Introduction à la deuxième partie
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Trajectoires textuelles de l’Hercule médiéval. Mythographie, historiographie et au-delà
- Pages : 139 à 141
- Collection : Recherches littéraires médiévales, n° 42
- Série : Ovidiana, n° 3
Introduction
à la deuxième partie
Déjà dans l’Antiquité, les mythes d’Héraclès-Hercule sont entrés dans l’Histoire. Nous l’avons vu à travers l’exemple de Diodore de Sicile, qui traite de la vie et des faits du héros dans le quatrième livre de sa Bibliothèque historique. Comme nous l’avons relevé, le chroniqueur antique n’a pas hésité à donner son avis critique sur certains éléments se rapportant à la vie du héros, qui appartenaient, selon lui, au domaine de la mythologie plutôt qu’à l’histoire. « Les poètes, habitués à raconter des merveilles, prétendent qu’Hercule avait exécuté seul et sans armes ses travaux tant célèbres1. » À de telles remarques s’ajoutent des interprétations rationalisantes à propos de certains exploits : par exemple, on prétendait qu’Hercule avait soutenu le ciel à la place d’Atlas parce qu’il avait appris l’astronomie de ce dernier – interprétation qui a perduré jusque dans les traités de mythographie médiévale2. Mais les niveaux de signification ne se multiplient pas seulement autour des faits individuels du héros. Rappelons que la contextualisation de sa vie même sur l’échelle du temps se trouvait remise en question dans l’œuvre du chroniqueur grec : bien avant la vie étendue d’Héraclès au livre IV de l’œuvre, le héros – ou un héros homonyme – est introduit au livre I, dans le contexte de l’histoire d’Égypte, comme ayant vécu dix mille ans plus tôt. En effet, Diodore va jusqu’à suggérer que le fait d’avoir nettoyé le monde des monstres, attribué à l’Héraclès grec, conviendrait mieux au héros égyptien, qui aurait vécu à une époque où la civilisation n’avait pas encore dompté la nature sauvage3. Le passage du mythe à l’histoire implique des aménagements de la matière mythologique ainsi qu’une remise en cause de l’identité du personnage.
140Il est intéressant de s’interroger sur la manière dont l’historiographie, à la suite de Diodore et des siècles durant, a traité la matière herculéenne. Quelles sources a-t-elle exploitées ? Quels épisodes en a-t-elle retenus, quel point de vue adopte-t-elle et quel portrait a-t-elle peint du héros ? Quels sont les rapports qui émergent des différentes compositions historiographiques quand on compare la matière herculéenne qu’elles véhiculent ? Dans cette partie, nous nous pencherons sur une série d’œuvres historiographiques – surtout des histoires universelles – qui intègrent, chacune à sa façon, des éléments relatifs à Hercule. L’objectif en est de mettre en lumière les diverses réalisations textuelles de la vie du héros, et de montrer, à l’exemple des épisodes herculéens en présence, comment les différentes œuvres se trouvent en relation les unes avec les autres. Selon les cas, nous chercherons plutôt à identifier les sources, à éclairer les rapports généalogiques entre les textes à travers leurs manuscrits ou à dégager la spécificité des portraits du héros.
Nous commencerons par quelques observations sur la présence d’Hercule dans la tradition historiographique latine, qui a légué les modèles principaux de la chronique universelle au Moyen Âge. Dans la suite, nous examinerons de plus près une série d’histoires en langue française rédigées à partir du xiiie siècle, à commencer par la plus ancienne rédaction de l’Histoire ancienne jusqu’à César. Nous ferons un relevé des différents épisodes herculéens impliqués dans ce texte, en proposant ensuite quelques pistes de réflexion sur des manières possibles d’aborder la matière en jeu. Le texte en question est l’un des plus diffusés et mérite que l’on s’y attarde plus longuement. C’est aussi le point de départ pour toute une tradition historiographique vernaculaire qui nous occupera par la suite. Entre les représentants de cette tradition, nous regarderons d’abord de plus près la « deuxième rédaction » de l’Histoire ancienne ainsi que la Chronique dite de Baudouin d’Avesnes. En nous concentrant sur les portraits d’Hercule et les composantes de sa vie comprises dans ces œuvres, nous chercherons à éclairer leurs points de rattachement avec l’historiographie antérieure, les différentes sources utilisées, ainsi que leurs innovations. Un regard sur la tradition manuscrite de la Chronique dite de Baudouin d’Avesnes nous permettra de mieux situer un certain nombre de compilations hybrides dérivées de cette œuvre, dont des compositions appelées « Trésors des histoires » ainsi que la « troisième rédaction » de l’Histoire ancienne. Dans un dernier temps, nous nous pencherons sur la biographie d’Hercule dans une œuvre historiographique du xve siècle, la Bouquechardière de Jean de Courcy,en cherchant 141à éclairer sa manière d’assembler la matière herculéenne disponible et de construire une vie du héros.
