![Traductions imprimées, traductions pour l’imprimé (1470-1550) - Du Livre des Eneydes de Guillaume Le Roy (1483) à Eneydos de William Caxton (1490)](https://classiques-garnier.com/images/Vignette/EabMS02b.png)
Du Livre des Eneydes de Guillaume Le Roy (1483) à Eneydos de William Caxton (1490) Projet éditorial et valeur ecdotique de la traduction
- Publication type: Article from a collective work
- Collective work: Traductions imprimées, traductions pour l’imprimé (1470-1550)
- Author: Rossi (Giuliano)
- Pages: 177 to 196
- Collection: Encounters, n° 618
- Series: Medieval civilization, n° 58
Du Livre des Eneydes
de Guillaume Le Roy (1483)
À Eneydos de William Caxton (1490)
Projet éditorial et valeur ecdotique de la traduction
Introduction
« Le dernier jour de septembre l’an mil quatre cens .lxxxiii » un Livre des Eneydes « translaté de latin en commun langage » (f. m5v), dont aujourd’hui sont conservés cinq exemplaires issus d’une seule impression1, sort des presses de Guillaume Le Roy. D’après nos connaissances actuelles, le Livre n’a plus été repris, ni par Le Roy ni par d’autres imprimeurs, si bien que l’on est confronté, dans la réalisation de son édition critique, à des conditions comparables à celles d’une tradition à témoin unique2. Vu ces circonstances, « dans le cas d’un texte traduit, c’est le texte-source qui sert de référence et de pierre de touche à l’établissement de l’édition3 » ; et pour les Eneydes, compilation pour laquelle nous ne disposons pas d’un véritable texte-source, ce sera une pluralité de sources qu’il faudra prendre en compte.
178Mais non seulement. Sept ans plus tard, « the xxij. daye of Iuyn, the yere of our lorde .M.iiij.Clxxxx4 », William Caxton publie, sous le titre d’Eneydos, une traduction anglaise du livre français, qui donne, pour de nombreux passages, des leçons préférables à celles de Le Roy, soit en raison de l’emploi d’une source plus correcte (manuscrite ou imprimée), soit en conséquence d’un véritable travail d’éditeur et de l’intervention directe de Caxton lui-même à plusieurs niveaux du texte. Or, se pose la question de la position qu’une traduction ainsi conçue peut occuper dans la tradition du texte qui en est la source, ce qui revient, comme on le verra, à formuler une hypothèse à l’apparence paradoxale : que la traduction, bien que réalisée toujours « à l’ombre de l’autre langue5 », puisse, sous certaines conditions, jouer un rôle cardinal dans la résolution de nœuds textuels de sa propre source et s’avérer indispensable pour la réalisation de l’édition critique de celle-ci.
À partir d’une reconstruction de l’état des lieux, on essayera donc de vérifier la validité de cette hypothèse et d’en soutenir la légitimité méthodologique, en replaçant le texte à témoin unique – en l’occurrence le livre de Le Roy (dorénavant : LR) – dans une plus large constellation de « témoins », dont certains précèdent sa réalisation (les sources effectivement translatées dans ce livre) et d’autres en découlent (Eneydos de Caxton, dorénavant : C)6.
179Le Livres des Eneydes
de Guillaume Le Roy (1483) : compilation
Le Livre des Eneydes, anonyme, est « le premier livre connu au nom de Guillaume Le Roy seul7 » et s’annonce comme la première version imprimée, en prose, de l’Énéide en langue française. Alors que l’opération de Le Royvenait remplir un vide du marché, elle s’avéra sans doute peu fructueuse d’un point de vue commercial, le nombre de rééditions d’un texte étant pour nous, « faute de mieux, l’indice le plus satisfaisant de sa “popularité” et le critère le moins subjectif des goûts des lecteurs8 ». Il faut cependant considérer le niveau extrêmement important des pertes, qui caractérise en général ces débuts de l’imprimerie9, ce qui ne permet pas d’avoir une vision objective de la situation.
D’un point de vue matériel, le livrede Guillaume Le Roy se présente comme un in-folio composé de 86 feuillets non numérotés, le premier et le dernier étant blancs. La mise en page est caractérisée par de longues lignes (31 par page au maximum) et par la présence de 61 gravures, correspondant à 59 bois différents, positionnées au début de chacun des 57 chapitres des Eneydes et, à quatre occasions, dans le corps de ces mêmes chapitres10. Ce positionnement peut être le signal d’incohérences affectant le niveau macro-textuel de LR, mais pour l’instant le plus intéressant est de remarquer qu’il existe une correspondance exacte entre texte et gravures, et que celles-ci ont très 180probablement été conçues en fonction des Eneydes. Si le diable se cache dans les détails, c’est bien le détail d’un diable que l’on peut évoquer comme exemple de cette admirable cohésion du système texte-image. Dans le Xe chant de l’Énéide, alors que l’affrontement entre Troyens et Rutules est au plus fort, Junon crée un fantôme à l’image d’Énée et fait en sorte que Turnus le suive vers la flotte des Rutules, s’éloignant ainsi du cœur la bataille (v. 1012 sqq.). Dans les Eneydes l’épisode est reproduit avec une variation : c’est ici un diable qui « se mist en figure de Eneas et vint devant Turnus » (f. k7r)11. Or, la véritable nature de ce diable est bien visible dans le coin supérieur droit de l’illustration de ce très court chapitre, en direction des navires. Des correspondances de ce genre entre texte et image, dont on pourrait citer un grand nombre d’autres exemples dans LR, suggèrent une opération éditoriale minutieuse, qui contraste cependant avec d’autres détails pertinents du texte, tels l’absence probable d’un certain nombre de titres-rubriques et une division des chapitres parfois défectueuse.
