablement parce qu’ils allaient de soi pour l’auteur du traité et son public. On apprend ainsi qu’Hercule a 63tué Géryon, mais non pour quelle raison (afin de récupérer ses troupeaux), et, dans l’entrée consacrée aux pommes des Hespérides, c’est la victoire d’Hercule sur le serpent qui les garde qui est évoquée en tête de l’entrée. Le témoignage d’Hygin reflète ainsi un mélange entre une familiarité sous-jacente avec la matière et une variation provoquée par des ambiguïtés formelles, des versions alternatives de certains mythes et des confusions avec des mythes aux contenus semblables.
Le chapitre d’Hygin sur les athloi d’Hercule est, par ailleurs, suivi d’un second qui parle des parerga eiusdem, en d’autres mots, « ses exploits accessoires33 ». Ce deuxième segment est comparable en longueur au précédent, et évoque onze autres exploits herculéens, y compris ses victoires sur Antée et Busiris, la libération d’Hésione du monstre de mer menaçant Troie et le meurtre du roi Laomédon, la lutte du héros contre Achéloüs et ses rencontres belliqueuses avec les centaures Nessus et Eurytion qui, selon Hygin, désiraient tous les deux Déjanire34. Contrairement à Diodore et à Apollodore, qui tentaient de raconter la vie d’Héraclès selon un ordre plus ou moins chronologique, insérant entre les travaux ordonnés par Eurysthée les exploits secondaires que le héros a accomplis pour son propre compte, Hygin les sépare et les classifie. Il fait une sélection a priori hétérogène de parerga, semblable en nombre aux éléments faisant partie du cycle d’athloi précédent, en présentant les différents éléments sous la forme de deux listes concises. Il est intéressant que la même manière de traiter le « canon », en le séparant des exploits « secondaires », résonne encore dans les œuvres de la critique moderne, allant jusque dans l’emploi des termes athloi et parerga35. En fait, Hygin reste, à notre connaissance, le seul auteur de la Latinité classique qui opère une telle classification bipartite explicite. Cependant, comme évoqué précédemment, on ignore si son texte mythographique était connu au Moyen Âge.
64Les poèmes mnémotechniques
de l’Anthologia latina
Le dodécathlos est traité explicitement dans au moins deux autres textes remontant à l’Antiquité qui méritent d’être mentionnés ici, ceci parce que leur diffusion est mieux documentée et qu’ils augmentent encore le nombre de schémas en circulation. Il s’agit de deux poèmes épigrammatiques, dont l’un est attribué au poète romain Ausone (ive siècle) et l’autre à un certain Hilasius d’identité inconnue36. Les deux courts textes nous sont transmis dans une série de manuscrits qui contiennent des collections de poèmes latins, remontant éventuellement à un projet de compilation né dans l’Afrique vandale au vie siècle et connues aujourd’hui sous le titre d’Anthologia latina37.
Citons ici le poème d’Ausone, en suivant toujours la numération des travaux de Diodore38 :
Monosticha de aerumnis Herculis
[ 1 ] Prima Cleonaei tolerata aerumna leonis .
[ 2 ] Proxima Lernaeam ferro et face contudit hydram .
[ 3 ] Mox Erymantheum uis tertia perculit aprum .
[ 4 ] Aeripedis quarto tulit aurea cornua cerui .
[ 5 ] Stymphalidas pepulit uolucres discrimine quinto.
[ 8 ] Threiciam sexto spoliauit Amazona balteo .
[ 6 ] Septima in Augeae stabulis inpensa laboris.
[ 7 ] Octaua expulso numeratur adorea tauro .
[ 9 ] In Diomedeis uictoria nona quadrigis .
[ 10 ] Geryone extincto decimam dat Hiberia palmam.
[ 12 ] Vndecimo mala Hesperidum destricta triumpho.
[ 11 ] Cerberus extremi suprema est meta laboris.
Monostiques sur les travaux d ’ Hercule
[ 1 ] La première épreuve endurée est celle du lion de Cléones.
[ 2 ] Ensuite il assomma par le fer et par la flamme l’hydre de Lerne.
[ 3 ] Peu après, son troisième exploit abattit le sanglier d’Érymanthe.
[ 4 ] En quatrième, il enleva les cornes d’or du cerf aux pieds d’airain.
[ 5 ] En cinquième, il dissipa les oiseaux stymphaliens.
[ 8 ] En sixième, il enleva le baudrier de l’Amazone de Thrace.
[ 6 ] Le septième exploit est celui accompli dans les écuries d’Augias.
[ 7 ] La huitième gloire énumérée est d’avoir expulsé le taureau.
65[ 9 ] La neuvième gloire réside dans le quadrige de Diomède.
[ 10 ] L’Ibérie lui donne la dixième palme pour avoir détruit Géryon.
[ 12 ] Le onzième triomphe est d’avoir ravi les pommes des Hespérides.
[ 11 ] Cerbère est le terme ultime du dernier travail.
Cette série de monostiques comprend douze hexamètres, chacun numéroté, décrivant chacun un travail spécifique ; pris ensemble, ils servent de poème mnémotechnique pour se souvenir du dodécathlos. En considérant nos observations sur l’ordre des travaux dans les témoignages précédents, qui varient tous légèrement l’un de l’autre, il n’est pas surprenant qu’Ausone offre à son tour une séquence qui rappelle les exemples considérés précédemment, sans toutefois leur être entièrement identique. Chez lui, cependant, la logique géographique qui ressortait des exemples précédents est perturbée : les Amazones, représentatives du voyage du héros vers l’est, sont évoquées avant les écuries d’Augias en Grèce centrale (ce qui détruit l’ordre qui voit Hercule s’éloigner de plus en plus de sa patrie), et sont situées par l’auteur en Thrace, au nord, dans la même région où se trouvent les chevaux de Diomède (ce qui brouille aussi l’idée des travaux distribués dans les quatre directions cardinales à partir de la Grèce). En outre, plusieurs travaux, comme le cerf ou le taureau, ne sont pas du tout localisés dans l’espace. Comme l’avait déjà suggéré Marc-René Jung à propos du poème, de tels éléments individuels semblent révélateurs de la perte progressive du sens qui sous-tend l’organisation du cycle des douze travaux primitifs39.
Comme les Fabulae d’Hygin, ce poème mnémotechnique témoigne de bon nombre de variantes et laisse, en plus, une grande place à l’interprétation des détails. L’écart le plus notable se manifeste peut-être dans la quatrième ligne du poème, où Hercule est dit avoir enlevé les cornes d’or au cerf, plutôt que d’avoir traîné le cerf aux cornes d’or devant le roi. Ce qui était peut-être le résultat d’une mauvaise interprétation grammaticale à un moment donné s’est établi comme une version variante du mythe. Un autre aspect, plus visible ici que dans le manuel mythographique en prose d’Hygin, est l’emploi de périphrases pour renvoyer aux travaux – que ce soit pour des raisons poétiques ou simplement pour respecter les contraintes métriques du schéma ‘un hexamètre – un travail’. En conséquence, on est censé connaître la nature précise du travail « accompli dans les écuries d’Augias », savoir que le « quadrige de Diomède » impliquait des chevaux nourris de chair humaine ou encore que le lion « de Cléones » 66est identique au lion de Némée, Cléones étant le territoire où se situe Némée. Le lecteur-destinataire peu familier avec les mythes et localités mentionnées se trouve rapidement devant une multitude de possibilités d’interprétation. On peut déjà anticiper les confusions qui risquaient de se produire à partir de telles périphrases à une époque où les lecteurs perdaient progressivement la connaissance des mythes et localités évoqués40.
Il faut considérer en outre que les témoignages réels de ce poème dans les manuscrits apportent encore plus de variation, comme on peut le voir en prenant – un peu au hasard – l’exemple d’un témoin du ixe siècle, le manuscrit Reg. lat. 251 conservé à la Bibliothèque Vaticane. Ici, le poème concerné se trouve au verso du feuillet 10 et s’intitule « De duodecim virtutibus Herculis41 ». Sans transcrire l’ensemble du texte, il est intéressant de relever deux variantes qui concernent des éléments mentionnés au paragraphe précédent. Le premier hexamètre du poème dans ce témoin donne Prima Dionei tolerata erumna leonis. En d’autres mots, le lion de Némée, alias lion de Cléones, a subi une faute de lecture (par confusion de la séquence cl avec la lettre d) et est devenu un lion « de Dione ». Exemple plus frappant, au septième vers du poème, qui devrait donner Septima in Augeae stabulis inpensa laboris, on lit Septima aureis tabulis inpensa labore. Ici, ce qui était vraisemblablement le résultat d’une mauvaise interprétation a mené à l’invention d’un nouvel exploit, impliquant des « tablettes d’or ». De telles erreurs et réinterprétations sont des indices certains d’une absence de connaissances concernant l’arrière-plan et les points de référence mythologiques (lieux et personnages). Il est peu probable qu’un lecteur qui disposait des mêmes ou de moins de connaissances que, par exemple, le copiste du manuscrit cité ici, ait pu reconnaître le lion de Némée ou les écuries d’Augias à partir de ces lignes. De tels exemples illustrent une tradition affectée par la variation dès un moment précoce et qui se retrouve dans les mains d’un public sans accès aux textes de référence grecs.
67Les considérations faites jusqu’ici à propos des différents témoignages renforcent l’idée qu’il a bien existé, à un moment donné, une tradition diffuse du dodécathlos, mais que celle-ci était caractérisée, dès sa mise à l’écrit dans l’Antiquité, par une souplesse considérable. On s’imagine une toile à mailles espacées, dont les interstices deviendront de plus en plus larges au fil du temps. Cette évolution était conditionnée, pour revenir au niveau concret des textes, par l’effet des nouvelles leçons et interprétations introduites dans la tradition, combiné à l’effet du détachement du contexte culturel et mythologique sous-jacent. En outre, comme nous le verrons plus loin, le dodécathlos était concurrencé par des catalogues de travaux « éclectiques » dans les œuvres des poètes antiques. Dans l’immédiat, nous regarderons un dernier texte – un commentaire sur l’un des catalogues éclectiques – qui vise à reproduire le dodécathlos. Il nous permettra d’illustrer la perte continue des repères liés à l’ancienne tradition, en même temps que la persistance de certaines variantes.
Un dernier écho du dodécathlos
dans le commentaire du Servius auctus
C’est dans le commentaire dit du Servius auctus (ou Servius Danielis) à l’Énéide de Virgile que l’on rencontre ce qui semble être un dernier souvenir de l’ancien dodécathlos. Il faut souligner que ce « Servius étendu » est un commentaire que l’on date aujourd’hui du haut Moyen Âge, peut-être du viie ou viiie siècle, qui combine les gloses plus anciennes du grammairien Maurus Servius Honoratius (ive/ve siècle) en rapport avec l’œuvre de Virgile avec des matériaux provenant d’ailleurs42.
Nous nous intéresserons ici à une longue glose du Servius auctus en rapport avec le passage du livre VIII de l’Énéide qui évoque le culte d’Hercule au Latium, institué après sa victoire sur Cacus, suivi d’un éloge de ses hauts faits43. Point important : Virgile fait allusion dans 68ce contexte à une série d’exploits herculéens sans reproduire – et sans prétendre reproduire – le cycle dodécaparti que nous avons commenté précédemment. Le poète parle hyperboliquement de mille labores endurés par le héros, en en nommant une sélection, dont seulement quatre appartiennent à l’ancien cycle. Nous retrouvons, concrètement, le lion de Némée, l’hydre de Lerne, le taureau de Crète (évoqué par la périphrase Cresia prodigia) et Cerbère (paraphrasé à son tour comme ianitor Orci). Ces travaux côtoient d’autres exploits, comme la victoire sur les deux serpents, les conquêtes de Troie et d’Œchalie et des centaures vaincus par le héros. Virgile présente, comme d’autres poètes latins le feront à leur tour, un répertoire éclectique d’exploits. Le commentateur du haut Moyen Âge a cherché à compléter cet inventaire sélectif44 :
alia facta Herculis haec sunt. superatus [ 3 ] aper Erymanthius ; post [ 4 ] cerva ; item [ 5 ] Stymphalides aves , quae alumnae Martis fuisse dicuntur, quae hoc periculum regionibus inrogabant, quod cum essent plurimae, volantes tantum plumarum de se emittebant, ut homines et animalia necarent, agros et semina omnia cooperirent. inde [ 6 ] ovilia Elidensium regis , quae stercore animalium congesto pestilentiam tam suis quam vicinis regionibus creaverant, inmisso Alpheo flumine purgavit et regionibus salubritate reddita, ipsum regem negata sibi mercede interemit. inde [ 8 ] equos Diomedis Thracis , qui humanis carnibus vescebantur, abduxit. inde ad [ 9 ] Hippolytae cingulum petendum perrexit eamque ablato cingulo superavit. ad [ 10 ] Geryonem autem, sicut iam supra dictum est, navi aenea navigavit tergo leonis velificans, ibique primum canem, Echidnae filium, peremit, deinde Eurytiona pastorem, Martis filium, novissime Geryonem, cuius abduxit armenta. item ad [ 11 ] Hesperidas perrexit, et Antaeum , filium Terrae, victum luctatione necavit. inde in Aegypto Busiridem necavit, qui advenientes hospites immolare consueverat. post Prometheum , Iovis imperio in Caucaso monte religatum, occisa sagittis aquila liberavit. Acheloum etiam fluvium, qui se propter Deianiram, Oenei filiam, certando cum Hercule in formas varias commutabat, mutatum in taurum, avulso ab illo cornu, victoria cedere conpulit. post Lycum regem , qui, se apud inferos constituto, Megaram uxorem eius temptaverat, reversus peremit. Propter cuius necem Iuno ei insaniam misit, ut uxorem necaret ac filios. qui post, recepta sanitate, cum expiationem parricidii ab Apolline petisset nec ab eo responsa meruisset, ira concitus cortinam ipsam et tripodem Apollinis sustulit : ob quod iratus Iuppiter eum Omphalae servire praecepit. cuius finis humanitatis talis fuit. cum Deianiram coniugem per fluvium, in quo Nessus Centaurus commeantes transvehebat, etiam Hercules transvehere vellet, ausus est Nessus occulte Deianiram de stupro interpellare. quod cum Hercules agnovisset Nessum peremit. sed Nessus moriens Deianiram monuit, ut sanguinem suum exceptum servaret, et si quando advertisset Herculem altera 69 femina delectari, sanguine ipso vestem inlitam marito daret, per quam vindicari posset. sed Deianira cum audisset maritum Iolen, Euryti Oechaliensis amare filiam, vestem tinctam Nessi sanguine Lichae servo dedit ad eum perferendam. qui cum Herculi in Oeta occurrisset, munus uxoris tradidit. quam cum ille Iovi sacrificaturus induisset, tanto corporis ardore correptus est, ut non invento remedio pyram construi iuberet donatisque Philoctetae sagittis peteret ab eo ut cremaretur. quo facto inter deos relatus est.
« Les autres exploits d’Hercule sont les suivants : il a vaincu [3]le sanglier d’Érymanthe ; ensuite [4] la biche ; de même [5]lesoiseaux stymphaliens, qui étaient appelés les nourrissons de Mars, qui présentaient pour la région le danger suivant : comme ils étaient nombreux, ils jetaient tant de plumes en volant qu’ils tuaient hommes et animaux et qu’ils couvraient les champs et les semences ; ensuite il purgea, en y faisant couler le fleuve Alphée, [6] lesécuries du roi d’Élide qui par une accumulation de fumier d’animaux avaient engendré des maladies dans ses propres régions autant que dans celles des voisins ; et quand Hercule eut rendu aux régions leur salubrité, il tua le roi qui lui refusa sa récompense. Ensuite il emporta [8] les chevaux de Diomède de Thrace, qui se nourrissaient de chair humaine. Ensuite il avança vers [9]Hippolyte en cherchant à obtenir sa ceinture et, lui ayant enlevé celle-ci, il la surmonta. En outre, il navigua vers Géryon, comme cela a déjà été dit plus haut, dans un navire de bronze, déployant les voiles faites de la peau de lion ; et, arrivé là, il tua d’abord un chien, fils d’Échidna, ensuite le berger Eurytion, fils de Mars, et en dernier [10] Géryon, et il emporta les troupeaux de ce dernier. De même, il parvint jusqu’aux [11] Hespérides. Et il tua Antée, fils de la Terre, après l’avoir vaincu en lutte. Ensuite, en Égypte, il mit à mort Busiris, qui avait pris l’habitude de sacrifier ses hôtes. Ensuite il libéra Prométhée, enchaîné sur ordre de Jupiter sur le mont Caucase, en tuant de flèches l’aigle. De même Hercule contraignit le fleuve Achéloüs, qui, en luttant contre lui pour Déjanire, fille d’Œnée, prenait diverses formes, à lui concéder la victoire, après lui avoir arraché sa corne quand il s’était mué en taureau. Ensuite il mit à mort le roiLycus, qui avait tenté sa femme Mégara quand Hercule revenait des enfers où il s’était arrêté. Pour la mort de Lycus, Junon rendit Hercule fou, de sorte qu’il tua sa femme et ses propres fils. Ensuite, une fois revenu à la raison, alors qu’il priait Apollon de le purifier du meurtre de ses proches sans mériter de réponse de sa part, pris de colère, il enleva la vasque et le trépied d’Apollon. Furieux, Jupiter lui commanda de servir Omphale. La fin de sa vie humaine fut ainsi : alors qu’Hercule voulait transporter son épouse Déjanire de l’autre côté du fleuve sur lequel le centaure Nessus faisait passer les voyageurs, Nessus osa malmener Déjanire en cherchant à la violer en secret. Quand Hercule en eut connaissance, il tua Nessus. Mais Nessus, mourant, enjoignit à Déjanire de recueillir son sang, et, quand Hercule se détournerait pour aimer une autre femme, de donner à son mari un habit enduit de son sang, par lequel elle pourrait le (re)conquérir. Mais quand Déjanire entendit que son mari aimait Iole, la fille d’Eurytus d’Œchalie, elle donna la veste trempée dans le sang de Nessus à son serviteur Lichas 70afin qu’il l’apporte à Hercule. Courant à la rencontre d’Hercule sur l’Œta, Lichas lui transmit le don de sa femme. Quand Hercule eut revêtu ce dernier, s’apprêtant à sacrifier à Jupiter, son corps fut saisi d’une telle chaleur, contre laquelle il ne trouva pas de remède, qu’il construisit un bûcher et, ayant donné ses flèches à Philoctète, ordonna que l’on le fasse brûler. Cela étant fait, il fut ramené aux dieux. »
Le Servius auctus ne se limite en effet pas à résumer les exploits manquants, mais il les intègre dans un abrégé de la vie entière du héros. En effet, sa glose mentionne d’abord les six travaux du dodécathlos qui manquent dans le passage de Virgile et se poursuit par une série de faits accessoires et par les événements menant à la mort du héros. L’auteur manque toutefois d’indiquer – peut-être parce qu’il n’en était pas conscient – que les différents faits et épisodes mentionnés appartiennent à des catégories distinctes. Tous sont simplement des « faits autres » – des alia facta par rapport à la sélection d’exploits cités par Virgile – que le commentateur s’efforce d’énumérer.
Cette absence de catégories est d’autant plus évidente lorsqu’on constate que les contenus de cette glose résonnent comme un écho lointain, légèrement déformé, de la suite de segments herculéens présents dans le manuel mythographique d’Hygin, qui témoignait d’un effort de classification particulièrement visible. En effet, non seulement les travaux, mais également tous les exploits accessoires ainsi que les éléments subséquents évoqués par le Servius auctus sont présents (parmi d’autres), dans le même ordre, chez Hygin, comme l’illustre le tableau suivant :
Servius auctus |
Hygin, Fabulae |
aper Erymanthius cerva Stymphalides aves Elidensium regis ; stercore animalium equos Diomedis Thraci Hippolytae cingulum Geryonem Hesperidas Antaeum, filium Terrae in Aegypto Busiridem |
chap. 30 (« Duodecim Athloi »). § 4. aprum Erymanthium Id. § 5. cervum Id. § 6. Aves Stymphalides Id. § 7. Augeae regis stercus bobile Id. § 8. Diomedem Thraciae regem et equos […] eius Id. § 10. Hippolyten Amazonam […] balteum Id. § 11. Geryonem Id. § 12. mala aurea Hesperidum chap. 31 (« Parerga eiusdem »). § 1. Antaeum terrae filium Id. § 2. Busiridem in Aegypto |
71
Prometheum ; aquila Acheloum [ … ] fluvium Lycum regem [ … ] peremit. Iuno ei insaniam misit, ut uxorem necaret ac filios. tripodem Apollinis sustulit Omphalae servire praecepit Nessus Centaurus Iolen, Euryti Oechaliensis [ … ] filiam Deianira [ … ] vestem tinctam Nessi sanguine Lichae servo dedit ad eum perferendam. |
Id. § 5. aquilam ; Prometheo Id. § 7. Achelous fluvius chap. 32 (« Megara »). Hercules […] Lycum interfecit Id. postea ab Iunone insania obiecta, Megaram et filios Terimachum et Ophiten interfecit Id. eius (= Apollo) tripodem sustulit Omphalae reginae in servitutem datus est chap. 34 (« Nessus ») Nessus […] centaurus chap. 35. (« Iole »). Iolen, Euryti filiam chap. 36. (« Deianira »). […] uestem tinctam centauri sanguine Herculi qui ferret nomine Licham famulum misit. |
Les textes diffèrent par certains détails, mais ont définitivement un « air de famille ». On soulignera, sur le plan des ressemblances, la description hybride que le commentateur offre à propos des oiseaux stymphaliens, en nous souvenant de la version d’Hygin qui plaçait les créatures sur l’île de Mars et qui faisait de leurs plumes des armes mortelles. Le Servius auctus combine des éléments de cette version avec une version a priori plus traditionnelle : selon lui, les oiseaux sont appelés les nourrissons de Mars, et ils font mourir hommes et bêtes en faisant voler leurs plumes et en contaminant les terres parce qu’ils sont si nombreux. Parmi d’autres divergences, on remarque que le Servius auctus ne parle pas, par exemple, d’un cervus comme Hygin, mais bien d’une cerva, comme dans la version plus « correcte » du mythe grec. Ceci suggère que le Servius auctus puise dans une source peut-être apparentée mais non identique au manuel d’Hygin que nous connaissons aujourd’hui. On pourrait encore poursuivre l’étude des ressemblances entre les deux textes dans les éléments suivants qui renvoient à des épisodes qui ne font plus partie de l’ancien dodécathlos45. Si on est tenté de le faire, 72c’est justement parce que les délimitations entre les épisodes et les thématiques disparaissent dans le témoignage paratextuel du Servius auctus. Reconstruire l’ancien cycle des douze travaux à partir de cette glose demande des connaissances préalables. Pour un non-initié, elle comporte simplement une énumération de facta placés sur un même plan qui sont d’un nombre bien supérieur à douze et qui vont jusqu’à constituer la vie entière du héros. La désintégration des repères de classification est, par ailleurs, l’un des facteurs principaux qui compliquent l’étude du mythe d’Hercule.
Le passage cité du commentaire du Servius auctus, lu avec les vers de Virgile qu’il accompagne, offre comme un dernier reflet ténu de l’ancien dodécathlos. Dans les autres textes circulant au Moyen Âge (au moins ceux que nous avons eu l’occasion de consulter jusqu’à présent), l’ancien cycle – dans son intégralité et selon son ancien ordre approximatif – ne réapparaîtra que dans la traduction latine de Diodorus qui verra le jour au xve siècle, où l’on lira à nouveau De Hercule et duodecim eius laboribus (et ceterisque ab eo usque ad vite finem gestis46). Cela ne veut pas dire, pour autant, que les textes circulant aux siècles précédents ne parlent pas d’exploits d’Hercule, pour ensuite en donner leurs propres interprétations. Tout au contraire, les faits du héros, dont certains des travaux traditionnels, sont omniprésents dans des textes qui incorporent des informations mythographiques. Le concept même des « douze travaux » subsiste par endroits, et il existe des œuvres qui offrent des énumérations des exploits du héros – mais ces dernières suivent des modèles autres que celui du cycle « traditionnel ». Dans les pages qui suivent, nous tenterons de mettre en lumière quelles formes peuvent prendre « les travaux », et certains travaux individuels, dans quelques textes et paratextes qui transmettent l’héritage antique latin vers et à travers le Moyen Âge. Après quelques observations sommaires sur les listes hybrides d’exploits chez les auctoritates latines jusqu’à Boèce, nous aborderons les répertoires de données mythographiques et les types d’interprétations sur les travaux d’Hercule transmis par la tradition « grammaticale », en considérant successivement les gloses 73du commentaire de Servius47 puis les manuels des « Mythographes du Vatican », avant de nous pencher plus en détail sur le catalogue d’exploits que donnent les Métamorphoses et les commentaires médiévaux d’Ovide.
Des catalogues « éclectiques » ?
Les listes d’exploits chez les auteurs latins
Dès l’Antiquité, les textes mythographiques traitant du cycle dodécaparti étaient concurrencés par les œuvres d’un ensemble d’auteurs bien plus illustres qui évoquent des exploits d’Hercule sans se soucier de rapporter uniquement et exclusivement les douze athloi. Il existe, en effet, toute une série d’auctoritates latines qui ont, à des degrés divers, nourri le savoir médiéval sur l’Antiquité et qui ont proposé à leur tour des catalogues d’exploits herculéens. Il s’agit, pour certains, d’auteurs de la latinité classique qui sont à la base des commentateurs-compilateurs des périodes plus tardives et dont les œuvres ont été lues dans les écoles médiévales. Les textes de certains d’entre eux ont été transmis dans des dizaines, sinon des centaines de copies manuscrites. Virgile (dont nous venons de parler), Ovide, de même que Martial et, plus tard, Claudien, Sidoine Apollinaire et Boèce en font partie48. D’autres œuvres, comme les tragédies de Sénèque, ont connu une sphère d’influence plus restreinte, concentrée surtout sur le Moyen Âge tardif49. Si nous ne pouvons pas aborder tous ces textes dans le détail, nous donnons dans le tableau qui suit une vue globale les éléments inclus dans neuf « catalogues » de travaux que l’on retrouve dans les textes de ces auteurs. En regardant 74les passages concernés, on constate qu’aucun d’entre eux ne nomme précisément et exclusivement les douze travaux tels que nous les avons rencontrés chez les mythographes grecs50. Chacun offre plutôt sa propre compilation d’exploits, parmi lesquels on retrouve une sélection des anciens travaux à côté d’autres exploits, présentés le plus souvent sans suivre un ordre strict. Plutôt que de présumer chez ces poètes un manque de familiarité avec les douze travaux pour expliquer la nature hybride de ces témoignages, il semble, bien au contraire, plus probable que ces auteurs ne ressentaient, de manière générale, ni le besoin ni l’utilité de dresser des inventaires systématiques, contrairement aux mythographes et aux auteurs de poèmes mnémotechniques dont nous avons parlé. Par conséquent, les auteurs qui venaient après eux avaient à leur disposition une pluralité grandissante de modèles dont ils pouvaient reprendre des éléments. On comprend aisément comment les minces témoignages latins du dodécathlos risquaient de se voir éclipsés face aux multiples schémas alternatifs.
Nous nous limitons ici à des observations sommaires sur les exploits évoqués par les différents textes résumés dans le tableau à la page suivante, exploits qui ont connu – comme nous l’avons suggéré précédemment51 – des schémas de diffusion très diversifiés. Ces remarques nous permettront d’avoir une idée, imparfaite mais commode, des informations a priori accessibles au Moyen Âge52.
