Résumés
- Type de publication : Article de collectif
- Collectif : Traduire le mot d’esprit. Pour une géographie du rire dans l’Europe de la Renaissance
- Pages : 409 à 414
- Collection : Rencontres, n° 490
- Série : Colloques, congrès et conférences sur la Renaissance européenne, n° 114
Résumés
Nora Viet, « Introduction. L’esprit des mots au carrefour des langues et des cultures »
L’essor de la facétie en Europe se nourrit d’échanges culturels intenses. La traduction du mot d’esprit offre un poste d’observation privilégié à l’analyse des pratiques d’acculturation des textes facétieux. Les contributions réunies dans ce volume examinent la transposition du comique verbal dans un choix de textes divers, facéties, traités de civilité, narrations longues, comédies. Elles dessinent les contours d’une géographie du rire en Europe et éclairent la genèse d’un patrimoine facétieux partagé.
Florence Bistagne, « Castiglione traducteur, imitateur ou inventeur ? »
Le livre II du Libro del Cortegiano de Baldassare Castiglione est un excursus sur les facéties, dans lequel l’auteur se place en héritier d’une filiation antique, médiévale et néolatine en faisant du discours facétieux le propre du courtisan idéal. Par l’utilisation du « vulgaire italien » pour transcrire des notions antiques ou médiévales, l’épreuve du jeu de mots est un défi linguistique pour qui veut les faire passer d’une langue, et ici aussi d’une époque, à une autre.
Serge Stolf, « Les traducteurs français à l’épreuve des facezie dans le Libro del Cortegiano »
En confrontant les traductions françaises du Courtisan de Castiglione qui se sont succédé au xvie siècle (1537, 1538, 1580), l’article met en évidence les tâtonnements terminologiques des traducteurs attachés à transposer en français le vocabulaire de la facétie forgé par Castiglione. Dans leur diversité et leur mouvance, les choix de traduction illustrent non seulement le défi de traduire, elles révèlent aussi la gestation d’un discours français sur la facétie.
410Karine Abiven, « Le sens de la repartie, de Castiglione au discours de la civilité en français. Enjeux linguistiques et génériques »
La repartie spirituelle est un bon observatoire du transfert des cultures de sociabilité entre les trattatistes italiens du xvie siècle et leurs continuateurs français. Sa traduction révèle des contraintes culturelles (liées aux bienséances), mais aussi une imprégnation d’ordre générique : le mot d’esprit est entouré d’une narration précisant les coordonnées de sa profération. La mise en spectacle, dans un micro-récit, de ses conditions de félicité apparait ainsi comme un héritage castiglionien.
Jean Balsamo, « “Comme un bon coup de fouet”. Montaigne et l’usage du bon mot »
D’innombrables mots constituent la matière des Essais : paroles rapportées, citations, sentences, apophtegmes. Leur force réside dans leur structure rhétorique et leur portée morale. Montaigne prend soin de distinguer des beaux mots, dont la valeur est ornementale, et de véritables bons mots, qui correspondent parfois au moderne mot d’esprit. Ceux-ci ne sont pas pour lui les objets figés d’un culte pédant : ils sont soumis à l’examen critique pour être reformulés en français.
Étienne Wolff, « La traduction des mots d’esprit dans les Facéties du Pogge et les Colloques d’Érasme »
L’article propose d’analyser, d’un point de vue pratique, les difficultés qui se posent au traducteur pour faire passer les mots d’esprit du latin en français de telle manière qu’ils puissent être perçus et goûtés. Deux ouvrages de nature et d’esprit différents, tous deux traduits par l’auteur de l’article, fournissent la matière à cette réflexion : les Facéties du Pogge (trad. 2005), qui multiplient les répliques plaisantes et spirituelles et les Colloques d’Érasme (trad. 1992), où abondent les jeux de mots.
Stefano Pittaluga, « Les Facéties du Pogge traduites du latin en vulgaire »
Le Liber Confabulationum, composé par Poggio Bracciolini en 1452-1453, connut un succès européen immédiat. La première traduction en vulgaire italien fut imprimée dès les années 1480 : les deux témoins les plus anciens 411sont les éditions de Bernardino de Celeri (Venise, 1483) et de Christophorus Valdarfer (Milan, 1483/1484). L’article propose une collation des deux incunables et analyse les choix de traduction du texte italien, qui révèlent l’intention vulgarisatrice du traducteur.