Dépourvu de paratextes, le Livre des Eneydes est toutefois précédé d’un préambule qui en annonce le titre : « ce present livre compilé par Virgille […], intitulé Esneydes, a esté translaté de latin en commun langaige » (f. a2r). Les deux opérations de compilation et de translation ainsi évoquées, renvoyant par des biais différents au champ sémantique de l’auctorialité12, sont tout aussi importantes et méritent d’être précisées, notamment dans leurs rapports réciproques. Comme l’a montré Jacques Monfrin dans l’une des rares études consacrées au Livre des Eneydes13, celui-ci est effec181tivement une compilation et une traduction (ou l’ensemble de plusieurs traductions), réalisées à partir de trois sources : l’Énéide de Virgile, le De casibus de Boccace et l’Histoire ancienne jusqu’à César. D’ailleurs, bien que ces Eneydes lyonnaises soient présentées comme une traduction effectuée à partir de Virgile, le titre du premier chapitre – « Comment Priame roy trespuissant ediffia la cité de Troye la grant » (f. a2v) – met au grand jour qu’il s’agit plutôt d’une reconstruction de l’ordo naturalis des événements depuis la fondation de Troie jusqu’à celle de Rome. Au moins trois corps différents sont soudés dans le livre de Le Roy :
a) une première section comprend la fondation de Troie, la fuite d’Énée et l’épisode de Polydore (provenant du IIIe chant de l’Énéide). La narration est interrompue, dans le cinquième chapitre, par une césure brutale, lorsque l’auteur annonce qu’il va passer à un nouveau sujet : « Si lesserons à parler d’Enee et retournerons à parler de Dido » (f. b1r). Ce point délicat contient une aporie fondamentale pour les hypothèses que l’on peut formuler sur la nature de la compilation, car le retour à Didon est invalidé par le fait que, compte tenu de la reconstitution chronologique des événements, la reine carthaginoise n’a jamais été mentionnée auparavant. Cette première section de l’imprimé de Lyon, « formant une unité narrative fortement liée »,a pu être, toute ou en partie, ajoutée par un remanieur et « fabriquée à Lyon, dans le milieu des imprimeurs » (peut-être même « dans l’officine de Guillaume Le Roy ») en fonction de l’impression de 148314. La césure défectueuse, à son tour, est sans doute compatible avec une soudure hâtive de matériaux préexistants et indépendants, peut-être réalisée par l’atelier de Le Roy15. Elle a pu être conçue par le compilateur pour introduire un nouveau sujet (l’histoire de Didon), ou plutôt une nouvelle source qui se présente comme un corps isolé par rapport à ce qui précède, car elle comporte un véritable nouveau prologue : « L’autrier, en passant temps, lisoie le cas des nobles dont Jehan Boccasse a bien parlé […], pour mieulx entendre la matiere, j’ay proposé cy reciter le cas selon l’opinion Jehan Boccase » (f. b1r-v). Néanmoins, ce caractère hâtif et négligé de la soudure, qui s’appuie sur l’automatisme d’une déclaration formulaire – « laissons […] et retournons » – et qui semble ignorer ce qui a été raconté auparavant, 182paraît en contraste avec la précision du projet iconographique16, donnant l’impression d’une opération éditoriale relativement soignée. Il est donc possible que la jonction défectueuse des textes précède l’intervention de l’officine lyonnaise, qui l’aurait reproduite mécaniquement.
b) Une deuxième section est consacrée à l’histoire d’Énée et de Didon, et notamment aux deux versions de la mort de Didon transmises par Virgile (Énéide, IV) et Boccace (De casibus virorium illustrium) : « pour monstrer la differance de Jehan Boccace et de Virgille, mectré en brief le cas de ladicte Dydo » (f. b1r). Cette deuxième partie pourrait correspondre à un Livre de la Reyne Dido précédant de quelques années la composition du Livre des Eneydes et dont seuls quelques fragments se lisent aujourd’hui dans un manuscrit conservé à la BnF (n.a.fr. 1157)17.
c) Une troisième section, qui rapporte les événements qui suivent le départ d’Énée et se termine par un catalogue de sa succession jusqu’à la fondation de Rome, reprend la VIe section de l’Histoire ancienne jusqu’à César (dorénavant : HAC)18. Alors que dans les épisodes traduits à partir de Virgile la logique de l’amplificatio dominait, dans cette troisième section on assiste à une réduction systématique du texte de l’HAC qui comporte, par ailleurs, un grand nombre de raccords approximatifs.
Le Livre des Eneydes :
traduction, traductions
Reste à voir quel est effectivement le statut de la traduction dans ce Livre présenté comme une traduction de l’Énéide et qui n’en est pas une, mais dont la compilation se fait effectivement à partir de traductions, 183notion qui désigne cependant « des réalités très différentes dans la France du Moyen Âge », si bien que « le fait de “traduire”, de transposer un texte d’une langue dans une autre, prend place, sans solution de continuité, à l’intérieur d’une vaste gamme d’attitudes, différentes et apparentées, à son égard19 ».
Au moins trois modalités différentes de l’opération traductive coexistent dans les Eneydes. Le texte de Virgile y fait l’objet d’une véritable « traduction diffuse20 », alimentée par les gloses virgiliennes intégrées dans la traduction et par des interventions visant à clarifier et expliquer le sens de certains passages de la source latine21. En particulier, il est aisé d’observer comment des vers isolés ou des groupes de vers provenant de l’Énéide constituent dans le livre français le palimpseste de chaînes textuelles plus larges (voire beaucoup plus larges), marquées cependant par une mémoire lexicale précise, qui renvoie à la source virgilienne.
Les dynamiques de la « traduction diffuse » sont bien visibles dans l’épisode de Polydore, au cœur de la première section du Livre, à la faveur d’un élément macroscopique tel que l’étirement exceptionnel des 56 vers de l’Énéide concernés(III, 13-68)jusqu’aux six pages en prose de l’imprimé (f. a6r-a8v). Cependant, au niveau microscopique, certaines unités dérivées littéralement de la source restent parfaitement reconnaissables, bien que dans une dislocation nouvelle, en conséquence d’un réaménagement général du texte virgilien22. Il en est ainsi pour trois vers célèbres de l’épisode en question, lorsque des gouttes de sang noir coulent du premier arbuste arraché par Énée, et viennent tacher et souiller le sol :
Nam, quae prima solo ruptis radicibus arbos / vellitur, huic atro liquuntur sanguine guttae, / et terram tabo maculant (Aen., III, 27-29).
184[…] en issit en habondant cours une sourgon de gro [sic] sang noir distillant jusque à terre et sur ladicte besagüe en maniere de grosses goutes… (Livre des Eneydes, f. a6v).
Si te pars donc de ceste terre maculee et enordie par la sanguinolance faicte sur moy par le faulx et cruel Plasmator, roy de ceste region… (Livre des Eneydes, f. a6v, a7v).
Alors que l’image des « goutes »de « sang noir » apparaît dans le livre de Le Roy à un endroit qui correspond exactement au récit de l’Énéide, le lexème maculer refait surface seulement plus tard, intégrant les mots par lesquels Polydore incite Énée à quitter la terre où son meurtre a eu lieu. De surcroît, le binôme « maculee et enordie » rend compte de la complexité sémantique du verbe latin, qui signifie ‘tacher’, mais aussi, par extension et dans une acception morale, ‘salir’, ‘contaminer’, ‘déshonorer’.