75
Virgile, Énéide |
Ovide, Métamorphoses |
Sénèque, Hercules furens |
|
1 lion de Némée |
Nemeae leonem |
moles Nemaeae |
Nemeae leo |
2 hydre de Lerne |
Lernaeus anguis |
hydrae |
hydrae/Lernae monstra |
3 sanglier d’Érymanthe |
Arcadiae aper |
Maenalium suem |
|
4 biche de Cérynie |
Parthenium nemus |
Maenali pernix fera |
|
5 écuries d’Augias |
Elis ? |
stabuli Augei |
|
6 oiseaux du lac Stymphale |
Stymphalidas undae |
Stymphalidas |
|
7 taureau de Crète |
Crescia prodigia |
cornua tauri |
taurum |
8 juments de Diomède |
Thracis equos |
Bistonii gregis |
|
9 baudrier d’Hippolyte |
Thermodontiaco |
regina Thermodontiae |
|
10 bœufs de Géryon |
pastoris Hiberi |
pastor triformis |
|
11 pommes des Hespérides |
poma |
aurifera |
|
12 Cerbère |
janitor Orci |
Cerbere |
|
13 Busiris |
Busirin |
||
14 Antée |
Antaeo |
||
15 centaures (noms de centaures) |
nubigenas (Hylaeum, Pholum) |
centauri |
|
16 ciel |
caelum |
||
17 Cacus |
Cacus |
||
18 Achéloüs |
|||
19 deux serpents |
geminos angues |
angues |
|
20 Troie |
Troiam |
||
Autres |
Oechaliam, Typhoeus |
montes |
|
nombre de « travaux » nombre total d’exploits |
4 10 |
12 16 |
11 13 |
Sénèque, Hercules Oetaeus |
Sénèque, Agamemnon |
Martial, Epigramme 9 |
|
1 lion de Némée |
Argolicas leo |
Nemeaeus leo |
terga leonis |
2 hydre de Lerne |
hydra |
hydram |
|
3 sanglier d’Érymanthe |
Arcadii populator agri |
Arcadio apro |
|
4 biche de Cérynie |
Maenali fera |
cerva Parrhasis |
eripedem cervum |
5 écuries d’Augias |
|||
6 oiseaux du lac Stymphale |
Stymphalis |
Stymphalis |
Stymphalidas astris |
7 taureau de Crète |
taurus |
taurus |
|
8 juments de Diomède |
greges |
Threicium gregem |
|
9 baudrier d’Hippolyte |
spolia Thermodontiae |
Hippolyto |
Amazona nodo |
10 bœufs de Géryon |
Geryon |
Geryonae |
boves |
11 pommes des Hespérides |
aureum nemus |
arbor pomis aureis |
aurea poma |
12 Cerbère |
atrum Cerberum |
canis inferorum |
a Stygia cane |
13 Busiris |
Busiris |
||
14 Antée |
Antaeus Libys |
Libyn |
|
15 centaures (noms de centaures) |
|||
16 ciel |
|||
17 Cacus |
|||
18 Achéloüs |
|||
19 deux serpents |
|||
20 Troie |
Troia |
||
Autres |
|||
nombre de « travaux » nombre total d’exploits |
10 12 |
11 9 |
9 10 |
Claudien, De Raptu Proserpinae |
Sidoine Apollinaire, Carmen 9 |
Boèce, Consolatio Philosophiae |
|
1 lion de Némée |
leo |
leo |
spolium leoni |
2 hydre de Lerne |
hydrae |
serpens (?) |
hydra |
3 sanglier d’Érymanthe |
Erymanthei aper |
sus |
saetiger |
4 biche de Cérynie |
cervam |
cerva |
|
5 écuries d’Augias |
|||
6 oiseaux du lac Stymphale |
Stymphalidas |
aves |
volucres |
7 taureau de Crète |
Dictaeas taurus |
taurus |
|
8 juments de Diomède |
Thraces equi |
dominum quadrigis |
|
9 baudrier d’Hippolyte |
Amazonios cinctus |
Amazon |
|
10 bœufs de Géryon |
greges tergemini ducis |
boves Iberæ |
|
11 pommes des Hespérides |
poma |
poma draconi |
|
12 Cerbère |
Stygii canis |
canis triformis |
Cerberum |
13 Busiris |
Busiride |
hospes (?) |
|
14 Antée |
Antaeo |
Libs |
Antaeum |
15 centaures (noms de centaures) |
(Nessus) |
Centauros |
|
16 ciel |
mundus |
polus |
caelum |
17 Cacus |
Caci |
fur |
Cacus |
18 Achéloüs |
Luctator fluvius |
Achelous |
|
19 deux serpents |
|||
20 Troie |
|||
Autres |
gigas, Eryx, Lycus, juga, virgo, Oeta, Elida quadrigis |
||
nombre de « travaux » nombre total d’exploits |
9 13 |
11 24 |
7 12 |
Fig. 1 – Quelques catalogues éclectiques de travaux
chez les auctoritates latines.
Chaque texte fournit son propre répertoire d’exploits, sans adhérer à un modèle évident, et sans mettre en avant le dodécathlos ancien. On constate en outre que certains travaux sont plus présents que d’autres. Le lion (de Némée), par exemple, est mentionné par chacun des auteurs retenus. De manière générale, la plupart des travaux du dodécathlos sont bien représentés : l’hydre et Cerbère sont évoqués chacun dans huit des neuf textes recensés, les bœufs de Géryon sont présents dans sept d’entre eux. La seule exception notable concerne le nettoyage des écuries d’Augias, qui n’apparaît explicitement que dans l’Hercules Furens de Sénèque (dont la diffusion restreinte à l’époque médiévale a déjà été évoquée), et implicitement dans les Métamorphoses53. Ce travail s’avère par conséquent moins présent globalement, déjà dans l’Antiquité, qu’un exploit comme la victoire sur Antée, qui ne fait pourtant pas partie du canon traditionnel. En comparant les textes de l’Antiquité classique avec ceux de l’Antiquité tardive, on observe que ces derniers ont tendance à intégrer plus d’exploits « non canoniques » au détriment des athloi traditionnels, traduisant, peut-être, une tendance à la compilation et au bilan. La victoire sur Cacus, absente de la tradition grecque car introduite pour la première fois par Virgile, figure par exemple dans chacun des trois textes tardo-antiques ici retenus, de même que la voûte du ciel que le héros aurait soutenue afin de soulager Atlas. En outre, les auteurs plus tardifs suppriment plus souvent que les textes classiques les précisions mythologiques concernant les adversaires domptés par le héros : le lion de Némée reste un simple leo, les oiseaux stymphaliens ne sont que des volucres, et le sanglier d’Érymanthe est réduit à un(e) sus ou, par la substantivation d’une épithète poétique, un saetiger (« celui qui porte des soies »).
L’influence de ces différents catalogues de travaux est fonction, logiquement, de la fréquence avec laquelle leurs auteurs ont été lus à l’époque médiévale. Leur impact se mesure en partie aussi par les gloses et commentaires qu’ont reçus les textes dans lesquels ils s’intègrent à partir de l’Antiquité tardive et durant le Moyen Âge. Les « paratextes » qui accompagnent les classiques dans les manuscrits constituent en effet une large partie des données sur lesquelles s’appuie la mythographie médiévale. Ce sera notre prochain champ d’enquête. Commençons par les commentaires de l’Énéide associés à Servius.
79La tradition grammaticale
Les travaux herculéens
dans les commentaires serviens
Le passage du Servius auctus que nous avons commenté supra n’est qu’une parmi plus de cent gloses évoquant Hercule dans les commentaires serviens sur différents passages de l’Énéide, des Géorgiques et des Éclogues virgiliennes. Si nous accordons ici quelques observations de plus à Servius54, c’est parce que ses commentaires, dont témoignent plus de 130 manuscrits, forment un palier particulièrement important pour la transmission du savoir antique55. Rappelons ici les mots de Paule Demats à ce propos56 :
Servius ne livre pas seulement au Moyen Âge un modèle d’explication des auteurs, mais aussi et surtout une masse de connaissances sur les antiquités grecques et romaines. Il n’est pour ainsi dire aucune glose de « culture » un peu savante qui ne renvoie à son commentaire.
Un regard sur quelques autres gloses à propos des travaux Hercule nous permet de souligner le savoir de même que les types d’interprétations offerts par Servius et transmis aux siècles suivants. La quantité des informations ainsi que la manière dont elles sont présentées dans ce contexte paraît à son tour symptomatique de la perte des catégories qui « régissent » les épisodes autour d’Hercule. Nous nous concentrerons ici sur des gloses qui apparaissent en essence déjà dans la version « vulgate » du commentaire, transmise dans un nombre plus considérable de manuscrits que la version étendue. Nous mettrons, dans les extraits cités, les éléments ajoutés par le Servius auctus entre parenthèses.
Bon nombre des gloses de Servius sur Hercule offrent des informations d’arrière-plan « mythologiques » sur les épisodes dans lesquels figure le héros. Certains travaux appartenant au dodécathlos sont concernés 80aussi, entre bien d’autres éléments. Une glose à propos du lion de Némée (mentionné par Virgile dans le même passage de l’Énéide sur lequel portait déjà la longue note du Servius auctus évoquée supra) précise, par exemple, que Nemea silva est vicina Thebis, in qua Hercules interemit leonem (qui Lunae filius et invulnerabilis dictus est)[…]57. En d’autres mots, on apprend des détails à propos de la localisation approximative du travail et, dans la version étendue du commentaire, également une précision à propos de la généalogie du lion monstrueux, fils de la Lune, et de sa nature invincible58. On n’apprend pourtant pas qu’il s’agit du premier travail qu’Hercule a accompli sous les ordres d’Eurysthée. Il s’agit d’un morceau d’information éparse, presque aléatoire, donnée sans contextualisation plus large, et, en aucun cas, dans le but de constituer la biographie d’Hercule ou la liste de ses exploits.
Si cette glose porte sur un passage de Virgile où il est déjà question du travail concerné, des exploits herculéens peuvent aussi être évoqués en commentaire à des passages qui ne parlent pas d’Hercule spécifiquement, amenant ainsi des rapprochements entre Hercule et d’autres personnages. La note suivante apparaît dans un commentaire au livre III de l’Énéide, où il est question de la rencontre belliqueuse entre les compagnons d’Énée et les harpyes sur les îles Strophades, lors de l’exil des Troyens après la destruction de leur cité59 :
[ … ] novum bellum non est cuius extat exemplum ; Hercules enim in monte Arcadiae Stymphalo vicit Stymphalidas, ut Statius ‘ et aerisonum Stymphalon ’ .
« […] Le combat dont il existe déjà un exemple n’est pas nouveau : car Hercule a vaincu sur le Mont Stymphale en Arcadie les Stymphalides ; pour cela Stace dit “et Stymphalos qui retentit du son de bronze”. »
L’épisode des harpyes raconté dans l’Énéide fait l’objet d’un rapprochement avec la victoire d’Hercule sur les oiseaux stymphaliens, le commentateur étant d’avis qu’on ne peut pas parler dans ce contexte d’un « nouveau combat », car on connaît déjà l’exemple de l’exploit d’Hercule sur le mont Stymphale en Arcadie (évoqué, par ailleurs, dans la Thébaïde). Harpyes des îles Strophades, oiseaux dits Stymphalides (on note la ressemblance formelle des toponymes), oiseaux de l’île de 81Mars60 – on voit que tout un réseau de mythes comparables, prêtant à confusion, peut se tisser autour d’un seul exploit d’Hercule61. De telles juxtapositions de mythes peuvent aller jusqu’à effacer les traces de la version « originale », surtout lorsque des éléments de glose sont recyclés sans le texte auquel ils renvoient – ce qui arrivera précisément quand un mythographe ou commentateur après Servius reprendra des informations présentes chez ce dernier afin de les retravailler dans un autre contexte. Les « diffractions » des mythes qui en résultent sont un phénomène très courant auquel doit faire face quiconque essaie de retracer le cheminement même d’un seul épisode autour d’Hercule.
Mais revenons aux gloses de Servius. À côté des renseignements « mythologiques » comme celles que nous venons d’évoquer, le commentateur fournit aussi des interprétations qui dépassent le plan du mythe. Il maintient ainsi, à propos du combat d’Hercule contre l’hydre62 :
[ … ] sed constat hydram locum fuisse evomentem aquas, vastantes vicinam civitatem, in quo uno meatu clauso multi erumpebant : quod Hercules videns loca ipsa exussit et sic aquae clausit meatus ; nam hydra ab aqua dicta est.
« […] mais il est bien connu que l’hydre était un lieu qui crachait des eaux, détruisant la ville voisine ; quand on fermait un canal de ce dernier, de nombreux autres cours en jaillissaient. Voyant cela, Hercule a desséché ce lieu par le feu et a ainsi fermé le cours d’eau ; car l’hydre tire son nom de l’eau. »
Le commentateur se sert ici de l’étymologie afin de rationaliser ce combat : Hercule n’a pas vaincu un monstre serpentin à multiples têtes, mais il a desséché des eaux tumultueuses qui ne se laissaient pas contenir – car le mot grec hydra signifie « eau ». L’ajout de telles couches interprétatives et la multiplication des significations associées à un mythe qui en résulte est un autre facteur qui peut contribuer à l’atténuation du sens primaire d’un mythe.
Le même type de lecture historicisante avait, en effet, déjà été pratiqué bien avant Servius. On se souvient d’exemples semblables relevés dans notre discussion du texte de Diodore de Sicile63. Certaines des interprétations rencontrées déjà chez l’auteur grec réapparaissent en 82effet dans l’œuvre du commentateur tardo-antique. Considérons la glose suivante à propos des pommes d’or des Hespérides64 :
Hesperides, Atlantis filiae nymphae, secundum fabulam hortum habuerunt, in quo erant mala aurea Veneri consecrata, quae Hercules missus ab Eurystheo occiso pervigili dracone sustulit. re vera autem nobiles fuerunt puellae, quarum greges rufam lanam habentes abegit Hercules occiso eorum custode ; unde mala fingitur sustulisse, hoc est oves : nam μῆλα dicuntur, unde μηλονόμος dicitur pastor ovium.
« Les Hespérides, des nymphes, filles d’Atlas, possédaient selon la fable un jardin dans lequel il y avait des pommes d’or consacrées à Venus. Hercule, envoyé par Eurysthée, ayant tué le dragon toujours vigilant, les déroba (= les pommes). En réalité, cependant, il y avait de nobles filles, dont Hercule subtilisa les troupeaux à la laine rougeâtre, après avoir tué leur gardien ; d’où l’on imagine qu’il a dérobé les pommes, c’est-à-dire les moutons : car on les appelle (tous les deux) μῆλα (mela), et c’est pourquoi on appelle μηλονόμος (melon omos) le berger qui garde les ouailles. »
Dans l’exemple en question, déjà mentionné en rapport avec Diodore65, les pommes d’or de la « fable » sont donc « en réalité » censées correspondre à des moutons à la laine dorée qu’Hercule aurait enlevés du jardin des Hespérides. Comme dans l’exemple précédent, qui recourait à un rapprochement étymologique, ici l’homonyme des termes grecs désignant les fruits et les ouailles motive l’interprétation. On relèvera par ailleurs l’emploi de la formule secundum fabulam pour désigner le mythe de départ, qui est présenté dans le contexte comme un récit inventé par le poète et auquel s’ajoute l’interprétation, annoncée par re vera autem, censée dévoiler la « vérité » ou les « faits » sous-jacents. La pratique qui consiste à exposer la ou les prétendues vérités qui se cachent derrière les fables sera reprise, avec les données en question, par les commentateurs et mythographes médiévaux. Les interprétations concrètes se perpétuent de cette façon au fil d’une tradition, en s’accumulant et en se juxtaposant, se rattachant progressivement au mythe d’Hercule.
À côté des gloses qui portent sur des travaux individuels du héros, on en trouve aussi quelques-unes qui parlent de ses exploits au pluriel. Un exemple particulièrement intéressant pour notre propos (car évoquant l’idée des « douze travaux ») est la note, au livre VI de l’Énéide, à propos d’Hercule qui enchaîne le custodem Tartareum lorsqu’il descend aux enfers pour sauver Thésée et Pirithoüs66 :
83Hercules a prudentioribus mente magis, quam corpore fortis inducitur, adeo ut duodecim eius labores referri possint ad aliquid : nam cum plura fecerit, duodecim tantum ei adsignantur propter agnita duodecim signa. quod autem dicitur traxisse ab inferis Cerberum, haec ratio est, quia omnes cupiditates et cuncta vitia terrena contempsit et domuit : nam Cerberus terra est, id est consumptrix omnium corporum. unde et Cerberus dictus est, quasi κρεοβόρος , id est carnem vorans : unde legitur « ossa super recubans » (Én. VIII, 297) : nam non ossa citius terra consumit.
« Hercule est représenté par les plus sages comme étant plus fort par son esprit que par son corps, afin que ses douze travaux puissent renvoyer à autre chose ; car même s’il en a accompli plusieurs, on lui en attribue douze seulement, à cause des douze signes [du zodiaque] connus. La raison pour laquelle on dit, par ailleurs, qu’il a tiré Cerbère des enfers est qu’il méprisa et dompta tous les vices et toutes les passions terrestres ; car Cerbère est la terre, c’est-à-dire celle qui consomme tous les corps ; c’est pourquoi il est appelé Cerberus, comme κρεοβόρος (creoboros), c’est-à-dire “qui dévore la chair”. Pour cette raison on lit (qu’il est) “couché sur des ossements”, car la terre ne consomme pas immédiatement les os. »
Curieusement, le commentateur nous apprend qu’il vaut mieux comprendre la force d’Hercule comme étant une force mentale, et qu’on parle de douze travaux – bien qu’il en ait accompli davantage – à cause des « douze signes ». Il semble être question dans ce contexte des douze signes du zodiaque, écho de la « mythologie stellaire » très répandue dans l’Antiquité qui associait les corps célestes aux dieux païens et qui voyait dans certaines constellations des reflets d’exploits accomplis par Hercule67. Le fait devient plus évident lorsqu’on se souvient de l’interprétation, déjà présente chez Diodore, qui faisait d’Hercule le disciple d’Atlas, le grand astronome qui lui enseigna la connaissance des astres. Cette dernière interprétation se trouve en effet elle aussi chez Servius68 :
[ … ] unde et dicitur ab Atlante caelum sustinuisse susceptum propter caeli scientiam traditam. Constat enim Herculem fuisse philosophum, et <haec> est ratio, cur illa omnia monstra vidicit.
« […] et pour cela on dit qu’il a supporté le ciel qu’il avait reçu d’Atlas, à cause de la science du ciel qui lui avait été transmise. Car il est bien connu qu’Hercule était un philosophe, et cela est la raison pour laquelle il a vaincu tous les monstres. »
84Hercule est donc, selon ces passages, un savant et un philosophe qui a dompté par sa connaissance toutes les créatures, censées renvoyer aux douze signes du zodiaque69. Cet exemple est instructif parce qu’il montre que l’idée des douze travaux n’était pas absente à l’époque. Mais dans le contexte, l’identité des travaux individuels n’est pas importante. C’est leur valeur en tant qu’ensemble qui compte, et surtout la valeur qui est attribuée à leur interprétation figurée.
La glose citée plus haut qui mentionne la force d’esprit d’Hercule introduit cependant, dans sa deuxième partie, à propos de Cerbère, un autre niveau de sens, qui devient visible justement lorsqu’on considère la dimension globale des douze travaux. Ces derniers devraient-ils renvoyer aux connaissances des astres, ou bien à omnes cupiditates et cuncta vitia terrena que le héros aurait domptés – incarnés exemplairement par le chien des enfers qui est, selon l’étymologie donnée par Servius, par son essence même un « dévoreur de chair » ? À la qualité de force mentale attribuée à Hercule, on voit, en effet, se juxtaposer dans cette glose, l’idée d’une force morale. Le contenu de la glose à propos de Cerbère est dans un certain sens diamétralement opposé à celui de la note à propos d’Atlas, car l’immortalisation parmi les astres des créatures mythologiques vaincus par le héros paraît irréconciliable avec l’interprétation qui les voit comme vices, confinés à la vie terrestre (rappelons que Cerbère est censé signifier la terre), auxquels Hercule, qui se distingue par sa force morale, sait résister. Comme nous le verrons plus loin, les sens qui se juxtaposent ici, de même que le phénomène général de l’accumulation des interprétations, parfois contradictoires, autour d’un mythe, sont récurrents dans les commentaires et les traités de mythographie médiévale70.
85Dans ce tour d’horizon des attestations chez Servius, nous nous sommes concentrée jusqu’ici sur des exploits appartenant à l’ancien cycle de travaux. Soulignons toutefois que le traitement de ces derniers occupe une place modeste à l’intérieur de la multitude des gloses abordant Hercule. On trouve, par exemple, de nombreuses gloses à propos de l’intervention d’Hercule à Troie71 ainsi que de son séjour auprès du roi Évandre et, dans ce contexte, de sa victoire sur Cacus, épisode qui remonte à Virgile. Cacus reçoit, comme certains des anciens travaux du héros, une interprétation historicisante dans laquelle s’immiscent des données étymologiques72 :
Cacus secundum fabulam Vulcani filius fuit, ore ignem ac fumum vomens, qui vicina omnia populabatur. veritas tamen secundum philologos et historicos hoc habet, hunc fuisse Euandri nequissimum servum ac furem. novimus autem malum a Graecis κακόν dici [ … ] Ignem autem dictus est vomere, quod agros igne populabatur.
« Selon la fable, Cacus était le fils de Vulcain qui vomissait du feu et de la fumée et qui détruisait tous les environs. La vérité selon les philologues et les historiens est cependant qu’il était un très mauvais serviteur d’Évandre et un voleur. En outre, on reconnaît que le mal est appelé κακόν (kakon) par les Grecs. […] Aussi dit-on qu’il vomissait le feu parce qu’il détruisait les champs par le feu. »
Cette glose offre à son tour, au-delà de l’histoire qui fait de Cacus un voleur et un destructeur des champs arables, des éléments qui préparent une lecture moralisante. Car Cacus, nous apprend Servius, n’est pas seulement un mauvais sujet, mais il est censé incarner le mal – et ce dernier doit, logiquement, être combattu par un représentant du bien73. L’exemple de Cacus illustre que les exploits, qu’ils appartiennent aux anciens travaux ou qu’ils fassent partie des exploits accessoires ou plus récents, sont susceptibles de recevoir des interprétations qui s’éloignent du sens littéral. Le résultat en est la constitution d’un réservoir d’éléments dans lequel les différents sujets sont traités de manière diverse, indépendamment de leur appartenance à un « cycle » quelconque. Ce réservoir est ensuite disponible et transmis à la postérité74.
Ajoutons qu’à côté des « exploits accessoires » qui sont traités parfois à de multiples reprises et/ou de façon développée, certains travaux de 86l’ancien dodécathlos sont présents uniquement dans de courtes anecdotes, voire entièrement absents75. Le relevé suivant offre une vue générale des occurrences principales des travaux, suivies de la présence de quelques exploits accessoires dans la version « vulgate » du commentaire de Servius.
Travail |
Gloses de Servius |
Lion de Némée Hydre de Lerne Sanglier d’Érymanthe Biche de Cérynie Oiseaux du lac Stymphale Écuries d’Augias Taureau de Crète Juments de Diomède Baudrier d’Hippolyte Bœufs de Géryon Pommes des Hespérides Cerbère Centaures Conquête de Troie Conquête d’Œchalie Jeux olympiques Busiris Achéloüs Cacus Atlas |
Én. VIII, 179 ; VIII, 292 ; Géorg. III, 19 Én. VI, 287 (+ interprétation) Én. VI, 802 (brève mention) Én. VI, 802 (brève mention) Én. III, 240 / Én. VIII, 294 Én. I, 752 Én. XI, 661 (brève mention) Én. VII, 662 (+ interprétation) Én. IV, 484 (+ interprétation) ; IV, 246 ; IX, 357 Én. VI, 395 (+ interprétation) Én. VIII, 294 ; Géorg. II, 456 Én. VIII, 291 ; II, 312 ; III, 3 Én. VIII, 291 Géorg. III, 19 Géorg. III, 5 Géorg. I, 8 Én. VIII, 190 (+ interprétation) ; 203 ; 269 Én. I, 741 (+ interprétation) |
La présence inégale de ces travaux dans les gloses de Servius repose en fin de compte sur la sélection de données évoquées par Virgile, de même que le savoir du commentateur et la disponibilité de certains éléments d’exégèse. On ne saura jamais si Servius disposait de connaissances sur un travail comme les écuries d’Augias qu’il a passé sous silence ou s’il aurait su en dire plus sur la biche de Cérynie, plutôt que d’observer simplement que vicit autem Cerynitin cervam, dictam a loco76. L’absence ou la présence de certaines informations chez Servius 87sera cependant déterminante pour les auteurs des siècles suivants, qui s’appuieront sur son commentaire et sur des paratextes semblables.
Les exemples de gloses considérées dans les pages précédentes illustrent la nature éclectique des éléments de savoir et des interprétations proposées par Servius, qui s’expliquent, bien entendu, par la nature de son texte : un commentaire, non un manuel. Comme Paule Demats l’avait observé à propos de l’approche du grammairien tardo-antique, les fables représentent pour Servius « un réceptacle d’acceptations anciennes et disparates » et une matière qui « se prête à toutes les fins, et surtout à celles que se propose le grammairien ou le mythographe médiéval77 ». Quant aux travaux herculéens à proprement parler, leur métamorphose se fait à différents niveaux. Au-delà de l’éclatement de l’unité de l’ancien cycle, certains travaux individuels peuvent disparaître, et d’autres exploits, a priori accessoires, peuvent être mis en vedette à leur place. Les exploits individuels peuvent également changer de forme : ils peuvent être associés, voire se confondre avec d’autres mythes (comme dans le cas des oiseaux stymphaliens). Leur ancienne forme peut s’atténuer au profit d’interprétations ultérieures (comme dans le cas de l’hydre ou de Cerbère). De même, l’idée généralisée des douze travaux comme ensemble peut recevoir une signification ultérieure, qui peut parfaitement relativiser l’ancienne identité mythologique des exploits individuels (pensons à la glose à propos des douze signes). Finalement, tous ces éléments se trouvent dispersés à différents endroits du commentaire aux douze livres de l’Énéide.
Les différents mécanismes relevés ici dans le commentaire tardo-antique de Servius s’observent à leur tour dans les commentaires médiévaux à d’autres textes de même que dans les œuvres mythographiques à proprement parler, qui se construisent largement sur la base du savoir transmis par les commentaires. Selon les cas, ces différents textes peuvent mettre l’accent sur la dimension des savoirs mythologiques ou bien sur l’interprétation de ces derniers. Nous jetterons dans ce qui suit un regard sur la présence et le traitement des travaux d’Hercule dans les manuels des trois « Mythographes du Vatican » afin de mettre en avant ces tendances, avant de nous pencher sur la survivance et les métamorphoses des facta Herculi dans un ensemble de paratextes qui restent largement inédits, à savoir les gloses et commentaires médiévaux aux Métamorphoses d’Ovide.