Paola Cifarelli, « Pratiques de transmission du rire chez Guillaume Tardif. Le cas des Ditz des sages hommes »
L’article analyse les techniques de traduction de Guillaume Tardif dans les Ditz des Sages Hommes, petit recueil facétieux imprimé pour Antoine Vérard à la suite des Fables et Apologues de Laurens Valle (ca. 1494). L’étude de quelques dits particulièrement significatifs met en évidence les enjeux linguistiques et poétiques du travail de Tardif, et révèle dans ses traductions l’ambition de transposer en vernaculaire le modèle de la facétie latine humaniste.
Sebastian Coxon, « Rire et traduire dans la réception européenne d’Eulenspiegel »
Dans les premières décennies du xvie siècle, des textes relatant la vie et les aventures de Till l’Espiègle, archétype du personnage facétieux, circulaient dans l’Europe entière. On recense des versions en allemand, flamand, anglais, français et latin, étroitement reliées. Ces traductions offrent un riche champ d’investigation pour l’analyse comparative, et invitent à interroger le traitement du motif narratif du rire et la fonction textuelle du comique dans les différents textes.
Nora Viet, « L’“espièglerie” au défi de la traduction. Dyl Ulenspiegel (1515) et sa première adaptation française (1531) »
La traduction française des Aventures de Till l’Espiègle, publiée à Lyon et à Paris sous le titre Ulenspiegel, De sa vie de ses œuvres (1531-1532), met en évidence les obstacles linguistiques qui peuvent s’opposer à la transposition du mot d’esprit. Alors que la traduction française obscurcit souvent le jeu de mots initial, elle offre à la facétie des ressources comiques nouvelles, en renforçant le lien entre le bon mot et l’action facétieuse.
412Marie-Claire Thomine-Bichard, « Du latin à l’italien, du latin au français. Quelques appropriations facétieuses chez Guichardin et Du Fail »
À quelques années d’intervalle (1571 et 1585) paraissent Les Heures de Recreation et apres-disnées de Louys Guicciardin Citoyen et gentilhomme Florentin (traduction par Belleforest de l’Ore di ricreazione) et les Contes et Discours d’Eutrapel, par le feu Seigneur de la Herissaye, Gentil-homme Breton, alias Noël Du Fail. Les deux auteurs puisent souvent aux mêmes sources, parmi lesquelles sont ici envisagés les Apophtegmes d’Érasme, les Facéties du Pogge et les facéties et exempla de Brusonius.
Anne Réach-Ngô, « Comment l’esprit vient au mot. Le Trésor des récréations, un manuel facétieux ? »
Le Trésor des récréations (Douai, Balthazar Bellère, 1600) rassemble des facéties, énigmes et bons mots de sources européennes diverses en une petite bibliothèque portative destinée à divertir les lecteurs français. L’article analyse les procédés de traduction, d’assemblage et de réemploi des sources, qui produisent des effets comiques nouveaux, propres à la compilation facétieuse. Comment la confrontation des langues et des discours, au sein du texte, fait-elle advenir l’esprit par les mots ?
Jelle Koopmans, « Du bon mot à la mauvaise plaisanterie. Le monde des anecdotes »
Le recueil d’anecdotes connaît une longue histoire, en marge de la grande littérature. Le genre est difficile à définir, à cause d’une grande instabilité générique des collections. Les auteurs des mots d’esprit, mais aussi les victimes, sont parfois des peintres et des écrivains, mais aussi des rois et des cardinaux. Ce type de publication a connu une grande diffusion en Europe, où le genre a été mouvant dans plusieurs sens. Reste à déterminer si le genre est universel ou bien historique.
Bernd Renner, « “Plus me arrestant aux sentences que aux dictz”. Traduction et adaptation dans la satire : l’exemple des Nefs des fols »
L’article examine le problème de la traduction du mot d’esprit dans la perspective de la critique satirique si répandue à l’époque. Les exemples des épigrammes de Marot, imités de Martial, et du corpus de la Nef des fous, notamment sa version latine, permettent de mieux cerner le phénomène de l’adaptation, 413caractéristique de la traduction renaissante, et de distinguer entre satyra ludens et illudens en se fondant sur des facteurs tels l’ironie, la morale et la folie.