Ces mêmes dynamiques de dilution du texte latin et de concomitante adhésion au lexique de la source concernent la transposition du IVe chant. On peut en observer un spécimen dans le début de l’invocation adressée par Didon à une série de divinités liées à la vengeance, avant qu’elle ne lance sa célèbre malédiction contre Énée et ses descendants :
Sol, qui terrarum flammis opera omnia lustras, / tuque harum interpres curarum et conscia Iuno / nocturnisque Hecate triviis ululata per urbes, / et Dirae ultrices… (Aen., IV, 607-610).
Ô souleil cler, bel et reluysant, qui enlumines par tes rays toutes les oeuvres et operacions de la terre ; ô Juno, la noble deesse, soubz qui toutes oeuvres et operacions humaines, ensembles leurs solicitudes, sont gouvernees et soubmises selon leur disposicion, chascune en certaine ordonance à elles mises et establies par ta divine providence ; Hechate puissante, grant patronne et maistresse, dame de toutes ars, sciences magicques, tressouvent invoquée en voix ulutative par ses grans caresfours, par chemins et par voyes es cités et ailleurs, en temps de nuyct obscure ; ô cruelles ultrices, parverses vangeresses, furies infernalles et justiciers d’enfer… (Livre des Eneydes, f. g6r-g6v).
Non seulement tous les éléments des vers latins sont repérables dans la translation vernaculaire, mais l’adhésion au lexique de la source est ici poussée jusqu’au calque, comme en témoignent les deux hapax ululative et ultrice ; le premier transcrit de manière erronée dans l’imprimé23 et 185le second employé ici quelques années avant la première attestation signalée dans les dictionnaires24.
S’il y a correspondance dans le traitement du texte-source entre ces deux sections des Eneydes, les écarts sont tout aussi importants à souligner : on remarque une pratique de la dilution moins accentuée dans la translation du IVe chant – caractérisée par la persistance d’une solidarité avec le texte-source plus étroite que dans l’épisode de Polydore –, ainsi qu’une tendance toute particulière au traducteur du IVe chant, qui « dessin[e] des rythmes […], des cadences qui se répètent jusqu’à constituer de véritables strophes isorythmiques25 ». Ces différentes pratiques de traduction renforcent l’hypothèse d’une production indépendante des sections, antérieure à leur réunion dans le Livre des Eneydes, que cette compilation soit le fait de Le Roy lui-même, ou qu’elle soit entrée telle quelle dans son atelier.
Un troisième genre de traduction intervient dans la version des deux chapitres du De Casibus de Boccace consacrés à Didon, ce qui n’est pas pour nous surprendre étant donné que le texte de départ est en prose et non en vers. Les formes de la « traduction diffuse » cèdent ici le pas à une adhérence bien plus marquée au texte latin, si bien que l’on pourrait parler d’une « traduction augmentée », se rapprochant considérablement d’une véritable traduction littérale, dans laquelle s’inscrivent souvent des calques lexicaux d’un certain intérêt. Dans ces cas, le texte de Boccace est traduit dans son intégralité et les seules formes d’« augmentation » consistent en la création de quelques binômes, ainsi qu’en quelques interventions plus étendues ayant fonction d’explication et d’éclaircissement :
O mulieris virile robur, o feminei pudoris decus perpetuis celebrarum laudibus ! Paucos quippe qui future vite superesse poterant annos, ut tua staret pudicitia, largiri maluisti fato, quam cum dedecore perituram aliquando ampliorem facere, et illecebri atque indelebili nota libidinis sacrum castimonie fedare propositum (Boccace, De Casibus, XI, [1])26.
186Des femmes fortitude virile, ou los et pris de pudeur femenine, digne d’onneur, celebree et magnifique, en grant louenge sans fin perpetuelle, tu ayme et as plus chier soubmectre à fortune aventureuse de mort cruelle ce petit nombre d’ans qui pouvoit remendre à la vie future pour garder ta pudité illese, sans aulcunement maculer, que toy rendre en application de vie perissable à deshonneur, ne deturper le sainct propos de ta castimoine de la vote indelealle de lubrique luxure (Livre des Eneydes, f. b8r)27.
Dans la perspective qui est la nôtre, toutes les circonstances que nous venons d’énoncer (échantillon d’un ensemble bien plus vaste de cas similaires) confirment que le retour aux sources d’un texte-traduction à témoin unique peut s’avérer pertinent, car il offre, pour des passages problématiques – qui sont relativement nombreux et affectent le niveau textuel tout comme le niveau linguistique – la seule alternative aux corrections purement conjecturales28. En même temps, l’efficacité d’une collation entre ces objets plurilingues (la traduction et ses sources) en vue d’établir des leçons plus correctes ou d’éclaircir des passages inintelligibles du texte-traduction, varie, pour les Eneydes, dans les différentes sections du livre, en relation avec les modalités de traduction concernées et le genre de source conviée (vers ou prose). Très partielle pour ce qui concerne la « traduction diffuse »de l’Énéide (mais mieux vaudrait dire, de ses traductions diffuses), la productivité de la collation s’avère bien supérieure pour la traduction du De casibus et, à plus forte raison, pour la réduction de l’HAC.
Reste à établir si une certaine valeur ecdotique pourra être attribuée à une autre couche de traduction, telle la traduction du Livre des Eneydes réalisée par Caxton, au-delà du paradoxe inhérent à l’emploi d’un texte “second” pour l’édition du texte dont il tire son origine.
187Du Livre des Eneydes à Eneydos (1490) :
traduction littérale et divergences
Caxton donne, lui aussi, la première version anglaise d’un texte se présentant comme une Énéide. Eneydos est aujourd’hui conservée en 21 exemplaires et, comme pour le livre de Le Roy, nous n’en connaissons aucune réimpression. Le modèle français est traduit de manière littérale, souvent même selon une pratique du mot à mot qui peut aller jusqu’au calque lexical et de structure, de manière que l’on a pu parler, pour la pratique traductive de Caxton, de « stencil translation29 ». Cependant, les traces d’une divergence entre LR et Csont d’envergure, tant sur des aspects microscopiques, comme la ponctuation30, que sur des éléments macroscopiques, comme la distance entre les 57 titres-légendes de chapitre de LR etles 65 titres énumérés dans la table des matières d’Eneydos (f. A3r-A4v, p. 5-9). Par ailleurs, même là où la traduction de Caxton est effectivement littérale et serre de très près le texte français, elle ne suit pas pour autant de manière mécanique LR et donne à plusieurs reprises des versions plus correctes que celui-ci, souvent en raison d’une « distance focale31 » moindre par rapport aux sources des Eneydes.