88Des facta Herculi décousus et recompilés
Les traités des Mythographes I et II du Vatican
Pour comprendre les contenus herculéens des traités connus sous le nom de « Mythographes du Vatican », on peut partir de la réflexion suivante : les gloses de Servius que nous venons de considérer font partie d’un ensemble plus large de données textuelles qui assurent la transmission du savoir antique vers le Moyen Âge. À côté des classiques latins, à côté du commentaire virgilien de Servius, d’autres textes et commentaires qui paraîtront entre l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge occupent cette fonction de relais. Aux textes véhiculant un savoir sur les exploits d’Hercule appartiennent, entre autres, le commentaire à la Thébaïde et les Narrationes fabularum Ovidianarum attribués à Lactance Placide, les gloses anonymes à la Pharsale de Lucain, ainsi que le traité mythographique de Fulgence, l’œuvre encyclopédique d’Isidore de Séville, la Consolatio Philosophiae de Boèce et les commentaires en rapport avec cette dernière œuvre78. De ces divers témoignages disponibles dans des manuscrits circulant au haut Moyen Âge, les clercs se sont efforcés d’extraire des informations mythologiques, sur Hercule entre autres, et de réunir ce savoir dans des manuels, permettant à leurs contemporains et à leurs élèves de mieux comprendre les mythes auxquels faisaient allusion les auteurs classiques qu’ils lisaient. Les opuscules des dits « Mythographes I et II du Vatican » représentent essentiellement des compilations de gloses et de segments textuels disparates cousues ensemble pour former, dans chacun des deux textes, plus de deux cents courtes notices à propos des mythes antiques. La critique a tendance aujourd’hui à situer les compilateurs des deux manuels entre le ixe et le xie siècle, et à admettre la possibilité que le témoignage unique du « Mythographe I » soit non pas l’œuvre d’un prédécesseur, mais éventuellement celle d’un continuateur du « Mythographe II79 ». Ce qui est certain, c’est que 89les deux textes survivent ensemble dans le manuscrit Reg. lat. 1401 de la Bibliothèque Vaticane, qui date du xiie siècle. Contrairement au traité du Mythographe I, qui ne nous est connu que par ce manuscrit, le second survit dans onze autres témoins80. Chacun des deux mythographes réunit plus de vingt chapitres évoquant Hercule.
Au premier abord, l’organisation macro-structurelle de ces manuels ne semble pas très différente de celle de l’œuvre d’Hygin. Le fait que les compilateurs-mythographes du Moyen Âge n’aient cependant plus les mêmes points de référence que les mythographes de l’Antiquité se voit bien dans les lignes suivantes, qui constituent la Fabula erumpnarum Herculis du Mythographe I81 :
Aliae quaedam, praeter has, quae hic continentur, fabulae de Hercule finguntur. Nam fertur et Erymantheum quendam aprum occidisse [ 3 ] ; et cervo cuidam aurea cornua abstulisse [ 4 ] ; et Amazonam balteo spoliasse [ 9 ] ; et de equis Diomedis victoriam retulisse [ 8 ] ; et Lucano attestante, Ossam montem, superpositum a Gigantibus Olympo, dejecisse ; sub uno anhelitu CXXV passus cursu pedum percurrisse. Quae tamen praedictae fabulae ideo hic non plene scribuntur, quia raro inveniuntur.
« On a imaginé d’autres histoires sur Hercule que celles que nous avons rapportées ici. En effet, dit-on, il tua un sanglier sur le Mont Érymanthe, arracha ses cornes d’or à un cerf, enleva sa ceinture à l’Amazone, remporta la victoire sur les chevaux de Diomède et, comme l’atteste Lucain, renversa le Mont Ossa que les géants avaient placé sur l’Olympe. Lorsqu’il courait, il franchissait cent vingt-cinq pas sans respirer. Toutes ces histoires ne sont pas racontées ici plus en détail, parce qu’on les rencontre rarement. »
Ce passage évoque six exploits d’Hercule dont il n’est pas question dans les autres chapitres du traité « parce qu’on les rencontre rarement82 ». Cela peut surprendre lorsqu’on considère que quatre d’entre eux – le sanglier 90d’Érymanthe, le cerf aux cornes d’or, le baudrier de l’Amazone et les chevaux de Diomède – appartiennent au canon classique. Mais, comme l’ont bien souligné Nevio Zorzetti et Jacques Berlioz en introduction à la plus récente édition du texte, « [é]tant donné que le mythographe n’avait pas accès aux sources grecques, il se voyait alors contraint de rassembler des matériaux épars sans aucun manuel pour l’aider à les enchaîner83. » Dans l’extrait cité, on voit, schématiquement, s’enchaîner quatre éléments du dodécathlos qui semblent extraits du poème mnémotechnique d’Ausone (y compris le monostique donnant la version aberrante de la capture du cervidé auquel Hercule aurait enlevé les cornes), un fait accessoire cité explicitement d’après Lucain, et un dernier, repris peut-être à Isidore de Séville84. Quoi qu’il en soit des sources concrètes utilisées pour composer ce chapitre, le passage donne l’impression très nette que le dodécathlos n’était plus un repère pour ces mythographes.
Ce n’est sans doute pas un hasard non plus si deux des travaux « rencontrés rarement » manquent également dans le traité du Mythographe II, comme on le voit dans la table ci-dessous, qui illustre la présence des anciens travaux dans les deux traités, avec l’indication de leurs chapitres85.
Mythographe I |
Mythographe II |
|
1 lion de Némée 2 hydre de Lerne 3 sanglier d’Érymanthe 4 biche de Cérynie 5 écuries d’Augias 6 oiseaux du lac Stymphale 7 taureau de Crète 8 juments de Diomède 9 baudrier d’Hippolyte 10 bœufs de Géryon 11 pommes des Hespérides / dragon 12 Cerbère |
51-52 62 63 (« rencontré rarement ») 63 (« rencontré rarement ») ø (~56 harpyes) 47 63 (« rencontré rarement ») 63 (« rencontré rarement ») 67 38 48 (Thésée sauvé des enfers) |
183 188 185 ø ø 185 ; (~271 harpyes) 143 (sur Minos) 174 ø 175 161 173 (nom d’Hercule) |
En effet, la biche de Cérynie et le baudrier de l’Amazone Hippolyte, évoqués de manière anecdotique dans la Fabula erumpnarum Herculis du Mythographe I que nous avons citée supra sont entièrement absents du texte du Mythographe II. On remarque aussi qu’un autre travail, les écuries d’Augias, déjà peu présent dans les listes éclectiques de travaux chez les auteurs classiques et absent de la version « vulgate » du commentaire de Servius, manque entièrement dans le cadre des deux manuels mythographiques86.
Quant aux travaux subsistants, leur présence n’est pas sans équivoque. Les oiseaux stymphaliens, par exemple, que nous avons déjà vus associés aux harpyes chez Servius, font l’objet d’une confusion plus poussée dans ces deux manuels. Ils apparaissent dissimulés dans des chapitres rubriqués « Fabula Herculis et Alcinoi et Arpiarum » du Mythographe I et « De Alcinoe » du Mythographe II. Ce dernier nous relate le mythe suivant87 :
Alcinous rex Pheacum laborabat ab Arpiis. Ad quem Hercules ueniens cum agnouisset, postulatus est aduentum illarum ad mensam solito uenientium, quas uulneratas repulit a regno. Arpie dicuntur canes esse Iouis que a rapiendo dicte sunt, quas Ouidius stimpalidas uocat.
« Alcinoüs, le roi des Phéaciens, était tourmenté par les harpyes. Alors qu’Hercule, venant chez lui, en fut informé, on attendit l’arrivée de celles-ci, qui avaient l’habitude de venir à table. Après les avoir blessées, Hercule les chassa du royaume. On dit que les harpyes sont des chiens de Jupiter, appelés ainsi de rapiendo (“pillant”) ; Ovide les appelle “stymphalides”. »
Non seulement les oiseaux sont-ils évoqués en relation avec les harpyes (comme chez Servius), mais l’épisode mythologique dans lequel ils s’insèrent semble être le résultat d’une juxtaposition de plusieurs mythes. Car il n’existe pas, selon les mythographes antiques connus, de mythe d’Hercule et Alcinoüs ni de mythe d’Alcinoüs et des harpyes88. Des harpyes qui « viennent à table » pour ravir la nourriture apparaissent en 92revanche dans l’histoire du roi Phinée, qui est délivré de ce tourment non pas, a priori, par Hercule, mais par Zétès et Calaïs. Ces derniers chassent les créatures ailées vers les îles Strophades – ce qui nous ramène vers le tertium comparationis responsable de l’association avec les oiseaux nommés Stymphalides chassés par Hercule (déjà observé chez Servius). Nous poursuivrons plus loin l’étude des confusions énigmatiques qui entourent cet épisode ; notons pour l’instant qu’il illustre de façon exemplaire comment Hercule peut se trouver au croisement de plusieurs mythes différents, liés par des associations parfois obscures, qui se multiplient au fil du temps et entre lesquels les exploits anciens peuvent se perdre.
Hormis de tels épisodes véritablement « contaminés », les anciens travaux se trouvent dissimulés de manière générale à l’intérieur des divers chapitres herculéens des deux traités. Cette tendance est plus patente chez les Mythographes I et II qu’elle ne l’était chez Servius, où la nature des données était motivée en partie par la sélection d’éléments mentionnés par Virgile. Elle est d’autant plus visible dans la mesure où les deux mythographes ont fait un certain effort pour regrouper les chapitres parlant d’Hercule en séries thématiques. Voici, en guise d’exemple, la suite de chapitres consacrés au héros chez le Mythographe II, avec leurs titres, l’indication de leurs contenus et des chiffres entre crochets désignant les éléments du dodécathlos89.
Chapitres du Mythographe II |
Thématiques |
171. De Iove et Alchmena 172. De Hercule 173. Unde Hercules dictus sit 174. De Diomede 175. De Gerione 176. De Evandro 177. De Admeto 178. De angue ab Hercule interfecto 179. De Erice 180. De Busiride 181. De Hercule 182. De Eurito 183. De duobus leonibus quos Hercules vicit |
La naissance du héros Iphiclès ; les deux serpents L’étymologie du nom Alcide ; [ 12 ] Cerbère (+ interprétations) [ 8 ] Les chevaux de Diomède [ 10 ] Géryon (+ interprétation) Évandre ; Cacus ; le culte d’Hercule Alceste ramenée des enfers à Admète Un serpent en Lydie ; Omphale Éryx Busiris Mégara ; la furie d’Hercule La conquête d’Œchalie ; Iole [ 1 ] Le lion de Némée |
93
185. De Erimantho et Stimphalo 186. De aureis pomis Iovi a terra allatis 188. De Lerna palude 189. De Antheo et Hercule 190. De Eneo 191. De morte Herculis 192. De sagittis Herculis 193. De asylo nepotum Herculis |
[ 3 ] Le sanglier d’Érymanthe [ 11 ] Lespommes des Hespérides [ 2 ] L’hydre de Lerne (+ interprétation) Antée Œnée ; Achéloüs ; la conquête de Déjanire Nessus ; Lichas ; mort et déification d’Hercule Les flèches d’Hercule données Un refuge pour les descendants d’Hercule |
Chapitres ailleurs dans le traité qui évoquent Hercule |
|
64. De Prometheo 143. De Minoe 156. De Theseo et Peritoo 227. De Hercule et Yla 271. De Alcinoe |
Hercule libère Prométhée en tuant l’aigle Minos,[7] Hercule et le taureau de Crète Hercule sauve Thésée des enfers Hylas Alcinoüs, Hercule et les harpyes |
Les chapitres 171 à 193 forment leur propre vie« recompilée » d’Hercule, commençant par sa naissance et le récit des deux serpents envoyés par Junon, et se terminant par la mort du héros, sa transformation en étoile et le destin de ses descendants. Les épisodes situés entre sa naissance et sa fin, en revanche, ne semblent pas être relatés selon un ordre évident. Les athloi n’ont pas de statut particulier à l’intérieur des chapitres, qui abordent une variété de faits. En effet, les anciens travaux ne sont souvent même pas annoncés en tant que tels par les rubriques. Il faut chercher l’hydre dans un chapitre dédié au marais de Lerne, renvoyant à une lecture déjà historicisée de l’épisode. Un chapitre intitulé simplement « d’Érymanthe et de Stymphale » parle du sanglier et des oiseaux vaincus par le héros. Par ailleurs, le lion de Némée figure à côté d’une deuxième créature léonine mystérieuse dans un chapitre « des deux lions vaincus par Hercule », et Cerbère se cache dans un chapitre qui annonce des réflexions sur le nom d’Hercule.
Le fait que les chapitres évoqués supra insistent sur des détails accessoires plutôt que sur le « noyau » prétendu d’un épisode s’explique par la nature des sources sur lesquelles ils s’appuient : ce sont à l’origine des gloses – reprises largement à la version « vulgate » du commentaire 94de Servius et de celui de Lactance Placide à la Thébaïde de Stace90. En d’autres mots, ce sont des éléments de glose qui ont été détachés de leur contexte d’origine et (re)compilés afin de former des unités thématiques sommaires, auxquelles le compilateur a ensuite conféré un titre. Or, une glose est surtout censée expliquer des données figurant dans le texte sur lequel elle s’appuie. Lorsque la glose est décontextualisée, perdant son point d’appui, et prise comme une unité à part entière censée fournir des informations sur un épisode mythologique, l’orientation de l’épisode en question est susceptible de changer complètement de cap. Des composantes centrales, voire indispensables, d’un mythe peuvent de cette façon être reléguées à l’arrière-plan alors que des détails a priori peu importants peuvent prendre une place prépondérante. Par ailleurs, des versions hybrides d’un épisode peuvent s’établir et être perpétuées sous forme indépendante et « achevée » (si l’on suppose que les gloses figurant à côté d’un autre texte sont plus ouvertes et susceptibles d’être remodelées que les notices d’un traité mythographique). Ces processus de réaménagement de la matière peuvent concerner les récits individuels, tout comme ils peuvent se produire pour des séries entières ou un cycle d’épisodes. Pensons aux exploits « nommés rarement » selon le Mythographe I ; pensons à la constellation des épisodes chez ces mythographes du haut Moyen Âge en comparaison avec notre esquisse initiale de la vie du héros selon les auteurs grecs.
On peut s’arrêter sur deux exemples spécifiques afin de mettre en lumière ces phénomènes, tout en montrant que le retour aux sources permet de comprendre les données telles qu’elles figurent dans le traité du mythographe médiéval. Le chapitre à propos des deux lions vaincus par Hercule en est un exemple parlant. Citons d’abord le chapitre « De duos leonibus quos Hercules vicit » selon le Mythographe II91 :
Hercules duos leones superauit, unum Theumesium alterum Clioneum. Theomeus mons est Boecie, Nemeus mons Archadie qui et Clioneus dicitur. | Sed Hercules dum ad occidendum Nemeum leonem isset ab Euristeo missus, a Molorcho in hospitium est susceptus cuius filium leo interfecit, et ab eo, quomodo cum leone coiret, didicit. Quo superato ludos instituit quos a loco Nemea appelauit.
« Hercule vainquit deux lions, l’un de Theumese, l’autre de Clione. Theomeus est une montagne en Béotie, Nemeus est une montagne en Arcadie qui est aussi appelée Clioneus. Mais Hercule, lorsqu’il allait, envoyé par Eurysthée, 95assommer le lion de Némée, fut accueilli par Molorchus, le fils duquel avait été tué par le lion, et Molorchus lui apprit comment affronter le lion. Ayant vaincu ce dernier, il institua des jeux qu’il appela, du nom de ce lieu, néméens. »
C’est le seul témoignage que nous ait laissé le Mythographe II à propos du lion de Némée, qui se trouvait au centre du célèbre premier travail d’Hercule d’après le dodécathlos. Or, la phrase initiale du chapitre citée ici n’a pas pour but de mettre en avant la première victoire du héros. Elle nous apprend qu’Hercule a vaincu deux monstres léonins, dont celui de Némée n’est évoqué qu’en deuxième lieu et, de surcroît, à travers un autre toponyme – Clioneum –, adjectif correspondant au nom de la région Cléones, où se situe la forêt néméenne92. L’accent s’est déplacé ; l’ancien élément-clé n’est qu’un aspect parmi d’autres.
Outre la difficulté de cibler clairement un « lion de Némée » à l’intérieur de cette entrée qui abonde, par ailleurs, en toponymes grecs partiellement déformés (que les mythographes médiévaux recopiaient très vraisemblablement sans connaître les lieux auxquels ils renvoyaient), on peut s’interroger sur la raison d’être du deuxième lion, de « Teumèse », dont la présence peut surprendre. Les contenus du chapitre cité, et donc ce deuxième lion, remontent en effet aux gloses de Lactance Placide (ve siècle). Ces dernières méritent, à leur tour, d’être considérées en relation avec les vers de la Thébaïde auxquels elles renvoient, afin d’être comprises pleinement. L’endroit-clé, déclencheur, est un passage dans lequel Stace évoque de manière périphrastique un « lion comme celui que le fils d’Amphitryon a abattu dans les bois de Teumèse pendant sa jeunesse, avant son combat contre le monstre de Cléones93 ». Le commentateur tardo-antique a ajouté la glose suivante à propos de ces vers94 :
leonis scilicet, quem in Teumes [ i ] o Hercules occidit. Nam idem duos superasse dicitur : primum Teumesium, secundum Cleonaeum. Teumesus mons Boeotiae est, Nemeaeus mons Arcadiae, qui est Cleonaeus.
« c’est-à-dire le lion qu’Hercule tua en Teumèse. Car on dit qu’il en a vaincu deux : le premier de Teumèse, le second de Cléones. Teumesus est une montagne 96en Béotie, Nemaeus est une montagne en Arcadie, qui est (aussi appelée) Cleonaeus. »
Quand on prend en considération les vers de Stace, on comprend pourquoi la créature vaincue en Teumèse figure au premier plan de la glose. C’est à cet animal que fait allusion le passage de la Thébaïde. Ce serait un lion que le héros aurait vaincu quand il était plus jeune. Or, contrairement au lion de Némée, un « lion de Teumèse » ne fait pas partie des exploits herculéens bien connus de l’Antiquité. En effet, il n’est mentionné explicitement, à notre connaissance, par aucun autre auteur antique95. À travers la glose de Lactance Placide, détachée du texte de Stace et intégrée dans des témoignages comme celui du Mythographe II, ce lion a cependant trouvé son chemin jusqu’au Moyen Âge et a pu être placé sur un pied d’égalité avec le lion de Némée, au moins aux yeux de certains auteurs médiévaux96.
Le Mythographe II a repris cette glose, en ajoutant des éléments repris à un autre passage du même commentaire de Lactance Placide qui précise qu’Hercule a été hébergé par Molorchus lors de cette aventure97. C’est ainsi que se présente l’essentiel des entrées de ce traité en rapport avec Hercule : comme une mosaïque de passages divers compilés ailleurs puis rassemblés en des unités à peu près cohérentes. On n’est pas surpris, de ce fait, que certaines de ces interprétations polyvalentes, mêlant des éléments d’étymologie, d’histoire et de philosophie (morale) que nous avons déjà rencontrés dans le commentaire de Servius, tendent à réapparaître dans ce traité : l’hydre représente une source d’eau, les pommes d’or des Hespérides sont des moutons prisés, et Cerbère signifie la terre. On n’arrive pas à déceler une tendance particulière de la part du Mythographe II à développer davantage les interprétations ni à en introduire de nouvelles, à insister sur le primat des expositions ni même à les distinguer clairement des fables. Or, le fait que le sens d’une glose s’ouvre à des déplacements ou des réinterprétations quand celle-ci est 97détachée de son contexte de départ peut s’observer également dans le cas de certaines expositions reprises par les mythographes. Nous nous limiterons à évoquer un exemple emprunté au Mythographe II, intéressant pour notre propos parce qu’il est susceptible d’admettre deux sens contradictoires autour de l’identité d’Hercule.
L’exemple se trouve dans le chapitre Unde Hercules dictus sit, qui est composé d’une série de gloses reprises au commentaire de Servius98. Nous ne citons ici que la première moitié du segment, avec l’indication entre crochets des gloses de Servius qui sont mises à contribution. Au-dessous, nous en proposons une première traduction possible99 :
Herculem quidam uolunt Alcidem ἀπ ὸ τῆς ἀλκῆς dictum, id est a uirtute. Quod non procedit, quia prima etate hoc nomen habuit ab Alceo patre Amphitrionis, et scimus agnomina ab accidentibus dari. (Servius, Én. VI, 392) Sed Hercules a prudentioribus magis mente quam corpore fortis inducitur adeo ut XII eius labores referri possint ad aliquid, nam cum plura fecerit, XII tantum ei assignantur propter agnita XII signa. Quod autem dicitur traxisse ab inferis Cerberum, hec est ratio, quia omnes cupiditates et cuncta uicia terrena contempsit et domuit, nam Cerberus est terra, id est consumptrix omnium corporum unde et Cerberus dictus quasi creoborus, id est carnem uorans. (Servius, Én. VI, 395)
« Certains veulent qu’Hercule soit appelé Alcide de άπò τῆs άλκῆς, c’est-à-dire “de la virtus”. Cela n’est pas admissible, parce qu’il a reçu ce nom dans son premier âge d’Alcée, père d’Amphitryon. Et nous savons que les noms accessoires sont attribués selon les circonstances. Mais Hercule est représenté par les plus sages comme étant plus fort par son esprit que par son corps, de façon que ses douze travaux puissent référer à autre chose ; car même s’il en a accompli plusieurs, on lui en attribue douze seulement, à cause des douze signes (du zodiaque) connus. La raison pour laquelle on dit, par ailleurs, qu’il a tiré Cerbère des enfers est qu’il méprisa et dompta tous les vices et toutes les passions terrestres ; car Cerbère, c’est la terre, c’est-à-dire celle qui consomme tous les corps, et pour cela il est appelé Cerberus, comme creoboros, c’est-à-dire “qui dévore la chair”. »
Selon la traduction que nous avons proposée ci-dessus100, la glose commence par nier l’étymologie qui ferait dériver le nom Alcide du 98terme grec ἀλκῆ (alke), signifiant « force » ou « prouesse », et que Servius avait traduit par virtus, car Hercule, en réalité, aurait pris ce nom de son grand-père paternel supposé, Alcée (père d’Amphitryon). Cette interprétation va de pair avec l’historicisation du mythe d’Hercule telle qu’on l’avait observée déjà chez Diodore, qui faisait d’Hercule un homme illustre par ses hauts faits et non parce qu’il était marqué d’une quelconque force ou divinité intrinsèque.
C’est dans ce sens aussi que la glose de Servius devait vraisemblablement être comprise dans son contexte d’origine. Le commentateur renvoyait à un passage de l’Énéide où Charon, le passeur qui mène les âmes des défunts à travers le Styx, justifie pourquoi il refuse de faire traverser des hommes vivants, en se rappelant ce qui était arrivé quand il avait laissé passer Hercule, Thésée et Pirithoüs. Ces derniers avaient cherché à enlever Proserpine, alors que le premier avait emmené Cerbère. Citons les vers concernés101 :
Nec vero Alciden me sum laetatus euntem
accepisse lacu, nec Thesea Pirithoumque,
dis quamquam geniti atque invicti viribus essent
« Je n’étais pas véritablement heureux d’avoir accueilli Alcide, ni Thésée et Pirithoüs sur le marais (du Styx), bien qu’ils soient nés des dieux et invaincus par leur force. »
À propos de ce passage, Servius a expliqué d’abord que Charon a dû, en conséquence de cela, passer une année entière enchaîné. Dans la suite, il a ajouté quelques mots à propos de l’Alcide, le premier des trois héros « invaincus par leur force » : sane Alciden volunt quidam ἀπὸτῆςἀλκῆςdictum, id est a virtute : quod non procedit, quia a prima aetate hoc nomen habuit ab Alcaeo, patre Amphitryonis102. Servius reprend l’idée de la force du héros à laquelle avait fait allusion Virgile, et enchaîne avec l’idée que, « en effet, certains ont voulu croire que son nom dérive du terme grec pour la virtus (la force, en l’occurrence)103 ». Ensuite, il rejette cette hypothèse, faisant observer que le héros a en réalité pris son nom de son ancêtre. La conclusion en est que la ressemblance de son nom avec le terme grec ἀλκῆ est pure coïncidence.
Revenons maintenant au chapitre du Mythographe II. En effet, à la première observation, le mythographe ajoute une glose reprise à un autre 99passage du commentaire servien, attribuant à Hercule des capacités qui (re)valorisent sa nature vertueuse. C’est la glose que nous avons déjà commentée supra en rapport avec Servius : Hercule aurait été fort par son intellect plutôt que par son corps, parce qu’il aurait connu les douze signes du zodiaque (correspondant aux douze travaux) et parce qu’il aurait dompté tous les vices terrestres (représentés par Cerbère). Quand on considère que le terme de virtus, employé par Servius dans la première glose, peut signifier différents types de force, dont la force morale – la vertu –, les deux gloses prises ensemble risquent de produire un contre-sens. L’Hercule qui ressort des deux passages cousus ensemble – un homme qui n’est pas essentiellement caractérisé par la virtus, mais qui se distingue tout de même parce qu’il a vaincu tous les vices – finit par être un personnage quelque peu contradictoire. Il n’est pas surprenant, par conséquent, que le passage du Mythographe II ait été compris différemment par certains éditeurs et traducteurs modernes du texte. Car il est en effet possible d’interpréter la syntaxe du passage de manière légèrement différente, mais avec la conséquence que le sens qui en ressort est diamétralement opposé à celui que nous avons proposé plus haut104 :
Herculem quidam uolunt Alcidem ἀπὸ τῆς ἀλκῆς dictum, id est a uirtute, quod non procedit quia prima etate hoc nomen habuit ab Alceo patre Amphitrionis [ … ]
« Certains veulent qu’Hercule soit appelé Alcide ἀπὸτῆςἀλκῆς (“de la vertu”) ; ce qui ne vient pas du fait qu’il avait ce nom dans son premier âge d’Alcée, père d’Amphitryon […] »
Cette interprétation réconciliera les contenus des deux gloses, en faisant d’Hercule un homme incontestablement vertueux et sage. Le passage illustre de façon exemplaire les fluctuations interprétatives qui ressortent des gloses quand celles-ci sont détachées de leur contexte d’origine et recompilées dans un autre. Dit de manière plus précise, la glose montre comment une variante qui est ouverte à une pluralité d’interprétations à un moment et dans un contexte donnés peut, dans une étape ultérieure ou dans un autre contexte, mener à une réinterprétation faisant prévaloir un sens particulier plutôt qu’un autre.
Le format des gloses, d’importance primordiale pour la transmission du savoir sur Hercule au Moyen Âge, est, en effet, responsable en partie 100de l’éclatement de la matière concernée. Car la « codification » présumée de cette dernière n’a été faite que dans un ensemble très limité de textes antiques connus, entre lesquels un nombre encore plus réduit a eu un impact sensible au Moyen Âge. Non seulement le cycle se désintègre, mais les travaux particuliers ont tendance à subir des « métamorphoses » de différents types. Les écuries d’Augias, déjà peu présentes dans les textes de la latinité classique, disparaissent, les oiseaux stymphaliens sont associés aux harpyes, et le lion de Némée se retrouve à côté d’un second monstre léonin. D’autre part, l’hydre est historicisée en une source d’eau, les pommes des Hespérides sont interprétées comme étant des moutons et Cerbère est censé renvoyer allégoriquement à la terre. Par ailleurs, des exploits considérés autrefois comme des parerga – un Cacus, un Antée ou des centaures – peuvent se retrouver dans des répertoires de facta Herculi sans distinction de catégories. Dans la mesure où les travaux renvoient à autre chose, ils peuvent devenir symboliques de l’identité d’Hercule et donc ne figurer que pour motiver son portrait. On se retrouve devant un vaste nœud de fils thématiques et interprétatifs qui peuvent se rencontrer dans différentes constellations et qui nous mènent, par ailleurs, souvent dans un vide – car beaucoup de sources sont perdues pour nous. Dès lors, vouloir démêler chacun des fils constituant « les travaux » devient une tâche… herculéenne.
