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Classiques Garnier

Notice

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Notice

Mme Ulrich est probablement née autour de 1665. Fille dun des Vingt-quatre Violons1 du roi, elle reçut de son père, comme la plupart des enfants de sa condition, une solide éducation artistique : ses talents pour la danse et la musique ainsi que son physique agréable la destinaient à suivre une carrière dans le monde du théâtre ou de lopéra, et peut-être figura-t-elle, encore enfant, dans les comédies-ballets de Molière et Lully, où jouait son père. Cest en tout cas ce que laisse suggérer louvrage Le Pluton maltôtier, pamphlet satirique qui retraça, en 1708, sa vie scandaleuse, et qui reste la seule source, à user avec prudence, sur la jeunesse de Mme Ulrich. Daprès ce texte, le décès de son père mit la famille en difficultés, contraignant la mère, en charge de plusieurs enfants, à mettre les plus âgés en apprentissage.

Placée chez un barbier à lâge de 13 ou 14 ans, elle y fit la connaissance dun Suédois du nom dUlrich, maître dhôtel du comte dAuvergne, le frère du duc de Bouillon. Malgré la grande différence dâge, il proposa de prendre soin de son éducation et de la placer dans un couvent en vue de lépouser. Elle y rencontra, par hasard, le célèbre comédien Florent Dancourt, qui séprit delle et fit grand bruit de cette liaison dans Paris. Ulrich, alerté, fit aussitôt sortir la jeune fille du couvent pour lépouser. Mais le mariage ne mit pas fin à la relation des deux amants, qui porta également préjudice au ménage de Dancourt avec la comédienne Thérèse Le Noir. Le récit de la vie de Mme Ulrich prit très vite un tour romanesque et libertin : maîtresse dhommes célèbres, dont le marquis de Sablé, elle se fit connaître pour ses mœurs légères. Amie de la duchesse de Choiseul-Praslin, également réputée pour son libertinage, elle fréquentait son salon, où la mode était aux jeux dargent. En 1690, elle écrivit, avec laide de Dancourt, la comédie La 178Folle Enchère, qui fut jouée à la Comédie-Française. Elle était également, depuis la fin des années 1680, lamie de La Fontaine, quelle rencontra probablement dans le cercle du duc de Bouillon. Une amitié sincère, nourrie par le goût de la littérature et des plaisirs mondains, unit ces deux amants. Dernière muse de lécrivain vieillissant, elle lui rendit hommage un an après sa mort en éditant en 1696 ses Œuvres posthumes. Dans sa dédicace au marquis de Sablé et la préface quelle composa pour loccasion, elle montre une plume fine et délicate, et défend la mémoire du poète en traçant un portrait tendre et chaleureux de La Fontaine. Louvrage comprend des œuvres inédites, dont le conte des Quiproquos et de nouvelles versions de certaines fables dont elle possédait les manuscrits, ainsi que deux lettres que La Fontaine lui avait écrites. À cette époque, elle était probablement devenue veuve, et sa conduite libérée faisait scandale, notamment auprès de la Cour, où Mme de Maintenon imposait une morale de plus en plus sévère. En 1698, la fille de Mme Ulrich (prénommée Thérèse ou Françoise selon les sources), protégée par Mme de Maintenon, demanda à se faire religieuse pour échapper semble-t-il à la réputation de sa mère. Mme de Maintenon accepta de donner une pension à Mme Ulrich si elle la rejoignait, à la condition quelle changeât sa conduite. Demande qui resta vaine, puisquun an plus tard, elle fut conduite, sur ordre du roi, au couvent des Madelonnettes, où étaient enfermées les femmes considérées comme dépravées. À partir de cette date, les affaires de mœurs senchaînèrent. Elle fut régulièrement incarcérée au Refuge ou à lHôpital général jusquen 1707. On ne la trouve plus mentionnée dans les Archives de police après cette date. Il semble quelle ait vécu les dernières années de sa vie en se faisant entretenir, sombrant peu à peu dans la prostitution.

Orpheline de père, victime très jeune dun vieux barbon de comédie, séduite ensuite par un comédien libertin, le destin contrarié de Mme Ulrich serait digne dune aventurière de roman. Cependant la réalité la situe sur un terrain bien plus tragique que celui esquissé par les historiens littéraires des xixe et xxe siècles qui, brodant autour du Pluton maltôtier et malmenant, par des coupes intempestives, les informations tirées des archives de police, lont réduite à une courtisane débauchée, une mère indigne et une muse vénale. Les quelques éléments biographiques et littéraires que nous détenons permettent de rétablir le portrait dune femme libre, cultivée, écrivaine prometteuse.

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Son parcours retrace surtout celui dune autrice et éditrice intégrée dans le courant libertin de son temps, dont la reconnaissance auctoriale et la création littéraire furent violemment contrariées par les conditions sociales et morales imposées aux femmes. Mme Ulrich fut lune des deux seules autrices à avoir fait jouer une comédie à la Comédie-Française au xviie siècle2.

1 Formation musicale également appelée les « Violons ordinaires de la Chambre du roi », destinée aux divertissements et cérémonies officielles de la Cour.

2 Voir lintroduction générale, p. 12.