Notice
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Théâtre de femmes de l’Ancien Régime. Tome III. xviie-xviiie siècles
- Pages : 177 à 179
- Collection : Bibliothèque du xviie siècle, n° 47
- Série : Théâtre, n° 9
Notice
Mme Ulrich est probablement née autour de 1665. Fille d’un des Vingt-quatre Violons1 du roi, elle reçut de son père, comme la plupart des enfants de sa condition, une solide éducation artistique : ses talents pour la danse et la musique ainsi que son physique agréable la destinaient à suivre une carrière dans le monde du théâtre ou de l’opéra, et peut-être figura-t-elle, encore enfant, dans les comédies-ballets de Molière et Lully, où jouait son père. C’est en tout cas ce que laisse suggérer l’ouvrage Le Pluton maltôtier, pamphlet satirique qui retraça, en 1708, sa vie scandaleuse, et qui reste la seule source, à user avec prudence, sur la jeunesse de Mme Ulrich. D’après ce texte, le décès de son père mit la famille en difficultés, contraignant la mère, en charge de plusieurs enfants, à mettre les plus âgés en apprentissage.
Placée chez un barbier à l’âge de 13 ou 14 ans, elle y fit la connaissance d’un Suédois du nom d’Ulrich, maître d’hôtel du comte d’Auvergne, le frère du duc de Bouillon. Malgré la grande différence d’âge, il proposa de prendre soin de son éducation et de la placer dans un couvent en vue de l’épouser. Elle y rencontra, par hasard, le célèbre comédien Florent Dancourt, qui s’éprit d’elle et fit grand bruit de cette liaison dans Paris. Ulrich, alerté, fit aussitôt sortir la jeune fille du couvent pour l’épouser. Mais le mariage ne mit pas fin à la relation des deux amants, qui porta également préjudice au ménage de Dancourt avec la comédienne Thérèse Le Noir. Le récit de la vie de Mme Ulrich prit très vite un tour romanesque et libertin : maîtresse d’hommes célèbres, dont le marquis de Sablé, elle se fit connaître pour ses mœurs légères. Amie de la duchesse de Choiseul-Praslin, également réputée pour son libertinage, elle fréquentait son salon, où la mode était aux jeux d’argent. En 1690, elle écrivit, avec l’aide de Dancourt, la comédie La 178Folle Enchère, qui fut jouée à la Comédie-Française. Elle était également, depuis la fin des années 1680, l’amie de La Fontaine, qu’elle rencontra probablement dans le cercle du duc de Bouillon. Une amitié sincère, nourrie par le goût de la littérature et des plaisirs mondains, unit ces deux amants. Dernière muse de l’écrivain vieillissant, elle lui rendit hommage un an après sa mort en éditant en 1696 ses Œuvres posthumes. Dans sa dédicace au marquis de Sablé et la préface qu’elle composa pour l’occasion, elle montre une plume fine et délicate, et défend la mémoire du poète en traçant un portrait tendre et chaleureux de La Fontaine. L’ouvrage comprend des œuvres inédites, dont le conte des Quiproquos et de nouvelles versions de certaines fables dont elle possédait les manuscrits, ainsi que deux lettres que La Fontaine lui avait écrites. À cette époque, elle était probablement devenue veuve, et sa conduite libérée faisait scandale, notamment auprès de la Cour, où Mme de Maintenon imposait une morale de plus en plus sévère. En 1698, la fille de Mme Ulrich (prénommée Thérèse ou Françoise selon les sources), protégée par Mme de Maintenon, demanda à se faire religieuse pour échapper semble-t-il à la réputation de sa mère. Mme de Maintenon accepta de donner une pension à Mme Ulrich si elle la rejoignait, à la condition qu’elle changeât sa conduite. Demande qui resta vaine, puisqu’un an plus tard, elle fut conduite, sur ordre du roi, au couvent des Madelonnettes, où étaient enfermées les femmes considérées comme dépravées. À partir de cette date, les affaires de mœurs s’enchaînèrent. Elle fut régulièrement incarcérée au Refuge ou à l’Hôpital général jusqu’en 1707. On ne la trouve plus mentionnée dans les Archives de police après cette date. Il semble qu’elle ait vécu les dernières années de sa vie en se faisant entretenir, sombrant peu à peu dans la prostitution.
Orpheline de père, victime très jeune d’un vieux barbon de comédie, séduite ensuite par un comédien libertin, le destin contrarié de Mme Ulrich serait digne d’une aventurière de roman. Cependant la réalité la situe sur un terrain bien plus tragique que celui esquissé par les historiens littéraires des xixe et xxe siècles qui, brodant autour du Pluton maltôtier et malmenant, par des coupes intempestives, les informations tirées des archives de police, l’ont réduite à une courtisane débauchée, une mère indigne et une muse vénale. Les quelques éléments biographiques et littéraires que nous détenons permettent de rétablir le portrait d’une femme libre, cultivée, écrivaine prometteuse.
179Son parcours retrace surtout celui d’une autrice et éditrice intégrée dans le courant libertin de son temps, dont la reconnaissance auctoriale et la création littéraire furent violemment contrariées par les conditions sociales et morales imposées aux femmes. Mme Ulrich fut l’une des deux seules autrices à avoir fait jouer une comédie à la Comédie-Française au xviie siècle2.
- Thème CLIL : 3439 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moderne (<1799)
- ISBN : 978-2-406-12965-3
- EAN : 9782406129653
- ISSN : 2258-0158
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12965-3.p.0177
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 05/05/2022
- Langue : Français