On peut néanmoins retenir un certain nombre d’éléments centripètes qui se dégagent de cette tradition d’apparence si éclatée qu’est celle des gloses, surtout quand on considère leur intégration dans les manuels mythographiques : la « biographie » du héros, quand elle se laisse deviner à l’arrière-plan, reste étonnamment stable. En partant de ces bribes de prose latine, concise, voire elliptique, apparaît un personnage dont la carrière héroïque débute par une victoire contre deux serpents et se termine par sa transformation en étoile. Entre deux, il traverse une série d’épreuves épisodiques dont les mentions seront perpétuées au-delà des paratextes auxquels elles étaient rattachées à l’origine : Cerbère, l’hydre, Atlas, les oiseaux (ou harpyes), le(s) lion(s), Géryon, le séjour chez Évandre avec la victoire sur Cacus, Antée, sont autant d’éléments qui, grâce à leur mention chez les classiques latins et leur répétition à travers les commentaires, ont pu être vus comme constitutifs de la vie du héros. La persistance des mêmes interprétations historicisantes et allégorisantes évoquées au paragraphe précédent témoigne pareillement d’une certaine stabilité de la matière. Par ailleurs, le fait que les gloses ne racontent jamais les épisodes, mais les rappellent, ou, à la rigueur, les nomment, montre que l’essentiel – tout le reste – était connu – ou le fut, à un moment donné. La fonction de ces 101commentaires n’est pas de se substituer au mythe et à la pluralité des récits qui le consignent ; ils ont juste la vocation de remettre le lecteur sur la bonne piste pour que rien, dans ce qu’ont écrit les classiques, ne reste lettre morte et que chaque allusion résonne dans la mémoire des lecteurs. C’est pour cela qu’il importe peu de savoir si le compte y est, quels étaient précisément les douze travaux accomplis par le héros, s’il a capturé une biche ou un cerf, ou même si les informations fournies multiplient les vérités potentielles autour de certains exploits. L’essentiel est le respect des grandes lignes du canevas biographique et la capacité du glossateur à « répondre » à l’allusion classique par un morceau d’information afin d’éviter qu’il y ait, dans cette biographie, un trou.
Le détachement de ces bribes d’information de leur cadre d’origine et leur réinsertion dans des contextes ultérieurs peut cependant mener à des réaménagements – conscients ou non – de la matière. C’est l’effet combiné de l’éloignement progressif du substrat culturel auquel appartiennent les données transmises et le recopiage des informations présentes à travers différents modèles de travail. Une information a priori secondaire ou complémentaire peut devenir la seule information disponible. Les Mythographes I et II du Vatican ont, selon toute vraisemblance, cherché à rassembler dans leurs opuscules, conçus comme des recueils de savoir mythologique général, le maximum d’informations qui leur étaient disponibles à propos des mythes antiques. D’autres écrivains opéreront des sélections plus évidentes, en privilégiant des auteurs spécifiques ou en ciblant un type d’information particulière. Nous chercherons à illustrer ce phénomène par une courte incursion dans l’œuvre du Mythographe III du Vatican. Ce dernier, il faut le dire, ne cherche plus à fournir un véritable répertoire d’exploits herculéens, mais procède à une sélection motivée.
Les exploits d’Hercule
dans un portrait orienté
L’exemple du Mythographe III
Un effort pour « réorienter » les matériaux herculéens disponibles à travers une sélection consciente et une mise en perspective nouvelle s’observe dans le traité du Mythographe III du Vatican. Ce dernier est souvent associé à un auteur du nom d’Albericus, peut-être originaire de l’Allemagne 102du sud et ayant vécu au xiie siècle105. Suivant les observations de Gisèle Besson, qui prépare une nouvelle édition de l’œuvre, cette dernière survit dans une cinquantaine de manuscrits106. Elle semble donc avoir connu une diffusion bien plus importante que les traités des Mythographes I et II, surtout si l’on tient compte des citations d’Albericus dans des compositions plus tardives qui ont eu une influence importante107. Par sa structure, le traité d’Albericus diffère nettement des textes des deux premiers mythographes, dans la mesure où il ne rassemble pas une vaste quantité de courtes notices à propos de différents mythes, mais une série de quatorze chapitres plus longs et plus organiques – ou, pour reprendre les termes de Besson, « des synthèses logiquement organisées et non une poussière d’informations dispersées ou une succession de petits éléments narratifs accumulés sans ordre108 ». Par ailleurs, l’auteur ne s’intéresse pas, si l’on suit ses propres mots, à répertorier des faits mythologiques, mais à dévoiler la « vérité divine » unique qui se cache derrière la diversité des récits en jeu, en recourant aux arguments des philosophi109 :
Nam philosophi, quorum in plerisque vel veritatis viam vel rationis assertionem tradidit auctoritas, unum dicunt deum esse, caeli et terrae rerumque omnium procul 103 dubio creatorem. Hic tamen ab iisdem pro multiplici dispositione, qua diversis modis regitus mundus, variis item vocabulis appellatur.
« Ainsi, les philosophes, dont l’autorité, dans la plupart des cas, a montré soit le chemin de la vérité, soit l’affirmation de la raison, disent qu’il n’y a qu’un seul Dieu, créateur assuré du ciel, de la terre et de tout ce qui est. Mais ce dernier, devant la complexité de l’organisation qui régit le monde dans ses divers éléments est nommé par des termes tout aussi variés. »
L’auteur justifie de cette façon son projet de traiter des mythes antiques, sujet a priori incompatible avec la pensée chrétienne de son époque, en partant de l’idée que les différents récits mythologiques renvoient tous, en fin de compte, à un Dieu unique.
C’est ainsi que le Mythographe III proposera aussi de s’attaquer, en recourant aux voix des auctoritates, au mythe d’Hercule, auquel est consacré le treizième chapitre de son traité. Nous tenterons dans ce qui suit d’éclairer les contenus de ce chapitre dans les grandes lignes, en examinant aussi ce qui reste de l’ancien cycle des travaux d’Hercule. Voici une vue d’ensemble des différents éléments herculéens abordés par le mythographe, toujours avec l’indication des chiffres renvoyant aux anciens travaux110 :
Chapitre 13
§ 1 : Hercule est dit fils de Jupiter
§ 1 : Hercule est vaincu par Omphale
§ 1 : Hercule vainc Cacus
§ 2 : Hercule vainc Antée
§ 3 : Hercule ramène Alceste des enfers à son mari Admète
§ 4 : Hercule soutient le ciel à la place d’Atlas
§ 4 : Hercule enlève Cerbère des enfers [11]
§ 4 : Hercule vainc l’hydre [2]
§ 4 : Hercule vainc Achéloüs
§ 5 : Hercule enlève les pommes des Hespérides [12]
§ 6 : Hercule vainc Géryon [10]
§ 6 : Hercule vainc Charybde
§ 7 : Hercule fait l’objet d’un culte au Latium, institué par le roi Évandre
§ 8 : Hercule est considéré comme un deus communis
§ 8 : Il y a eu plusieurs Hercule
De manière plus évidente que dans les traités des deux premiers mythographes, on se retrouve ici devant un portrait d’Hercule, commençant 104par sa filiation présumée et se terminant par une réflexion à propos de son identité et de son statut de divinité. Le portrait intègre une sélection d’exploits, parmi lesquels on ne reconnaît que quatre travaux du cycle ancien – Cerbère, l’hydre, les pommes des Hespérides et Géryon – qui se concentrent vers le milieu du chapitre. Le constat général est qu’il s’agit d’éléments que nous avons déjà rencontrés chez Servius et qui font ensuite partie constitutive des chapitres herculéens dans le traité du Mythographe II111. De là, on a l’impression que le Mythographe III veut fournir « l’essentiel » des exploits d’Hercule, comme un florilège, un Best of en quelque sorte.
Il est cependant possible de déceler plus exactement ce qui a motivé la sélection opérée par Albericus en considérant les sources qu’il a utilisées. Comme l’avait déjà souligné Marc-René Jung, les composantes de son treizième chapitre proviennent de deux sources principales. C’est, d’un côté, l’œuvre de Fulgence « le Mythographe » (Fabius Planciades Fulgentius, originaire de l’Afrique vandale et peut-être actif dans la deuxième moitié du vie siècle), connu notamment pour ses Mitologiae et pour son approche allégorico-morale chrétienne des mythes antiques112. De l’autre, ce sont les gloses de la version « vulgate » de Servius. Ajoutons quelques précisions :
La partie fulgencienne du chapitre concerne avant tout les trois premiers paragraphes retenus dans la liste donnée supra (à propos d’Hercule et Omphale, la victoire sur Cacus, la lutte contre Antée et l’implication du héros dans le mythe d’Admète et Alceste), qui sont tous adaptés d’après des chapitres des Mitologiae113. Ce sont, par ailleurs, les seuls chapitres du traité fulgencien qui parlent d’Hercule. Albericus a donc consciencieusement dépouillé ses sources. Conformément à l’approche de Fulgence, les mythes en question sont tous pourvus d’interprétations allégorico-morales ; ils servent, pour reprendre les mots de Jung, de « prétexte pour un enseignement moral114 ». La victoire d’Hercule sur 105Cacus, par exemple, est censée signifier le combat de la virtus contre les méchants (virtus et malos interficit et sua vindicat)115. L’amour du héros pour Omphale devrait montrer cependant que même la virtus invaincue peut être surmontée par la libido (Ostendit ergo quod libido quamvis etiam invictam possit superare virtutem)116. Pour le nom propre d’Hercule on propose l’étymologie ηρώωνκλέος (eron cleos), ce qui est interprété comme virorum fortium gloria, soit la « gloire des hommes forts » ou la « renommée des héros117 ». Le terme de virtus est donc ici encore susceptible de recevoir différentes nuances et de renvoyer tantôt à la vertu morale, tantôt à la prouesse physique. On notera qu’aucun des épisodes évoqués dans les chapitres dérivés de Fulgence ne traite des douze anciens travaux du héros, et qu’Albericus a peut-être placé exprès ces « strates » d’informations et surtout d’interprétations plus récentes en tête de son chapitre118.
La majorité des éléments à partir du quatrième paragraphe, y compris la plupart des élaborations à propos des anciens travaux retenus, proviennent, quant à eux, du commentaire de Servius à l’Énéide119. Les mots que le mythographe choisit pour introduire ce segment permettent de comprendre le nombre réduit des récits qu’Albericus a sélectionnés, 106parmi la multitude de passages du commentaire tardo-antique de Servius qui évoquent Hercule : Denique, ut ait Servius, Hercules apud prudentiores mente magis quam corpore fortis inducitur, adeo ut XII eius labores ad aliquid referri possint120. Les mots repris au commentateur, que nous avons déjà cités plus haut d’après leur contexte d’origine, servent ici à justifier les éléments retenus dans la suite du chapitre : ce sont spécifiquement des mythes à propos desquels Servius avait élaboré des interprétations ultérieures – des travaux qui « réfèrent à autre chose ». C’est ainsi que l’on retrouvera, une fois de plus, Atlas, Cerbère et l’hydre, mais non, par exemple, les oiseaux de Stymphale, le lion de Némée, Diomède et les Amazones.
À travers les éléments de mythographie fulgencienne moralisante qui ouvrent son chapitre et sa sélection d’éléments serviens qui s’intéressent, eux aussi, aux « vérités ultérieures », l’ensemble de son portrait d’Hercule paraît être le résultat d’une sélection délibérée, s’orientant à dessein vers l’interprétation des mythes.
Il paraît intéressant de relever à cet endroit quelques « types » d’expositions qui s’ajoutent aux épisodes herculéens et dont la présence prépondérante a pour effet de brouiller les traces des contenus mythologiques, y compris celles des travaux, chez Albericus.
–On rencontre à plusieurs reprises un Hercule symbolisant la force morale qui combat les vices. Hercule qui parvient à vaincre Antée en le soulevant dans les airs devient, suivant Fulgence, un reflet de l’homme vertueux qui sait résister au plaisir des sens en élevant son esprit pour ne pas succomber aux passions : quia dum carnalibus se quispiam denegaverit affectibus, mentemque ne carnalia appetat in altum sustulerit, victor statim exsurgit121. C’est dans le même sens que va l’interprétation reprise à Servius à propos de Cerbère. Ce dernier est, comme Antée, associé à la terre, qui, elle, devient dans les deux cas symbole des plaisirs de la chair. Hercule est dans ce cadre celui qui omnes cupiditates et cuncta vitia terrena contempsit et domuit122. L’image de l’Hercule vertueux n’est cependant pas une image parfaite, car, comme on l’apprend dès la deuxième phrase 107–du chapitre, [h]ic ab aliis invictus, Omphalae tamen prae amore subjacuit[…]123. Et Omphale, comme nous l’avons noté précédemment, est censée signifier elle aussi le plaisir des sens.
–Ailleurs, Hercule apparaît spécifiquement comme un philosophe. On retrouve, sans surprise, l’anecdote de Servius à propos d’Atlas qui instruit Hercule en astronomie, justifiant la conclusion, déjà chez Servius : Constat enim, Herculem fuisse philosophum124. La même idée générale se retrouve dans un développement, adapté d’après Fulgence, à propos des pommes des Hespérides. À noter que ce segment s’appuie non pas sur les Mitologiae, mais sur un autre texte du même auteur, l’Expositio Virgilianae continentiae secundum philosophos moralis, qui s’appuie, comme le commentaire de Servius, sur l’œuvre de Virgile, mais qui cherche à l’« exposer selon la philosophie morale », comme son titre le suggère125. Suivant Fulgence, Albericus observe dans ce contexte qu’il y avait quatre Hespérides, filles d’Atlas, qui signifiaient studium, intellectum, memoriam et facundiam (« étude, intelligence, mémoire et éloquence »). Il ajoute ensuite une conclusion qui n’est pas chez Fulgence, à savoir qu’Hercule a enlevé les pommes d’or de leur jardin, quia per has ad philosophiam pervenitur126.
–D’autres éléments d’interprétation historicisent les épisodes sans recourir à des moralisations ou allégories à propos d’Hercule, mais présentent ce dernier comme un héros civilisateur ou un conquérant. Ainsi, Hercule aurait détourné l’un des bras du fleuve Achéloüs afin de rendre les champs fertiles : alterum eius alveum, cuius eruptiones immodicae agros obruebant, exsiccavit fertilemque reddidit127 ; et il aurait vaincu Géryon, qui régnait sur les trois îles Baléares, en parvenant auprès de lui dans un solide navire d’airain : Hunc Hercules vicit, qui ideo fingitur ad eum olla aerea transvectus, quia habuit navem fortem et aere munitiam128. Les éléments historicisants peuvent aussi 108–se juxtaposer aux moralisations autour d’un même épisode. Ainsi, Albericus complète l’interprétation moralisante à propos de Cacus, en y ajoutant d’après Servius l’observation suivante : Veritas tamen secundum philosophos et historicos habet, hunc fuisse Evandri nequissimum servum ac furem129. Il semble souligner ainsi implicitement qu’au niveau des interprétations, plusieurs solutions – ou « vérités » – sont aussi possibles.
L’image d’Hercule qui se constitue à partir des différents récits est une image largement positive, mais visiblement composite. La mise en évidence de ces différents éléments semble avoir été, en effet, l’un des objectifs du mythographe.
Cette dernière idée ressort d’autant mieux si l’on examine de plus près le discours qu’Albericus bâtit autour des matériaux qu’il exploite dans son chapitre. L’avis critique du mythographe se manifeste surtout au début et dans les paragraphes finaux du chapitre, qui servent de cadre aux divers récits qu’il convoque pour faire le portrait du héros. Hercules quoque filius Jovis esse dicuntur (« On dit qu’Hercule aussi fut un fils de Jupiter130 »). C’est la phrase qui ouvre son chapitre, et qui annonce déjà une remise en question de son propos. On dit que… La mise en perspective anticipée par Albericus sera construite au moyen du savoir que lui ont légué les auctoritates. Après avoir passé en revue sa sélection d’exploits du héros et les interprétations qui ont été proposées à leur égard, après avoir brossé les portraits de l’Hercule vertueux qui combat la luxure, de l’Hercule philosophe qui accède à la connaissance des astres, de l’Hercule bienfaiteur de l’humanité et de l’Hercule conquérant, Albericus semble se demander qui fut véritablement ce personnage. Il développe la question de l’identité du héros en introduisant encore d’autres gloses de Servius et en s’exprimant sur les passages correspondants de l’Énéide, qui s’intéressent à la prétendue nature divine du héros. Hercule, rappelle Albericus (citant Servius), a été pris pour un dieu par le roi Évandre après avoir tué Cacus, et lorsqu’il déclara qu’il était le fils de Jupiter. Les habitants du Latium lui ont alors consacré l’Ara maxima131. Albericus 109justifie l’appellation de deus communis conférée à Hercule dans le même contexte de l’Énéide, en expliquant (encore selon Servius) que ce prétendu dieu était en effet un homme qui a mérité d’être admis parmi les êtres divins après sa mort ; c’est pourquoi il est considéré comme étant parmi les intermédiaires (medioximis) entre les hommes et les dieux132. De cette idée de la nature double – et incertaine – du personnage, il passe ensuite à celle de ses identités multiples, en rappelant que l’on sait, depuis Varron, qu’il y a eu quarante-trois Hercules, car omnes qui fortiter fecerunt, Hercules vocabantur133. Avec cette idée il semble fermer une parenthèse ouverte dès le premier paragraphe de son texte, où il avait proposé qu’Hercules igitur quasi ηρώωνκλέος (eron cleos), ‘virorum fortium gloria’, interpretatur134. Hercule est la gloire des hommes forts – et tous les hommes forts sont appelés Hercule.
Ce n’est pas sur ce constat cependant qu’Albericus termine son chapitre, mais sur des mots de justification adressés au lecteur qui vient de découvrir le portrait en patchwork du héros135 :
Nec te moveat, si de diis aliqua, quae sibi minime cohaerere videantur, diversis in locis astruantur. Fabulae enim confusae sunt et, ut supra diximus, ipsae tantum in ratione deorum sequendae sunt, quia veritas ignoratur.
« Ne te laisse pas perturber si, à propos des dieux, on rencontre en divers endroits des détails qui paraissent très peu compatibles entre eux. Car les fables sont confuses et, comme nous l’avons dit plus haut, il ne faut les suivre que selon la logique des dieux, parce que la Vérité [leur] est inconnue. »
Les fables étant « confuses », le lecteur ne pourra y recourir que faute de mieux. Ce sont à nouveau les mots de Servius dont le mythographe se sert afin de souligner qu’il existe, au-delà des récits mythologiques, une vérité ultérieure, dissimulée136. En construisant son chapitre sur Hercule, le Mythographe III a sélectionné des éléments qui lui étaient accessibles 110à travers des sources spécifiques, en privilégiant, paraît-il, des éléments d’interprétation visant à mettre les contenus du mythe d’Hercule en rapport avec un sens ultérieur. Il a assemblé ces morceaux afin qu’ils résonnent à l’intérieur de son propre discours, orienté par une approche allégorico-morale des mythes, désormais conforme au dogme chrétien. Dans cette optique, les contenus des facta individuels du héros ne constituent plus en eux-mêmes l’essentiel du portrait d’Hercule, sans même parler des différentes catégories d’exploits. Souvenons-nous la citation par Panofsky évoquée en tête de cette enquête sur les travaux herculéens : « der Mythographus III nennt ohne Zahlangabe 10 Herculestaten137 ». Compte tenu des réflexions que nous venons de proposer sur ce traité et, en général, de l’enquête que nous avons menée jusqu’ici, nous comprenons mieux la présence des dix éléments en question de même que la raison pour laquelle le mythographe ne voit pas le besoin de donner un numéro exact.
Avec le traité du Mythographe III, on est arrivé à un point où les travaux d’Hercule en tant que tels ne sont plus au centre de l’intérêt138. Le fait d’en retracer les trajectoires mène inéluctablement vers des textes et contextes dans lesquels il subsiste, certes, des vestiges formels des composantes de l’ancien dodécathlos, mais où l’emphase porte sur d’autres aspects. Voilà encore un enjeu auquel se voit confronté le chercheur qui s’intéresse à l’évolution d’une thématique telle que les douze travaux d’Hercule. Cela dit, l’exercice nous a montré aussi, au moins jusqu’ici, que l’on arrive, avec un peu d’assiduité, à comprendre la présence de certaines constellations d’épisodes avec leurs variantes.
Il nous reste à revenir sur le destin de quelques travaux particuliers dont la présence dans les textes examinés n’était déjà pas sans équivoque. L’objectif principal de ce nouvel exercice sera de montrer qu’il est possible d’expliquer la présence (ou l’absence) inattendue de certains mythes ou variantes dans des textes ultérieurs. En poursuivant notre enquête au sein de la tradition des commentaires portant sur les classiques, nous examinerons désormais le traitement que subit un passage qui nous semble mériter attention dans la mesure où il comporte, comme celui 111au livre VIII de l’Énéide, une énumération éclectique d’exploits herculéens : ce sont les vers 182-199 du livre IX des Métamorphoses. L’examen d’une série de commentaires portant sur ce passage ovidien et datant d’entre la fin du xie siècle et le xive siècle permettra de dégager trois cas de figure, susceptibles d’éclairer le destin parfois surprenant de certains mythes dans les textes plus tardifs, y compris en langue vernaculaire. Le choix du passage ovidien et de ses commentaires est motivé par plusieurs raisons. Outre le fait que les paratextes aux Métamorphoses restent en grande partie inédits, le répertoire d’exploits d’Ovide est intéressant pour le sujet qui nous occupe ici, car il comporte a priori, parmi d’autres exploits, les douze travaux. Il nous permettra ainsi de poursuivre les cheminements de certains éléments intéressants évoqués dans les pages précédentes, et d’étudier comment ils ont continué à être (ré)interprétés à partir du Moyen Âge central. On pourra ainsi vérifier la validité des tendances déjà observées dans ce nouveau contexte. Par ailleurs, les éléments que nous relèverons ici fourniront une base pour la troisième partie du travail dans laquelle nous aborderons l’Ovide moralisé français.
Le catalogue d’exploits herculéens
dans les Métamorphoses et ses commentaires
C’est au livre ix des Métamorphoses, œuvre dont on possède, on l’a dit, quelque cinq-cents manuscrits139, qu’on trouve la liste d’exploits la plus longue parmi les textes de la latinité classique qui nous sont conservés. Hercule, mourant sous les effets de la tunique empoisonnée de Nessus qu’il vient de revêtir, tendant ses bras vers le ciel et s’adressant à sa marâtre Junon, prononce son dernier discours, dans lequel il rappelle les faits qu’il a accomplis au cours de sa vie. Le catalogue d’exploits comporte, entre autres, les douze travaux « canoniques », dont l’identité n’est cependant pas toujours certaine. Pour faciliter leur repérage dans l’extrait qui suit, nous numérotons de 1 à 12, avec un point d’interrogation en cas de doute, les travaux du dodécathlos traditionnel suivant leur ordre d’apparition chez Diodore. Les quatre exploits qu’ajoutent les Métamorphoses sont numérotés de 13 à 16140 :
112ergo ego foedantem peregrino templa cruore
Busirin [ 13 ] domui saeuoque alimenta parentis
Antaeo [ 14 ] eripui nec me pastoris Hiberi [ 10 ]
forma triplex nec forma triplex tua, Cerbere, [ 12 ] mouit.
uosne, manus, ualidi pressistis cornua tauri ? [ 7 ? ]
uestrum opus Elis [ 5 ? ] habet, uestrum Stymphalides undae [ 6 ]
Partheniumque nemus, [ 3 ? ] uestra uirtute relatus
Thermodontiaco caelatus balteus auro [ 9 ]
pomaque ab insomni concustodita dracone. [ 11 ]
nec mihi Centauri [ 15 ] potuere resistere nec mi
Arcadiae uastator aper, [ 4 ] nec profuit hydrae [ 2 ]
crescere per damnum geminasque resumere uires.
quid, cum Thracis equos [ 8 ] humano sanguine pingues
plenaque corporibus laceris praesepia uidi
uisaque deieci dominumque ipsosque peremi ?
his elisa iacet moles Nemeaea lacertis, [ 1 ]
hac caelum ceruice tuli. [ 16 ] defessa iubendo est
saeua Iouis coniunx ; ego sum indefessus agendo.
« Est-ce bien moi qui ai vaincu ce Busiris [13] qui souillait les temples du sang des étrangers, moi qui ai ravi au terrible Antée [14] les forces qu’entretenait sa mère, moi que n’ont pu effrayer ni le triple corps du pasteur d’Hibérie [10], ni ta triple gueule, ô Cerbère [12] ? Est-ce bien vous, mes mains, qui avez fait toucher la terre aux cornes du taureau redoutable [7 ?] ? vous dont l’œuvre a pour garants l’Élide [5 ?], les eaux du Stymphale [6] et les bois du Parthénius [3 ?] ? Est-ce bien grâce à votre vaillance que furent rapportés le baudrier, ciselé en or, du Thermodon [9] et les fruits confiés à la garde d’un dragon qui ne connaissait point le sommeil [11] ? Est-il vrai que j’ai vaincu la résistance des Centaures [15] et du sanglier qui dévastait l’Arcadie [4] ? Que l’hydre [2] n’a rien gagné à croître par ses pertes et à reprendre ses forces en les doublant ? Rappellerai-je encore que, ayant vu les chevaux du roi de Thrace engraissés de sang humain [8] et leurs crèches remplies de corps en lambeaux, j’ai détruit les crèches, immolé le maître et ses coursiers ? Voici les bras qui ont étranglé et abattu le monstrueux lion de Némée [1] ; voici le cou qui a porté le ciel [16] ;la cruelle épouse de Jupiter s’est lassée de me donner des ordres ; moi je ne me suis point lassé de les exécuter. »
Très clairement, l’énumération ovidienne diverge du dodécathlos par le nombre, l’ordre et la nature des faits évoqués. Ovide donne en effet un catalogue augmenté qui comporte au total seize exploits, complétant la liste des travaux canoniques par l’évocation d’autres victoires d’Hercule (sur Busiris, sur Antée et sur les centaures) et du fait qu’il porte le ciel pour soulager Atlas. Par ailleurs, on ne trouve aucune trace de l’ancienne logique géographique sous-tendant les travaux cités : le lion de Némée, que l’on 113trouvait en tête de tous les exemples du dodécathlos présentés jusqu’ici, est évoqué en avant-dernier lieu, alors que la capture de Cerbère, située en dernière ou avant-dernière position de l’ancien cycle, se trouve en quatrième place. Seul élément dont la position est significative dans cette séquence : le fait d’avoir porté le ciel pour soulager Atlas, préfigurant en quelque sorte le passage d’Hercule parmi les dieux et sa transformation en étoile, est placé en fin de liste. Sur un autre plan, certains exploits sont énoncés par des périphrases et d’une manière si allusive qu’il est difficile de les identifier avec certitude. Les éditeurs modernes tendent à voir dans cornua tauri une référence au taureau de Crète, dans Elis une allusion aux écuries d’Augias (qui est le roi mythologique d’Élis) et dans Partheniumque nemus un renvoi à la capture de la biche de Cérynie. Mais la reconnaissance des douze travaux traditionnels dans le passage cité se fait au prix d’associations subtiles, qui, si elles ne nous semblent pas évidentes aujourd’hui, ne l’étaient pas davantage pour les lecteurs médiévaux, comme nous le verrons par la suite.
Approfondissons maintenant quelques pistes levées précédemment à partir des textes mythographiques, en regardant comment les commentateurs des Métamorphoses ont réagi face à l’équivoque de trois périphrases : Elis, Partheniumque nemus et Stymphalides undae. Nous partirons, pour ce faire, d’une série de paratextes latins en rapport avec le texte d’Ovide qui ont vu le jour entre le xie et le xive siècle141 :
–les gloses in catena (transmises dans une forme continue et sans le texte d’Ovide) contenues dans le manuscrit Munich, Bayerische Staatsbibliothek, clm 4610 (xie siècle, Allemagne), parmi les plus anciens commentaires médiévaux connus des Métamorphoses, faisant partie d’un ensemble de paratextes précoces qui ont vu le jour dans des monastères de l’Allemagne du sud142.