Dans l’état actuel de nos connaissances il n’est pas aisé de cerner les relations entre LR et C, et deux hypothèses nous semblent légitimes, sur lesquelles il ne sera pas possible de trancher : 1) Caxton – comme la plupart des études semblent tenir pour acquis, sans pour autant aborder la question dans le détail – pourrait traduire directement à partir de l’imprimé de Le Roy, sur lequel il interviendrait avec des corrections conjecturales et peut-être même par un retour (possible) aux sources latines du texte, tout comme par un retour (probable) à un texte plus correct de l’HAC ; 2) LR et C pourraient faire référence à deux témoins distincts du Livre des Eneydes, le plus correct étant celui dont dispose 188Caxton. Que Le Roy et Caxton aient travaillé sur la base d’une même source manuscrite (ou d’une copie fidèle) que C aurait corrigée sans recourir à l’imprimé de LR, est une hypothèse toute théorique, improbable, qui ne modifie pas l’alternative devant laquelle nous nous trouvons pour expliquer la plupart des divergences entre LR et C : soit Caxton s’adonne à un véritable travail de traducteur-éditeur, impliquant des corrections, le plus souvent de nature conjecturale32, réalisées à partir de LR ; soit le traducteur anglais disposait d’un témoin du Livre des Eneydes meilleur, à plusieurs égards, que celui qu’a utilisé Le Roy pour son imprimé (ou meilleur que LR).
Il en est ainsi là où les leçons fautives de LR se justifient facilement, au niveau graphique, comme résultat d’une mélecture de sa source ou d’une erreur d’impression, alors que la version de C s’avère, au contraire, acceptable du point de vue du sens. C’est le cas des coquilles évidentes dans LR, comme pour « piraunde »(« de son pere lepiraunde de sa sepulture ») et « oppobree » (« nulle infestance, ne priere, neopprobree ne deraison à Anchises », Livre des Eneydes, f. e6r),dont C donne une version anglaise correcte, sous le double aspect graphique – « the pyramyde of his faders sepulture » – et morphologique – « Infestaunce obprobre ne vytupere to anchises » (Eneydos, f. Fijv, p. 76-77, 36 et 1). De la même manière, Caxton donne des leçons préférables à celle de Le Roy dans des cas où LR ne comporte pas des erreurs évidentes, mais emploie des lexèmes existants et à l’apparence corrects qui sont toutefois sémantiquement peu adaptés au contexte, comme dans l’invective adressée par Didon à Énée, « tresdesloyal fausaire » qui est sur le point de l’abandonner :
[…] t’a engendré Caucassus, qui est une montagne terrible en Inde […], où croist la Fain qui ne fust oncques saoule d’extirper tous les biens de terre, 189laquelle, jasoit ce que elle ait illec eslue son habitacion pour demourer toutes choses qui parmennent jusques à elle… (Livre des Eneydes, f. e3r).
[ … ] The whiche, how be it that she hath chosen there her habytacion, for to deuoure all thynges that comyn vnde[r] her (Eneydos, f. E8r, p. 71, 16-18).
Les premiers mots de la reine correspondent exactement aux vers 355-357 de l’Énéide – « Nec tibi diua parens, generis nec Dardanus auctor, / perfide ; sed duris genuit te cautibus horrens / Caucasus, Hyrcanaeque admorunt ubera tigres » –, qui laissent des traces lexicales ponctuelles dans la traduction diffuse des Eneydes (les « tigres d’Ircaine » seront évoquées quelques lignes plus loin), mais qui ne contiennent pas la référence à « la Fain » ayant dans le « Caucassus son habitacion33 ». La leçon « demourer »de LR, provoquée probablement par une mauvaise lecture des jambages, a dû également être facilitée par l’attraction sémantique exercée par le substantif contigu « habitacion », avec pour résultat de produire une erreur particulièrement insidieuse. De son côté, le verbe « to devoure » de Caxton est certainement plus adapté à l’image de la Renommée « saoule », qui « extirp[e] tous les biens de terre ». Or, cette version anglaise peut dépendre directement d’une source plus correcte, ou bien d’une lecture exempte d’erreur, ou encore d’un intervention de Caxton en véritable traducteur-éditeur : dans tous ces cas, le fait même qu’elle soit moins indispensable, pour la lisibilité du texte, que les oppositions « piraunde »/« pyramyde »et « opprobree »/« obprobre », prouve à plus forte raison la nécessité de ne pas négliger l’importance deCen tant que témoin – latéral si l’on veut – de la tradition du Livre des Eneydes.
Un retour aux sources ?
Par ailleurs, le texte de Caxton diffère de celui de Le Roy en ce qu’il s’avère plus proche des sources du Livre des Eneydes sur bien des points. Cela est particulièrement évident dans la troisième section, où C oppose 190des versions correctes aux incohérences de LR provoquées par des raccourcissements maladroits de l’Histoire ancienne jusqu’à César. Mais cette plus grande proximité avec les sources caractérise également les zones du Livre des Eneydes qui sont plus directement liées aux modèles latins34, là où la traduction diffuse de Virgile et la traduction parfois littérale du De casibus sont plus présentes. L’hypothèse d’un véritable travail de collation avec l’Énéide et le De casibus de la part de Caxton ne saurait être exclue ; néanmoins, si cette démarche est possible, il faut aussi reconnaître que certaines données vont à l’encontre de son caractère systématique.
Nous avons déjà évoqué la version des vers de Virgile (Aen. IV, 607-610) qui sont à l’origine, dans le livre lyonnais, d’un calque fautif « ulutative »(au lieu de ululative)à partir de « ululata » du texte latin (« ululata per urbes » / « invoqué en voix ulutative »). Dans le passage à l’anglais, la chaîne néologique se poursuit et la tendance programmatique de Caxton à conserver les « fayr and straunge terms » (sign. Ajr, p. 2, 3-4) des Eneydes se prolonge dans les néologismes « quarefours »(de « caresfours ») et « vltryce »(de « ultrices » du texte français, à son tour calque du latin ultrices). Mais, pour la traduction du calque erroné « ulutative », le traducteur anglais se livre à une transcription mécanique qui serait logiquement inconciliable avec un “retour aux sources” de sa part :
grete patronesse [ … ] ryght often called with voyces vlutatyue, by the grete quarfours, and by wayes within townes & cytees and ellis wher / In tyme of nyght obscure / cru[e]lle vltryces… (Eneydos, f. G5v, p. 99, 3-7).
