Préface
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Taux d’intérêt négatifs. Le trou noir du capitalisme financier
- Pages : 15 à 17
- Collection : Classiques Jaunes, n° 706
- Série : Économies, n° 5
Préface
Nous sommes entrés dans un monde que les amateurs d’acronymes qualifient de VICA (volatile, incertain, complexe et ambigu). Ces qualificatifs, initialement conçus par les analystes de l’armée américaine, il y a une trentaine d’années, pour caractériser la situation géo-stratégique de l’époque, paraissent encore plus pertinents actuellement. Cela vaut a fortiori pour la sphère économique qui prend une part croissante dans la vie des sociétés contemporaines, et, plus particulièrement de la finance qui, au lieu d’être une composante économique parmi d’autres, est devenue la référence de l’économie et, au-delà, de la société globale. On parle ainsi de « financiarisation de l’économie », voire de « financiarisation de la société », dépendance au carré qui a pu être qualifiée de « double encastrement1 ».
Depuis une douzaine d’années – pour l’essentiel pour faire face à la crise financière mondiale de 2008 – les banques centrales du Japon, puis des USA et de l’UE, ont mis en œuvre des politiques financières « accommodantes » dites non conventionnelles, se traduisant par une baisse durable des taux directeurs et un rachat quasi sans limites des créances bancaires (quantitative easing).
La plupart des grandes firmes cotées ont largement bénéficié de ces politiques monétaires accommodantes leur assurant des financements (crédits bancaires ou obligations) quasiment sans restriction et à un coût très faible, diminuant leur coût moyen du capital et modifiant leurs structures de financement. Pour autant, les investissements productifs effectués ces dernières années par les grandes firmes concernées n’ont pas été exceptionnels, se situant dans la fourchette moyenne des années précédentes. De ce fait, maints entreprises et groupes disposent d’une trésorerie pléthorique en attente d’investissements. En revanche, on observe une montée significative des rachats d’actions de sociétés cotées par elles-mêmes, surtout 16aux États-Unis où ce type d’opération est moins contrôlé qu’autrefois ; ce qui se traduit par un soutien des cours boursiers et une accentuation de l’effet de levier, voire à un double effet de levier lorsque ces rachats d’actions ont été financés par le recours à un endettement supplémentaire.
Les facilités de financement, s’ajoutant aux largesses fiscales dispensées notamment par l’actuelle administration américaine, ont permis d’excellents résultats nets, boostant d’autant les cours en bourse.
Ces différents éléments se conjuguent et peuvent aboutir à des profils de sociétés cotées, avec de bonnes performances comptables et boursières, et des bilans atypiques comprenant à la fois une trésorerie surabondante à l’actif et un endettement considérable au passif.
Cette situation, dont maintes firmes dans le monde se contenteraient, parait préoccupante quant à sa signification profonde, sa qualité intrinsèque et sa pérennité. Les performances comptables et a fortiori boursières ne sont plus directement liées au modèle économique suivi mais aux opérations financières effectuées (recours à la dette, rachats d’actions…) ; rien n’assure que ces effets favorables se retrouveront à l’avenir sauf à en favoriser la reconduction via les politiques monétaires (pour le coût de la dette) ou via des interventions directes sur le marché du titre (pour les rachats d’actions).
L’œuvre de Jacques Ninet se situe dans le débat ouvert sur la signification de ces politiques monétaires accommodantes, sur leur portée réelle et leur pérennité. Le présent ouvrage, proposé par les Éditions Classiques Garnier en format de poche, reprend le texte de l’essai publié en 2017 par l’auteur en format standard chez le même éditeur (dans la collection « Bibliothèque de l’économiste »). Cet essai était lui-même fondé sur les observations, analyses et commentaires produits par Jacques Ninet, depuis de nombreuses années, pour les différents fonds d’investissements et autres organismes financiers dans lesquels l’intéressé a exercé des responsabilités. En effet, l’auteur de ce livre n’est pas un « académique » de profession, même si ses activités réitérées dans le « petit monde » de l’Alma Mater pourrait en remontrer à maints collègues universitaires2. Mais, c’est justement son expérience professionnelle éprouvée qui, à nos yeux, constitue une qualité majeure de son essai et nous incite à prendre au sérieux les analyses présentées et les interrogations exprimées.
Que nous dit en effet l’auteur dans son introduction ?
17Le trou noir que j’évoque est le trou déflationniste, matérialisé par les taux d’intérêt négatifs, dans lequel l’économie occidentale a plongé et dont elle ne peut plus ressortir, ce qui met directement les Banques centrales en grand danger. (p. 13)
Et comment conclut-il son essai ?
Last but not least, les projets de dérégulation affichés par Donald Trump pourraient parachever la reconquête par la sphère financière d’une liberté qui n’aura été finalement que fort peu bridée après la crise de 2008. Mais dans un monde qui parait inexorablement plus dangereux, toute cette assurance reconquise pourrait s’avérer un redoutable trompe-l’œil et précipiter la rechute dans le trou noir. (p. 241)
C’était écrit en mars 2017. Aujourd’hui, au-delà de maints évènements ponctuels, l’essentiel de l’argumentaire développé par Jacques Ninet n’a pas pris une ride. Cela justifie la décision de l’éditeur d’en favoriser la diffusion pour cette nouvelle édition en livre de poche et cela incite les lecteurs à en prendre connaissance et à participer, tant comme acteurs éventuels que comme citoyens, à ce débat majeur pour nos économies et nos sociétés.
1 « La sphère financière a idéologiquement conquis le pouvoir de s’autoréférencer en encastrant l’économique qui avait lui-même encastré le sociétal » Fimbel E. ; Karyotis C. (2012), se référant à Polanyi K. (1944) et Granovetter M. (1985).
2 Le signataire de ces lignes peut personnellement en témoigner, ayant noué avec Jacques Ninet une coopération scientifique et personnelle de grande qualité.
- Thème CLIL : 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
- ISBN : 978-2-406-09961-1
- EAN : 9782406099611
- ISSN : 2417-6400
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09961-1.p.0015
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 30/12/2019
- Langue : Français