–les gloses philologiques ou Glosulae d’Arnoul d’Orléans (xiie siècle), parmi les premiers maîtres et fondateurs de l’école française qui ont marqué l’aetas ovidiana143. Nous citons ce commentaire surtout 114d’après le manuscrit clm 7205 de la Bayerische Staatsbibliothek de Munich (xiie siècle, Allemagne), où il figure sous forme de gloses in catena. Nous serons amenée à considérer aussi la version, avec ajouts, de son commentaire, transmise sous forme de gloses marginales et interlinéaires associées aux vers d’Ovide, dans le manuscrit de Londres, British Library, Burney 224 (xive siècle, France).
–le commentaire dit « Vulgate » (xiiie siècle), l’un des paratextes les plus stables et les mieux diffusés sur les Métamorphoses, ayant vu le jour en France centrale, connu pour les interprétations allégoriques qu’il propose en rapport avec les mythes ovidiens, transmis sous forme de gloses marginales et interlinéaires avec le texte d’Ovide. Il sera cité d’après le manuscrit Vat. lat. 1598 de la Bibliothèque vaticane (xiiie siècle, France)144.
–une série de commentaires composites d’origine française (surtout du xive siècle), qui intègrent divers éléments de leurs prédécesseurs, dont surtout des éléments d’Arnoul d’Orléans, ainsi que des vers du poème allégorique Integumenta Ovidii de Jean de Garlande. Nous regarderons notamment les manuscrits Paris, BnF, lat. 8010 et Vatican, BAV, Vat. lat. 1479, en évoquant ponctuellement d’autres exemples, tel le commentaire acéphale continu du manuscrit français Paris, BnF, lat. 8320145.
Ces témoignages nous serviront de point de départ pour identifier la variation concernant l’interprétation des trois exploits évoqués supra. Nous ciblerons pour chaque exemple des variantes qui ont connu des cheminements intéressants, en cherchant d’abord à éclaircir la raison d’être des éléments et en montrant ensuite dans quelle mesure ils ont été repris dans d’autres textes, latins et vernaculaires. Nous combinons, en d’autres termes, l’enquête sur les sources avec l’étude de la réception des éléments en question, ce qui nous donnera un aperçu de la façon dont la tradition savante des commentaires, issue des cercles universitaires, 115a pu influencer et/ou évoluer en interaction avec celle de la littérature vernaculaire française.
Les œuvres que nous évoquerons dans le contexte de la réception diffèrent largement selon les exemples. Ce sont des textes en rapport avec Ovide, tels l’Ovide moralisé français, l’œuvre italienne de Giovanni del Virgilio ou encore les Archana deorum de Thomas Walsingham, mais aussi un certain nombre de compositions historiographiques et/ou romanesques, telles la Chronique dite de Baudouin d’Avesnes, le Recoeil des histoires de Troyes ou la traduction française par Laurent de Premierfait du De casibus virorum illustrium de Boccace.
Elis : un lieu, plusieurs mythes
Lorsqu’il prononce son dernier discours146, Hercule, regardant ses propres mains, s’écrie : vestrum opus Elis habet (dans le contexte : « est-ce bien vous dont Élis a connu l’œuvre ? »). Les éditeurs modernes voient généralement dans cette évocation de l’opus accompli à Elis un renvoi au nettoyage des écuries d’Augias. Étant donné que cet exploit est notablement absent déjà du commentaire de Servius et des traités des Mythographes du Vatican, il est intéressant de voir comment les commentateurs d’Ovide ont réagi face à cette mention, dans laquelle aucune référence aux écuries d’Augias ne se laisse deviner. Et en effet, on n’en trouve aucune trace chez les commentateurs d’Ovide, qui y voient un renvoi à une variété d’autres faits, dont voici un échantillon (avec les exploits évoqués notés en gras)147 :
Ms. Munich, BSB, clm 4610, f. 72ra ( xi e siècle, Allemagne)
Apud Helidem ciuitatem Her‹cules›148Enomaum, patrem Athalante, occidit. Qui omnes ‹qui› non potuerunt uincere filiam suam Ipodomiam, interficiebat. Dicitur tamen quod Pelops eum interfecit.
« Près d’Élide, Hercule tua Œnomaos, père d’Atalante, qui tuait tous ceux qui ne purent pas vaincre sa fille Hippodamie. Cependant, on raconte [aussi] que Pélops le tua. »
116Ms. Vatican, BAV, Vat. lat. 1598, f. 91v ( xiii e siècle, France, Commentaire Vulgate )
Apud Elidem occidit Hercules cervum aurea cornua habentem . [ … ]
« Près d’Élide Hercule tua un cerf ayant des cornes d’or. […] »
Ms. Vatican, BAV, Vat. lat. 1479, f. 123v ( xiv e siècle, France)
Apud Elidem civitatem Hercules aprum interfecit, qui totam terram devastabat.
« [À] Élide, Hercule tua un sanglier qui dévastait toute la terre. »
Ms. Paris, BnF, lat. 8320, f. 61vb ( xiv e siècle (?), France)
Elis civitas est ubi Hercules palestre fecit certamen vel ibi peremit dracone vel Enomaum , regem illius terre, qui habuit filiam Ypodomiam nomine [ … ] .
« Élis est une cité où Hercule organisa (ou participa à) des concours, ou c’est là qu’il tua un dragon ou (qu’il tua) Œnomaos, le roi de ces terres qui avait une fille nommée Hippodamie. […] »
La multiplicité des références – au cerf, au sanglier, à un concours, à Œnomaos, père d’Hippodamie, ou à un dragon quelconque – souligne l’absence de consensus parmi ces commentateurs médiévaux pour interpréter le passage ovidien, ce qui suggère que ces derniers n’avaient pas accès à des sources qui établissaient un lien entre Élis et les écuries d’Augias. L’ignorance des exégètes mène donc à tout un éventail de solutions alternatives ; les mythes, une fois soumis à leur plume, acquièrent une élasticité manifeste.
Dans cet éventail d’interprétations on observe cependant des points de contact. Prenons l’exemple d’une explication qui, après son apparition précoce dans le manuscrit allemand clm 4610 du xie siècle, revient, quoique traitée différemment, dans le Commentaire Vulgate, issu du domaine français du xiiie siècle, dont nous citons ici la glose dans son intégralité149 :
vestrum opus habet : apud Elide occidit Hercules cervum aurea cornua habentem. Vel ibi Enomaum devicit, qui capita hospitum super muros in palis affigebat. Enomaus, filius Martis, pater Ypodamie, regnavit in Elide, qui, quia finitimos proceres agilitate Ypodamie superatos peremerat, ab Hercule interfectus est.
« connaît votre œuvre : à Élide, Hercule tua un cerf ayant des cornes d’or. Ou bien il y vainquit Œnomaus, qui attachait les têtes de ses hôtes à des poteaux sur les murs. Œnomaus, fils de Mars, père d’Hippodamie, régnait sur l’Élide, et parce que ce dernier faisait mourir les nobles voisins qui avaient été vaincus par l’agilité d’Hippodamie, il a été tué par Hercule. »
117Cette glose paraît au premier regard déroutante, car ce n’est normalement pas Hercule qui a vaincu Œnomaos, père d’Hippodamie, mais Pélops, comme le commentateur du manuscrit clm 4610 l’avait déjà spécifié à la fin de sa glose (Dicitur tamen quod Pelops eum interfecit). Il faut savoir qu’Œnomaos avait pour habitude de tuer les prétendants de sa fille Hippodamie lorsqu’ils perdaient contre lui (ou contre sa fille) dans la course de char150. Selon les versions reçues du mythe, Pélops aurait réussi l’exploit de le (ou la) vaincre, et d’obtenir ainsi la main d’Hippodamie. On peut maintenant se demander comment Elis a pu provoquer une glose qui superpose le mythe d’Hercule à celui de Pélops. Le cheminement de cette confusion s’éclaire davantage quand on prend en compte les données présentes dans les gloses et traités mythographiques précédents. Selon une glose du commentaire de Lactance Placice à Stace, reprise par le Mythographe II, Enomaus rex fuit Elide et Pisarum151 – il aurait donc été, comme Augias, un roi mythique en Élide. En d’autres mots, les deux héros ont vaincu des rois dans cette même région de Grèce.
Mais les ressemblances vont plus loin et l’Élide ne fait que préparer le terrain pour le rapprochement entre Hercule et Pélops. Ce rapprochement repose selon toute vraisemblance sur l’attribution aux deux héros d’un autre exploit, dont l’écho se ressent dans la glose plus générale du manuscrit Paris, BnF, latin 8320, cité supra, Elis civitas est ubi Hercules palestre fecit certamen. En effet, aussi bien Pélops qu’Hercule sont entrés dans l’histoire non seulement comme participants, mais également comme fondateurs des jeux olympiques, l’Olympie se trouvant justement dans la région d’Élide. Considérons à ce propos la glose qu’offre un autre commentaire français du xive siècle, contenu dans le manuscrit Paris, BnF, latin 8010, qui évoque spécifiquement Hercule en relation avec les jeux olympiques152 :
vestrum opus Helis habet : Helis civitas est juxta montem Olympum. Illi fiebant quidam ludi in singulis quinqueniis et vocabatur quinquenniium illud vel ludus 118ille153 Olimpias et sicut enumeramus annos ab incarnatione domini ita tempus suum denominabant per ludos illos, dicentes « prima Olimpias, secunda Olimpias », et sic de singulis, unde in libro Tristium : « Illic a [au lieu de In Scythia] nobis quinque[n]nis Olimpias acta est. » (Ex Ponto IV.6.5) In ludis illis Hercules triumphavit.
« l’Élide connaît votre œuvre : Élis est une communauté près du mont Olympe. Là se faisaient des jeux quinquennaux, et on nommait cette période de cinq ans ou ces jeux Olympias (“Olympiade”) ; et tout comme nous énumérons les années depuis l’incarnation du Seigneur, ils les nommaient en leur temps à l’aide de ces jeux, disant “Première Olympiade, seconde Olympiade” et ainsi de suite, c’est pourquoi on lit dans le livre des Tristes : “À cet endroit, nous avons passé les cinq ans d’une Olympiade” (Pontiques IV, 6.5). Hercule triompha dans ces jeux. »
La glose citée évoque elle aussi la participation d’Hercule à des jeux plutôt que le fait de les avoir institués ; les références à la fondation des jeux par Hercule sont cependant fréquentes dans les textes de l’époque, mythographiques et autres154. On en trouve des mentions, entre autres, dans le Fabularius du maître zurichois Konrad von Mure (xiiie siècle) – Item legitur, quod Hercules instituerit primus agonales ludos sub monte Grecie Olympo155 – et encore dans les Archana deorum, traitéde mythographie ovidiennede l’Anglais Thomas Walsingham (début xve siècle), qui maintient qu’Hercule constituit agonem apud Elidem civitatem – et cela en renvoyant au vers concerné d’Ovide : unde dicit ‘Vestrum opus Elis habet’156. Ces témoignages suggèrent qu’il existait, pour certains mythographes, un lien établi entre l’institution des jeux par Hercule et le vers d’Ovide en question.
Le fait que la fondation des jeux olympiques par Hercule figure, en outre, comme fait historique dans toute une série de chroniques a pu, à son tour, influencer son « établissement » également dans les commentaires et textes mythographiques. On lit en effet depuis la traduction latine de la chronique d’Eusèbe de Césarée par saint Jérôme, Hercules Agonem 119Olympiacum constituit157, information qui est passée ensuite dans un grand nombre d’histoires en langue vernaculaire. La Chronique dite de Baudouin d’Avesnes précise, par exemple, que [c]il meïsmes Erculés establi une assamblee en la montaigne ki a non Olympus, ou tuit li chevalier de Gresce venoient de .v. ans a autre pour aus esprouver et pour conquerre los et pris158. Sans suggérer que des gloses sur Ovide aient eu une influence directe sur une telle chronique, il est tout de même intéressant d’observer les parallèles de contenu, surtout parce qu’elles impliquent une erreur factuelle : les jeux olympiques n’avaient pas lieu en la montaigne ki a non Olympus (ou, selon le commentaire latin, juxta montem Olympium), car, contrairement à ce que l’on pourrait penser, le mont Olympe ne se trouve aucunement en Olympie, où se déroulaient en effet les jeux. En d’autres termes, les deux passages reposent selon toute vraisemblance sur une même conception légèrement erronée des données culturelles159.
Avant de terminer cette exploration des interprétations au sujet d’Elis chez Ovide, il convient de noter que les associations avec d’autres exploits du héros (outre l’institution des jeux) qui s’observent dans les commentaires d’Ovide ont elles aussi pu gagner du terrain parce qu’elles ont été transmises par d’autres filières de la tradition mythographique. La variante qui y voit un renvoi à la biche ou au cerf aux cornes d’or – que nous avons retrouvée dans le commentaire Vulgate, à côté de la variante parlant d’Œnomaos – se perpétua ainsi dans la branche italienne des commentaires d’Ovide représentée par l’Expositio et les Allegoriae de Giovanni del Virgilio, datant des années 1320. Dans le premier des deux textes, qui résume les contenus des Métamorphoses en commentant individuellement les exploits d’Hercule au début du livre IX, on lit ‘similiter ego superaui ceruam in Elide regione.’ Nam ibi erat cerua maxima que omnia deuastabat. Eristeus ergo misit eum illuc et superauit eam160. Dans le 120second, qui présente par ailleurs l’une des rares expositions sur cet exploit parmi des commentaires d’Ovide, on trouve les lignes suivantes161 :
Sexta mutatio est de cerva quam devicit Hercules. Per cervam illam intellige quamdam civitatem in Elide regione que vocabatur Cerva, que edificata erat in formam cerve, eo quod habebat duos colles in modum cornuum cerve. Et quia forte edificata fuit sub augurio cerve.
« La sixième métamorphose est celle de la biche qu’a vaincue Hercule. Par cette biche il faut comprendre une cité dans la région d’Élide que l’on appelait Cerva car elle était édifiée en la forme d’un cervidé, parce qu’il y avait deux collines à la manière des cornes d’une biche. Et parce qu’elle était édifiée sous l’augure de la biche. »
Nous n’avons pas trouvé de traces de cette interprétation historicisante dans la tradition précédente des commentaires d’Ovide. Fait intéressant : la nature de l’interprétation semble cependant consonner avec l’idée que le nom de certaines villes dériverait des animaux qui y habitent, articulée par exemple dans l’Image du monde de Gossuin de Metz162. En l’absence d’autres données, il semble légitime de supposer que Giovanni a forgé son interprétation en s’inspirant de la tradition encyclopédique, l’auteur s’efforçant de proposer des interprétations à propos de chacun des exploits d’Hercule qu’il évoquait, y compris ceux qui n’avaient pas reçu d’expositions chez ses prédécesseurs.
Dans un autre ordre d’idées, un texte comme l’Ovide moralisé fait de cet exploit une simple conquête de ville, sans s’appuyer sur des gloses et sans offrir d’explications supplémentaires. Hercule rappelle que « la cité d’Elin conquis gié163 ». Le texte français contourne ainsi les ambiguïtés présentes dans les commentaires, en adaptant simplement les mots d’Ovide afin qu’ils passent par la bouche de l’Hercule chevalier qui apparaît dans ce contexte. Le lien vers le contenu mythologique semble s’amenuir davantage quand on considère le nombre de manuscrits dans lesquels la segmentation graphique donne à lire la cité de lin164. Cette 121formule a été reprise à son tour dans une compilation historique tardive comme la Bouquechardière de Jean de Courcy,qui en fait une ville fantaisiste du Moyen Orient165 :
Moult de autres grans prouesces fist le noble Herculés, tant comme il sercha les parties de Aise – qui seroit longue chose de tout raconter qui aroit temps et sçavoir de ce faire. De plus en plus entra en celle contree, vasselage et los a son povoir querant. Si fist tant qu’il passa le fleuve de Euffrate, et par force d’armes print la cité de Lin, qui forte et puissante a merveilles estoit, et toute la terre subjuga et vainqui.
Le mythe d’origine n’est plus, de même que le toponyme qui en conservait la mémoire chez Ovide : ce qui reste d’Elin dans cette compilation historique tardive est une ville soumise par le noble Herculés, présenté en conquérant comme Alexandre le Grand lors d’une campagne en Asie166.
Revenons une dernière fois sur la périphrase d’Ovide, opus Elis. Notre petite enquête a montré d’abord qu’une tendance observable à partir des commentaires et de la mythographie déjà en place (à savoir que les écuries d’Augias y sont étrangement absentes) se poursuit dans les commentaires d’Ovide. Elle a montré aussi comment une référence périphrastique obscure peut mener à l’éclatement d’une tradition : certains textes y verront un renvoi aux jeux olympiques, en confondant par ailleurs le mythe d’Hercule avec celui de Pélops, d’autres y retrouveront la biche aux cornes d’or, et d’autres encore se contenteront de dire qu’Hercule a pris la ville nommée Élis. Chacun de ces nouveaux filons a connu, dans le cas examiné, une certaine influence sur des textes postérieurs, y compris des textes vernaculaires. Rappelons enfin que, déjà chez les mythographes grecs, Hercule est revenu pour conquérir la ville d’Augias parce que ce dernier ne l’avait pas rémunéré pour le nettoyage de ses écuries, et il y a bien institué des jeux par la suite. Aussi, avant de conclure hâtivement que les clercs du Moyen Âge n’ont pas compris les anciens mythes, il convient d’admettre que ces périphrases laissent de la place à plusieurs solutions « correctes » – qui ne sont pas nécessairement celles que l’on trouve indiquées dans les éditions de texte modernes et les ouvrages de référence sur la mythologie antique.
122Parthenium nemus,
le lieu dont sont sortis les trois lions167 ?
Il n’est pas surprenant que la victoire d’Hercule sur le lion de Némée, l’un de ses plus célèbres exploits, se trouve aussi dans le passage ovidien. Le poète y renvoie à travers l’hexamètre his elisa iacet moles Nemeae lacertis (« Voici les bras qui ont terrassé la masse colossale de Némée168 »). On pourra s’étonner, en revanche, de lire dans le manuscrit Burney 224 de la British Library de Londres (xive siècle), qui transmet entre autres les Glosulae d’Arnoul d’Orléans, cette note : Tres leones occidit qui pro uno acipiuntur169. Ces éléments sont suivis de l’indication unde Parthemiumque nemus, suggérant que la note est censée se rapporter non au vers mentionnant le moles Nemeae que nous venons de citer, mais à un autre qui apparaît plus tard chez Ovide, commençant par Partheniumque nemus (« et le bosquet de Parthenium170 »). Nous avions déjà rencontré dans le Mythographe II un chapitre parlant de deux lions. Pourrait-il y avoir un lien entre ces différentes gloses ? La question mérite d’être posée pour tenter de retracer la fortune du motif léonin, son évolution en triade dans les commentaires d’Ovide et sa survivance dans d’autres contextes.
Commençons par quelques remarques sur Parthenium. Ovide, comme dans l’exemple précédent concernant Élis, recourt une fois de plus à des périphrases allusives, sans mentionner aucun exploit explicitement, ce qui laisse une marge d’interprétation. Les éditeurs modernes des Métamorphoses identifient généralement le nemus Parthenium comme l’endroit où Hercule aurait vaincu la biche de Cérynie aux cornes d’or ; mais on peut sans difficulté concevoir, surtout sur la base des exemples considérés plus haut, comment d’autres interprétations ont pu être proposées par des commentateurs peu familiers avec la géographie grecque. Ajoutons que, sauf erreur, le toponyme Parthenium n’est employé que par Ovide pour situer cette créature. En outre, nous avons vu précédemment les mécanismes qui ont conduit les commentateurs à localiser le cervidé vaincu par Hercule à Élis. Compte tenu de ces différents facteurs, on peut facilement comprendre comment un commentateur, face à l’identification flottante des éléments concernés, a pu associer une autre créature – tel un lion – à l’endroit insolite de Parthenium. On 123voit aussi quel rôle peut jouer la cohabitation et, à plus forte raison, le décalage entre texte et glose. Ce facteur matériel explique mieux, en effet, la mise en relation inattendue entre une créature (explicitée dans la glose) et le moles Nemaeae (dont il est question, à faible distance, dans les vers d’Ovide). De là, on imagine mieux comment la tradition textuelle a pu mener à une multiplication apparente des lions.
Un regard sur la tradition des commentaires d’Ovide, avec un retour sur les textes précédents, nous permet d’explorer cette hypothèse. Dès le plus ancien ensemble de commentaires connus des Métamorphoses, on rencontre en effet des gloses sur le vers 188 d’Ovide qui introduisent l’idée d’un lion de Parthenium. Dans le manuscrit de Munich, Bayerische Staatsbibliothek, clm 4610, nous lisons171 :
Parthomivmqve nemvs . Duos leones legitur Herculem interfecisse, unum in Nemea silua, cuius pellem semper gerebat, alium in nemore qui dicitur Parthomium. Huius uero leonis pellem non gessit.
Autrement dit, Hercule aurait tué deux lions, l’un dans le bois de Némée, l’autre dans un bosquet appelé Parthomium (même s’il n’a pas revêtu la peau de ce dernier). Des gloses semblables parlant de ces deux lions se retrouvent dans d’autres commentaires faisant partie de ce même ensemble de paratextes précoces de provenance allemande172. À leur tour, ces gloses qui évoquent deux créatures rappellent de près le chapitre du Mythographe II sur les deux lions, chapitre dont nous avons dit plus haut qu’il était constitué à partir de gloses de Lactance Placide à la Thébaïde.
En recourant à ces gloses les plus anciennes et leur contexte de départ, on peut mieux comprendre la raison d’être à la fois du lion « de Parthenium » et de la genèse des trois créatures. La glose reprise par le Mythographe II au commentaire de Lactance Placide précisait, comme 124nous l’avons vu supra173, que Hercules duos leones superavit, unum Theumesium alterum Clioneum174. Elle ajoutait aussi que Nemeus mons Archadie qui et Clioneus dicitur. On se retrouve ainsi devant plusieurs noms de lieu – dont Theumesium, Nemeum et Clioneu[m] – servant à localiser les lions vaincus par Hercule. Rappelons aussi, une nouvelle fois, le passage de la Thébaïde auquel la glose de Lactance Placide renvoyait. Stace parlait d’une créature décrite comme suit175 :
[ … ] leonem, / illius in speciem, quem par Teumesia tempe / Amphitryonades fractum iuvenalibus annis / ante Cleonaei vestitus proelia monstri.
« […] un lion comme celui que le fils d’Amphitryon a abattu dans les bois de Teumèse pendant sa jeunesse, avant son combat contre le monstre de Cléones. »
On se souviendra aussi, finalement, que Stace était le seul auteur à parler d’un tel lion de « Teumèse ». Se pourrait-il donc que, à un moment donné, face à des toponymes étrangers, les commentateurs aient rapproché le monstre de (par) Teumesia,dont parlait Stace et qu’avaient retenu ses commentateurs, et la périphrase d’Ovide évoquant Parthenium176 ? Le même manque de familiarité avec tous les lieux dont il est question aurait facilement pu donner l’impression qu’il y avait non deux, mais trois lions, correspondant aux différents toponymes mentionnés en glose.
C’est bien une réflexion de ce type qui semble être à l’origine du trio léonin dans les commentaires d’Ovide. La note du manuscrit Burney 224 à propos des trois lions que nous avons citée plus haut renvoie en effet à une glose d’Arnoul sur la même page qui, elle, est plus explicite177 :
Partheniumque nemus. ibi leonem interfecit. Tres leones 178 dicitur Hercules interfecisse : Nemeum , Cleoneum et Parthemium .
Nous pouvons par ailleurs citer une autre occurrence, dans la Pharsale de Lucain, du lion « de Cléones » avec des gloses qui illustrent encore 125mieux la perte de familiarité progressive à l’égard des « coordonnées » concernées et le dédoublement qui en résulte. Lucain dit, à propos d’Hercule, qu’ille Cleonaei proiecit terga leonis – passage qui reçoit vers le ve siècle une glose anonyme spécifiant que Cleonae regio iuxta Nemeam, ubi interemit leonem Hercules […], ce qui est conforme à une certaine tradition et maintient le nombre de lions à un seul : « l’archi-lion » de Némée179. Or, Arnoul d’Orléans est également l’auteur d’une série de gloses sur la Pharsale ; et relativement à ce passage, il précise de nouveau que les deux derniers toponymes renvoient à différents lions : Duos legitur occidisse leones Hercules, in Cleone unum, alterum in Nemea180. Pour un commentateur du xiie siècle comme Arnoul, les rapports n’étaient visiblement plus évidents, d’où l’introduction du troisième lion dans le cadre de ses Glosulae aux Métamorphoses. Le schéma des trois lions a donc pu naître sous la plume d’Arnoul ou d’un commentateur d’Ovide qui lui servait de source.
La tripartition a ensuite été perpétuée par certains commentateurs qui ont repris et développé les gloses de leurs prédécesseurs. Les trois lions se voient parfois aussi associés au vers mentionnant le « vrai » lion (le moles Nemeae d’Ovide), par exemple dans le commentaire du manuscrit parisien lat. 8010181 :
Hiis Elisa iacet (Mét. IX, 197). Legitur quod Hercules interfecit tres leones, scilicet Parchenium, de quo superius dictum est, et Cleonium, de quo non facit actor mentionem, et Nemeum, quem interfecit in Nemea silva ; et de illo agit in hoc loco.
« On lit qu’Hercule tua trois lions, à savoir celui de Parthenium, dont il est question plus haut, celui de Cléones, duquel l’auteur ne fait pas mention, et celui de Némée, qu’Hercule tua dans la forêt de Némée ; et c’est de ce dernier qu’il s’agit à cet endroit. »
L’idée que le lion de Némée « l’emporte » sur les deux autres transparaît sur divers plans. Certains commentaires l’évoquent deux fois, en rapport avec Parthenium et avec Nemea (ainsi, par exemple Vat. lat. 1479)182 ; d’autres commentaires ne nomment que cet unique lion et rapportent ainsi la 126version « correcte » du mythe (c’est le cas du commentaire Vulgate, qui ne souscrit pas à la tendance des trois lions vaincus et qui évoque, en rapport avec Parthenium, le sanglier ramené vivant par le héros)183. Dans un autre traité mythographique ovidien du xve siècle comme les Archana deorum du chroniqueur anglais Thomas Walsingham, on trouve une variante du schéma qui évoque trois lions, tout en soulignant que l’un d’entre eux, le lion de Némée, était plus grand et plus monstrueux que les autres deux et que c’est de ce lion qu’Hercule gardera et revêtira la peau184 :
Hercules occidit leonem in Parchenio nemore, unde dicit : ‘ Partheniumque nemus ’ (Mét. IX, 188). Tres leones dicitur Hercules interfecisse, scilicet Nemeum, Cleoneum, et Parthenium, de quo agitur in presenti. Sed inter omnes leo silve Nemee immanior fuit et vastior, ita quod Hercules spolio eius se induit et illud ubique secum portavit.
[ … ]
Hercules occidit leonem ferocissimum in Nemea silva, omnia circum locum devastantem . Cuius spolio se induit et ubique secum tulit,
unde dicit : ‘ Hiis elisa iacet moles Nemea lacertis ’ (Mét. IX, 197).
« Hercule tua un lion dans le bosquet de Parthenium, c’est pourquoi [Ovide] dit : ‘Et le bosquet de Parthenium’ (Mét. IX, 188). On dit qu’Hercule a tué trois lions, à savoir celui de Némée, celui de Cléones, et celui de Parthenium, duquel il s’agit à présent. Mais entre tous, le lion de la forêt de Némée était plus monstrueux et plus démesuré, de façon qu’Hercule revêtit sa peau, en la portant partout avec lui.