En même temps, bien que cela soit improbable, Caxton pourrait ne pas avoir reconnu la source, ainsi diluée dans plusieurs lignes des Eneydes.
Plus nombreux sont les cas où C donne une leçon cohérente avec l’Énéide ou le De casibus, notamment dans des passages où le texte de LR, pour laborieux et compliqué qu’il soit, ne serait pas dépourvu de sens. Il en est ainsi pour l’épisode où Mercure vient rejoindre Énée dans les rues de Carthage afin de lui transmettre un message de Jupiter le rappelant à son destin :
le dict Mercure encores en parlant se evanouist de la venue de Enee, comme une chose qu’on voit de loing tousjours de soy reculer, tant que on ne la voit plus (f. d5r).
191La leçon « se evanouist de la venue de Enee » n’est pas à la rigueur impossible, le substantif venue étant attesté aux xve et xvie siècles avec le sens de ‘endroit par où l’on vient, voie, avenue35’, cohérent avec l’apparition de Mercure entravant la route du Troyen : « de là s’en entra en Cartaige, où il trouva Enee » (f. d4v). Quant à lui, selon son habitude, Caxton donne de ce passage une traduction qui côtoie le mot à mot, mais il fournit sur ce point précis une version qui diffère de celle de LR :
[ … ] the sayd Mercuryus yet spekynge, vaynyssed outs of eneas sight, as athyng that one see of ferre alwayes drawynge from hym abak, tyll that it is seen nomore (Eneydos, f. Eiiijv, p. 64, 24-25).
La « vue » d’Énée (« Eneas sight ») apparaît effectivement comme une leçon préférable, même si non indispensable, notamment à la lumière de son accord ponctuel avec les vers latins :
Tali Cyllenius ore locutus / mortalis visus medio sermone reliquit, / et procul in tenuem ex oculis euanuit auram (Aen., IV, 276-278).
De nouveau, la disponibilité d’un témoin plus correct ayant le français veue, tout comme la correction conjecturale de l’erreur paléographique, peuvent être à l’origine de la traduction de Caxton, dont le rapprochement au texte de Virgile ne serait, sous ces conditions, qu’un effet secondaire. Parallèlement, certains passages de la traduction du De casibus, qui sont caractérisés dans LR par des erreurs graphiques nuisant à l’intelligibilité du texte, et qui sont en revanche traduits dans C par des formes anglaises ne posant aucun problème de ce genre, pourraient confirmer une telle situation :
Dont par sa mort et sang inuocueux, qui macula toutes les acomstances, elle extirpa toutes chouses sinistres qui eussent peu tourner en prejudice en la cité et peuple de Cartaige… (Eneydes, f. b7v).
Thenne for the deth, & hir innocente blood whiche maculate & bysprange all theym that stode by… (Eneydos, f. C5v, p. 35, 24-26).
Aussi bien l’adjectif « innocente »du texte anglais que la périphrase « all theym that stode by » – équivalent d’un probable « circomstance »du Livre des Eneydes – produisent un rapprochement au texte de Boccace 192(« et sic, honestate ac pudicitia servata, omnia expirans circumadiacentia innocuo maculavit sanguine », De casibus, X, 28-30) et sont justifiables sur la base d’un antigraphe plus correct servant de base à C. Cependant, là encore une intervention de Caxton sur base de conjectures, en tant que traducteur-éditeur de LR, n’est pas à exclure, face à un texte qui était très clairement insatisfaisant.
Des divergences de ce même genre, entre LR et C, se reproduisent plus loin dans le texte, mais sous des conditions quelque peu différentes, qui peuvent confirmer comment l’adhésion plus évidente de la version anglaise à la source latine n’est qu’un effet collatéral :
O mulieris virile robur, o feminei pudoris decus perpetuis celebrarum laudibus ! [ … ] ut tua staret pudicitia, largiri maluisti fato, quam cum dedecore perituram aliquando ampliorem facere, et illecebri atque indelebili nota libidinis sacrum castimonie fedare propositum (Boccaccio, De casibus, X, 1).
Des femmes fortitude virile, ou los et pris de pudeur femenine, digne d’onneur, […] tu ayme et as plus chier soubmectre à fortune aventureuse de mort cruelle ce petit nombre d’ans qui pouvoit remendre à la vie future pour garder ta pudité illese, sans aulcunement maculer, que toy rendre en application de vie perissable à deshonneur, ne deturper le sainct propos de ta castimoine de la vote indelealle de lubrique luxure (Livre des Eneydes, f. b8r).
O the fortytude viryle of wymmen, or loos & pryce of chastyte femynyne, digne & worthi of honour [ … ] , haste lieuer to submyse to fortune aduenturous of deth cuel, for to kepe thy pudyke chastyte vnhurte, wythoute ony spotte / than to rendre or yelde thy selfe in applycacion of lyf perysshable to dyshonoure, ne to make foul the holy purpose of thy castymonye / by thuntrue note of lubryke & slypper luxurye (Eneydos, f. C6r, p. 36, 20-29).
À l’apparence, la leçon de C, « thuntrue note », lie encore une fois le texte de Caxton à la source latine, « indelebili nota », s’opposant à la graphie défectueuse « vote indelealle » de LR, qui rendait difficilement compréhensible le texte des Eneydes. Pareillement, le latinisme « castymonye », caractérisé par une reproduction exacte de la structure syllabique du mot latin « castimonie » (vs le français castimoine), pourrait étayer l’impression de cette filiation directe, d’autant plus qu’il va très clairement à l’encontre de la tendance à la transcription du français, majoritaire chez le traducteur anglais lorsqu’il s’agit de modeler les néologismes qui lui sont nécessaires36. Cependant, l’adjectif « thun193true » pose problème et semble entrer en contradiction avec cette dynamique générale de rapprochement à la source. Le mot n’est pas enregistré dans les dictionnaires du moyen anglais et, dans les seules occurrences qu’il a été possible de repérer (Sir Thomas Wyatt, « to truste thvntrue not like to spede », Dryven bye desire I dede this dede, v. 3, BL, Add. MS 17492, et Inner Temple Revels, « obteined loue of thuntrue Creside37 ») il doit être interprété comme une graphie contractée pour « the untrue », sémantiquement incompatible avec indelebili du De casibus. Par ailleurs, l’incompatibilité avec le texte de Boccace ne fait pas de doute, dans la suite de cette même louange de Didon, lors de la reproduction à la lettre, de la part de Caxton, de deux incohérences manifestes du Livre des Eneydes, dues à mélecture ou incompréhension du texte latin (« ad preparatam tuis meritis vitam ornatus evolavit spiritus. Te igitur imprecer agit affectio », De Casibus, II, xi, 4-5, p. 144) de la part du traducteur français :
en tiltre flourissant de ta louenge et bonne renommee […] fut translaté aux sieges et contree à ce ordonnees selon tes desmerites. À toy doncques en toute affection incraintive s’adrece ma pensee deprecative (Livres des Eneydes, f. b8r).
in tytle flourysshynge of thy loange / preysynge / & good renommee […] was translated to the sieges & contrees therto ordeyned after thi demerites / To the, thenne, in all affection crayntyue, I addresse my thoughte deprecatyue (f. C6r ; éd. p. 37, 5-10).