Précisons que le choix des œuvres évoquées supra repose sur une combinaison de facteurs et découle d’un dépouillement plus large de matériaux4. Pour les éléments retenus dans la suite, nous nous sommes concentrée tout d’abord sur des œuvres représentées par un grand nombre de témoins et dont on peut présumer qu’elles ont, par conséquent, connu une diffusion importante au Moyen Âge5. Tel est le cas, notamment, de la première rédaction de l’Histoire ancienne jusqu’à César, de la Chronique dite de Baudouin d’Avesnes, mais aussi de la Bouquechardière, toutes transmises dans plusieurs dizaines de copies6. Nous avons ensuite pris en compte certains textes entretenant des rapports de parenté avec ces œuvres, qui constituaient probablement le courant principal de l’historiographie médiévale en langue française. C’est ainsi que nous avons choisi de traiter de certaines « rédactions » ou compilations dérivées de l’Histoire ancienne jusqu’à César et la Chronique dite de Baudouin d’Avesnes. Finalement, nous avons privilégié des textes présentant des traitements qui nous paraissaient particulièrement intéressantes en raison des sources utilisées, des rapports avec la tradition antérieure ou bien d’innovations singulières, en préférant celles qui restent inédites et/ou peu étudiées sous l’angle du sujet qui nous occupe.
1 Τοὺς δὲ ποιητ ὰς διὰ τὴν συνήθη τερατολογίαν μυθολογῆσαι μόνον τὸν Ἡρακλέα κα ὶ γυμνὸν ὅπλων τελέσαι τοὺς τεθρυλημένους ἄθλους. (Diod. IV, xl, 7, éd. C. H. Oldfather, op. cit.). Cf. aussi C. Muntz, Diodorus Siculus and the World of the late Roman Republic, op. cit., p. 157-158, à propos de ce passage. À noter le terme μυθολογῆσαι (mythologisai) que Diodore emploie dans ce contexte ; il est littéralement question de « raconter des mythes » ou de « mythologiser ».
2 Comme nous l’avons vu supra, p. 107 (à propos du Mythographe III).
3 Cf. supra, p. 49-50.
4 Voir à ce propos nos remarques en introduction, p. 27 supra.
5 Un « grand nombre » est évidemment une indication relative. Les remarques de Frédéric Duval dans l’introduction aux Lectures françaises de la fin du Moyen Âge. Petite anthologie commentée de succès littéraires, Genève, Droz, 2007, p. 14, à propos des possibilités de déterminer le succès d’un texte, ont été d’une grande utilité à cet égard. Duval retient parmi les textes les « plus lus » du Moyen Âge tardif ceux qui survivent dans plus de cinquante manuscrits. Si nous n’avons pas retenu ce nombre comme facteur déterminant dans notre choix de textes (notre projet n’étant pas non plus de nous limiter à ce qui était le plus lu), il s’applique néanmoins à l’Histoire ancienne jusqu’à César et à la Chronique dite de Baudouin d’Avesnes – encore davantage si l’on inclut les compilations associées habituellement à ces derniers en tant que « rédactions ». Voir aussi la note suivante.
6 On connaît plus de soixante-dix témoins de la première rédaction de l’Histoire ancienne jusqu’à César (cf. p. 154 sq.infra), une cinquantaine de la Chronique dite de Baudouin d’Avesnes (cf. p. 213 infra) et trente-cinq de la Bouquechardière (cf. p. 247 infra). Ajoutons-y le Manuel d’histoire de Philippe VI de Valois, avec plus de trente témoins, dont des données émergeront lors de notre étude de la tradition textuelle de la Chronique dite de Baudouin d’Avesnes (cf. p. 228 sqq.infra).
- Thème CLIL : 3438 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moyen Age
- ISBN : 978-2-406-15464-8
- EAN : 9782406154648
- ISSN : 2261-0367
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-15464-8.p.0139
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 24/01/2024
- Langue : Français