[…]
Hercule a tué le très féroce lion dans la forêt de Némée qui détruisait tout alentour. De ce dernier, il [= Hercule] revêtit la peau, en l’emportant partout avec lui, c’est pourquoi [Ovide] dit : ‘Voici les bras qui ont terrassé la masse colossale de Némée.’ » (Mét. IX, 197)
Cette idée de trois monstres dont l’un était le plus monstrueux, et donc aussi plus « important » que les autres, explique éventuellement la note du manuscrit de Burney 224, citée en début de cette analyse du motif des lions, selon laquelle Hercule tres leones occidit qui pro uno acipiuntur. Les deux autres lions s’effacent en quelque sorte devant le vrai lion qu’est celui de Némée.
127L’exemple de ce trio léonin a d’ailleurs fait carrière en dehors de la mythographie ovidienne. Il réapparaît d’abord dans les chroniques espagnoles. Dans la General Estoria initiée par le roi Alphonse X, dit le Sage, dans le dernier quart du xiiie siècle (ca 1272-1284), il y a un chapitre « De los leones que mato Ercules a manos », qui relate d’abord comment Hercule a combattu un leon en un monte que dezien Partemio. L’auteur du texte précise ensuite : E fallamos que tres leones mato Ercules desta guisa a manos. E el vno fue este del monte Partemio, e asi lo dize Ouidio ; e los otros dos en la selua Nemea185. Le renvoi à Ovide à propos du lion del monte Partemio confirme que c’est, selon toute vraisemblance, bien à partir des Métamorphoses et de leurs paratextes que l’idée des trois lions s’est répandue. La même idée se retrouvera par la suite dans les Sumas de historia troyana d’un certain Leomarte (xive siècle)186. C’est vraisemblablement à l’une de ces chroniques d’Espagne, citées en tant que telles dans le Recoeil des histoires de Troyes, que Raoul le Fèvre a repris l’idée des trois lions monstrueux qu’Hercule doit combattre dans le premier chapitre du livre II de son œuvre187 :
[A]tant les trois lyons saillirent d’un buisson et marcherent vers Herculés, en bruyant et en ouvrant leurs yeux par telle felonnye qu’il sembloit que Herculés deussent tresperchier de leux regart. Le grant venoit le premier, tout herupé. Il estoit autant hault que ung ellephant, et gros a l’advenant. Et sa teste estoit deux fois ossy grosse que d’un tor. […]
Les trois monstres, dont l’un est plus gigantesque et plus monstrueux que les deux autres, ont non seulement fait l’objet de telles descriptions 128imagées, mais ils sont rentrés également dans l’iconographie. Plusieurs manuscrits et, plus tard, des imprimés du Recoeil sont illustrés et comportent une miniature représentant les trois lions terrassés par Hercule188.
Il est impossible de savoir si les trois créatures majestueuses du Recoeil remontent bien à une glose en rapport avec le passage des Métamorphoses qui nous intéresse. Ce qui semble certain, en revanche, est qu’ils étaient, dans un premier temps, le résultat d’une « confusion » qui a pris son essor à travers les commentaires aux classiques. Comme nous n’avons pas trouvé de témoignages des trois lions dans des textes plus anciens que les Glosulae d’Arnoul, il se peut en effet que ce soit ce commentateur du xiie siècle qui a créé cette version variante du premier des célèbres athloi d’Héraclès. En même temps, la glose d’Arnoul et les témoignages des commentateurs venus après lui se présentent comme un « prolongement » des commentaires des siècles précédents qui impliquaient déjà une multiplication des lions, mais éparpillés, on l’a vu, à travers la Grèce. Ici, ils sont revenus à Némée, leur lieu d’origine, mais ils ont triplé.
Les Stymphalides undae abritent-elles
des oiseaux ou des harpyes ?
Si la variante des trois lions est peut-être en effet un produit des commentaires d’Ovide, et plus particulièrement des Glosulae d’Arnoul d’Orléans, les confusions et juxtapositions de mythes sont un phénomène très récurrent dans la tradition des commentaires. Mais d’autres confusions touchant la figure d’Hercule s’étaient déjà produites avant la rédaction les premiers commentaires des Métamorphoses que nous connaissons. Nous pouvons illustrer ce phénomène à l’aide de l’exemple des harpyes vaincues par Hercule qui avaient déjà été confondues avec les oiseaux du lac Stymphale chez Servius et dans l’œuvre des Mythographes I et II. Considérons les gloses extraites de cinq commentaires portant sur l’hexamètre ovidien qui renvoie aux « ondes des Stymphalides189 ».
129Ms. Munich, BSB, clm 4610, f. 72ra (commentaire in catena , xi e siècle)
Apud Stiphalides undas, scilicet apud Phineum, Hercules arpias fugauit cum sagittis suis. Et filiis Boreę, ut superius diximus, iussit eas persequi usque ad Strophados insulas. Dicitur tamen quod apud Stiphalides undas Hercules duos serpentes interficeret.
« Près des ondes des Stymphalides, c’est-à-dire auprès de Phinée, Hercule chassa les harpyes avec ses flèches. Et comme nous l’avons dit plus haut, il commanda aux fils de Borée de les pourchasser jusqu’aux îles Strophades. On dit aussi que près des ondes des Stymphalides, Hercule tua deux serpents. »
Ms. Munich, BSB, clm 7205, f. 47rb ( Glosulae d ’ Arnoul, xii e siècle)
Circa Stiphalum fluvium aves quedam totam devastabant regionem. Quas sonitu eris Hercules inde fugavit.
« Autour du fleuve Stymphale, certains oiseaux détruisaient la région. Hercule a chassé ces derniers avec un son d’airain. »
Ms. Vatican, BAV, Vat. lat. 1598, f. 91v ( Commentaire Vulgate , xiii e siècle)
Stiphalis palus est ubi Hercules cum Zeto et Calai, filiis Boree et Orithie, arpias fugavit que mensam Phinei fedabant.
« Le Stymphale est un marais où Hercule, en compagnie Zétès et Calaïs, fils de Borée et d’Orithye, chassa les harpyes qui souillaient la table de Phinée. »
Ms. Paris, BnF, lat. 8010, f. 114r (Commentaire composite, xiv e siècle)
Stiphalus palus est juxta quam arpie habitabant. Illas Hercules ibi occidit vel in partes remotas fugavit.
« Stymphale est un marais près duquel les harpyes habitaient. Hercule tua ces dernières ou les chassa vers des endroits lointains. »
Ms. Vatican, BAV, Vat. lat. 1479 (Commentaire composite, xiv e siècle)
Stiphalus est fluvius iuxta quem erat multitudo avium qui terram adjacentem reddebant sterilem ; has Hercules fugavit, vel, secundum alios, ibi erat quedam serpens que totam regionem ‹ devastabat › , quam Hercules interfecit. Vel hoc dicit propter Arpias, quas fugavit Hercules et Zetus et Cultris [ sic ] , dum irent in Colchon insulam.
« Le Stymphale est un fleuve près duquel vivait une multitude d’oiseaux qui rendaient stérile la terre voisine ; Hercule les mit en fuite ou, selon d’autres, il y avait là un serpent qui ravageait toute la région et qu’Hercule tua. Ou bien, il [= Ovide] dit cela à cause des Harpies qu’Hercule, accompagné de Zétès et Calaïs, mis en fuite alors qu’ils se rendaient sur l’île de Colchide. »
En comparant les différents commentaires, on constate la présence de deux principales interprétations-types impliquant des créatures ailées. L’une correspond à la version « originale » attendue du mythe, supposant 130qu’Hercule a chassé, à l’aide d’un « son d’airain », les oiseaux des eaux stymphaliennes qui détruisaient le pays d’environ. C’est celle que l’on lit chez Arnoul d’Orléans et, entre autres, dans le commentaire du manuscrit Vat. lat. 1479. Les autres commentaires parlent cependant non d’oiseaux, mais de harpyes, qui auraient été chassées et/ou tuées par Hercule dans le contexte d’un autre épisode190.
Les composantes essentielles de cet épisode secondaire qui entre en jeu ici deviennent plus visibles quand on considère les différents commentaires en parallèle : c’est chez Phinée qu’Hercule a chassé les harpyes avec l’aide des fils de Borée (clm 4610, Vulgate) – qui sont Zétès et Calaïs (Vulgate, Vat. lat. 1479) – lors du voyage vers la Colchide (Vat. lat. 1479). Nous avons en effet déjà évoqué succinctement l’histoire de Phinée, lors de nos observations sur le Mythographe II, en constatant aussi qu’Hercule n’y est pas a priori impliqué. Mais les commentaires d’Ovide, en plaçant l’épisode dans le contexte du voyage vers la Colchide, nous livrent un élément-clé supplémentaire pour comprendre ce qui a pu motiver l’insertion d’Hercule dans la tradition des commentaires. Comme nous l’avions noté dans notre esquisse initiale du mythe grec d’Héraclès, ce dernier est censé avoir accompagné Jason et les Argonautes dans leur voyage pour conquérir la toison d’or. Si l’épisode de Phinée et des harpyes a eu lieu dans le contexte de ces voyages, il semblerait logique qu’Hercule y soit présent aussi.
Il paraît utile, en l’occurrence, de jeter un regard en arrière sur le résumé du mythe de Phinée qu’avait retenu le Mythographe II, ce qui peut permettre de réunir les différents éléments qui ont pu provoquer la juxtaposition des différents mythes et de faire le lien entre eux191 :
Fineus rex Archadie liberis suis nouercam superduxit, cuius instinctu eos cecauit. Quam ob rem irati dii ei oculos sustulerunt et Arpias adhibuerunt. Que cum ei diu cibos arriperent, Iasonem cum Argonautis propter uellus aureum Cholchos petentem hospitio suscepit, cui etiam ductorem dedit. Hoc ergo beneficio illecti Argonaute Zetum et Calaim filios Boree et Orithie [ … ] alatos inquam iuuenes ad pellendas Arpias ei miserunt. Quas cum strictis gladiis persequerentur, pulse de Archadia peruenerunt ad insulas que appellabantur Plote. Et cum uellent ulterius tendere, ab Iride admoniti ut desisterent a Iouis canibus, suos conuerterunt uolatus, quorum conuersio, id est strophe, nomen insulis dedit. [ … ]
131« Phinée, roi d’Arcadie, imposa une belle-mère à ses enfants et, à l’instigation de cette dernière, les rendit aveugles. Indignés de cela, les dieux lui enlevèrent les yeux et lui envoyèrent les harpyes. Alors que celles-ci lui volaient depuis longtemps sa nourriture, il accueillit Jason, qui, accompagné des Argonautes, cherchait à atteindre la Colchide pour conquérir la toison d’or, et lui donna un guide. Touchés par cette faveur, les Argonautes lui envoyèrent Zétès et Calaïs, les fils de Borée et d’Orithye, des jeunes hommes ailés, dit-on, pour chasser les harpyes. Alors qu’ils [= Zétès et Calaïs] poursuivaient ces dernières de leurs épées tendues, les ayant chassées d’Arcadie, ils parvinrent aux îles que l’on appelait Plotae. Et, alors qu’ils voulaient poursuivre leur course, exhortés par Iris de rester loin des “chiennes de Jupiter”, ils changèrent la trajectoire de leur course, et ce changement, c’est-à-dire strophe, donna aux îles leur nom. […] »
Phinée, Zétès et Calaïs, le contexte du voyage des Argonautes, les harpyes chassées jusqu’aux îles qui allaient prendre le nom de Strophades – tous les éléments mentionnés, à une époque précoce, par le commentateur de clm 4610, tous sauf Hercule, sont annoncés dans le résumé cité ci-dessus. La confusion entre ce mythe et celui des oiseaux stymphaliens semble donc s’être produite au moyen d’une juxtaposition sur plusieurs niveaux :
–la similarité de contenu : les oiseaux et les harpyes sont des créatures volantes qui, dans les deux cas, causent des dégâts ou nuisances ;
–le contexte de l’épisode : le voyage des Argonautes auquel Hercule aurait en effet participé ;
–la similarité des noms Stymphalides (renvoyant au marais où Hercule affronte les oiseaux) et Strophades (les îles où Zétès et Calaïs chassent les harpyes).
Concernant le troisième point, on peut considérer les données attestées déjà dans les Étymologies d’Isidore de Séville, qui évoque les Strofalidae aves, chassés par Hercule à l’aide de flèches : Strofalidae aves ab Strofadibus insulis appellatae, ubi plurimum abundant, adversus quas Hercules sagittis est usus192. L’association entre l’entité aviaire et l’origine insulaire, la proximité des graphies, et plus globalement la combinaison de ces différents facteurs a vraisemblablement joué un rôle dans la création des versions hybrides du mythe193.
132Quant aux commentaires d’Ovide, ils ne présentent visiblement pas d’évolution linéaire nette sur le plan chronologique – pas plus que dans les deux cas de figure concernant Elis et Parthenium. Pour ce qui est des oiseaux, il faut garder à l’esprit qu’on retrouve les mêmes juxtapositions dans des commentaires sur la Consolatio Philosophiae de Boèce qui ont vu le jour, en partie, parallèlement aux commentaires d’Ovide194. Nous n’avons pas étudié en profondeur les paratextes à l’œuvre de Boèce, mais nous avons retrouvé dans au moins deux commentaires, dont celui attribué à Guillaume de Conches, rédigé dans la première moitié du xie siècle, une glose qui mélange les mêmes mythes. Le mythe de Phinée et des harpyes apparaît à nouveau dans une glose à propos du vers de Boèce Fixit et certis volucres sagittis dans la liste boécienne de travaux d’Hercule195 :
Aliud de Hercule, scilicet quod fixit Arpias. Secundum fabulam, Phineus filius suis oculos eruit, unde a diis eadem pena multatus est, ut ait Ovidius : « Quid fodis, inmitis Phineu, sua lumma natis ? / Pena revertetur in caput ista tuum » (Ars I, 339-340). Et apposite sunt illi Arpie, quedam volucres cum virgineo vultu, plumis rapidis, unguibus pallide. Mensas illius maculabant. Sed postea Hercules cum Zeto et Calai filiis Boree eas sagittas suis interfecit.
« (Voici) un autre (mythe) à propos d’Hercule, à savoir qu’il transperça les harpyes. Selon la fable, Phinée arracha les yeux de ses fils, en conséquence de quoi une peine lui fut infligée par les dieux, comme dit Ovide : “Pourquoi crèves-tu, cruel Phinée, les yeux de tes fils ? Le châtiment retombera sur ta propre tête.” Et on lui envoya les harpyes, des oiseaux au visage de vierge, aux plumes rapides et aux griffes pâles. Elles souillaient sa table. Mais plus tard, Hercule, avec Zétus et Calaïs, fils de Borée, les tua de ses flèches. »
Il semble probable que les commentaires d’Ovide ont évolué en contact (et par contamination) avec des commentaires sur des œuvres distinctes mais se rapportant à des événements communs, comme dans ce cas la Consolatio.
133Comme nous l’avons déjà vu plus haut, l’association entre les oiseaux stymphaliens et les harpyes s’est instaurée bien avant la naissance des commentaires d’Ovide connus. Toutefois, ces derniers ont vraisemblablement joué un rôle non négligeable dans sa diffusion. Car une fois la version hybride du mythe d’« Hercule, de Phinée et des harpyes » établie, les commentaires et textes postérieurs en rapport avec Ovide auront tendance à se référer à cette version en la préférant à la version « originale ». Il en est ainsi, par exemple, dans l’œuvre de Giovanni del Virgilio, qui ajoute, dans ses Allegoriae, une interprétation moralisante à propos de l’épisode : per Arpias intelligimus avariciam196. Hercule y apparaît comme figure de la vertu qui vainc l’avarice – Arpias virtus furias transfigit avaras – interprétation qui semble être motivée par le jeu d’assonances entre arpias (plutôt que aves) et avaras197. Encore dans les Archana deorum de Thomas Walsingham, qui ne moralise pas mais se limite à résumer le mythe, on apprend que Hercules fugavit Arpias ad insulas Strophades, alors que la version « canonique » n’est donnée qu’en deuxième lieu, comme variante alternative198. L’Ovide moralisé représente un cas particulier, car son auteur a omis entièrement la référence aux Stymphalides undae dans son adaptation de la liste de travaux au livre IX. Cependant, il insère une brève mention d’Hercule comme compagnon de Zétès et Calaïs au début de son livre VII, lorsqu’il ouvre l’épisode « épique » des voyages des Argonautes : Zetus y fu et Calays / Et Hercules li fors, li biaus, / Et pluiseurs autres damoisiaus199. La version hybride du mythe se maintient donc, même si les contextes dans lesquels il s’insère varient fortement.
La juxtaposition du mythe d’Hercule et des oiseaux du Stymphale d’une part et celui de Phinée et des Harpyes de l’autre a également trouvé sa voie vers d’autres textes vernaculaires. On en trouve des traces, par exemple, dans l’adaptation française par Laurent de Premierfait du De casibus virorum illustrium de Boccace, plus précisément dans une énumération d’exploits d’Hercule suivant le modèle du passage au livre IX des Métamorphoses, que Laurent a ajoutée dans la deuxième version de sa traduction200 :
134Il [= Herculés] dechassa une grant multitude de oiseaulx qui habitoient environ une riviere de Grece appellee Stiphalus qui ordoient le païs d’environ, et faisoient divers griefs et empeschemens aux hommes de la contree du roy Fineus, qui a la requeste d’une sienne seconde femme avoit occis ou consenti d’estre occis deux siens enfans qu’il avoit euz de sa premiere femme. Herculés donques a force de son arc delivra le païs de ces cruelz oiseaulx.
L’extrait cité offre une version hybride qui associe d’abord Hercule au mythe des oiseaux de Stiphalus, puis fait le lien avec celui de Phinée, tout en harmonisant les deux. Du fait que l’énumération d’exploits dont provient ce passage s’appuie sur les Métamorphoses, et que ces dernières étaient souvent accompagnées de gloses dans les manuscrits de l’époque, il ne surprendrait guère que l’extrait cité intègre des éléments à un commentaire. La liste des exploits, dont fait partie cet élément, figure dans le chapitre « Des cas d’une grant compaignie de douleureux hommes et femmes », où la gloire acquise par Hercule pendant sa vie est mise en contraste avec sa fin misérable, en proie à l’amour qu’il n’arriva pas à vaincre. Il est intéressant de noter que cette « fin ultérieure » est assez différente de celle que l’on trouve dans les Métamorphoses, où l’énumération des travaux par Hercule mourant s’insérait dans un discours que le héros adressait à sa marâtre pour la blâmer des travaux qu’elle lui avait imposés. On voit donc que les travaux – ou un travail spécifique – ou, encore, une version particulière d’un travail spécifique peuvent être utilisés à des fins très diverses.
Nous avons examiné précédemment comment les commentaires aux Métamorphoses ont influencé l’évolution de trois exploits herculéens qui s’étaient déjà distingués par des confusions ou hybridations sur le plan du contenu mythologique dans la tradition mythographique antérieure. Les exemples ont permis de voir que les gloses concernées ont tendance à perpétuer des versions variantes de certains mythes mises en circulation dans la tradition antérieure. Recourant à un stock de savoirs mis en place par les commentateurs et mythographes travaillant avant eux et sur d’autres textes classiques, les commentateurs des Métamorphoses se trouvaient à la fois libres et contraints de choisir les gloses qui leur semblaient appropriées pour expliciter les périphrases vagues d’Ovide. Les exemples considérés montrent que les différents commentaires 135que nous avons pris pour point de départ ne s’insèrent pas dans un schéma d’évolution linéaire nette, comme on peut le souligner encore en comparant les différentes solutions qu’ils proposent à l’égard des trois périphrases que nous avons regardées.
clm 4610 |
Arnoul |
Vulgate |
Paris, |
Vat. |
|
Elis |
Œnomaos |
ø |
cerf |
jeux olympiques |
sanglier |
Parthenium nemus |
deux lions |
trois lions |
sanglier |
Lion (trois lions |
trois lions |
Stymphalidae undae |
harpyes |
oiseaux |
harpyes |
harpyes |
oiseaux |
Les exemples montrent en outre que les travaux attendus dans le contexte (les écuries d’Augias, la biche de Cérynie et les oiseaux du lac Stymphale) sont soit entièrement absents, soit moins saillants que certaines variantes alternatives qui s’imposent à leur place. On voit se confirmer l’existence d’une pluralité de séquences alternatives médiévales, qui supplantent l’ancien « cycle » dont elles se nourrissent pourtant.
L’apparition d’éléments, introduits et/ou perpétués par les commentaires, dans des textes vernaculaires semble confirmer cette dernière observation. L’impact des commentaires et, ainsi, indirectement, de la « mythographie », se ressent dans la mesure où la littérature vernaculaire qui adapte « Ovide » s’inspire parfois aussi des interprétations qui ont été transmises dans des gloses en conjonction avec l’œuvre du poète latin. Les exemples pris en considération ne nous permettent pas de déceler des tendances nettes concernant les filiations ou les sphères d’influence des commentaires spécifiques ; ils indiquent plutôt des points de recoupement divers entre la tradition savante et la littérature vernaculaire. Les Glosulae d’Arnoul d’Orléans, par exemple, sont peut-être bien la source des trois lions qui ont trouvé leur chemin vers la littérature historico-romanesque française tardive, en passant par l’historiographie espagnole ; cependant, les mêmes gloses ne sont pas à l’origine des harpyes qui réapparaissent dans le catalogue « ovidien » 136d’exploits herculéens inclus dans l’œuvre de Laurent de Premierfait. Comprendre les divers rapports et points de rencontre demanderait des études détaillées sur les différents textes en question, ce que nous ne pourrons pas faire systématiquement ici. Nous aurons cependant l’occasion d’aborder de nouveau l’influence de la mythographie latine sur la littérature vernaculaire dans la seconde partie de cette étude, dans laquelle nous prendrons comme point de départ une série de textes historiographiques en langue française. Nous reviendrons aussi, dans la troisième partie, sur l’impact de certains commentaires ovidiens sur l’Ovide moralisé – curieusement peu influencé par les gloses présentées jusqu’ici.
En partant de l’ancien mythe d’Héraclès dans son ensemble, nous avons, au cours de cette première partie, progressivement resserré notre champ d’étude sur les douze travaux, puis sur certains travaux spécifiques, afin de mettre en lumière comment l’ancienne matière et l’appréciation de celle-ci évoluent, comment les anciens repères se perdent et comment de nouveaux points de référence s’établissent à leur place. L’analyse a également pu donner, espérons-le, une idée des défis que pose l’étude de cette matière. Nos enquêtes sur les interprétations variantes perpétuées par les commentaires d’Ovide, et à propos surtout de trois périphrases ovidiennes censées a priori renvoyer à des exploits de l’ancien dodécathlos, localisées dans un passage circonscrit, montrent jusqu’à quel point une telle étude reste partielle. Les exemples ont toutefois pu illustrer une diversité de mécanismes qui mènent de l’ancien mythe d’Hercule jusqu’à ses nombreuses métamorphoses. La distance avec la matière d’origine se creuse à mesure que les données contaminées ou confondues se multiplient : disparition de certains épisodes (les écuries), dédoublements (les lions), rapprochements de contenu (Hercule et Pélops comme fondateurs des jeux olympiques) ou de forme (Stymphalides et Strophades), les facteurs qui contribuent à la désintégration des anciens mythes sont essentiellement les mêmes que ceux nous avions déjà observés en rapport avec la tradition mythographique plus ancienne. En outre, les exemples abordés ont pu nous apporter une leçon méthodologique importante : quand on s’en prend aux fils individuels de ce prétendu chaos des « fables confuses », en cherchant à retracer leurs cheminements, on arrive souvent à comprendre les raisons de bon nombre de réalités textuelles qui paraissent, au premier abord, surprenantes.
1 Cf. Jung, « Hercule dans les textes du Moyen Âge », art. cité, p. 11.
2 Cf. Raoul Le Fèvre, Le Recoeil des Histoires de Troyes, éd. M. Aeschbach, Berne, Peter Lang, 1987.
3 Cf. J. H. Kaimowitz, « A Fourth Redaction of the Histoire ancienne jusqu’à César », Classical Texts and their Traditions. Studies in Honor of C.R. Trahman, éd. D. F. Bright et E. S. Tamage, Chico (CA), Scholars Press, 1994, p. 75-87, qui aborde l’un des témoins partiels de l’œuvre, le manuscrit New York, Public Library, Spencer 41. Des parties de la chronique, constituée de trois volumes, survivent dans cinq manuscrits partiels : Paris, Arsenal 3515 ; Paris, BnF, fr. 6362 (témoins du volume 1) ; Paris, Arsenal 5078 ; New York, Public Library, Spencer 41 (volume 2) ; Paris, Arsenal 5079 (volume 3). La vie d’Hercule se trouve dans les deux témoins du second volume de l’œuvre : dans le manuscrit Spencer 41, elle se trouve aux f. 52r-67r (noyau principal), suivi, jusqu’au f. 134, d’élaborations sur les expéditions contre les Amazones et contre Troie et sur les descendants d’Hercule ; dans le manuscrit Arsenal 5078, la vie d’Hercule à proprement parler se trouve aux f. 40r-50v, et les épisodes sur les Amazones, Troie et les descendants du héros aux f. 51r-102r.
4 Voir l’étude précoce mais très perspicace d’A. Diller, « The Text History of the Bibliotheca of Pseudo-Apollodorus », Transactions and Proceedings of the American Philological Association, 66, 1935, p. 305 sqq.
5 Grimal, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, op. cit., p. 187-203.
6 À part Diodore et Apollodore, Grimal cite notamment Sophocle, Euripide, Pausanias, Pindare, Hésiode, Élien, Théocrite, Ératosthène, Paléphatos, ainsi que des gloses à l’Illiade d’Homère.
7 Cf. M. D. Reeves, « Hyginus, Fabulae », Texts and Transmission. A Survey of the Latin Classics, éd. L. D. Reynolds, Oxford, Clarendon Press, 1983, p. 189-190. Nous reviendrons infra à ce texte.
8 Les Fabulae représentent un cas extrême à cet égard, mais des considérations analogues peuvent être proposées sur une échelle plus petite – appliquées à des périodes, aires géographiques, plus généralement des contextes spécifiques – pour d’autres œuvres. Lucrèce en est un bon exemple. Comme Reynolds observe à propos de son œuvre, qui survit encore dans plusieurs copies avant le xe siècle : « Then, despite this promising start, Lucretius went underground for the rest of the Middle Ages, an eclipse which may be partly explained by the passionately anti-religious nature of his message. All we have until the fifteenth century are a few fleeting glimpses. » (L. D. Reynolds, « Lucretius », Texts and Transmission, op. cit., p. 220). Les tragédies de Sénèque semblent elles aussi n’avoir connu qu’une diffusion restreinte pendant l’essentiel de la période médiévale. Des témoignages en émergent au xie siècle dans le domaine italien, et dans la deuxième moitié du xiie en France. En revanche, l’œuvre de Virgile et son commentaire par Servius était déjà lue et copiée dès le haut Moyen Âge (voir encore L. D. Reynolds, « The Younger Seneca », Texts and Transmission, op. cit., p. 359 et 378-381).
9 Mét. IX, 1-272.
10 Virgile, Énéide. Livres VII-XII, éd. R. Durand, trad. A. Bellessort, op. cit., livre VIII, 184-305.
11 Corpus corporum : repositorium operum latinorum apud universitatem Turicensem, dir. P. Roelli, Université de Zurich, en ligne : http://mlat.uzh.ch/MLS/index.php?lang=0 (dernière consultation le 10/06/2023).