Les formes « demerites »et « deprecatyue »,calquées sur « desmerites »et « deprecative », entraînent dans le texte anglais la même incohérence que dans la version française, de sorte que la louange de Didon est inversée en son contraire, ce qui s’accorde assez mal avec l’hypothèse d’un retour aux sources de la part de Caxton.
194Du Livre des Eneydes de Le Roy
à Eneydos de Caxton : un réaménagement
de la matière
Un rapprochement de la version anglaise à la source latine, dans ce même passage du Livre centré sur la louange de Didon, se vérifie aussi au niveau macro-textuel. Caxton fait précéder le texte que nous venons de voir, « O the fortytude viryle of wymmen… », d’un titre absent du livre lyonnais, « A comendacyon to Dido », dont la mesure, la position et la structure correspondent exactement au titre « In laudem Didonis » qui précède l’invocation « O mulier virile robur » dans le De casibus38. La non-conformité entre LRet Cdans le nombre des chapitres est un point d’un très grand intérêt mais délicat, qui intéresse l’ensemble d’Eneydos face au Livre des Eneydes et qui produit un désalignement plus général, dont témoigne l’existence, dans la version anglaise, de huit chapitres qui ne sont pas marqués comme tels dans le livre de Le Roy (c’est à dire, qui n’ont pas de titre).
La localisation des chapitres surnuméraires de C coïncide, le plus souvent, avec des failles dans la mise en page de LR, exactement comme dans le cas cité, où l’introduction d’un nouveau titre correspond à la présence d’une ligne blanche et d’une indentation de trois lignes en début de paragraphe. Dans les mêmes conditions, Cimplique la présence de deux chapitres, le xie et le xiie (« How Dydo counselled wyth her suster Anne » et « Thansuers of Anne to hir suster Dydo »), que LR ignore et qui ont l’effet de diviser en trois unités la matière d’un seul chapitre de celui-ci, dont 195seulement la première partie était au demeurant annoncée dans le titre de Le Roy. Ailleurs, C comporte de nouveaux titres39 en correspondance de gravures qui sont positionnées, dans LR, à l’intérieur et non pas en début de chapitre – en contradiction avec la mise en page dominante –, et qui, de surcroît, coïncident souvent avec des césures argumentatives plus ou moins nettes. En dernier lieu, un nouveau titre – « Here begynneth the historye how dydo departed from her country » – est présent dans C au niveau de la césure défectueuse établie par le “retour” à Didon, ce qui rend moins éclatante l’incohérence du texte sur ce point et souligne l’autonomie de la deuxième partie de la compilation40.
Il est difficile d’établir si cet agencement des chapitres, différent dans le livre de Le Roy et dans Eneydos, est le résultat d’une opération menée par Caxton à partir de LR, visant à combler des défauts apparents dont témoigne la mise en page de celui-ci, ou si la structure de la traduction de Caxton reflète celle d’une source qui s’avèrerait plus correcte sur ce point comme sur d’autres que nous avons recensés. Cependant, un cas opposé, à savoir la suppression d’un chapitre du Livre des Eneydes dans Eneydos (« Comment il fut divisé devant le roy Latin de combatre corps a corps Eneas et Turnus », f. l3v), ainsi que la variété des conditions dans lesquelles les interventions de Caxton se produisent, suggèrent sur ce point précis que le traducteur a pu travailler sur un texte correspondant ou très ressemblant à celui de l’imprimé lyonnais, dans la double direction de l’ajout et de la suppression.
Conclusion
En conclusion, l’ensemble des divergences entre LRet C soulève plusieurs questions, dont la plus importante concerne le texte à partir duquel Caxton réalisa sa traduction, et n’apporte que très peu de réponses sur 196le rapport entre ces deux ouvrages. Il nous semble que deux hypothèses différentes, mais complémentaires plutôt qu’alternatives, demeurent plausibles : d’une part, Caxton a pu s’appuyer sur une source ne correspondant pas à celle de Le Roy (ni à LR) et bien meilleure que celle-ci sur plusieurs points, peut-être même à un niveau macro-textuel (pour l’organisation des chapitres)41 ; d’autre part, il est possible que Caxton soit lui-même intervenu, en véritable traducteur-éditeur, sur le texte qu’il avait à sa disposition, ce texte étant celui de LR ou d’un autre imprimé aujourd’hui perdu. D’une manière ou d’une autre, il en résulte, dans cet espace trilingue latin-français-anglais, que la traduction, au-delà de l’hysteron proteron apparent que cela comporte au niveau ecdotique, s’avère tout à fait pertinente – sinon indispensable – dans la perspective de l’édition critique de sa propre source,dont elle constitue désormais un témoin secondaire, ou peut-être même la seule trace d’une tradition matérielle parallèle et pouvant compter sur un meilleur antigraphe.
Giuliano Rossi
1 Paris, BnF, Rés. g-Yc-312 (Gallica) ; Paris, BnF, Rés. g-Yc-313 (Gallica ; notre copie de référence) ; Paris, B. Arsenal, Rés. 4-BL-1789 ; Washington, LC, Lessing J. Rosenwald collection, 381 (en ligne) ; Londres, BL, IB.41522, manquant des feuillets 8, 73 et 80.
2 Corley Corin, « Editing “Le Bel Inconnu” and Other Single-Manuscript Texts », The Editor and the Text. In Honour of Professor Anthony J. Holden, éd. Ph. E. Bennett, G. A. Runnalls, Edinburgh, Edinburgh University Press, 1990, p. 11-19. Nous travaillons actuellement à la réalisation de l’édition critique du Livre des Eneydes, qui n’a fait l’objet, à ce jour, d’aucune édition moderne.