Mireille Huchon, « “Ô belle mentule, voire diz je, memoire”, les colliguances de Rabelais »
Rabelais développe dans les dernières années de sa vie une pratique du jeu de mots qui s’éclaire à la lecture conjointe du Quart livre et de la « Briefve declaration ». Il invente un art de l’« amphibologie » et du « solœcisme » qui s’appuie à la fois sur l’étymologie des mots, sur leur traduction et sur tout un jeu de références intratextuelles, « colliguances » plaisamment soulignées par leur auteur.
Elsa Kammerer, « Maillages. Quelques réflexions sur le devenir des jeux de mots de Rabelais dans la Geschichtklitterung de Johann Fischart (1575-1590) »
La traduction des jeux de mots de Rabelais dans la Geschichtklitterung (1575-1590) de Johann Fischart révèle, au-delà des effets comiques attendus, une interrogation sur l’inadéquation du langage, voire sur la contingence du sens lui-même. On rit moins de la surprise créée par la concision d’un jeu de mots réussi que l’on s’émerveille de la façon dont le traducteur tisse son filet autour du jeu de mots initial pour recréer l’effet comique, et susciter un doute sur l’essence même des mots.
Yen-Maï Tran-Gervat, « Les facéties de Sancho. La transposition de quelques bons mots dans la première traduction française de Don Quichotte »
Cet article étudie la toute première traduction française de Don Quichotte : la première partie (1605) traduite par César Oudin en 1614 et la seconde partie (1615) par François de Rosset en 1618. Il examine la manière dont ces deux traducteurs « littéraux » ont traité les bons mots de Sancho : loin de les éluder, comme cela pourra être le cas à l’époque classique, ils affrontent les difficultés techniques ou sémantiques en puisant dans les ressources du français de leur temps.
Rolf Lohse, « L’argutia dans le théâtre italien de la Renaissance »
L’article étudie les modalités de transposition de l’argutia rhétorique au genre théâtral à partir d’un choix de comédies italiennes et françaises composées 414entre le début du xvie siècle et le milieu du xviie. Après avoir précisé les caractéristiques du motto dans la théorie de Castiglione, il analyse les conséquences de sa transposition à la scène et montre, dans une série d’exemples précis, comment la fonction agonale de l’argutia peut servir la vis comica des pièces.
Claire Lesage, « Le mot d’esprit dans I Suppositi (1509) de l’Arioste et dans sa traduction française, La Comédie des Supposez (1552) de Jean-Pierre de Mesmes »
L’article porte sur une des quatre comédies de l’Arioste (1474-1533) intitulée I Suppositi (1509) et sur sa traduction française, La Comédie des Supposez (1552, 1585), réalisée par Jean-Pierre de Mesme (1516-1578 ?), auteur, entre autres, d’une Grammaire italienne (1568). L’étude analyse, d’une part, l’écriture comique de l’Arioste et, d’autre part, l’entreprise de transposition et d’acclimatation à la langue française, réalisée par le traducteur, des mots d’esprits présents dans la pièce.
Danièle Berton-Charrière, « Traduire la facétie. Quand “lettres et sens sont à la fois dissociables et indissociables” »
William Shakespeare et ses contemporains prisaient fort la facétie. Ils enchâssaient des bons mots dans des textes divers, tantôt pour nourrir des jeux linguistiques en contexte festif, tantôt pour réhausser un débat ou une attaque verbale. Cet article analyse des exemples tirés de deux pièces de William Shakespeare et de Cyril Tourneur. Il met en évidence la difficulté de traduire lorsque la facétie renvoie à des référents historiquement déterminés ou se fonde sur des jeux polysémiques.
Bernd Renner, « Conclusions. Le mot d’esprit au miroir de ses traductions »
Les contributions réunies dans ce volume mettent en évidence la mobilité de la facétie et sa capacité à s’inscrire dans des contextes culturels et des cadres génériques divers. L’analyse de la traduction du mot d’esprit invite à une réflexion sur sa nature, sur ses fonctions et sur ses modalités rhétoriques à la Renaissance. Il met en évidence une tension entre enjeux comiques et visée polémique ou satirique, à prendre en compte dans toute réflexion sur une géographie du rire.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-10940-2
- EAN : 9782406109402
- ISSN : 2261-1851
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10940-2.p.0409
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 19/05/2021
- Langue : Français