12 Voir F. Munari, Catalogue of the MSS of Ovid’s Metamorphoses, Londres, University of London Institute of Classical Studies, 1957, et les suppléments « Supplemento al catalogo dei manoscritti delle Metamorfosi ovidiane », Rivista di Filologia et di Istruzione Classica, 93, 1965, p. 288-297 et « Secondo supplemento al catalogo dei manoscritti delle Metamorfosi ovidiane », Studia Florentina Alexandro Ronconi sexagenario oblata, Roma, Edizioni dell’Ateneo, 1970, p. 275-280, F. T. Coulson « Addenda to Munari’s catalogues of the Manuscripts of Ovid’s Metamorphoses », Revue d’histoire des textes, 25, 1995, p. 91-127 et « Addenda to Munari’s catalogues of the Manuscripts of Ovid’s Metamorphoses (II) », Manuscripta,40, 1996, p. 115-118, ainsi que J. A. Estévez Sola, « New Manuscript Witnesses of Ovid’s Metamorphoses », Exemplaria Classica, 17, 2013, p. 189-206. Le répertoire de Munari est à consulter à l’aide de F. T. Coulson, « A Bibliographical Update and corrigenda minora to Munari’s Catalogues of the Manuscripts of Ovid’s Metamorphoses », Manuscripta, 38, 1994, p. 3-22.
13 Voir Coulson et Roy, Incipitarium Ovidianum, op. cit.
14 Voir la troisième partie de ce livre.
15 Il s’agit des 23 derniers vers du livre IV, mètre 7. Voir Boèce, La Consolation de Philosophie, trad. É. Vanpeteghem, préface de J.-Y. Tilliette, Paris, Le Livre de poche, 2008 (avec texte latin de C. Moreschini, Boethius, De consolatione philosophiae, Munich, K. G. Saur, 2005). À propos de Boèce au Moyen Âge, voir les œuvres de F. Troncarelli, Boethiana aetas. Modelli grafici e fortuna manoscritta della Consolatio Philosophiae tra ix e xii secolo, Alessandria, Edizioni dell’Orso, 1987, et Cogitatio mentis. L’eredità di Boezio nell’Alto Medioevo, Napoli, M. D’Auria Editore, 2005. Voir aussi A Companion to Boethius in the Middle Ages, éd. N. H. Kaylor, Leiden, Brill, 2012 (Brill’s Companions to the Christian Tradition, vol. 30).
16 Cf. P. Courcelle, « Étude critique sur les commentaires de la Consolation de Boèce (ixe-xve siècles) », Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, 14, 1939, p. 5-140 ; D. K. Bolton, « The Study of the Consolation of Philosophy in Anglo-Saxon England », Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, 44, 1977, p. 33-78.
17 Voir G. M. Cropp, « The Medieval French Tradition », Boethius in the Middle Ages : Latin and Vernacular Traditions of the Consolatio Philosophiae, éd. M. J. F. M. Hoenen et L. W. Nauta, Leiden, New York / Cologne, Brill, 1997, p. 243-266. Pour des éditions du segment sur les exploits d’Hercule, voirl’annexe du volume Rinascite di Ercole, éd. A. M. Babbi, op. cit., p. 378-493.
18 Les douze travaux sont présents dans quasiment tous les traitements d’ensemble sur l’Héraclès antique que nous avons cités jusqu’ici, que ce soit chez Ludwig Preller et Carl Robert, Pierre Grimal, Frank Brommer ou Emma Stafford. Pour l’anecdote, les douze travaux du héros ont également leur propre page Wikipedia dans neuf langues (cf. par exemple « Labours of Hercules », Wikipedia, en ligne : https://en.wikipedia.org/wiki/Labours_of_Hercules (dernière consultation : 29/05/2023).
19 Voir les remarques de S. Bär, Herakles im griechischen Epos. Studien zur Narrativität und Poezität eines Helden, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2018, qui considère les douze travaux comme « autoritativer Kern » du mythe (p. 13).
20 Voir p. ex. J. Boardman, Greek Sculpture : The Classical Period, Londres, Thames and Hudson, 1985, p. 22-23.
21 Cf. déjà l’étude de F. Brommer, Herakles, die zwölf Taten des Helden in antiker Kunst und Literatur, Münster, Böhlau-Verlag, 1953. Voir aussi S. Bär, Herakles im griechischen Epos, op. cit., qui résume l’hypothèse et offre une bibliographie plus complète sur la recherche précédente à propos de ce témoignage précoce.
22 E. Panofsky, Hercules am Scheidewege, op. cit., p. 146-147.
23 Pour les témoignages antiques du dodécathlos traditionnel, nous devons beaucoup à l’étude de Jung, « Hercule dans les textes du Moyen Âge », art. cité, p. 11-12. Nos réflexions à propos d’Hygin et des poèmes de l’Anthologia latina s’entendent comme un approfondissement des idées mises en place par Jung dans son article.
24 Cf. déjà supra, p. 51-52.
25 Cela explique aussi pourquoi on rencontre l’idée de « dix travaux » dans des éditions modernes de l’œuvre. Citons Carrière et Massonie en note sur leur traduction du passage où l’oracle annonce à Héraclès qu’il est censé accomplir des travaux pour Eurysthée : « Ici, de même qu’aux § 80 et 91, tous les manuscrits […] ont le chiffre canonique de douze travaux. Le chiffre dix est une correction de Hercher. Cette correction ne fait guère de doute puisque précisément, aux § 80 et 91, Eurysthée refuse de compter, parmi les travaux dus, l’hydre de Lerne et les écuries d’Augias, qui seront remplacés par deux travaux supplémentaires (voir § 113). Faut-il corriger aussi le chiffre de la durée des travaux et écrire dix ans au lieu de douze (au § 113, il est dit que les dix premiers travaux ont duré huit ans et un mois) ? Le nombre et l’ordre des travaux posent de nombreux problèmes […] » (La Bibliothèque d’Apollodore, op. cit., note 73.1).
26 Cf., à propos des travaux herculéens placés aux frontières du monde selon la géographie antique, D. Dueck et K. Brodersen, Geography in Classical Antiquity, Cambridge, Cambridge University Press, 2012, p. 25 sqq. Voir aussi Jung, « Hercule dans les textes du Moyen Âge », art. cité, p. 11-12.
27 Cf. M. D. Reeves, « Hyginus, Fabulae », Texts and Transmission. A Survey of the Latin Classics, éd. L. D. Reynolds, Oxford, Clarendon Press, 1983, p. 189-190.
28 Hyginus : Fabulae. Editio altera, éd. P. K. Marshall, Munich, K.G. Saur, 2002, chap. 30.
29 Ibid. ; la traduction et les gras sont de nous.
30 Cf. supra, p. 34-47.
31 Rappelons que le terme en grec peut désigner un animal masculin ou féminin (cf. déjà p. 39-40, n. 20, 26 et 28).
32 Il a été suggéré que cette version variante du mythe dérive d’une comparaison implicite, faite par Apollonius de Rhodes dans ses Argonautica, entre les oiseaux stymphaliens et les « oiseaux d’Arès » auxquels doivent se mesurer les Argonautes pendant leurs voyages (voir R. L. Fowler, Early Greek Mythography. vol. 2. Commentary, Oxford, Oxford University Press, 2013, § 8.4.6 « The Stymphalian birds », p. 285). Les lecteurs intéressés peuvent consulter les commentaires de Fowler à propos des autres travaux Héraclès sous § 8.4 « The Labours », p. 271-306.
33 Hyginus : Fabulae, éd. P. Marshall, op. cit., chap. 31.
34 Précisément, les parerga évoqués sont : les victoires sur Antée, sur Busiris, sur Cygnus, fils de Mars, sur le monstre de mer (cetum) devant Troie et sur le roi Laomédon, la libération de Prométhée à l’aigle, le meurtre de Lycus, la lutte contre Achéloüs, les victoires sur Nélée, fils d’Hippocoon, sur Eurytus, père d’Iole, et sur les centaures Nessus et Eurytion.
35 Voir par exemple L. Preller et C. Robert, Griechische Mythologie, op. cit., p. 428 sqq., ainsi que nos observations supra, p. 15, note 38.
36 Cf. Jung, « Hercule dans les textes du Moyen Âge », art. cité, p. 12.
37 La seule édition complète de la collection, y compris les poèmes qui nous concernent, reste Anthologia Latina, sive poesis latinae supplementum, t. 2, Reliquorum librorum carmina, éd. F. Buecheler et A. Riese, Leipzig, Teubner, 1906, xii (Polysticha), 627. Hilasii Dodecasticha de Hercule ; 641 Avsonii Monosticha de aerumnis Herculis.
38 Ibid., 641 ; la traduction et les gras sont de nous.
39 Jung, « Hercule dans les textes français du Moyen Âge », art. cité, p. 12.
40 C’est l’un des éléments que nous regarderons de plus près dans notre examen des commentaires médiévaux aux Métamorphosesinfra, p. 122-128.
41 Nous nous intéresserons plus loin aux interprétations ultérieures qui verront Hercule comme un homme vertueux plutôt que comme un homme fort, en nous concentrant ici plus sur les variantes de forme et de contenu mythologique. Notons toutefois qu’un tel titre, ainsi que le contexte manuscrit donné, peuvent influencer la raison d’être d’un texte et y ajouter des niveaux d’interprétation absents de son contexte d’origine.
42 Selon l’hypothèse la plus répandue, ce matériel dériverait d’un commentaire, aujourd’hui perdu, sur l’Énéide par Aelius Donatus. La tradition manuscrite des différentes versions du commentaire est une histoire à part que nous n’approfondirons pas ici. On retiendra toutefois que la version « vulgate » de Servius et celle du Servius auctus survivent toutes les deux dans des manuscrits à partir du ixe siècle, que les témoins de la version étendue sont moins nombreux que ceux de la version courte, mais que leur tradition présente un haut degré d’hybridité et de contamination. Pour une vision d’ensemble, on peut consulter P. K. Marshall, « Servius », Texts and Transmissions, op. cit., p. 386-387.
43 Voir Én. VIII, 190 sqq., notamment 288-305 pour l’éloge des exploits d’Hercule. Voir aussi la table aux p. 75-77 infra, qui résume des exploits cités dans des catalogues éclectiques d’une série de poètes latins.
44 Servius, commentaire à Én. VIII, 299 ; la traduction et les gras sont de nous.
45 Un autre exemple que nous évoquons en note parce qu’il n’implique pas les travaux à proprement parler concerne le meurtre commis par Hercule, qui est placé par les deux textes dans un contexte narratif identique qui diffère des versions données par Apollodore et Diodore. Selon Hygin et le Servius auctus, l’acte a lieu après l’accomplissement des douze travaux. Suit un épisode dans lequel Hercule se rend auprès d’Apollon afin d’apprendre comment se purifier du crime. Quand Apollon ne lui donne pas de réponse, Hercule vole le trépied sacré, ce qui provoque l’intervention de Jupiter afin de remettre les choses en ordre. Ensuite, Hercule se met au service d’Omphale afin de se racheter.
46 Il s’agit de la traduction par Poggio Bracciolini que nous avons évoquée supra (p. 28). Les éléments cités proviennent de la table de rubriques en début du livre IV d’après le ms. Paris, BnF, lat. 5689, f. 113v. Les travaux sont annoncés par des rubriques marginales dans la suite : f. 120r, primus labor Nemei leonis ; secundus idre ; tertius apri ; f. 121r, .iiii. us cerve ; f. 121v, .vi. us (avec, dans le texte, in Herculis contemptum recepit Euristeus ut aulam Egei nemine iuvante purgaret), etc.
47 Soulignons que le passage du Servius auctus dont nous venons de parler (p. 68 sqq.) ne fait pas partie des plus anciennes strates du commentaire de Servius, datant de l’Antiquité tardive, dont il sera question dans la suite. Les gloses du Servius antique « non étendu » ne témoignent pas d’un effort de dresser une liste des exploits d’Hercule.
48 D’autres auteurs, dont Plaute, Lucrèce, Stace et Silius Italicus, rapportent des listes moins exhaustives d’exploits d’Hercule. Une vue d’ensemble très complète des différentes arétalogies (discours chantant les vertus du héros) d’Hercule est donnée par C. Henriksén dans A Commentary on Martial, Epigrams Book 9, Oxford, Oxford University Press, 2012, p. 392-395.
49 À propos de la diffusion des tragédies de Sénèque, voir L. D. Reynolds, « The Younger Seneca »,art. cité,p. 378-381.
50 Il est intéressant de retenir que plusieurs textes donnent un ensemble d’exploits dont le nombre égale ou avoisine la douzaine, même si ce ne sont pas les douze travaux.
51 Cf. supra, p. 53 sq.
52 Voici les passages et éditions de référence d’après lesquelles nous citons les données résumées dans le tableau suivant : Virgile, Énéide, livre VIII, v. 288-305 (d’après l’éd. Durand, op. cit.) ; Ovide, Métamorphoses, livre IX, v. 182-198 (d’après P. Ovidi Nasonis Metamorphoses, éd. R. Tarrant, Oxford, Oxford University Press, 2004 = Mét.) ; Hercules furens, v. 215-248 (d’après Seneca, Hercules Furens : Einleitung, Text, Übersetzung & Kommentar, éd. M. Billerbeck, Leiden, Brill, 1999) ; Hercules Oetaeus, v. 16-27 (d’après L. Annaei Senecae : Tragoediae : Incertorum Auctorum ; Hercules [Oetaeus] ; Octavia, éd. O. Zwierlein, Oxford, Oxford University Press, 1986, p. 337-414) ; Agamemnon, v. 808-866 (d’après Seneca, Agamemnon, éd. R. Tarrant, Cambridge, Cambridge University Press, 1976 ; Martial, Epigramme IX, 101 (d’après C. Henriksen, A Commentary on Martial, Epigrams Book 9, op. cit.) ; Claudien, De Raptu Proserpinae, préface au livre II, v. 29-48 (d’après Claudian : De Raptu Proserpinae, éd. C. Gruzelier, Oxford, Oxford University Press, 1993) ; Sidoine Apollinaire, Carmina 9, 94-100 (d’après Sidoine Apollinaire, Opera, t. 1. Poèmes, éd. A. Loyen, Paris, Les Belles Lettres, 1960) ; Boèce, IV, m. 7 (d’après Boèce, La Consolation de Philosophie, trad. Vanpeteghem, op. cit.).
53 Nous reviendrons plus loin (p. 115-121) sur l’évocation allusive Elis chez Ovide. La mention Elida nobilem quadrigis chez Sidoine Apollinaire est tout aussi incertaine.
54 Nous poursuivons ici une piste proposée par Marc-René Jung dans son étude sur « Hercule dans les textes du Moyen Âge », art. cité, p. 9-11 à propos de Servius.
55 Voir les deux articles de J. J. H. Savage, « The Manuscripts of the Commentary of Servius Danielis on Virgil », Harvard Studies in Classical Philology, 43, 1932, p. 77-121, et « The Manuscripts of Servius’s Commentary on Virgil », Harvard Studies in Classical Philology, 45, 1934, p. 157-204, complétés par C. E. Murgia, Prolegomena to Servius 5 – The Manuscripts, Berkeley, University of California Press, 1975.
56 Demats, Fabula, op. cit., p. 27.
57 (« Némée est une forêt près de Thèbes, dans laquelle Hercule tua un lion, dont on dit qu’il était fils de la lune et qu’il était invulnérable »), commentaire à Én. VIII, 295 Nemeae sub rupe ; notre traduction.
58 Ici, une fois de plus, le Servius auctus rajoute une information qui figure également dans les Fabulae (cf.supra, p. 61, citation du chap. 30, travail 1).
59 Servius, commentaire à Én. III, 240 nova (proelia) ; notre traduction.
60 Voir nos observations sur l’interprétation de ce travail chez Hygin et dans le commentaire du Servius auctus, évoqués supra,p. 62 et 71.
61 Voir plus loin nos observations à propos des gloses aux Métamorphoses d’Ovide, infra, p. 128-134.
62 Servius, commentaire à Én. VI, 287 (ac belva lernae) ; notre traduction.
63 Cf. supra, p. 48 sqq.
64 Servius, commentaire à Én. IV, 484 (Hesperidum templi custos) ; notre traduction.
65 Cf. supra, p. 41, n. 32 ; p. 48.
66 Servius, commentaire à Én. VI, 395 (In vincla petivit) ; notre traduction.
67 Voir le traitement de J. Seznec sur la « tradition physique » dans La survivance des dieux antiques, op. cit., p. 49-100, et p. 65-72 en particulier. L’exemple le mieux connu d’une constellation associée à un travail herculéen est sans doute le lion, décrit entre autres par Hygin dans son De Astronomia, II, chap. 24, à propos de la constellation leo : […] Nonnulli etiam hoc amplius dicunt, quod Herculis prima fuerit haec certatio et quod eum inermis interfecerit. (L’Astronomia, éd. L. Piacente, Bari, Adriatica, 1988).
68 Servius, commentaire à Én. I, 741 (docuit quae maximus atlas) ; notre traduction.
69 Il serait intéressant d’enquêter plus loin sur la figure de l’Hercule-philosophe, liée à l’idée qu’Hercule est magis mente quam corpore fortis. Nous ne savons pas de quelle source précise Servius a retenu cette idée, mais l’association entre le héros et la philosophie se rencontre déjà dans l’Antiquité grecque et latine (voir à ce sujet Stafford, Herakles, op. cit., 124-130 ; pour une étude de cas très intéressante, cf. aussi C. Moore, « Heracles the Philosopher (Herodorus, Fr. 14) », The Classical Quarterly, 2017, 1-22). La glose de Servius trouvera son chemin vers les traités mythographiques médiévaux, dont celui du Troisième Mythographe du Vatican (cf.infra,p. 107) et la tradition des commentaires médiévaux. Dans certains commentaires incorporant des éléments d’allégorie, par exemple le Commentaire Vulgate des Métamorphoses (cf. infra, p. 355, n. 13), on retrouve un Hercule qui, après avoir vaincu tous les monstres de la terre, accède grâce aux enseignements d’Atlas (lui-même un grand philosophe) à la connaissance des astres, passant de la vie active à la vie contemplative. L’idée d’un Hercule qui excelle en force et en intellect est présent aussi, entre autres, dans le De viris illustribus de Pétrarque (voir à son sujet, L. C. Rossi, « La Vita di Ercole in Petrarca », Le strade di Ercole : itinerari umanistici e altri percorsi, op. cit., p. 169-187.
70 Voir, par exemple, infra, p. 97-99.
71 Par exemple les gloses à Én. I, 619 ; II, 312, 643 ; III, 3 ; VIII, 157, 291 ; X, 91, pour ne citer que des occurrences tirées de la version « vulgate » de Servius.
72 Servius, commentaire à Én. VIII, 190 (suspensam hanc aspice rupem) ; notre traduction.
73 Cette lecture morale sera développée par Fulgence dans ses Mitologiae, reprise à son tour par le Mythographe III du Vatican (voir nos observations infra, p. 104-105).
74 Nous verrons infra, p. 101 sqq., à l’exemple du Mythographe III du Vatican, l’impact qu’un tel « état des sources » peut avoir sur les textes postérieurs.
75 Voir l’indication « brève mention » dans les entrées respectives de notre vue générale des contenus du commentaire. Pour donner une idée de la brièveté des gloses concernées dans le commentaire de Servius, voici celles sur la biche et le sanglier, évoqués par Virgile au livre VI, v. 802 de l’Énéide : Servius précise, à propos de fixerit aeripedem cervam : pro ‘aëripedem’. vicit autem Cerynitin cervam, dictam a loco. ‘fixerit’ autem statuerit, delassaverit. ; à propos de Erymanthi pacarit nemora, il ajoute mons Arcadiae, ubi aper interfecit.
76 Servius, commentaire à Én. VI, 802.
77 Demats, Fabula, op. cit., p. 36.
78 Nous nous appuyons sur les remarques dans les éditions respectives de ces textes : Le Premier Mythographe du Vatican, éd. N. Zorzetti, trad. J. Berlioz, Paris, Les Belles Lettres, 1995, surtout p. xxxii-xxxiii, ainsi que Mythographi Vaticani I et II, éd. P. Kulcsár, Turnhout, Brepols, 1987, indications dans l’apparat des sources (passim). Le Mythographe III du Vatican présente un cas particulier, ses contenus herculéens dérivant très largement de Servius et de Fulgence (voir Mythographe du Vatican III, trad. et comm. P. Dain, rév. F. Kerlouégan, Paris, Presses Universitaires Franc-Comtoises, 2005, notes aux p. 241-244).
79 Cf. les observations de Nevio Zorzetti et Jacques Berlioz dans leur édition du Mythographe I, Le Premier Mythographe du Vatican, op. cit., p. xl-xliv, ainsi que celles de Philippe Dain en introduction à sa propre traduction, Mythographe du Vatican I, Paris/Besançon, Les Belles Lettres, 1995, p. iv-v.
80 Voir Mythographi Vaticani I et II, éd. Kulcsár, op. cit. p. vi-xvi à propos de ces témoins. Une grande partie des contenus du Mythographe II, dont quasiment tous les chapitres sur Hercule, sera, par ailleurs, intégré dans le Fabularius de Konrad von Mure (xiiie siècle), qui survit à son tour dans six manuscrits (cf.Conradi de Mure Fabularius, éd. T. van de Loo, Turnhout, Brepols, 2006, « Introduction », p. xxv).
81 Le Premier Mythographe du Vatican, éd. Zorzetti, trad. Berlioz, op. cit., fable 63, p. 38-39.
82 Cet élément n’a pas échappé à Marc-René Jung, qui estime que la remarque traduit ex negativo la notoriété de ces fables (cf. « Hercule dans les textes du Moyen Âge », art. cité, p. 15). Ce que Jung n’a pas dit explicitement, mais qui mérite d’être souligné, c’est l’impact que de telles omissions ont pu avoir sur les générations suivantes qui se sont appuyées sur les textes en question. En d’autres termes, ce qui a été si connu, à un moment et dans un contexte historique donné, qu’on n’avait pas besoin de le nommer ou de l’expliquer, a pu disparaître ou se maintenir seulement vaguement dans la conscience des lecteurs et écrivains postérieurs moins versés dans la matière que ne l’étaient leurs prédécesseurs.
83 Le Premier Mythographe du Vatican, éd. Zorzetti, trad. Berlioz, op. cit., p. xxxv. Ils observent aussi que le Mythographe ne semble avoir utilisé ni l’œuvre mythographique d’Hygin ni (exception faite d’une fable) les gloses du Servius auctus (p. xiii).
84 Voir les remarques de Nevio Zorzetti et Jacques Berlioz (ibid., p. 39, note 195). Évidemment, on peut également supposer que le mythographe les a retrouvés déjà dans une forme composite dans une source intermédiaire inconnue à nous plutôt que d’avoir disséqué l’épigramme d’Ausone.
85 La numérotation des chapitres a été reprise à Mythographi Vaticani I et II, éd. Kulcsár, op. cit.
86 Nous reviendrons infra, p. 115-121, sur ce travail perdu en menant une petite enquête à partir des commentaires sur Ovide.
87 Cité d’après Mythographi Vaticani I et II, éd. Kulcsár, op. cit., chap. 271. « De Alcinoe ».
88 Les mythographes ont peut-être repris cette glose à un commentaire de la Consolatio Philosophiae. On retrouve dans celui de Rémi d’Auxerre une glose quasiment identique, portant sur le vers boécien Fixit et certis volucres sagittis (livre IV, mètre 7, v. 16, dans le segment à propos des exploits d’Hercule) : Alchinous rex Pheacum laborabat Arpiis. Ad quem Hercules veniens cum hoc agnovisset, prestolatus est adventum Arpiarum ad solitas mensas venientium, quas vulneratas, pepulit a regno eius. Arpie autem dicuntur esse canes Iovis, dicte a rapiendo, nam arpo Grece dicitur rapio. Hinc Arpie raptrices quas Ovidius Strimphalidas vocat a Strimphalo fluvio. (d’après l’édition par D. K. Bolton, « The Study of the Consolation of Philosophy in Anglo-Saxon England », art. cité, p. 72).
89 Nous nous appuyons ici encore sur Mythographi Vaticani I et II, éd. Kulcsár, op. cit., passim.
90 Voir les sources indiquées dans ibid.
91 Ibid., chap. 183 ; c’est nous qui traduisons. La ligne verticale précédant Sed Hercules[…] sert à indiquer la délimitation entre les gloses reprises par le mythographe, auxquelles nous reviendrons au fil de notre argumentation.
92 Nous avons rencontré la désignation « lion de Cléones » dans le poème mnémonique d’Ausone inclus dans l’Anthologia latina que nous avons cité supra, p. 64-65. Pour un auteur de l’Antiquité latine, les deux appellations étaient synonymiques.
93 [ … ] leonem / illius in speciem quem per Teumesia tempe / Amphitryoniades fractum invenalibus annis / ante Cleonaei vestitus proelia monstri. (Stace, Thébaïde, livre I, 483-486, d’après l’éd. D. R. Shackleton-Bailey, Cambridge (MA), Harvard University Press, 2004).
94 Lactantii Placidi In Statii Thebaida Commentum, Anonymi In Statii Achilleida Commentum, Fulgentii ut fingitur Planciadis super Thebaiden Commentariolum, éd. R. D. Sweeney, Stuttgart/Leipzig, Teubner 1997, glose au livre I, v. 485-487.
95 Le passage en question chez Stace mériterait à son tour une étude plus approfondie. La tradition grecque parle d’un « lion du mont Cithéron » qui, d’après Apollodore, aurait été tué par Hercule dans sa jeunesse (Apollod.II, iv, 10), mais cet épisode ne semble pas être passé dans la tradition latine.
96 Il se retrouve également, par exemple, dans le Fabularius de Konrad von Mure et les Genealogie deorum de Boccace : Quarto adversus Theumesium leonem, nulla ex parte minus horribilem Nemeo, audaci processit pectore, prostratumque iugulavit. (De genealogie deorum, éd. V. Zaccaria, t. 7-8, Tutte le opere di Giovanni Boccaccio, dir. V. Branca, Milan, Mondadori, 1998, livre XIII, chap. 1).
97 D’après les indications de Péter Kulcsár, il s’agit du commentaire de Lactance Placide au livre IV, 160, de la Thébaïde.
98 Péter Kulcsár renvoie dans son édition à cinq gloses différentes de Servius sur l’Énéide et les Géorgiques (cf.Mythographi Vaticani I et II, op. cit., notes sur les sources du Mythographe II, chap. 173, p. 232).
99 Nous citons l’extrait d’après ibid., chap. 173, en adaptant légèrement la ponctuation. La traduction est de nous.
100 Notre traduction correspond au fond à celle proposée par Philippe Dain dans Mythographe du Vatican II, Besançon, Presses universitaires franc-comtoises, 2000. La traduction de Dain nous paraissait cependant trop libre pour servir de support pour un commentaire précis.
101 Virgile, Énéide. Livres I-VI, éd. H. Goelzer, Paris, Les Belles Lettres, 1956, livre VI, 392-942 ; la traduction est de nous.
102 Servius, commentaire à Én. VI, 392.
103 La traduction est de nous.
104 La traduction est de nous. C’est ainsi que le passage est interprété aussi, par exemple, par R. E. Pepin, The Vatican Mythographers, New York, Fordham University Press, 2008, Second mythographer, chap. 173. « Why he is called Hercules », p. 170-171.
105 Telle est l’hypothèse de Gisèle Besson, qui est actuellement l’une des plus grandes spécialistes en matière du Mythographe III, qu’elle désigne par le nom de « Pseudo-Albrecht » (cf. G. Besson, « Tractatus fortasse non otiosus : méthode et enjeux du traité du Troisième Mythographe du Vatican », Lire les mythes, éd. A. Zucker, J. Fabre-Serris, J.-Y. Tilliette et G. Besson, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2016, p. 199-223, ici. p. 178). Besson rejette l’hypothèse de l’identification de l’auteur du traité avec Alberic de Londres, proposée par E. Rathbone, « Master Alberic of London, Mythographus tertius vaticanus », Mediaeval and Renaissance Studies, 1, 1943, p. 35-38). Cette dernière hypothèse s’appuie sur la présence de l’attribution à un Albericus Londoniensis dans plusieurs manuscrits (voir, à ce propos, les indications dans la liste de manuscrits fournie par K. Elliot et J.-P. Elder, « A Critical Edition of the Vatican Mythographers », Transactions and Proceedings of the American Philological Association, 78, 1947, p. 205-207).