3 Claude Buridant, « Édition et traduction », Manuel de la philologie de l’édition, éd. D. Trotter, Berlin, De Gruyter, 2015, p. 319-368, en particulier p. 347.
4 Eneydos, Londres, BL, C.10.b.12,f. L7r, p. 166, 7-8. Pour les citations du texte de Caxton nous suivons la transcription semi-diplomatique adoptée dans l’édition critique de 1890 (Eneydos : Caxton’s Eneydos 1490. Englisht from the french Livre des Eneydes, 1483, éd. Mathew T. Culley, Frederick J. Fournivall, London, N. Trübner & co., 1890), que nous avons toutefois vérifiée sur l’une des copies d’Eneydos conservées à la British Library (C.10.b.12).
5 Antonio Prete, À l’ombre de l’autre langue. Pour un art de la traduction, trad. fr. de D. Robert, Cadenet, Les éditions chemin de ronde, 2013.
6 D’un point de vue méthodologique, pour une situation textuelle d’un tout autre genre mais en partie comparable, caractérisée par une pluralité de témoins différents pour leur nature et leur position chronologique, nous renvoyons à Le Mystère de saint Clément de Metz, éd. critique par Frédéric Duval, Genève, Droz, 2011.
7 Anatole Claudin, Histoire de l’imprimerie en France au xve et au xvie siècle, Paris, Imprimerie Nationale, 1904, vol. 3, p. 51.
8 Dominique Coq, « Les incunables : textes anciens, textes nouveaux », Histoire de l’édition française. I. Le livre conquérant : Du Moyen Âge au milieu du xviie siècle, Paris, Fayard, 1989, p. 203-227, en particulier p. 203.
9 Alexander S. Wilkinson, « Lost Books Printed in French before 1601 », The Library, no 10/2, 2009, p. 188-205 ; Andrew Pettegree, « The Legion of the Lost. Recovering the Lost Books of Early Modern Europe », Lost Books. Reconstructing the Print World of Pre-Industrial Europe, éd. F. Bruni, A. Pettegree, Leiden, Brill, 2016, p. 1-27.
10 Nous nous bornons ici à une numération des chapitres établie à partir du nombre de titres présents dans le Livre des Eneydes imprimé par Le Roy, même si cela pose problème et que de nombreux indices amènent à considérer qu’il faudrait repenser cette numération. Il est fort possible, en effet, que certaines incohérences dans la mise en page de LR soient l’effet de l’omission de titres-rubriques, et donc de chapitres, comme on le précisera par la suite.
11 Cet épisode avait fait l’objet d’une modification similaire dans le Roman d’Eneas en vue de réduire la présence du surnaturel, si bien qu’un archer, et non un diable, prenait la place de la Junon de Virgile. Il est question d’un diable dans le passage correspondant de l’Histoire ancienne jusqu’à César, qui est la source directe de cette partie du Livre des Eneydes (Jacques Monfrin, « L’Histoire de Didon et Énée au xve siècle », Études de philologie romane, Genève, Droz, 2001 [1985], p. 535-567), mais cela n’enlève rien à l’ambition du programme iconographique de LR.
12 Pour une vision d’ensemble de cette variété terminologique, cf. Maria Colombo Timelli, « Translateur, traducteur, auteur : quelle terminologie pour quelle(s) identité(s) dans les prologues des mises en prose ? », Quand les auteurs étaient des nains. Stratégies auctoriales des traducteurs français de la fin du Moyen Âge, éd. O. Delsaux, T. Van Hemelryck, Turnhout, Brepols, 2019, p. 277-293. Les rôles de l’auteur et du compilateur sont ici quelque peu brouillés à cause de l’ambiguïté de l’indication « compilé par Virgile », où l’emploi de la préposition par pose problème. Mais il faudra revenir ailleurs sur ce point, qu’il est impossible de développer ici.
13 Jacques Monfrin, « L’Histoire de Didon et Énée au xve siècle », op. cit.
14 Jacques Monfrin, « L’Histoire de Didon et Énée au xve siècle », op. cit., p. 538, 557-558.
15 Matthew Day, English Humanism and the Reception of Virgil c. 1400-1550, Oxford, Oxford University Press, 2023, p. 104.
16 Il faudra encore s’interroger sur la provenance des bois employés par Le Roy, dont certains montrent des défauts pouvant dériver de l’usure.
17 Jacques Monfrin, « L’Histoire de Didon et Énée au xve siècle », op. cit., p. 554-556.
18 La version est proche de celle du manuscrit BnF, fr. 39, dont la VIe section (pour cette partition, cf. Paul Meyer, « Les premières compilations françaises d’histoire ancienne », Romania, no 14, 1885, p. 1-81) se clôt sur une incohérence évidente, reproduite dans la conclusion du Livre des Eneydes : « ainsi le demandoit li compte pour venir aux histoires de Troye », où « histoires de Troye » signifie bien entendu ‘histoires de Rome’. Caxton donnera, pour cette conclusion, une version différente et bien plus cohérente : « In this kynges dayes, byganne the historyes of the romayns, and of theym that founded Rome » (f. L7).
19 Matteo Roccati, « Les traductions françaises dans les incunables », Intrecci romanzi. Trame e incontri di culture, éd. O. Abbiati, Torino, Trauben, 2016, p. 293-312, en particulier p. 293-294, 297.
20 Jacques Monfrin, « Les translations vernaculaires de Virgile au Moyen Âge », Lectures médiévales de Virgile. Actes du Colloque organisé par l’École française de Rome (Rome, 25-28 octobre 1982), éd. J.-Y. Tilliette, Rome, Publication de l’École française de Rome, 1985, p. 189-249, en particulier p. 215.
21 Matthew Day, English Humanism and the Reception of Virgil c. 1400-1550, op. cit., p. 111.
22 Ce genre de réorganisation s’impose, ici, pour le passage d’une narration directe des faits, ex post, de la part d’Énée désormais accueilli par Didon – dans le texte de Virgile – à la reconstitution de l’ordo naturalis de ces mêmes événements, qui suivent immédiatement, dans les Eneydes, la fuite du héros de Troie et précèdent donc son arrivée chez la reine.
23 Il est difficile de dire si la forme « ulutative »pour ululative est à mettre sous la responsabilité de l’imprimeur, ou si elle était déjà dans une hypothétique source manuscrite des Eneydes.
24 Ceux-ci renvoient à une traduction de l’Énéide, mais dans la version d’Octovien de Saint-Gelais. Cf.Dictionnaire du Moyen Français (DMF), ATILF-CNRS et Université de Lorraine, 2020 ; Frédéric Godefroy, Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du ixe au xve siècle, 1881-1902.