106 G. Besson, « Tractatus fortasse non otiosus », art. cité, p. 178. On ne dispose pas, en l’état actuel, d’inventaire complet et actualisé depuis celui, comprenant 43 manuscrits, qu’ont fourni K. Elliot et J. P. Elder en 1947 (cf. art. cité, p. 205-207).
107 Il faut souligner que l’appellation collective « Trois Mythographes du Vatican » ne présume pas de rapports entre les trois textes – ou bien entre les deux premiers d’une part (transmis ensemble dans le ms. Reg. lat. 1401), et le troisième, d’autre part. Elle s’est maintenue depuis l’édition des trois traités par Angelo Mai, parue en 1831, à partir de manuscrits conservés à la Bibliothèque vaticane.
108 G. Besson, « Tractatus fortasse non otiosus », art. cité, p. 188.
109 Nous citons l’édition par Georg Heinrich Bode du Mythographe III : Mythographus Tertius in Scriptores rerum mythicarum Latini tres Romae nuper reperti, éd. G. H. Bode, Cellis, Schulze, 1834, vol. 1, p. 132-256. Cette dernière reste en l’état actuel, la plus récente édition complète de ce texte. La traduction citée ici est celle de P. Dain dans Mythographe du Vatican III, op. cit., Prooemium, « L’origine des idoles », avec une légère modification de notre part.
110 Indications de paragraphes d’après Mythographus Tertius, éd. Bode, op. cit. Les références et citations suivantes du Mythographe III renvoient systématiquement à cette dernière édition.
111 Voir les vues d’ensemble des contenus supra, p. 86 (Servius) et p. 92-93 (Mythographe II).
112 Cf. Jung, « Hercule dans les textes du Moyen Âge », art. cité, p. 17. L’identité et les dates de vie de Fulgence le Mythographe restent un sujet de contention. On consultera à ce propos l’étude excellente de G. Hays, « The Date and Identity of the Mythographer Fulgentius », The Journal of Medieval Latin, 13, 2003, p. 163-252. Le traité mythographique de Fulgence a été édité par Rudolph Helm : Mitologiarum libri tres,in Fabii Planciadis Fulgentii Opera, éd. R. Helm Leipzig, Teubner, 1898, p. 1-80. Les références aux Mitologiae dans les pages qui suivent renvoient toutes à cette édition.
113 Omphale, Cacus et Antée sont le sujet de trois chapitres consécutifs vers le début du livre II des Mitologiae, Admète et Alceste apparaissent au dernier chapitre (chap. 22) du premier livre.
114 Jung, « Hercule dans les textes du Moyen Âge », art. cité, p. 14.
115 Mythographe III, chap. 13, § 1 (éd. Bode, p. 146, l. 36-37). Mots repris tels quels à Fulgence (Mitologiae, liber III, chap. 3. « Fabula Caci et Herculis »). Le passage développe l’association entre le nom Cacus et le terme grec κακός « mauvais », que nous avons déjà relevée supra, p. 85, dans le commentaire de Servius.
116 Mythographe III, chap. 13, § 1 (éd. Bode, p. 146, l. 28-29). Mots repris tels quels à Fulgence (Mitologiae, liber III, chap. 2. « Fabula Herculis et Omfalae »). Le rapprochement entre l’amante d’Hercule et la libido repose, à son tour, sur une association pseudo-étymologique entre le nom Omphale et lat. umbilicus, selon l’argument que libido autem in umbilico mulieribus dominatur (cf. Mythographe III, chap. 13, § 1 ; éd. Bode, p. 246, l. 28).
117 Mythographe III, chap. 13, § 1 (éd. Bode, p. 146, l. 19-21 : Hercules quasi ηρώωνκλέος, ‘virorum forium gloria’, interpretatur). Fulgence était plus précis, fournissant aussi la forme grecque du nom d’Hercule : Hercules enim Eracles Grece dicitur, id est eroncleos quod nos Latine uirorum fortium famam dicimus[…]. (Mitologiae, liber II, chap. 2).
118 Dans sa structure et son orientation vers l’interprétation des mythes, le traité d’Albericus semble en effet s’insérer dans une véritable tradition de « mythographie fulgencienne ». Comme souligne G. Besson, « L’organisation d’ensemble de l’ouvrage est une systématisation de celui de Fulgence, un ordre devenu canonique. » (« Écrire après Fulgence : ordre et désordre des mythes chez quelques lecteurs des Mitologiarum Libri », Polymnia, 3, 2017, p. 124). Les parallèles de structure commencent dès le prologue du traité d’Albericus, qui reprend et élabore le premier chapitre de Fulgence, donnant l’histoire de la première idole (à propos de l’égyptien Syrophanès qui érige une statue en mémoire de son fils décédé).
119 Une exception à cet égard est l’une des interprétations à propos des pommes des Hespérides qu’Albericus a reprise à un autre texte en rapport avec l’Énéide, Expositio Virgilianae continentiae secundum philosophos moralis, rédigée par Fulgence. Voir notre remarque sur ce passage infra, p. 107.
120 Mythographe III, chap. 13, § 4 (éd. Bode, p. 248, l. 7-9).
121 Mythographe III, chap. 13, § 2 (éd. Bode, p. 247, l. 18-19) (« […] car tout homme qui refuse de se livrer aux passions de la chair et qui élève son esprit pour ne pas succomber aux dites passions, se redresse aussitôt victorieux » ; Mythographe du Vatican III,trad. Dain, p. 238). Voir Fulgence, Mitologiae, liber III, chap. 4.
122 Mythographe III, chap. 13, § 4 (éd. Bode, p. 248, l. 16-17).
123 Mythographe III, chap. 13, § 1 (éd. Bode, p. 246, l. 17-18).
124 Mythographe III, chap. 13, § 4 (éd. Bode, p. 248, l. 13-14).
125 Cf. Expositio Virgilianae continentiae secundum philosophos moralis, in Fabii Planciadis Fulgentii Opera, éd. Helm, op. cit., p. 81-107.
126 Mythographe III, chap. 13, § 5 (éd. Bode, p. 248, l. 45-46). Pour le passage source chez Fulgence, cf.Expositio Virgilianae continentiae, éd. Helm, op. cit., p. 97, l. 12 sqq.
127 Mythographe III, chap. 13, § 4 (éd. Bode, p. 248, l. 31-32) (« c’est parce qu’il assécha […] l’un de ses bras dont les débordements excessifs recouvraient les champs auxquels il rendit la fertilité » ;trad. Dain, p. 238). Entre les différents épisodes herculéens évoqués par Albericus et retenus ici, c’est le seul pour lequel on n’a pu identifier aucune source.
128 Mythographe III, chap. 13, § 6 (éd. Bode, p. 249, l. 22-24) (« Il fut vaincu par Hercule et si on représente ce dernier porté jusqu’à lui par une coupe en airain, c’est parce qu’il avait un navire solide et garni d’airain. » ;trad. Dain, p. 239). L’élément provient du commentaire de Servius à propos d’Én. VII, 662.
129 Mythographe III, chap. 13, § 1 (éd. Bode, p. 247, l. 1-3) (« Cependant, pour les érudits et les historiens, la vérité est la suivante : c’était le pire des esclaves d’Évandre et un voleur. » ; trad. Dain, p. 236). Voir nos remarques supra, p. 85.
130 Mythographe III, chap. 13, § 1 (éd. Bode, p. 246, l. 17) ; la traduction est de nous.
131 Hercules [ … ] ab Evandro tunc regnante tandem susceptus, quum se et Jovis filium dixisset, et morte Caci virtutem suam probasset, pro numine habitus esse, et aram, quae ara maxima dicta est, meruisse [ … ] (Mythographe III, chap. 13, § 7 ; éd. Bode, p. 249, l.29-33), repris à Servius, commentaire à Én. VIII, 269.
132 Deum eum communem dicit, [ … ] quod, ut diximus, άποθέωσιν (apotheosin) adeptus de homine, medioximis meruit annumerari. (Mythographe III, chap. 13, § 8 ; éd. Bode, p. 230, l. 21-23). Le passage source est celui de Servius à propos d’Én. VIII, 275. Voir par ailleurs, le chapitre ii, § 1 d’Albericus, sur l’origine des démons, à propos de ces « êtres intermédiaires ».
133 Mythographe III, chap. 13, § 8 (éd. Bode, p. 230, l. 38-39).
134 Mythographe III, chap. 13, § 1 (éd. Bode, p. 246, l. 19-20).
135 Mythographe III, chap. 13, § 8 (éd. Bode, p. 230, l. 41-44) ; c’est nous qui traduisons (suivant très partiellementla trad. Dain, p. 240, qui interprète différemment le passage).
136 Le passage de Servius se rapporte non pas à Hercule, mais à Mercure : Cicero in libris de natura deorum natura plures dicit esse Mercurios : sed in deorum ratione fabulae sequendae sunt, nam veritas ignoratur (commenaire à Én. I, 297).
137 Cf. supra, p. 57.
138 Dans le contexte de la version du traité que nous avons considérée ici, devrait-on souligner. Cette situation changera, par exemple, dans le chapitre herculéen du compendium de l’œuvre d’Albericus qui est inclus dans au moins trois manuscrits de la Satyrica historia de Paolin de Venise, où l’on assistera à un abrègement des chapitres « moralisantes » en même temps qu’à une augmentation du répertoire de travaux mentionnés. Nous reviendrons sur ce texte dans la troisième partie de ce livre, où nous aborderons la liste de travaux herculéens dans l’Ovide moralisé (cf.infra, p. 325).
139 Cf. références données supra, p. 55.
140 Mét. IX, 182-199 (vers cités d’après l’éd. Tarrant) ; la traduction est celle de Géorges Lafaye : Ovide, Les Métamorphoses, éd. et trad. G. Lafaye, 3 tomes, Paris, Les Belles Lettres, 1957-1980). Signalons qu’il n’y a pas de divergences entre l’édition de Tarrant et celle de Lafaye pour le passage concerné.
141 Nous proposons dans la troisième partie de ce travail une présentation des commentaires d’Ovide susceptibles d’avoir influencé l’Ovide moralisé, ayant vu le jour spécifiquement en France médiévale (cf.infra, p. 291 sqq.). Renvoyons aussi à l’article de référence sur la tradition des commentaires en France par Coulson, « Ovid’s Metamorphoses in the School Tradition of France », art. cité.
142 Ce commentaire a été édité par R. W. Böckerman, The Bavarian Commentary and Ovid : Clm 4610. The Earliest Documented Commentary on the Metamorphoses, Cambridge (UK), Open Book Publishers, 2020 (https://doi.org/10.11647/OBP.0154).
143 Une étude et l’édition partielle du commentaire a été faite dans le cadre de la thèse de doctorat par D. Gura, A critical edition and study of Arnulf of Orléans’ philological commentary to Ovid’s Metamorphoses, Ohio State University, 2010. Les gloses au livre IX restent inédites.
144 Le commentaire fait l’objet d’une édition critique en cours sous la direction de Frank Coulson et Piero Andrea Martina, dont le premier volume est déjà paru : Commentaire Vulgate des Métamorphoses d’Ovide. Livres I-V, op. cit. Le commentaire au livre IX a été édité et traduit par nous-même et paraîtra dans le deuxième volume de l’édition.
145 Le commentaire du manuscrit Vat. lat. 1479 est lui aussi en train d’être édité et traduit, par Lisa Ciccone et Marylène Possamaï-Pérez. Voir les deux premiers volumes, déjà parus, Un commentaire médiéval aux Métamorphoses. Le Vaticanus Latinus 1479. Livres I-V, et Livres VI à X, op. cit. Les commentaires contenus dans les manuscrits parisiens lat. 8010 et lat. 8320 sont inédits.
146 Mét. IX, 176-204, dont fait partie le segment présenté supra, p. 112.
147 Le texte de clm 4610 est cité d’après Böckerman, The Bavarian Commentary and Ovid, op. cit. ; la traduction est de nous, s’appuyant sur celle en anglais proposée par Böckerman. Le texte et la traduction du manuscrit Vat. lat. 1479 sont cités d’après Un commentaire médiéval […], éd. Ciccone, trad. Possamaï-Pérez, op. cit. Les transcriptions et traductions des manuscrits Vat. lat. 1598 (Commentaire Vulgate) et Paris, BnF, lat. 8320 sont de nous. Notons que les Glosulae d’Arnoul d’Orléans d’après le manuscrit clm 7205 ne comportent pas de glose à propos du lemme ovidien Elis.
148 Le manuscrit clm 4610 donne ici la forme abrégée Hor.
149 Ms. Vatican, BAV, Vat. lat. 1598, f. 91v, glose à Mét. IX 187 ; la traduction est de nous.
150 Selon la version « traditionnelle » de ce mythe, Œnomaos a appris d’un oracle qu’il sera tué par son beau-fils. Par conséquent, tous les prétendants à la main de sa fille Hippodamie (les finitimos proceres du commentaire) doivent se mesurer contre le roi (ou sa fille elle-même, selon ce commentaire) dans une course de char. Quand ils perdent, ils sont exécutés. Dans plusieurs commentaires cités, c’est plutôt contre Hippodamie elle-même que les prétendants doivent se mesurer à la course. Nous n’avons pas cherché à retracer l’évolution de cette version variante, mais ce serait une piste ultérieure intéressante.
151 Cf. Lactance Placide à la Thébaïde ; Mythographe II, chap. 169, « De Enomao ». La ville de Pise (en Grèce antique) se trouvait en effet dans la région d’Élide.
152 Ms. Paris, BnF, lat. 8010, f. 114r.
153 Ms. quinquenium ludus ille illud ; corrigé d’après le ms. Vatican, BAV, Vat. lat. 1667, f. 85v, qui donne la même glose à propos du passage.
154 On en retrouve aussi parmi les commentaires d’Ovide, par exemple, dans le ms. Vatican, BAV, Vat. lat. 5859, d’origine italienne, qui offre presque la même glose, mais avec statuit certamen, qui implique l’institution plutôt que la participation aux jeux : Helis civitas in Grecia est ubi Hercules statuit palestre certamen[…] (f. 101r).
155 Conradi de Mure Fabularius, éd. van de Loo, op. cit., lexicon A, entrée Alceus, v. 863-864, avec ensuite (v. 865-866) un renvoi aux Ecloga Theoduli, qui en parle à son tour : Excedit laudes hominum qui primus agones / Instituit fieri sub vertice montis Olympi (Ecloga, v. 230).
156 Thomas Walsingham, Archana deorum, éd. R. A. van Kluyve, Durham (NC), Duke University Press, 1968, livre IX, chap. 5, l. 43-44.
157 Die Chronik des Hieronymus / Hieronymi Chronicon, éd. R. Helm, Berlin, Akademie-Verlag, 1956, réimpr. De Gruyter 2012, « Atheniensium » XXIII, 95 F.
158 D’après le manuscrit Cambrai, BM, 683, f. 23v. Cf.infra, p. 213-230, à propos de ce texte.
159 On pourrait se demander si la longueur de l’intervalle séparant les jeux (se tenant de .v. ans a autre, couvrant la période d’un quinquennium) reflète elle aussi une erreur d’interprétation, comme les jeux olympiques se tiennent tous les quatre ans et non tous les cinq ans. En réalité, l’information ne semble pas être erronée, mais reflète une façon de compter selon laquelle le point de départ et le point d’arrivée sont eux aussi pris en compte.
160 D’après l’état provisoire de l’édition en cours par Gerlinde Huber-Rebenich et Beatrice Wyss, que nous remercions très sincèrement d’avoir partagé ces données avec nous. Traduisons : ‘De manière semblable, j’ai vaincu une biche dans la région d’Elide.’ Car il y avait à cet endroit une biche très grande qui détruisait tout. Alors Eurysthée y envoya Hercule et ce dernier la vainquit (livre IX, « De ceruo »).
161 F. Ghisalberti, « Giovanni del Virgilio espositore delle Metamorfosi », Giornale dantesco, 34, 1933, liber IX, 6 ; notre traduction.
162 Je tiens à remercier Olivier Collet de m’avoir indiqué le passage suivant dans la version en prose de l’Image du monde : Si y a citez et regions qui prennent leur nons de bestes qui habitent en cele terre. Si en ont les citez formes prises : Dont Roume a fourme de lyon, et Troie la grant fourme de cheval. (Gossouin de Metz, Image du monde, éd. N. Kanaoka, Lyon, ENS de Lyon, 2018, publié en ligne par l’ENS de Lyon dans la Base de français médiéval (en ligne : http://catalog.bfm-corpus.org/ImMondePrK) (dernière consultation : 01/06/2023).
163 OM IX, 728, cf. notre édition provisoire en annexe.
164 Voir l’apparat critique de notre édition provisoire du passage : de linA1D14FG2Z34, qui devient ailleurs de luiEY13Z1de luyZ2 et de lim G13.
165 La Bouquechardière, cité d’après le ms. Paris, BnF, fr. 307, f. 54v ; les gras sont de nous. Voir infra, p. 245-275, à propos de la biographie d’Hercule dans ce texte.
166 Les phrases qui suivent renforcent encore cette image : Tant out lors Herculés de contrees serchees qu’il fu arrivé es parties d’Ynde a tout la compaignie que avec lui menoit. Si fist donc tout le peuple a lui obeïr et la terre en son servage mettre pour ce qu’il n’out aucun en celle contree qui contre lui peust resister (ibid.).
167 Pour une étude plus approfondie de ce sujet, voir L. Endress, « Counting the Lions of Nemea : Medieval Variations on a Herculean Task », Reinardus : Yearbook of the International Reynard Society, 32, 2020, p. 71-88.
168 Mét. IX, 197.
169 Ms. Londres, BL, Burney, 224, f. 99r.
170 Mét. IX, 188.
171 Ms. Munich, BSB, clm 4610, f. 72rb, glose à Mét. IX 188, citée d’après Böckerman, The Bavarian Commentary and Ovid, op. cit.
172 À propos des représentants faisant partie de cet ensemble, voir Coulson, « Ovid’s Metamorphoses in the School Tradition of France », art. cité, p. 48, note 4. Souvent, les commentaires en question offrent, outre les deux lions, une interprétation alternative faisant intervenir un sanglier. Voir, par exemple, le commentaire no 475 (d’après Coulson et Roy, Incipitarium Ovidianum, op. cit.) dans le ms. Munich, BSB, clm 14482 : Partheniumque nemus ubi aprum occidit vel, melius, leonem, quia duos interfecit, unum in Nemea silva, alterum hic (f. 20r). Cette même interprétation se retrouve dans le commentaire no 221, transmis par le même manuscrit (cf. f. 40r). La mention seule des mêmes deux lions localisés se retrouve, par ailleurs, également dans le commentaire acéphale du ms. Paris, BnF, lat. 8320 (f. 61vb).
173 Cf. supra p. 94.
174 Cf. le commentaire de Lactance Placide d’après Lactantii Placidi In Statii Thebaida Commentum, éd. R. D. Sweeney, op. cit., livre I, 484-487, et le Mythographe II selon Mythographi Vaticani I et II, éd. Kulcsár, op. cit., chap. 183.
175 Stace, Thébaïde I, 484-487, éd. D. R. Shackleton-Bailey, op. cit. ; les gras sont de nous.
176 À noter que la glose à propos des deux lions, de Némée et de Teumèse, a circulé en parallèle aux commentaires d’Ovide dans des textes mythographiques comme le Fabularius de Konrad von Mure ou encore dans les Genealogie deorum de Boccace.
177 Ms. Londres, BL, Burney 224, f. 99r.
178 Ms. lat(r)ones, corrigé d’après Londres, BL, Burney 224, f. 99r ; Venezia, Bibl. Nazionale Marciana, Marc. lat. XIV.222 (4007), f. 38vb.
179 Adnotationes super Lucanum, éd. J. Endt, Stuttgart, Teubner Verlag, 1969, livre IV, 612.
180 Arnulfi Aurelianensis Glosule super Lucanum, éd. B. M. Marti, Rome, American Academy, 1958, glose au livre IV, 612.
181 Ms. Paris, BnF, lat. 8010, f. 114v.
182 Dans le manuscrit Vat. lat. 1479, on lit, en glose à Mét. IX 188, Hercules tres leones interfecit : quendam apud Parthenium opidum, alium apud Nemeum, alterum apud Aeonam [sic] silvam […], et à propos de Mét. IX 197, pestem nemeam vocat maximum leonem, quem interfecit Hercules in Nemea silva, ut partim superius declaratur (d’après Un commentaire médiéval […],éd. Ciccone op. cit.).
183 Parthemiumque nemus ubi aprum interfecit Hercules, quem, cum submissis humeris Hercules ad unam portam Argos civitatis inferret, cives visa magnitudine apri territi fugerunt, egredientes per portam oppositam huic per quam Hercules introibat (ms. Vatican, BAV, Vat. lat. 1598, f. 91v, glose à Mét. IX 188). Il n’évoque que le seul lion de Némée en rapport avec le vers 197 du passage ovidien. Nous reparlerons de cette glose dans la troisième partie de ce travail (cf.infra, p. 351).
184 Thomas Walsingham, Archana deorum, éd. van Kluyve, op. cit., livre IX, v. 188 et 197 ; les gras sont de nous.
185 Alfonso el Sabio, General Estoria. Segunda parte. vol. 2, éd. A. G. Solalinde, L. A. Kasten, et V. B. Oelschläger, Madrid, CSIC, 1961, chap. 297 « De la cuenta de los grandes fechos de Ercoles ».
186 La situation est complexe dans les Sumas, car sa tradition manuscrite nous a laissée devant une énigme autour des lions. Dans l’un des deux témoins de l’œuvre, le ms. 9265 de la Biblioteca Nacional de Madrid, le chapitre concerné manque entièrement (il aurait été à sa place entre les f. 22 et 23). Dans l’autre, le Ms. 6419 de la même bibliothèque, il y a une lacune précisément à l’endroit où l’on s’attendrait à trouver une indication à propos de la provenance des deux lions supplémentaires qu’Hercule aurait tués. Le chapitre concerné, portant la rubrique Commo Ercoles mato el leon de la selua Mena [sic] a manos syn otras armas, relate comment la malveillante Junon demande au roi Eurysthée d’envoyer Hercule combattre le lion de Némée et comment Hercule parvient à vaincre ce dernier en lui rompant les joues avant de le dépouiller. Dans la suite, on lit : E avn despues dizen que mato a otros dos leones en[à cet endroit, il y a un espace blanc]mas a esos lleuo armas Ercoles, que levo vna porra con que los mato. (f. 21rb) Le fait que dans l’édition de la chronique par A. Rey, Sumas de historia troyana, Madrid, 1932, on lit el montePartemio dans l’espace vide repose sur la présence de ce toponyme dans le chapitre correspondant de la General Estoria (comparer p. 115 de l’édition de Rey et p. 7 de l’éd. A. G. Solalinde, op. cit.).
187 Raoul Le Fèvre, Le Recoeil des Histoires de Troyes, éd. Aeschbach, op. cit., chap. 43.2, p. 311.
188 Le motif a aussi été repris sur plusieurs tapisseries des xvie et xviie siècles. Voir Endress, « Counting the Lions of Nemea », art. cité, où nous avons étudié plus en profondeur les trajectoires des trois lions dans les textes et l’iconographie, où sont publiées aussi quelques illustrations.
189 Notre transcription et traduction de clm 4610 a été vérifiée sur l’édition de Böckerman, The Bavarian Commentary and Ovid, op. cit. ; le texte et la traduction du Vat. lat. 1479 sont cités d’après Un commentaire médiéval […], éd. Ciccone, trad. Possamaï-Pérez, op. cit. Les transcriptions et traductions du Commentaire Vulgate (d’après le manuscrit Vat. lat. 1598) et du manuscrit Paris, BnF, lat. 8010 sont de nous.
190 Notons accessoirement la présence d’interprétations supplémentaires dans le clm 4610 et le Vat. lat. 1479 qui disent qu’Hercule aurait vaincu un (Vat. lat. 1479) voire deux serpents (clm 4610) près du lac Stymphale. Nous laisserons ici de côté ces interprétations, qui pourraient toutefois faire l’objet d’une enquête ultérieure.
191 Mythographi Vaticani I et II, éd. Kulscar, op. cit., chap. 165 ; notre traduction.
192 Isidorus Hispalensis, Étymologies. Livre XII, éd., trad. et comm. J. André, Paris, Les Belles Lettres, 1986, chap. 7. « De avibus », 27. Un regard sur la varia lectio sur le passage fait découvrir une série d’autres formes semblablement hybrides.
193 Le contexte du voyage des Argonautes explique éventuellement aussi la confusion ultérieure, observée chez les mythographes entre le mythe de Phinée et celui d’Alcinoüs (souvenons-nous de la « Fabula Herculis et Alcinoi et Arpiarum », mentionnée supra, p. 91-92).
194 Cf. l’étude pointue de K. Atkinson, « Les travaux d’Hercule moralisés au xive siècle », art. cité,p. 41-50, qui s’intéresse aux interprétations proposées sur les travaux d’Hercule dans une traduction anonyme picarde de la Consolatio Philosophiae (transmise intégralement dans le manuscrit Paris, BnF, fr. 576). Il observe dans ce contexte que Guillaume de Conches est, d’après ses relevés, le premier qui aurait en même temps identifié les oiseaux stymphaliens avec les harpyes et associé Hercule au récit de Phinée (cf. p. 45, note 22 de son article). Compte tenu de la date plus précoce du manuscrit clm 4610 (deuxième moitié du xie siècle), il semble que l’identification se soit faite déjà plus tôt.
195 Ms. Leipzig, Universitätsbibliothek Leipzig, 1253, f. 75ra. L’histoire de Phinée et des harpyes est évoquée également dans le commentaire du Pseudo-Thomas d’Aquin, Expositio in Boethii De consolatio philosophiae, in Thomas Aquinas, Opera omnia, vol. 24 (Opuscula alia dubia), Petri Fiaccadori, Parma, 1869, livre IV, chap. 14.
196 Les Allegoriae sont citées d’après Ghisalberti, « Giovanni del Virgilio espositore delle Metamorfosi », art. cité, livre IX, chap. 8.
197 Ibid.
198 Quidam dicunt quod circa Stimphalum fluvium aves quedam fuerunt que totam terram devastabant. Quas sonitu heris [= eris] Hercules fugavit (Thomas Walsingham, Archana deorum, éd. Van Kluyve, op. cit., livre IX, chap. 5, l. 45-48).
199 Ovide moralisé, éd. de Boer, op. cit., livre VII, 140-142.
200 L’extrait cité provient en effet de la deuxième version de la traduction de Laurent de Premierfait, datée de 1409, d’après l’édition par P. M. Gathercole, Laurent de Premierfait’s Des cas des nobles hommes et femmes. book I, Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 1968, chap. 12, 16. L’énumération des travaux selon Ovide fait défaut chez Boccace. Nous n’avons pas vérifié tous les manuscrits de la première version de la traduction (de 1400), mais le catalogue de travaux est absent des manuscrits Paris, BnF, fr. 597 (où le chapitre en question se retrouve au f. 12r) et Paris, BnF, fr. 132 (f. 15r).
- Thème CLIL : 3438 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moyen Age
- ISBN : 978-2-406-15464-8
- EAN : 9782406154648
- ISSN : 2261-0367
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-15464-8.p.0051
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 24/01/2024
- Langue : Français