25 Jacques Monfrin, « L’Histoire de Didon et Énée au xve siècle », op. cit., p. 549.
26 Pour le texte du De casibus, voir : Giovanni Boccaccio, De casibus virorum illustrium, éd. critique par Pier Giorgio Ricci, Vittorio Zaccaria [Tutte le opere di Giovanni Boccaccio, éd. critique par Vittore Branca, vol. 9], Milano, Mondadori, 1983.
27 Matthew Day (English Humanism and the Reception of Virgil c. 1400-1550, op. cit., p. 129), qui s’arrête sur la traduction de cet incipit de Boccace « O mulieris virile robur » et sur la reprise, dans LR, de l’adjectif « virile »(que Caxton reproduira à son tour dans la forme « vyrile »), souligne les différences entre la traduction du « Dido-translateur » et celle de Laurent de Premierfait, que Jacques Monfrin (« Les translations vernaculaires de Virgile au Moyen Âge », op. cit., p. 216, n. 46) observait déjà ne pas pouvoir être à l’origine de cette portion du Livre des Eneydes. Pour un état des lieux des traductions françaises du De casibus au xve siècle, cf. Olivier Delsaux, « La ou les traduction(s) française(s) du De casibus virorum illustrium de Giovanni Boccaccio au xve siècle ? Mise au point sur l’histoire d’un texte », Revue d’histoire des textes, no 12, 2017, p. 321-351.
28 Claude Buridant, « Édition et traduction », op. cit., p. 346-348.
29 Samuel K. Workman, Fifteenth Century Translation, Princeton, Princeton University Press, 1940, p. 8. Sur des positions différentes, Cécile Decaix (« Translation and Ovid as Diplomatic Tools in William Caxton’s Eneydos (1490) », Early Modern Literary Studies, Special Issue : War And Truce In Early Modern European Culture : Negotiating Appeasement And Entente, no 30, 2022, p. 1-19) considère que « Caxton’s Eneydos is not a verbatimtranslation of the Livre des Eneydes ».
30 Matthew Day, English Humanism and the Reception of Virgil c. 1400-1550, op. cit., p. 126.
31 Claude Buridant, « Édition et traduction », op. cit., p. 421.
32 Bien que rares, des cas opposés sont aussi attestés. Caxton introduit par exemple une erreur dans le titre du chapitre sur « Comment Yarbas se complaignit à Jupiter de Dydo qui ediffioit la cité de Cartaige », qui devient « How yarbas complayned hym to Jupiter of Aeneas, that edefyed the cyte of Carthage. capo. xvj ». Cécile Decaix (« Cultural and Technological Revolutions in William Caxton’s Eneydos (1490) », Bulletin des anglicistes médiévistes, Actes de l’atelier Moyen Âge du congrès de la SAES Paris, no 92, 2018, p. 8-27 ; « Translation and Ovid as Diplomatic Tools in William Caxton’s Eneydos (1490) », op. cit.) a vu, dans cette substitution de Didon par Énée dans le titre anglais, une trace des « pro-Dido’s changes » marquant la traduction de Caxton ; cependant, une intervention effectuée avec cette intention aurait probablement impliqué l’élimination de la relative « qui ediffioit la cité de Cartaige », car celle-ci comporte, dans le titre de Caxton, un contresens évident.
33 En même temps, la présence de cette personnification de la Fama n’est pas sans lien avec le texte virgilien, où celle-ci est mentionnée à plusieurs reprises dans le IVe chant (cf. les vers 265 sqq.).
34 Matthew Day, English Humanism and the Reception of Virgil c. 1400-1550, op. cit., p. 130.
35 DMF 2020 ; Frédéric Godefroy, Dictionnaire de l’ancienne langue française, op. cit.
36 Caxton ’ s Eneydos 1490, op. cit.
37 Cit. in C. Bates, The Rhetoric of Courtship in Elizabethan Language and Literature, Cambridge, Cambridge University Press, 1992, p. 52.
38 Caxton pourrait avoir eu sous la main une traduction française. Cependant, les titres introduisant ce xie chapitre du IIe livre du De casibus (la numération est variable dans les traductions françaises) dans les deux versions de la traduction de Laurent de Premierfait, de 1400 et de 1409, impliquent une structure moins immédiate que celle que Caxton a façonnée pour Eneydos (« Le viiie chapitre contient la louange de Dido et commence en latin… », BnF, fr. 230, version 1409 ; « Le viie chapitre contient la louange de la dicte Dido et commence ou latin… », BnF, fr. 232, version 1409 ; « Exclamation à la louange de Dydo », BnF, fr. 132, version 1400). Plus intéressante s’avère la forme de ce titre dans la princeps de la traduction de Premierfait (Colard Mansion, 1476) : « Une recommendation de la royne Dido ». Caxton s’en éloigne d’un point de vue sémantique, mais la correspondance étymologique des deux substantifs dérivant du latin commendare – « recommendation »et « comendacyon » – est évidente.
39 Il en est ainsi pour les chapitres xiv et xv de C, tout comme pour le chapitre xxix, dans des portions de texte qui correspondent à différentes sections des Eneydes.
40 Un cas opposé, à savoir l’absence d’un chapitre de LR dans C, concerne le titre de l’imprimé lyonnais sur « Comment il fut divisé devant le roy Latin de combatre corps à corps Eneas et Turnus » (f. l3v).
41 Cécile Decaix (« Translation and Ovid as diplomatic tools in William Caxton’s Eneydos (1490) », op. cit., p. 1, n. 2), sur la base d’une suggestion lui venant de Florence Bourgne, a récemment suggéré que Caxton pourrait même avoir traduit depuis une source manuscrite – dont il faudrait encore détailler les rapports avec LR et la source éventuelle de Le Roy –, ce qui serait démontré par le nombre important d’erreurs se justifiant sur base paléographique dans Eneydos. Dès lors, cette source pourrait bien être à l’origine d’un nombre important de leçons de C se faisant préférer à celle de LR, ce qui limiterait considérablement le poids des interventions directes du traducteur pour corriger et améliorer le texte français. Cependant, la collation entre les leçons fautives de la version anglaise et les leçons équivalentes du livre français réduit drastiquement le nombre d’erreurs imputables directement à Caxton et indépendantes de LR.
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- ISBN: 978-2-406-16459-3
- EAN: 9782406164593
- ISSN: 2261-1851
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-16459-3.p.0177
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- Online publication: 06-26-2024
- Language: French